Un nouveau Venezuela est en train de naître

Nous venons de séjourner plusieurs semaines au Venezuela, de sillonner le pays, des « llanos » (plaines) aux Andes, puis à la forêt amazonienne, de Caracas au delta de l’Orénoque, au contact des populations et communautés de base, en toute liberté de déplacement, dans un pays peu équipé pour recevoir le « tourisme international ». Un séjour en deux parties, la première plutôt brute , sans trop de médiations, à l’intérieur d’un pays-continent laboratoire, et la seconde à Caracas, plus protocolaire, afin de participer à la « Rencontre des intellectuels, artistes et mouvements sociaux, pour la défense de l’humanité ».

Durant notre parcours, très politique, nous avons été accueillis par des paysans, des pêcheurs, des enseignants, des « afro-descendants », des « peuples indigènes », des « comuneros » qui s’investissent dans la mise en place des « communes socialistes » (loi organique du 21 décembre 2010) et d’un « Etat communal » afin de consolider un « pouvoir populaire » et une révolution qu’ils veulent « irréversibles ».

Un premier constat s’impose : un nouveau Venezuela est en train de naître, le plus souvent dans l’invention, le tâtonnement, parfois même dans la douleur, aux forceps, dans le cadre d’une lutte des classes implacable. L’acteur de cet accouchement n’est autre que « le peuple président », sujet politique, orphelin de Chavez, mais devenu une sorte de « Chavez collectif ». La « vieille société », le système capitaliste encore dominant, l’Etat bourgeois, ne sont pas prêts à céder leur place démocratiquement, au nouveau né socialisant.

Ils se préparent à « l’affrontement final ». Infiltrés de Colombie, des groupes paramilitaires vont et viennent, dans la plupart des Etats. « Lorsque l’on partage équitablement le gâteau, il y en a qui perdent un peu, et qui ne s’y résignent pas ». Tirso Cereno préside l’association des pêcheurs du village de Querepare. « Avant Chavez, nous étions abandonnés, oubliés ». Cette fierté de « désormais exister », de compter, nous la retrouverons majoritairement partout. Tout comme l’esprit et la présence de Chavez. Présence, plus que souvenir. Les « bases chavistes » parlent du « comandante » au présent, imprégnées de sa présence absente. « Beaucoup déifient Chavez », nous confie un enseignant de l’école expérimentale de « Pueblo nuevo », à Mérida. La déification sert de ressort propulseur, mais reste sur une base essentiellement affective, insuffisante face aux nouveaux défis.

Incontestablement, le chavisme, un corpus doctrinal intégrant le marxisme, le « nationalisme révolutionnaire », la théologie de la libération et la pensée de Simon Bolivar, a survécu à Chavez, décédé le 2 mars 2013. L’opposition et son marionnettiste étatsunien escomptaient qu’une fois levé « l’obstacle Chavez », la révolution serait à cueillir comme un fruit mûr. D’où la tentative insurrectionnelle du printemps dernier (opération « Salida ») contre le président Maduro, mise en échec par le sang-froid du président, sa volonté pacificatrice, et le soutien populaire.

Malgré l’accentuation des contradictions internes du chavisme, le « camarade président-ouvrier » a consolidé son assise et pris une stature étonnante. Moins charismatique que Chavez, celui que l’opposition méprise parce que « prolétaire » (donc incompétent !), gouverne avec une assurance et une force tranquilles, compétentes, en délégant beaucoup à la base, aux autogouvernements locaux que sont les « communes socialistes », en tenant des « séances gouvernementales de rue ». Le « camarade président-ouvrier » « se ha crecido » (« s’est affirmé »), nous dit-on souvent, et a pris une dimension qui n’a rien à envier aux médiocres politiciens occidentaux de marché. Il a annoncé une « offensive socialiste » pour le début de 2015, inspirée du « Plan Patrie, 2013-2019 », sorte de testament de Chavez. Ceux qui, de l’opposition ou à l’intérieur du chaviste PSUV, voudraient pactiser, freiner le cours des changements, en seront pour leurs frais. Maduro a opté pour une stratégie de réorganisation de l’Etat et de la société autour « d’espaces libérés » et de l’« empoderamiento » (transfert de pouvoir) aux acteurs sociaux et aux structures de base du « pouvoir populaire ». Un nouveau modèle politique et économique de développement s’esquisse, mais il reste pour l’essentiel à inventer, en cheminant.

