Les goodyear paient sans doute pour une chemise d’Air France en lambeaux.

Radicalisation des puissants

En prison ! Le verdict rendu en première instance par le tribunal correctionnel d’Amiens contre plusieurs syndicalistes CGT de Goodyear, qui inclut de la réclusion ferme, a provoqué une véritable stupéfaction.

Les condamnés ont été reconnus « coupables » d’avoir retenu des dirigeants de leur entreprise (qui n’ont a aucun moment été violentés). Même les commentateurs les moins habitués à soutenir le monde du travail ont souligné le caractère sans précédent d’une telle peine. Ici et là s’est exprimée une compassion morale pour des hommes qui auraient « dérapé » sous l’emprise de la colère et de l’angoisse.

En réalité, ce dont ces militants on besoin, c’est moins de se voir octroyer des « excuses », que d’une solidarité offensive. Celle-ci passe d’abord et avant tout par le rappel des enjeux de leur lutte dont la « séquestration » n’a été que le point d’orgue. Cette bataille au long cours (près de sept ans !) opposait une majorité de salariés de l’usine à la direction de choc de la firme américaine : Goodyear entendait imposer, par le chantage à la fermeture, une remise en cause des conditions et des horaires de travail ; et ce, selon un modèle de flexibilité... dont l’esprit va être repris dans la réforme en cours du Code du travail préconisée par l’Union européenne.

De fait, c’est bel et bien cette résistance à l’« air du temps » qui a été punie, de même que la détermination des syndicalistes à refuser les manières feutrées du « dialogue social » – un dialogue social made in Bruxelles, au point qu’il constitue l’intitulé officiel des fonctions d’un commissaire européen. On ne peut s’empêcher de penser que les militants d’Amiens ont également essuyé la vindicte des puissants après la redoutable image de patrons d’Air France contraints de fuir, la chemise en lambeaux.

Mais, plus fondamentalement, que dit l’acharnement du parquet (alors que les plaignants avaient retiré leur plainte) sur l’état d’esprit des dirigeants mondialisés, en France et en Europe ? Il trahit probablement une fébrilité montante face à des crises qu’ils ont provoquées, mais dont ils peinent désormais à garder ou à récupérer la maîtrise. Et ce, à trois niveaux.

Tout d’abord, il est difficile d’extraire cette sévérité du contexte de l’état d’urgence. D’autant que ce dernier est en passe d’être pour partie « constitutionnalisé », signe d’ailleurs qu’en haut lieu, on considère que la lutte dite anti-terroriste n’est pas près de vaincre ses ennemis désignés. La radicalisation répressive des puissants contre le monde du travail pourrait bien être une manière d’enjoindre aux syndicalistes de choisir : ou vous acceptez d’être des « partenaires sociaux », ou on vous traite en « terroristes ».

Ensuite, le djihad et les attentats, censés justifier la floraison de fusils-mitrailleurs au coin de la rue, ne sont que des plaisanteries en comparaison des mouvements sismiques qu’on entend déjà gronder dans les tréfonds de l’économie mondialisée. Régulièrement, on perçoit des craquements sourds dans les milieux boursiers, qui sont peut-être des signes avant-coureurs de crises d’amplitude inconnue.

Du fait de son intégration, notamment monétaire, l’Europe pourrait être aux premières loges de tempêtes qui se préparent (même si, en la matière, toute prévision est incertaine). Des vents en principe favorables se retournent en leur contraire : la dégringolade du prix du pétrole met en grande difficulté des pays producteurs, tels que la Russie « qui sont aussi les clients de nos exportations », s’inquiète le patron des patrons allemands ; les bas taux d’intérêt vont de pair avec une déflation potentielle et une croissance atone ; pour contrer cette langueur, les banques centrales ont déversé des centaines de milliards de liquidités, dont le pouvoir déstabilisateur – bulles spéculatives, mouvements de capitaux et changements brusques des parités monétaires – n’est plus à prouver.

