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Trahison brésilienne à l’OMC

Quand le leader des pays en voie de développement devient le représentant du statut quo... Tel a été le chemin suivi par la diplomatie brésilienne lors de la 6e réunion ministérielle de l’OMC, à Hong Kong, entre les 13 et 18 décembre 2005. Selon le sociologue philippin Walden Bello, « Le ministre brésilien des Affaires étrangères, Celso Amorim, et le ministre indien du commerce et de l’Industrie, Kamal Nath, ont permis la survie de l’OMC ». Les gouvernements du Brésil et de l’Inde ont utilisé leur image pour convaincre les nations en voie de développement d’accepter un accord au sein de l’organisation. Bello enjoint les mouvements sociaux et les ONG brésiliennes à lutter contre l’OMC et à « empêcher l’alignement du Brésil sur les intérêts des grandes puissances ». Le chercheur a pris part aux mouvements de protestation organisés lors du sommet de l’OMC à Hong Kong où il a été témoin de la violence et de l’arbitraire de la police chinoise (des centaines d’activistes ont été faits prisonniers, 14 d’entre eux le sont encore).

Brasil de Fato - Quel a été l’impact du sommet de l’OMC à Hong Kong ?

Walden Bello - Au cours des négociations, les pays en voie de développement ont fait des concessions substantielles dans les domaines des services, de l’accès aux marchés pour les produits non agricoles (Nama) et de l’agriculture. Les pays développés sont les grands bénéficiaires de ces négociations.

Brasil de Fato - Quelles concessions ont été faites ?

Bello - L’objectif des grandes puissances était de créer des mécanismes afin de maintenir l’OMC en vie et de consolider l’institution en vue de futures négociations. Après les sommets de Seattle, en 1999, et Cancún, en 2003, un nouvel échec aurait signifié la fin de l’OMC. Au vu de ces enjeux, les résultats de la rencontre de Hong Kong sont loin d’être modestes, comme l’ont pourtant affirmé, entre autres, les analystes brésiliens. L’accord principal, selon lequel l’OMC est apte à poursuivre le cycle de négociations entamé à Doha, porte préjudice aux pays sous-développés.

BF - Pour quelles raisons les pays en voie de développement ont-ils fait des concessions allant à l’encontre de leurs intérêts ?

Bello - Les pays développés ne se sont pas montrés prêts à faire des concessions, surtout en ce qui concerne l’agriculture. Les Etats-Unis et l’Union Européenne ne voulaient pas renoncer aux aides agricoles - cette attitude pouvait faire échouer la rencontre de Hong Kong. La tâche de ressusciter l’OMC est donc revenue aux pays en voie de développement qui devaient pour ce faire renoncer à négocier les accords commerciaux. Les Etats-Unis et l’Union Européenne ont fait pression pour que les pays en voie de développement adoptent cette ligne d’action. Des concessions ont été faites, principalement en ce qui concerne la privatisation des services et la définition de règles pour le Nama.

BF - Les groupes de pays en voie de développement, comme le G-20, ont-ils tenté de freiner les négociations ?

Bello - Bien au contraire. Les deux principaux leaders du G-20, le Brésil et l’Inde, ont fait pression sur les pays en voie de développement pour qu’ils acceptent les termes des négociations. Ils ont usé de leur influence pour convaincre les autres pays. Le ministre des Affaires étrangères, Celso Amorim, a joué un rôle important dans les négociations. Son nom figure sur les listes de présence des principales réunions ainsi que sur les documents fondamentaux distribués à Hong Kong. Avec le ministre du Commerce et de l’Industrie de l’Inde, Kamal Nath, il a accompli l’opération de survie de l’OMC. Décidés à conclure un accord dès leur arrivée à Hong Kong, le Brésil et l’Inde ont réussi à mettre les pays en voie de développement de leur côté. Il faut bien analyser ce que ces deux pays ont gagné grâce à cette stratégie. Ils n’ont obtenu aucun gain substantiel mais ont été reconnus par les grandes puissances comme des acteurs décisifs des jeux de pouvoir au sein de l’OMC.

BF - Les leaders politiques brésiliens et indiens ont gagné des points. Mais qu’a gagné la population de ces pays ?