La « guerre économique » que mènent l’opposition et l’oligarchie, prétend « user » la population afin qu’elle se retourne contre le gouvernement. Et tout fait ventre : sabotages, organisation de pénuries de produits de première nécessité (à Valencia, fin novembre, on ne trouvait ni antibiotiques pour enfants ni lait en poudre), stockage clandestin, marché noir, spéculation sur l’écart vertigineux entre le taux de change officiel de la monnaie, le bolivar, et celui « de la rue ».

Depuis deux ans, le pays doit affronter une crise économique qui affecte la vie quotidienne et peut menacer la stabilité politique. Lors de la clôture du congrès des mouvements sociaux du « Grand pôle patriotique », le 8 décembre 2014, le président a annoncé la création de « sept conseils présidentiels de pouvoir populaire », dont un de « la classe ouvrière et des courants syndicaux », et la décision de s’investir principalement sur le « front économique ».

Les cours du pétrole sont au plus bas depuis 2009. Les Etats-Unis et leurs relais au sein de l’OPEP, jouent de l’arme redoutable du pétrole. Ils inondent le marché du brut, provoquent la surabondance de l’offre afin de faire baisser le prix du baril et d’affecter les finances de pays comme le Venezuela et la Russie. Par ailleurs, le Venezuela reste prisonnier d’une politique intérieure, aberrante, des hydrocarbures, qui fait qu’un plein de cinquante litres d’essence nous a coûté 4 centimes d’euros. Le Venezuela a certes les plus grandes réserves pétrolières au monde mais il manque de moyens pour exploiter la riche « franja » (bande) de l’Orénoque. La « rente pétrolière » pousse à la facilité, à l’importation, au « court-termisme ». Mise désormais au service de la lutte contre la pauvreté, de la construction de milliers de logements sociaux (« Gran Mision Vivienda Venezuela »), elle ne parvient pas à générer pour l’instant un système économique diversifié et solide, moins dépendant d’un seul produit et d’un « monde globalisé ». L’inflation galope au-dessus de 70% et le gouvernement a dû augmenter les salaires de plus de 75%.

La guerre économique se double d’une guerre idéologique de tous les instants. Le Venezuela, victime du « blocus financier » du FMI, de la Banque Mondiale, vient de se voir attribuer, par des mercenaires de Washington, le « risque pays » le plus élevé au monde. Ahurissant pour qui s’y est promené de long en large, mais nécessaire pour préparer le terrain à « la reconquête » d’un pays clé pour la géopolitique mondiale.

A Caracas, faire la revue de presse consiste à acheter des quotidiens bien faits, mais rageusement et grossièrement antichavistes, comme « El Nacional », « El Universal », « Tal Cual » (qui intitule son éditorial du 24 novembre : « L’extermination de l’intelligence » - par le chavisme- ), et plus modérément : « Ultimas Noticias ». Le quotidien chaviste (gratuit) « Ciudad Caracas » n’est, lui, distribué qu’en centre ville.

L’opposition s’est redéployée autour des secteurs les plus extrémistes, partisans de « chasser Maduro » à n’importe quel prix. Son leader, martyr préfabriqué, Leopoldo Lopez, est toujours emprisonné à la suite des violences meurtrières (« guarimbas ») du printemps 2014 (43 victimes, la plupart chavistes). Dans tous les pays démocratiques, la subversion, l’appel à la violence, à la sédition, tombent sous le coup de la loi. « Au Venezuela, il n’y a pas de prisonniers politiques, seulement des politiques mafieux et subversifs en prison », opine le jeune militant Jenny Pacheco. L’ex-candidat présidentiel de la MUD (Table de l’opposition, de « l’unité démocratique », allant des sociaux-démocrates aux groupes fascisants), Henrique Capriles, jugé trop mou, se retrouve marginalisé et sans doute hors course.

