Le pouvoir n’est jamais individuel, tout pouvoir a une base sociale sur laquelle s’appuyer. L’individu qui l’exerce, soi un monarque ou un président, est seulement le chef visible, la personnification du pouvoir. Si le roi meurt il est substitué par un autre roi, mais le féodalisme ne disparaît pas pour autant. Alors, pour savoir qui a le pouvoir politique, il faut voir quels intérêts sont derrière celui-ci, en d’autres mots, il faut chercher ses bases sociales.
Bismarck disait que "tout homme est aussi grand que la vague qui déferle sous ses pieds" . Il est dangereux de ne pas prêter attention aux vagues qui déferlent dans la société, car celles-ci au lieu de se placer au-dessous des nos pieds peuvent nous passer au-dessus de la tête.
C’est précisément cela qui arriva à De La Rúa quand il a du fuir en hélicoptère en décembre 2001*. Et nous voyons que le pouvoir, non seulement n’est pas individuel, mais il ne se trouve pas non plus dans un lieu spécifique, palais présidentiel, parlement ou caserne, mais dans la société même. Et il n’y a pas non plus de "pouvoir civil" et "de pouvoir militaire" : cette position naïve mène à la conclusion de ce que "le problème sont les militaires" .
Le pouvoir est exercé par une classe ou plusieurs classes sociales sur d’autres, et les antagonismes qui existent dans une société répercutent sur toutes ses couches, y compris l’armée. Si non, comment expliquer qu’aient existé des militaires nationalistes, comme Perón, et d’autres au service de l’impérialisme, comme Videla ? Il ne faut pas s’imaginer naïvement qu’avoir le pouvoir politique s’est d’être assis au bon endroit, comme un chauffeur qui est assis derrière le volant d’un véhicule et décide comment le conduire. S’il n’y a pas de "moteur social" , pour autant que nous soyons assis derrière le volant, la voiture n’ira nulle part !
Les deux choses sont nécessaires : les leviers gouvernementaux et "le moteur social" .
L’État
Selon Marx, l’État est un organe de domination de classe, un organe d’oppression d’une classe par l’autre, c’est la création de l’’ordre" qui légalise et garantit cette oppression, en amortissant les chocs entre les classes.
Il l’est uniquement bien sûr si la société est divisée en classes et le même État cessera d’exister dans une société socialiste.
Mais tant que les bases sociales ne changent pas il continuera d’être un organe d’oppression. Et dans le cas d’une semi-colonie, une double oppression, parce que c’est en même temps l’oppression d’une classe sur l’autre, et l’oppression d’une nation (ou de plusieurs) sur une autre nation.
Le jeu électoral
En considérant les arguments ci-haut mentionnés, peut-on prendre le pouvoir au moyen d’élections ? Lorsque l’on accepte de jouer à un jeu, il faut aussi accepter ses règles. En général les règles ont été créées par l’inventeur du jeu ou par celui qui s’est acheté le brevet et le moule à son goût.
Et s’il s’agit des élections, nous savons déjà que les intérêts qui contrôlent les médias et le financement des partis politiques sont les vrais gagnants. Le "supporter" - pour ainsi dire - l’électeur, ne reste pas avec le joueur, mais le club qui paie le plus. Parce-que dans ce jeu, les dés sont truqués. Cependant, à la lumière des certains événements historiques, on peut me faire l’objection suivante : Perón, Chavez et Evo Morales sont arrivés au pouvoir grâce à des élections. Nous pourrions répondre ceci : les mouvements nationaux qu’ils représentaient - ou qu’ils représentent dans le cas du Venezuela et de la Bolivie - avaient déjà acquis un poids dans la société. Et dans ce sens le vote a été plutôt une formalité de confirmation du changement social qui s’était dans une certaine mesure déjà produit.
Parce que si un mouvement national acquiert de la force, il peut accepter "de jouer aux dés" : la force déjà acquise lui offre la possibilité d’exiger que les dés en question ne soient pas truqués. Et c’est à ce moment là que les forces réactionnaires, après avoir perdu le pouvoir, montrent leur vrai visage et font ou essaient de faire un coup d’État. C’est pourquoi le pouvoir est toujours acquis d’abord dans la société.
Cela peut être positif qu’il y ai des élections, mais elles ont l’énorme défaut de créer l’illusion que quelque chose peut être gagné à travers elles sans une lutte sociale préalable. Ceci n’est jamais vrai.
La lutte sociale et la création d’un front national anti-impérialiste sont indispensables.
Par la suite, que la prise du pouvoir se fasse grâce à un mécanisme électoral ou autrement, dépendra des circonstances, et cela, l’histoire le décide.
Pablo Rivera
pour Izquierda Nacional http://www.izquierdanacional.org
*Fernando de la Rúa a été président de l’Argentine entre 1999 et décembre 2001, il dut fuir le palais présidentiel lors d’une révolte populaire contre ses politiques néolibérales.