Un islam des médias

Depuis le 11 septembre 2001, la religion musulmane porte une tout autre casquette. Son image fait peur et fait vendre. Associé à l’insécurité et à l’immigration, l’islam est aujourd’hui omniprésent dans les médias. Et qu’en est-il de l’image du monde arabo-musulman après les attentats ? Islamophobie ambiante sur les écrans ? Alohanews donne son avis.

11 septembre 2001, un séisme planétaire. Un jour qui se vit de pleurs et de cendres. C’est l’incompréhension. Quelque temps plus tard, l’incompréhension laisse place à la campagne de Bush en Afghanistan ainsi qu’en Irak au nom de la démocratie. Depuis la tragédie des Twins Towers qui secoua le monde entier, la communauté musulmane connait une tout autre visibilité médiatique. Les somptueux palais et les terres regorgeants d’oasis et des richesses culturelles qui, autrefois, représentaient le monde arabo-musulman laissent place à une collectivité de barbus assoiffés de vengeance envers l’Occident. L’islam devient rentable, l’information liée à la religion musulmane s’érige en marchandise des médias et de la sphère politique. Oui l’islam le devient, car il rapporte, suscite l’intérêt d’une Europe laïque et intrigue. Ce culte prend de plus en plus de place dans l’agenda médiatique, d’une part, parce que les années 70 symbolisaient une vague d’immigration maghrébine et d’Afrique de l’Ouest (la majorité étant de confession musulmane) qui versait vers un multiculturalisme méconnu auparavant et, d’autre part, les évènements tragiques survenus en Occident au nom de l’islam. De ce fait, les médias en parlent, en rajoutent, analysent.

Il n’est pas pour autant vrai que les médias participent à une conspiration acharnée contre la menace islamiste... ou même islamique tout court. Disons que le système médiatique lié au rendement économique force le journaliste à produire une information « fast-food ». De ce fait, l’analyse pertinente se fait envoyer valser par les rédactions. Le journaliste devient un acteur du tout et tout de suite.

Avec la révolution des outils technologiques, le partisan du média a accès à l’information dans un temps de plus en plus réduit. Le public peut suivre les nouvelles du monde quasi instantanément et de ce fait, est inondé par les informations. Ignacio Ramonet, ancien directeur du Monde Diplomatique quantifie ce flux informationnel : le monde a produit en trente ans plus d’informations qu’au cours des 5000 précédentes années. Du coup, le risque de dérapages augmente aussi forcément. En analysant la mise en scène médiatique des tueries de Toulouse, Jacques Le Bohec, professeur en sciences de l’information, déclarait : « On sait ce que cela veut dire depuis la couverture de la guerre d’Irak en 1991 : instantanéité et suspension de tout tri, succession de directs empêchant tout recul sur ce qui se passe, diffusion de fausses nouvelles, dépendance vis-à-vis des sources officielles. »

Le scoop ou la course contre la montre

Travailler dans l’instantanéité, la concurrence l’oblige. Ce n’est jamais sans risques puisque l’immédiat est synonyme de confrontation et de manque de vérification de sources. C’est d’une façon rapide et directe, par exemple, que BFM, en 2012, la chaîne d’information en continu annonçait l’arrestation du Mohamed Merah... et démentait aussitôt celle-ci. À croire que le direct accorderait un droit d’erreur. Le jeudi 21 mars 2012, à 14 h 17 précise, la chaîne annonçait, bien en évidence à l’écran, que le tueur présumé « a été arrêté par le RAID ». Quelques minutes plus tard, BFM faisait marche arrière et employait le conditionnel. Mohamed Merah « aurait été arrêté ». À 14 h 28, le logo « suspect arrêté » disparaît pour laisser place à « opération en cours ». Ni vu, ni connu. Cette erreur journalistique est signée Rachid M’barki qui, par ailleurs, déclarait : « Une seule source donne l’information et la confirme ». Ce qui signifie, en d’autres termes, qu’une seule personne a révélé cette information et l’a confirmé lui même...et le journaliste de BFM a crié au scoop.

Plus grave encore est l’hebdomadaire Le Point dont la publication a suscité une vague d’interrogations sur la méthode de travail des journalistes. En 2010, Le journal annonçait en gros titres sur la première page, « Ce qu’on n’ose pas dire ». Trois journalistes ont enquêté sur le phénomène de la polygamie dans les milieux populaires français. Dans cet article, ils parlent de la rencontre avec Bintu, troisième femme d’un « Malien d’une soixantaine d’années ». De ce rédactionnel découlent de nombreux clichés : maltraitance de la femme, intégration douteuse, mauvaise éducation due à l’absence d’un père ainsi que l’intégrisme religieux. Seulement voilà, ces journalistes n’ont jamais rencontré cette dame. Le fait est qu’ils ont récolté cette information à distance. Pas de rencontre donc, mais un entretien téléphonique. Il s’est avéré que la personne ayant témoigné n’était pas la victime de polygamie...mais un jeune homme qui s’est fait passer pour celle-ci afin de « tester la fiabilité de ce média et les méthodes de travail de ses journalistes ». Le bonhomme en question s’appelle Abdel, 23 ans, et n’est autre que le fixeur du journal depuis les émeutes de 2005. Pour leur numéro « spécial tabous », Jean-Michel Décugis, Christophe Labbé et Olivia Recasens, ont demandé au jeune de trouver un cas de polygamie en banlieue. Celui-ci, effaré par les clichés de ces journalistes, a mis leurs compétences à l’épreuve. Abdel, l’auteur du coup monté, s’est filmé pendant l’entretien pour avoir les preuves de ce qu’il avançait. Depuis, Le Point enchaîne les excuses douteuses.