Enfin, ce qu’il est convenu de nommer « la crise des réfugiés », dont l’épicentre est en Allemagne, semble désormais hors de contrôle, et met Angela Merkel et sa crédibilité politique en grande difficulté. Au point que, le « provisoire » rétablissement en cascade du contrôle des frontières aidant, l’esprit même de Schengen pourrait bien être balayé. Et l’Union européenne n’y pas survivre. On n’en est certes pas là, mais, tant à Bruxelles qu’à Berlin, les inquiétudes sont de plus en plus vives et visibles – ce qui en dit long sur leur ampleur cachée. On leur souhaite donc une bonne année...

Good Year, en quelque sorte.

Pierre Levy

Éditorial paru dans l’édition du 27/01/16 du mensuel Ruptures
Information et abonnements : http://www.ruptures-presse.fr
Pierre Lévy est par ailleurs l’auteur d’un roman politique d’anticipation dont une deuxième édition est parue avec une préface de Jacques Sapir : L’Insurrection

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COMMENTAIRES  

01/02/2016 14:05 par Beyer Michel

Je prends le risque : je compare la criminalisation des syndicalistes CGT avec la bienveillance apportée aux manifs des paysans, lesquels font bien sûr dans la dentelle.....

01/02/2016 17:58 par babelouest

On va dire la chose ainsi : c’est la lutte des humains, contre les terroristes (les actionnaires, administrateurs et patrons des grandes entreprises, les bancaires en tête). Oui, ce sont ces personnages "supérieurs", inconnus le plus souvent, qui sont les terroristes du monde. Il va peut-être enfin falloir s’y pencher, et ne pas se tromper de combat.

02/02/2016 15:49 par SEPH

Cette honteuse condamnation n’est pas du au hasard. Elle est le fruit d’une dérive droitière du pouvoir.

Hollande et sa bande de voyous, assure son rôle de larbin de la finance internationale. Des milliards sont distribués aux banques, multinationales sans contrôle.
En revanche les salariés doivent se tenir tranquilles,ils doivent accepter : les injustices, la précarité , des salaires de misères, le chômage,.........

C’est seulement par un affrontement avec le pouvoir que les laissés pour compte garderont leur dignité et arrêteront la descente aux enfers par la faute du capitalisme dévastateur de l’Union Européenne.

02/02/2016 20:31 par Scalpel

Prison ferme pour de courageux lutteurs sociaux et impunité pour des meurtriers assermentés.
Voilà ce qui nous reste de nos droits démocratiques en voie de dissolution totale dans l’acide USlfuriqUE.
J’apprends, effaré, par le biais de cette pétition que notre gouvernement sociatlantiste veut introduire... la présomption de légitime défense, soit le permis de tuer, pour les policiers.
Vous avez dit fasciste ?
Mais que fait Ornella Guyet ? Qu’en pense la finkielcratie ?
Seront-t-ils aussi mutiques sur ce sujet ô combien révoltant que sur Svoboda et Pravi Sektor ?

02/02/2016 22:13 par Geb.

@ Scalpel.

J’apprends, effaré, par le biais de cette pétition que notre gouvernement sociatlantiste veut introduire... la présomption de légitime défense, soit le permis de tuer, pour les policiers.

Désolé, mais cette "présomption" a toujours existé. C’est même la seule occasion ou un personnel de la Police nationale a le "droit au feu". Il doit par contre en justifier auprès de la Justice criminelle civile.

Contrairement à la Gendarmerie nationale qui n’a jamais eu à justifier son droit au feu, (En tant que militaire), et ne rend des comptes sur ce fait qu’auprès de la Justice militaire.

Je ne dis pas ça pour expliquer que la Police est particulièrement "républicaine", mais pour éviter d’employer des arguments non défendables.

Vu que cette situation est en vigueur depuis 1945, si fascisme il y a en fonction de ces arguments c’est depuis cette date, et pas d’aujourd’hui.

