Stop à la colonisation intellectuelle !

Ce qui est assez fascinant chez l’intelligentsia française autoproclamée – qui, en réalité, tient davantage de la confrérie de nouveaux riches en mal d’inspiration –, c’est sa propension à se planter grossièrement sur tous les sujets sans jamais être inquiétée pour son privilège de pouvoir s’adresser au monde. Fascinant comme les micros attirent les c**s !

Des va-t-en-guerre pathologiques de studio, qui de leur hystérie tribale appelleraient au génocide des mendiants pour ne plus avoir à supporter leur regard dans la rue, aux faux experts plus ou moins stipendiés en passant par les journalistes qu’on embauche pour leur servilité irrationnelle, la désinformation est à son apogée.

Imaginons les jeunes gens un tant soit peu équilibrés, qui cherchent à s’orienter, s’affirmer, dans l’angoisse et la vulgarité ambiantes du monde de 2023, quelles épreuves existentielles il leur est demandé de traverser devant pareille profusion de mensonges, d’ignorance et de mauvais goût.

Imaginons-les, perdus entre cette propagande télévisuelle de fin de race et les poubelles démocratiques d’Internet que sont TikTok et Instagram – permettant au moins à tout quidam opportuniste de se croire génial et digne d’intérêt public, à coups de vidéos et de commentaires postés compulsivement comme on lance des crachats.

Si nous vivons sous le règne de l’insignifiance, c’est que l’on a censuré le talent. Car fatalement, les gens prennent ce qu’on leur donne. Et quand il n’y a rien à prendre, ils se satisfont du pire. Confortés dans leur malheureuse paresse, à trouver en leurs godasses une source d’émerveillement.

Isolez-les, donnez-leur à écouter du Brahms et du Keith Jarrett sans alternative possible, et ils finiront par avoir honte de leur misérable bibliothèque musicale. Ils finiront par reconnaître l’imposture de ces pseudo-artistes en vogue qu’ils suivaient alors machinalement. Parce que le mensonge ne dure pas.

Parce qu’une personne qu’on valorise est une personne qui valorisera à son tour. Ainsi fonctionne la civilisation : par la foi ordinaire en l’humain, et par l’effort — au-delà des préjugés les plus tenaces — de ne jamais sous-estimer l’autre. Le volontarisme, souvent, fait des miracles.

Mais évidemment, l’exigence culturelle – comme la justice sociale – est une affaire de volonté politique supérieure. Il n’est jamais dans l’intérêt d’une autorité illégitime d’élever ses sujets. Maintenir les gens dans la croyance permet d’en maîtriser les désirs, selon les lois du marché, et de s’assurer par faiblesse le privilège de la manipulation.

La révolution des consommateurs n’aura pas lieu puisque le consommateur, dans l’illusion du confort, a été dépolitisé par un système qui n’aura fait que stimuler puis entretenir ses pulsions d’achat et de reconnaissance sociale. Toute la logique néocapitaliste reposant sur la création de besoins artificiels et de fausses priorités pour alimenter une économie de marché mortifère.

En revanche, la révolution des gens exigeants aura bel et bien lieu. Car l’exigence – qu’elle soit esthétique ou politique — relève de ce précieux instinct de survie qui, de petites victoires en grands idéaux, évite à la collectivité la barbarie des prédateurs. Réhabiliter les arts et l’information, telle est notre priorité anthropologique.

Que les médiocres s’adressent aux médiocres, pourquoi pas. Que les émoticônes leur servent de langage et les faits-divers de distractions, pourquoi pas. Mais qu’ils laissent au moins aux autres le loisir d’espérer, de croire en l’homme. Qu’ils laissent aux autres la liberté de créer, d’éduquer. Car ce n’est pas seulement la force qu’il est urgent de retrouver en ces temps de guerre, mais aussi et avant tout la finesse. Celle qui pourra nous épargner les massacres.

COMMENTAIRES  

30/10/2023 09:46 par J.J.

Éradiquer la connerie ! "Vaste programme ", comme aurait dit en d’autres circonstances le Général.

30/10/2023 10:02 par Auguste Vannier

Cet article fait un très bel écho à mes anciennes lectures de Michel Clouscard ( Le capitalisme de la Séduction) et à celle toute récente de Jean-Claude Michéa (Extension du domaine du capital, Albin Michel, Octobre 2023). Le capitalisme atteint sont état de "chimiquement pur", dans le neo-libéralisme culturel (production industrielle et consommation culturelle de masse totalement marchandisée, l’acmé de l’insignifiance, comme l’avait déjà diagnostiqué Castoriadis il y a longtemps).
https://www.europe1.fr/emissions/C-est-arrive-cette-semaine/jean-claude-michea-philosophe-4207720

30/10/2023 12:35 par Xiao Pignouf

Désolé par avance pour ce que je vais dire, mais ce texte me dérange par certains aspects, notamment le fait que l’auteur se place au-dessus de la plèbe ignorante... ce qui est une manie chez certains.

Qui décide que quelque chose est de mauvais goût et à quel moment ?

Brahms et Jarrett ne sont en rien des étalons du bon goût. Le premier a été ringardisé par ses pairs, le second aurait certainement contesté cette image élitiste. Quant à avoir honte d’une misérable bibliothèque musicale (cela ne s’appelle-t-il pas une discothèque ?), il faudrait déjà ne serait-ce qu’en avoir une, ce qui n’est pas le cas de tout le monde au sein de la classe populaire.

Le problème, pour la classe ouvrière entre autre, ne semble pas être l’accès aux œuvres culturelles, qu’Internet a exponentiellement élargi, mais le temps et l’énergie disponible pour le faire.

J.J a parfaitement raison quand il dit de ce texte naïf qu’il se résume à vouloir éradiquer la connerie. Je rajouterais qu’on est tous et toutes le con d’un autre.

Bref, un texte de boomer écrit par un jeune, qui combine mépris de classe et fascisme intellectuel, ce qui est assez paradoxal pour un auteur qui quelques jours avant mettait au pinacle les Gilets jaunes, chantres de la culture populaire. Du coup, peut-être qu’il devrait appliquer à lui-même les critiques qu’il fait des tiktokeurs et privilégier la qualité au lieu de la quantité.

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