RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Quai d’Orsay : le discours d’un homme d’État

Ce n’est pas sans crainte qu’on aborde Quai d’Orsay : la mode de l’adaptation de BD et autres romans graphiques (Snowpiercer, La Vie d’Adèle) peut susciter l’appréhension, tout comme, inversement, la réussite, aussi bien visuelle que verbale, de la BD de Blain et Larzac, que le Nouvel Obs accuse Tavernier d’avoir "massacrée", tandis que d’autres lui reprochent de l’avoir trop servilement suivie.

Le film est donc une excellente surprise et il faut le dire bien haut face aux critiques qui font la fine bouche devant tout film qui sort de la routine psychologique (Guillaume et les garçons actuellement) ou hollywoodienne. Quai d’Orsay n’est pas un grand chef-d’oeuvre ? C’est entendu, et on ne va pas le comparer au Guépard. Mais même si ce n’était qu’une comédie divertissante (comme semble le suggérer Télérama), on aurait raison d’aller le voir. Au moment où on célèbre avec enthousiasme les 50 ans des Tontons flingueurs, (et où l’on vient d’apprendre la mort de Georges Lautner), on peut voir dans Quai d’Orsay un retour à la grande tradition du cinéma populaire français des années 30-60, dont la force résidait dans la conception des seconds rôles et le talent des acteurs qui les interprétaient. Les tontons flingueurs du Quai d’Orsay, eux aussi, sont incarnés par une équipe d’excellents acteurs (Niels Arestrup, Bruno Raffaelli, Marie Bunel, Didier Bezace...) et on peut imaginer qu’on reverra le film en attendant ses répliques culte sur Héraclite et les anchois, ou la grande tirade du stabilo, magistralement interprétée par Thierry Lhermitte.

Mais, derrière la comédie, il y a un événement historique, le dernier sans doute dans lequel la France a brillé, le grand discours de Villepin (ici Taillard de Vorms) à l’ONU en février 2003, dont on avait pu croire qu’avec les millions de manifestants du NON, il arrêterait la guerre contre l’Irak. Il faut remercier Bertrand Tavernier d’avoir ainsi salué les 10 ans du discours ; on réalise ainsi que Villepin est le dernier ministre à avoir marqué le Quai d’Orsay (au point qu’on est tout étonné de se rappeler qu’aujourd’hui le fauteuil devant l’immense fenêtre du somptueux bureau de Taillard de Vorms est occupé par Fabius) et à avoir parlé au nom de "la France des droits de l’homme" ; on ne peut le mettre en parallèle qu’avec Chevènement qui, en 1991, démissionna de son poste de ministre de la Défense pour ne pas cautionner le soutien de Mitterrand à la première agression des États-Unis contre l’Irak (" Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l’ouvrir, ça démissionne ").

Il ne s’agit pas de tresser des couronnes à Villepin qui, en tant que premier ministre de Chirac, a laissé des souvenirs moins brillants. Du reste, Quai d’Orsay n’est pas un film de révérence, aux antipodes en cela des biopics qui ont inondé les écrans, réduisant les hommes ou femmes publics à leur vie privée ou donnant d’elle une version hagiographique (Hoover, Thatcher, Arendt, le Georges VI de l’insipide Discours d’un roi...). Taillard de Vorms est brouillon, volubile, narcissique, il s’écoute parler, brasse de l’air, harcèle ses collaborateurs, qui font tout le travail. Mais toute cette agitation frivole en apparence aboutit, en un véritable coup de théâtre final, à l’apothéose du discours à l’ONU : là, tous les petits ridicules du personnage disparaissent, on se rend compte qu’il y avait une véritable volonté politique à l’œuvre, et que toutes les pièces du puzzle ont trouvé leur place : Taillard parle alors avec la sobriété et la gravité de l’homme d’État qui sent qu’en cette heure il porte les espoirs du monde, représenté ici par les délégués de (presque) tous les pays qui l’acclament.

Lorsqu’on compare les politiciens d’aujourd’hui à Villepin, et leur politique de guerre tous azimuts où l’odieux le dispute au ridicule, à sa politique de résistance aux États-Unis, on réalise que le film répond à la question : qu’est-ce qui fait la différence entre le simple politicien et l’homme d’État ? Certes Taillard est égocentrique, et toujours en représentation, mais, dit Arthur, son "spécialiste des langages" (autrement dit son nègre), "ce n’est pas un acteur" : il ne serait pas capable de jouer n’importe quel rôle, il défend des convictions, non pas révolutionnaires, mais de nature du moins à empêcher la barbarie, c’est-à-dire des relations internationales dérégulées, où s’imposerait le bon plaisir de l’État le plus armé de la planète, représenté ici par "ce connard" de Bush junior.

Tavernier s’était, ces dernières années, égaré dans le thriller américain (Dans la brume électrique) et dans le péplum français (La princesse de Montpensier). On a plaisir à le voir revenir dans la France d’aujourd’hui, et retrouver une veine plus réaliste et sociale, comme dans De l’autre côté du périph’, où il concluait que ce qui rendait les habitants de la cité des Grands Pêchers, à Montreuil, le plus malheureux, c’était leurs factures EDF, le lobby nucléaire faisant pression pour que les HLM soient équipés de chauffage électrique. Il y a en France des cinéastes de talent, ce Tavernier, le Klapisch de Ma Part du gâteau, qui montrent que le mélo ou la comédie narcissique et psychologisante ne sont pas une fatalité en France. C’est à un autre niveau que se situe le problème, et le personnage du "philosophe" qui rôde autour des hommes de pouvoir, dans lequel on reconnaît BHL ("Ne dites pas de mal des Américains : c’est un pays riche et complexe"), nous rappelle qu’il y a bel et bien une censure économique et idéologique en France.

Rosa Llorens

URL de cet article 23404
  

Pourquoi les riches sont-ils de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres ?
Monique Pinçon-Charlot - Michel Pinçon - Étienne Lécroart
Un ouvrage documentaire jeunesse engagé de Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon, illustré par Étienne Lécroart Parce qu’il n’est jamais trop tôt pour questionner la société et ses inégalités, les sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot, passés maîtres dans l’art de décortiquer les mécanismes de la domination sociale, s’adressent pour la première fois aux enfants à partir de 10 ans. Avec clarté et pédagogie, ils leur expliquent les mécanismes et les enjeux du monde social dans lequel ils vont grandir et (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

« L’ennemi n’est pas celui qui te fait face, l’épée à la main, ça c’est l’adversaire. L’ennemi c’est celui qui est derrière toi, un couteau dans le dos ».

Thomas Sankara

Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Ces villes gérées par l’extrême-droite.
(L’article est suivi d’un « Complément » : « Le FN et les droits des travailleurs » avec une belle photo du beau château des Le Pen). LGS Des électeurs : « On va voter Front National. Ce sont les seuls qu’on n’a jamais essayés ». Faux ! Sans aller chercher dans un passé lointain, voyons comment le FN a géré les villes que les électeurs français lui ont confiées ces dernières années pour en faire ce qu’il appelait fièrement « des laboratoires du FN ». Arrêtons-nous à ce qu’il advint à Vitrolles, (...)
40 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.