La concurrence exige donc une vitesse d’exécution qui ne peut être atteinte qu’au détriment d’une information recoupée. Par conséquent, les journalistes deviennent des « gens qui doivent travailler le plus vite possible pour transformer la matière première de l’information en un produit journalistique fini ». Cette aptitude ne dépend pas directement du journaliste puisque lui-même subit des pressions de la part des chefs d’édition qui veulent l’information le plus rapidement possible. Le système se calque sur une logique de marché. Cette logique pèse sur les journalistes et, finalement, se déverse sur les lecteurs, auditeurs ou téléspectateurs. Il est néanmoins important de souligner que la rivalité entre les groupes de presse engendre et multiplie ce genre de dérapages.

Alors, les médias sont-ils islamophobes ? Les médias ont un impact sur l’opinion publique. C’est certain. Par contre, conclure que l’appareil médiatique est un acteur d’une conspiration « anti-islam » serait une erreur éthique et d’honnêteté intellectuelle. Ce serait raccourcir une analyse complexe à une affirmation douteuse qui plus est, serait une accusation manquant de nuances.

Ce qui est à pointer du doigt serait le système médiatique. Course effrénée au scoop pour gagner le défi de la concurrence entre médias, l’instantanéité de l’information et la désinformation fallacieuse sont des défaillances qui troublent la vision de l’opinion publique. Les citoyens sont, en tout cas, parfois privés d’une information pertinente à cause de la logique du marché économique. Le rôle premier des médias, le contre-pouvoir, est aujourd’hui remis en cause.

Nikita IMAMBAJEV

Sources :

- HANNE (Isabelle), Polygamie : quand Le Point se fait pièger, Libération, 01/10/2010

- Arrêt sur images, Plantage : BFM annonce par erreur l’arrestation de Mohamed Merah, 22/03/2012

- LE BOHEC (Jacques), Affaire Merah : les journalistes ont-ils cédé à “une théâtralisation morbide ? “, Le Monde, 25/03/2012

 http://alohanews.be/societe/un-islam-des-medias

COMMENTAIRES  

16/06/2014 18:25 par Autrement

La description du travail des journalistes pris dans l’engrenage de la concurrence et du "marché des nouvelles" est tout à fait juste. Il manque cependant un élément important : l’article aurait pu développer la remarque finale, très pertinente, de J. Le Bohec : "dépendance vis-à-vis des sources officielles". Non seulement les conditions de travail des journalistes des grands medias leur interdit le plus souvent de faire leur travail correctement, mais ils sont aussi tributaires d’une idéologie dominante, sécrétée par les grandes puissances et les pouvoirs en place, leurs relais et leurs écoles, pour imposer le point de vue de leurs intérêts dans tous les réseaux. Les journalistes doivent s’y adapter - ou même l’adoptent sans même s’en apercevoir, - sous peine d’être éjectés de leur emploi. La caricature résume bien ce que peut être la dictature des stéréotypes dans l’opinion, tant laïque que religieuse !
Voir et revoir Les nouveaux chiens de garde...

19/06/2014 08:55 par gérard

Parlons en des "nouveaux chiens de garde".
Lors du passage à Bazas Sud Gironde de ce film au cinéma VOG, j’ai posé une question à son réalisateur qui était présent dans la salle à la fin de la projection : « allez vous faire quelque chose au sujet du 11 Septembre ? »
Réponse en substance : « oui, oui, nous y pensons ».
Apparemment le cycle de réflexion s’éternisera jusqu’au moment où le sujet finira par perdre de son intérêt politique, soit dans 70 ans, tout comme le fut celui des exactions en tous genres des soldats américains aussi bien en Grande Bretagne, qu’en France après le débarquement, dont on commence seulement à entendre parler...70 ans après !
Tout comme par exemple on met sous une chape de mercure (le plomb ce n’étant pas assez lourd !) des faits comme les bombardements de Dresde auxquels on ne peut apporter aucun justificatif et surtout aucun qualificatif assez dur pour les dénoncer...
Lamentable !
Tout comme se complaît le niveau d’analyse de cet article, extrait :
« Par contre, conclure que l’appareil médiatique est un acteur d’une conspiration « anti-islam » serait une erreur éthique et d’honnêteté intellectuelle. »
Et ne voir dans ce genre "d’excuses" aux médias :
« Disons que le système médiatique lié au rendement économique force le journaliste à produire une information « fast-food »,
ou bien : « Le scoop ou la course contre la montre »
ou encore : « Travailler dans l’instantanéité, la concurrence l’oblige »
c’est d’une part, se confiner dans une analyse "par le petit bout de la lorgnette" des propriétaires de ces médias, et d’autre part c’est ne pas se rendre compte que cette analyse peut être contre productive : il peut amener le lecteur de cet article à une certaine compréhension, une certaine empathie pour ces journalistes, n’est-il pas lui-même soumis dans son travail à de nombreuses pressions hiérarchiques ?
Le 11 Septembre a fait l’effet d’un blocage cérébral total sur le "terrorisme islamique".
Combien de fois ai-je pu m’apercevoir pour m’être sérieusement pour le moins "accroché" sur ce sujet, et pourtant avec de vieux amis, qu’inconsciemment ils ne pouvaient s’échapper de cette vision conformiste-occidentale de la "lutte contre la terreur" imposée par le 11.9., et leur "vision conformiste du 11.9" va continuer sur l’Irak, la Libye, la Syrie, etc...
On ne peut dénoncer « Islamophobie ambiante », sans en tout premier dénoncer le 11 Septembre.

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