Je possède le fameux master exigé pour enseigner depuis quelques années et donc le bac+5 (avec mention très bien) dont parle Dwaabala. A 27 balais, je suis déjà un ancien prof.
J’ai enseigné trois ans en collège, et pourtant en milieu rural (supposé moins difficile), et en septembre dernier j’ai décidé d’arrêter. Trop dur. Pas forcément de gros problèmes d’indiscipline car à ce niveau-là je m’en sortais relativement bien, mais tout simplement découragé. Aujourd’hui je suis au chômage mais je ne regrette nullement mon choix car 80% de mes collègues étaient en souffrance et s’étaient résignés à l’être jusqu’à la fin de leur carrière.
En faisant mes études, je percevais pourtant ce métier comme un idéal, et je voyais l’enseignement de l’histoire-géographie comme un moyen de mieux faire comprendre nos sociétés à nos jeunes pour leur donner envie de l’améliorer et de le changer. Comment faire quand une majorité (je dis bien une majorité) des élèves ne possède pas les rudiments de langue française et le vocabulaire pour comprendre ce qu’on leur dit ? Sans parler d’une capacité de concentration presque inexistante, qui rend une grande partie d’entre eux incapable de lire et de comprendre un texte de plus de 15 lignes.
La grande majorité des parents a le bac, voir un bac+2 ou bac+3, sans pour autant avoir tout simplement un travail ou en tout cas un job dans lequel ils pourraient percevoir une réussite sociale. Les parents ne croient plus en l’école comme moyen d’ascension sociale, alors comment faire pour que les élèves y croient ? Je me souviendrai toujours de cet élève de 5ème en grande difficulté qui me disait "Mon frère a un bac pro, ma soeur un BTS, et aucun des deux n’a de travail, alors comment je vais faire moi qui sais à peine lire ?"... J’ai beau encore y réfléchir, j’ai du mal à trouver une réponse satisfaisante à l’inquiétude qu’il partageait avec moi.
Je salue le courage des enseignants qui sont plus passionnés que moi et qui tiennent le coup. Mais combien tiennent en conservant leurs idéaux et non pas en courbant l’échine pour arriver en bonne santé psychologique jusqu’aux prochaines vacances ? De mon côté je suis bien pessimiste sur l’avenir de notre jeunesse mais je ne lui jette pas la pierre car elle n’est pas responsable de tout ça.
En tout cas, la clé des futures luttes sociales est pour moi assez claire : le langage. C’est en se battant contre la novlangue néolibérale ("cout du travail", "compétitivité"...) et en continuant à transmettre et expliquer des termes permettant une analyse des rapports sociaux ("classe sociale, moyens de production, aliénation"...) qu’on a une chance de renverser la vapeur.