Par contre l’"état d’urgence" entraîne des dérives fascisantes telles que la militarisation de la police nationale, déjà favorisée par la Loi Sarkozy qui relie la Police et la Gendarmerie sous une même juridiction.

Mais là on ne fait que copier nos mentors d’outre-atlantique en matière policière : Ceux du "Pays des Braves et dela Terre des Hommes libres" qui ont assassiné plus de citoyens américains noirs, (Et pas mal de Blancs aussi - Soyons exacts), en 5 ans aux Etats Unis qu’Al Qaïda lors du 11 septembre 2001.

03/02/2016 17:28 par Scalpel

@ Geb

Merci pour ces précisions... gébiennes. :)
Mais alors si le permis de tuer légitimement dans le dos de sa victime existe de fait depuis 1945, la loi actuellement en discussion ne l’aggrave-t-elle en rien ? Et dans ce cas, pourquoi cette pétition ?

03/02/2016 20:41 par Geb.

Ce qui aggrave cette loi c’est l’Etat d’Urgence qui permet de redéfinir la notion de "légitime défense" à l’usage arbitraire des lois dites antiterroristes.

Pétitionner contre un état de fait légal qui existe depuis plus de 50 ans sans mettre profondément en cause l’illégalité et l’illégitimité, (sans parler de son inefficacité totale en matière d’anti-terrorisme), de l’Etat d’Urgence ne peut mener qu’à discréditer les pétitionnaires devant les acteurs, (Gouvernement, Police et Gendarmerie), qui vont mettre en oeuvre et utiliser ces mêmes lois.

Si on avait dû, et surtout pu, réellement s’opposer à une aggravation antirépublicaine de l’esprit de ces lois il aurait fallu le faire lors de la loi dite de réforme "De la Sécurité intérieure" qui jumelait les Forces de Police nationale et les Forces militaires de Gendarmerie sous une même autorité.

Et à l’époque l’événement est presque passé inaperçu, la "gôche" en particulier ne s’intéressant à l’organisation des forces de coercition intérieures et de défense de l’Etat bourgeois que lorsque elle se fait tabasser ou tuer par celles-ci. Le reste du temps ils font comme si ça n’était pas leurs impôts qui financent les Forces de sécurité et comme si ça ne leur donnait pas le droit de demander de vrais comptes,y compris par l’intermédiaires des mecs qu’ils élisent en faisant semblant de croire qu’ils vont les représenter réellement.

Un peu comme ces mecs qui bouffent de la viande mais qui ne veulent surtout pas savoir comment on égorge les agneaux. Et qui traitent les bouchers d’assassins tout en se plaignant du prix trop élevé de la viande.

S’ils s’étaient un peu plus intéressés au fonctionnement de l’Armée et de la Police au lieu de les laisser aux fachos de tous bord, tout en se contentant de gueuler "CRS=SS" et/ou de cataloguer tous les fonctionnaires de police comme irrévocablement des nazis on n’en serait peut-être pas à ce niveau.

Il n’y a qu’à voir lors de l’assassinat de Rémy Fraysse. Ca n’a pas tellement soulevé les foules. et encore moins la majorité des médias. Or il y avait là un exemple type d’utilisation de la force armée au-delà de la simple légitime défense.

Mais vu que c’étaient les Gendarmes mobiles qui étaient en cause et que le dossier a été traité sous l’égide de la Grande Muette tout le Monde a fait le canard.

Et encore il n’y avait pas l’Etat d’Urgence.

Aujourd’hui l’Etat et le Ministre de l’Intérieur parlent d’interdire les manifestations "qui risquent de dégénérer".

Fais leur confiance pour faire en sorte qu’il en soit ainsi ; même si ce sont des bébés de 5 ans qui manifestent contre l’augmentation du prix des sucettes.

09/05/2016 20:22 par alain harrison

La lutte des classes, des travailleurs contre les exploiteurs, les patrons, doit trouver un terrain solide sur lequel construire l’alternative.

Le noeud de la lutte c’est l’exploitation !?!?

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