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Robert Badinter. Un Juste ? Pas si sûr…

Le 9 février 2024. Badinter quittait ce monde. En France, l'hommage a été alors unanime. Tous les medias le célèbrent. Un hommage national lui est rendu, à Paris, aux Invalides. Le 9 octobre 2025, il entre au Panthéon, Ce genre de consensus, où la politique prédomine, pose toujours problème.

C’est un des symptômes d’une pensée qui se veut unique. En réalité, les grands hommes, dans l’Histoire, n’ont jamais fait l’objet de consensus. Et c’est une preuve de santé d’une société d’avoir toujours des iconoclastes. Rien n’est plus dangereux, dans un pays qui se veut libre, d’être contraint au conformisme. Ce sont toujours des signes de dictature intellectuelle et d’un totalitarisme rampant.

L’homme, Robert Badinter, est certes d’une stature particulière. Il est connu pour avoir été l’artisan en France de l’abolition de la peine de mort. Il y a un proverbe arabe qui dit : "Quand quelqu’un meurt, ses jambes s’allongent", pour ironiser sur le concert de louanges qui s’élèvent toujours devant la dépouille d’un défunt. Personne n’est parfait. J’aurais des bémols, trois en l’occurrence, à mettre sur la vision qu’on donne de cette personnalité.

Le premier concerne le caractère novateur et exceptionnel donné à l’action de Robert Badinter en faveur de l’abolition de la peine de mort. Elle est présentée à l’opinion comme une première, comme un évènement historique aussi bien en France que dans le monde. En fait, beaucoup de pays, avant, avaient aboli la peine de mort. La France apparaissait même en retard sur la question. La Toscane a abolie la peine de mort en 1786, l’Autriche l’a fait en 1787, puis rétablie puis supprimée définitivement en 1950 pour les crimes de droit commun puis en 1968 pour tous les crimes, Le Portugal l’a abolie en 1867, les Pays Bas en 1870, l’Allemagne de l’Ouest en 1949, et en 1970, la Finlande, la Suède, le Danemark, le Luxembourg. Dans d’autres pays, comme la Suède, les exécutions avaient cessé. Et tous ces pays l’ont fait sans tambour ni trompette et sans immortaliser ceux qui avaient eu le mérite de le faire. Il faut donc relativiser.

L’affaire Dominique Strauss-Kahn

Le deuxième bémol concerne une affaire qui avait défrayée la chronique et dans laquelle Roger Badinter était fortement intervenu. Il s’agit de l’affaire Dominique Strauss-Kahn. Celui-ci est arrêté le 14 mai 2011 à New-York, à la suite d’une plainte pour "tentative de viol et séquestration" portée contre lui par une femme de chambre de l’Hôtel Sofitel de New York, Nafissatou Diallou, une afro-américaine d’origine guinéenne.

Dominique Strauss-Kahn était le candidat à la présidentielle de forces très influentes, dans lesquelles se trouvaient son ami proche Robert Badinter. Strauss-Kahn avait exprimé clairement et fortement son attachement à Israël. L’establishment, les médias lourds, les instituts d’opinion, le soutenaient totalement et menaient une campagne intense en sa faveur. L’enjeu était donc de taille. Dominique Strauss-Kahn était à deux doigts du pouvoir, comme candidat largement en tête des sondages à l’élection présidentielle. Et pourtant, toute cette construction va s’écrouler. L’Histoire fait toujours des siennes.

Robert Badinter va défendre Dominique Strauss-Kahn inconditionnellement contre l’accusation d’agression sexuelle. C’est ainsi, par exemple, que sur le plateau de France 2, le 19 mai 2011, lui, l’homme de gauche , membre du parti socialiste, ministre socialiste, celui qui a fait abolir la peine de mort, un juste parmi les justes, va s’écrier, qu’il se méfie "d’autant plus des juges américains qu’ils sont élus, qu’ils auront donc tendance à vouloir plaire au peuple, et que les jurys populaires américains auront, eux, tendance à vouloir se payer un homme riche et puissant". Et il ajoute, qu’il pense avant tout à l’épouse de Dominique Strauss-Kahn, Anne Sinclair, à sa famille. Lorsqu’il s’arrête de parler, il est trop tard : il comprend, au silence glacé du plateau, qu’il est allé trop loin. L’un des présents lui dit alors « Mais vous n’avez pas eu un seul mot pour la victime ». 13 ans après, il n’aura pas aussi un mot pour les victimes de Gaza.