Bello - Peu de chose. On peut même se demander si elle a gagné quelque chose. Dans le cas du Brésil, l’agrobusiness a bénéficié au pays, mais on ne peut pas dire pour autant que cela soit une bonne nouvelle pour la population brésilienne. En effet, les négociations sur le Nama et les services ont des conséquences négatives pour le Brésil. Si on fait le bilan des gains et des pertes, le Brésil est sorti diminué des négociations de l’OMC. Il a gagné en force en participant au groupe qui détermine l’agenda des négociations de l’OMC : le nouveau quatuor qui compte, en plus du Brésil, l’Inde, les Etats-Unis et l’Union Européenne.

BF - Comment Amorim et Nath ont-ils réussi à convaincre les pays en voie de développement d’accepter des négociations qui leurs portaient préjudice ?

Bello - Ils ont convaincu les pays moins développés d’accepter une série d’accords commerciaux qu’ils ont appelé « paquet de développement », en affirmant que cela stimulerait la croissance économique. Mais c’est un mécanisme qui augmente l’endettement des pays pauvres, donc la dépendance envers les pays riches. Le Brésil et l’Inde ont utilisé leur prestige : ils ont fait pression pour convaincre les pays en voie de développement d’accepter les termes des négociations et pour faire taire les mécontents comme l’Indonésie, l’Afrique du Sud et le Venezuela.

BF - Comme si les gouvernements brésiliens et indiens avaient trahi les pays pauvres qui comptaient sur eux...

Bello - Oui, ceci est très clair. Le Brésil et l’Inde ont neutralisé les voix qui s’élevaient au cours des négociations, notamment à propos de Nama 11 qui exigeait des concessions dans le domaine de l’agriculture de la part des pays en voie de développement en contrepartie d’une libéralisation accrue de l’industrie et de la pêche. En ce qui concerne les services, l’Afrique du Sud et l’Indonésie, réticents aux négociations, ont du accepter les accords sous pression. Le Brésil et l’Inde ont trahi les intérêts du G-20. Ils ont également isolé Cuba et le Venezuela de manière à ce que les prises de positions de ces pays - contraires aux concessions déséquilibrées - n’aient pas d’impact.

BF - Quelles sont les prochaines étapes des négociations ?

Bello - En 2006, il s’agit de consolider l’appareil institutionnel pour permettre la poursuite du cycle de Doha. Il y aura des pressions pour que les pays en voie de développement fassent de nouvelles concessions. La rencontre de Hong Kong va provoquer des réalignements aussi bien dans les relations de pouvoir au sein de l’OMC que dans la politique internationale. Comme le Brésil et l’Inde ont décidé de devenir des tenants du statut quo, d’autres pays vont prendre la tête du groupe des pays sous-développés.

BF - Quel sera le rôle du nouveau quatuor dans cette conjoncture ?

Bello - Il déterminera l’agenda des négociations et fera pression pour que celui-ci soit accepté. Il exposera les limites de la politique commerciale internationale.

BF - Cette nouvelle donne, à l’OMC et en politique internationale, a-t-elle des conséquences sur la stratégie des mouvements sociaux ?

Bello - Les mouvements sociaux, particulièrement en Inde et au Brésil, doivent perfectionner leurs techniques d’opposition à l’OMC. Ils doivent évaluer la ligne de conduite de leurs politiques au sein de l’organisation. Les mouvements sociaux brésiliens ont accordé beaucoup d’attention à la lutte contre Zone de libre échange des Amériques (Zlea ou Alca) mais peu d’attention aux négociations de l’OMC. Avec pour résultat, la ligne d’action adopté par Amorim à Hong Kong. Le gouvernement brésilien aurait agi d’une manière différente, plus défensive, sous la pression des mouvements sociaux et des ONG. Plus que jamais, la société brésilienne doit résister aux négociations de l’OMC : elle est la seule à pouvoir empêcher l’alignement du Brésil sur les intérêts des grandes puissances.

Par João Alexandre Peschanski

Source : Brasil de fato - semaine du 17-22 janvier 2006

Traduction : Anais Fléchet pour Autres Brésils



Professeur de sociologie et administration publique à l’Université des Philippines, Walden Bello est directeur de l’ONG Focus on the Global South qui mène des recherche sur les conséquences de la globalisation sur les pays en voie de développement. Il est l’auteur de divers ouvrages dont Desglobalização (Editora Vozes, 2003).

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