Gaza et Badinter

C’est là le troisième bémol, et peut-être le plus préoccupant. Cela se passe le 17 novembre 2023 sur la chaine d’information LCI. Robert Badinter, l’ancien ministre de la Justice, le père de la loi ayant aboli la peine de mort en France semble ne plus être le même... lorsqu’il s’agit des palestiniens. Aucun mot pour condamner les bombardements sur Gaza, c’est-à-dire la condamnation à mort anticipée et exécutée de dizaines de milliers de palestiniens, de milliers d’enfants, de femmes, de vieillards. Il réserve toute son indignation à Hamas, qu’il dénonce comme "organisation terroriste". Et lui, l’intellectuel si admiratif de "la France des lumières", va reprendre alors, comme discours idéologique, le récit fantastique biblique d’une terre mythique d’Israël, de la dispersion des juifs après la conquête de la Palestine par les Romains, et de leur retour sur cette terre. Lorsqu’on lui fait observer le danger que représente ces bombardements sanglants israéliens pour une paix future et une éventuelle réconciliation entre palestiniens et israéliens, il dit laconiquement que "la réconciliation s’est bien faite entre l’Allemagne et la France". Mais s’est-elle faite entre les juifs et les nazis ? De telles incohérences laissent songeur.

Robert Badinter est très représentatif de cette intelligentsia juive française qui s’est toujours rattachée à une pensée rationaliste, à vocation universelle et humaniste, aux antipodes des étroitesses identitaires ; Il avait acquis pour cela respect et considération. On peut être inquiet de constater comment une partie de cette intelligentsia a pu se laisser entrainer dans un délire identitaire, rejoignant même les thèmes centraux du sionisme. Le sentiment d’identité juive serait-il si écrasant chez certains, qu’il peut éroder en eux la vision humaniste, le sentiment d’universalité, et ceci même chez quelqu’un ayant le parcours de Robert Badinter. Heureusement qu’il existe chez d’autres, le sentiment exactement inverse, avec une identité juive vécue, au contraire, comme une exigence d’universalisme. Puissent-ils être de plus en plus nombreux.

Djamel Labidi

COMMENTAIRES  

11/10/2025 15:43 par Léontin

J’attendais depuis quelques jours une nécessaire mise au point au sujet de Robert Badinter. Merci de vous en être chargé.
On pourrait ajouter à votre analyse sa participation à la campagne odieusement bourgeoise à propos de « l’épaisseur du Code du travail ». Qu’il fallait dans le sillage du MEDEF, dégraisser ou carrément abolir..

11/10/2025 19:49 par D.Vanhove

Merci de ce juste rappel autant qu’utile ... et il y aurait bcp à dire au niveau de l’abolition de la peine de mort, pour laquelle, il a endossé le costume, quand d’autres autour de lui ont fait l’essentiel du travail, mais soit...

aux 3 bémols que vous proposez, j’en rajouterais un 4è, et de taille... sa femme, Elisabeth Badinter, est aussi sionisée que lui et n’est pas en reste au niveau de certaines de ses déclarations... à eux deux, un vrai nid de vipères !

12/10/2025 08:02 par Zéro...

Voici un intéressant commentaire, qui casse le mythe, venu de Jean-Denis Bredin, son associé dans leur Cabinet d’Avocats d’Affaires (tiens, comme Sarkozy...) avant que Badinter ne devienne Ministre de la Justice :

« Si Badinter a lutté contre la peine de mort, c’était pour "acheter sa part de salut". (…) Il faisait de la "compensation morale" à cause des grandes affaires pécuniaires qui enrichissaient tant le cabinet. »

Wikipédia est ce qu’elle est (...) mais les biographies de ces deux hommes méritent le détour...

https://fr.wikipedia.org/wiki/Robert_Badinter
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean-Denis_Bredin

12/10/2025 08:25 par Zéro...

« Lorsqu’on lui fait observer le danger que représente ces bombardements sanglants israéliens pour une paix future et une éventuelle réconciliation entre Palestiniens et Israéliens, il dit laconiquement que "la réconciliation s’est bien faite entre l’Allemagne et la France". Mais s’est-elle faite entre les Juifs et les nazis ? De telles incohérences laissent songeur. » Djamel Labidi

Au vu de la marche de ce Monde, êtes-vous si certain de votre conclusion...?!!

Et y a-t-il eu la moindre intention réciproque de conciliation ?
Une victime peut-elle se réconcilier avec son impitoyable bourreau qui n’a pour but de la priver de tout, dont (et surtout !) de sa terre et de sa vie s’il le faut ?
Quel Homme, quel Peuple, peut-il accepter de devoir monter sur l’échafaud et devoir disparaitre du seul fait d’exister et de gêner les projets expansionnistes d’une entité allogène installée d’autorité ?

Cela soulève des problèmes éthiques très au-delà de la Palestine, sur les colonisations passées... et présentes, et, même, par exemple (criant...), sur la vie politique actuelle de la France !!

"La loi du plus fort", c’est de cela dont il s’agit, est-elle légitime ?!!
Se révolter contre elle n’est-il pas un droit et presque un devoir ?

12/10/2025 08:38 par Zéro...

Bravo à D. Vanhove de rappeler que si l’abolition de la peine de mort n’avait pas été dans le programme présidentiel de Mitterrand, le débat serait peut-être encore d’actualité, Badinter ou pas !

« Badinter a » (très exactement !) « endossé un costume. »

Et puis, ne nous voilons pas la face, c’est encore une diversion de Macron qui tente d’exister en créant de toutes pièces des héros et problèmes de Société dont il n’a rien à faire ; qu’il s’occupe donc plutôt de respecter la Démocratie, ça suffira bien !

12/10/2025 10:02 par patoche

Badinter était contre la peine de mort sauf pour les enfants de Gaza.

13/10/2025 10:10 par J.J.

D.Vanhove @ Effectivement Badinter n’a fait que récolter le travail de besogneux inconnus qui œuvraient pour cette abolition, témoin un "ancien" de l’EN où j’ai été élève, et dont le directeur nous parlait avec fierté de son action.

13/10/2025 19:01 par Aquarius15

Sur l’affaire DSK, je suis partagé. La notoriété de son absence de contrôle de sa libido était susceptible de valoir un kompromat au favori de la présidentielle à venir, auquel cas la notion d’agression sexuelle relèverait d’une mise en scène. Heureusement qu’il avait été écarté car ce vice peut être de nature à compromettre les secrets d’Etat, n’est-ce pas Monsieur Macron ?
Ne pas oublier non plus la probabilité que l’affaire Epstein couvre une opération de kompromat à grande échelle, éventuellement compatible dans ce cas avec des agressions sexuelles.

Pour relativiser l’absence de compassion de Badinter envers les palestiniens, rappel judicieux de Jacques-Marie Bourget en commentaire de l’autre sujet sur le personnage : " Il a été l ’avocat de big pharma dans l affaire du talc Morange : 36 nourrissons morts." Dès qu’il y avait de la grosse thune à faire, sa morale était tout de suite moins exemplaire.

30/10/2025 11:24 par CHRIS

Bravo et merci pour cette mise au point !
Robert Badinter est également coupable d’avoir usé de son influence pour faire avorter un projet de loi visant à sanctionner la négation du génocide des arméniens de 1915. Il a fait cela pour être agréable à des universitaires turcs avec lesquels il était en très bon termes...

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