La révolution doit « se révolutionner », lance le président Maduro le 15 décembre 2014, lors de la célébration du 15ième anniversaire du processus constituant et de la nouvelle constitution bolivarienne . L’avenue Bolivar de Caracas, bénie des dieux par un soleil complice, a revêtu, sur des kilomètres, le rouge, dégoulinant de sueur, du chavisme. Parmi les dizaines de milliers de manifestants, une majorité d’ouvriers et de jeunes, qui scandent : « C’est ainsi, c’est ainsi que l’on gouverne !! », « Vers le haut, vers le bas, que les gringos aillent se faire foutre !! », « Ils ne reviendront pas !! », « Maduro, cogne dur sur les gringos !! », « Maduro, ami, le peuple est avec toi ». Plus que des slogans : des professions de foi et un engagement à la vie-à la mort.

Pour ce peuple des « ranchitos » (quartiers pauvres), des usines, des ateliers, pour ces jeunes étudiants des « universités bolivariennes », pour ces femmes libérées, ces militants de la « sexo-diversité », acteurs « visibles » d’une l’histoire qui s’écrit fièrement à chaque moment, « la révolution ne peut faire marche arrière », les « Missions sociales » « ne sont pas négociables ».

« Palante ! », « En avant donc ! », même si le président vient d’annoncer « une réduction des dépenses publiques » et des « ajustements nécessaires » à la suite de la chute de plus de 50% des cours du pétrole ; mais pas question de toucher aux budgets sociaux. Le gouvernement va réduire les importations, les investissements superflus, les salaires des hauts fonctionnaires, prélever sur les riches... Les couches moyennes, tiraillées, attendent de voir... Pour les chavistes, il faut gagner significativement les élections législatives de 2015, la 19ième consultation électorale depuis 1998. Si le résultat s’avérait serré, l’opposition pourrait recourir au « référendum révocatoire ».

Les Etats-Unis viennent de franchir un pas supplémentaire dans leur stratégie d’hostilité et d’agressions contre un Venezuela qu’ils veulent ramener sous leur coupe. Début décembre 2014, le congrès américain a voté un projet de loi (signé depuis par Obama), qui applique en fait des sanctions unilatérales à l’ensemble d’un peuple. Washington a décidé de s’ingérer toujours plus dans les affaires d’un pays souverain, en refusant tout visa à une liste de personnalités coupables, selon l’étalon autoproclamé étatsunien, de « violation des droits de l’homme ». La vieille ficelle, qui a beaucoup servi, relève désormais du câble attrape-nigauds. Avec « l’empire », les violeurs ne sont jamais ceux qui sont pointés du doigt. De lourds nuages s’amoncèlent sur le Venezuela, coupable de récuser tranquillement le néolibéralisme, de transformer une utopie égalitaire en réalité naissante.

Simon Bolivar disait : « on ne guérit pas les gangrènes politiques avec des palliatifs »

Jean Ortiz

 http://www.humanite.fr/blogs/un-nouveau-venezuela-est-en-train-de-naitre-561242

COMMENTAIRES  

25/12/2014 17:03 par Dwaabala

Question intime : que faut-il pour que la rente pétrolière permette de « générer... un système économique diversifié et solide » dans un pays privé de tradition industrielle ?
Surtout que la baisse du cours du baril a ses conséquences immédiates sur l’équilibre budgétaire, ce qui montre que cette rente à son plus haut niveau suffisait à peine à faire face aux urgences sociales, et qu’il ne faut pas en attendre grand chose de plus.
Le Venezuela peut tenir, comme Cuba a tenu, mais ils ont besoin que le monde change : c’est à quoi ils l’invitent.

25/12/2014 22:42 par Ben Malaki

@ Dwaabala

" ... mais ils ont besoin que le monde change. C’est à quoi il l’invite. "

Qu’attends t-on à l’inviter nous aussi. Qu’attends t-on bon sang, puisqu’il faut que le monde change. Quand, la conjonction de tous les damnés de la terre se fera. Quand ? ... Doit-on attendre encore quelques bourgeois qui nous guident puis revendiqueraient les mêmes places aux mêmes droits et privilèges ...
Sur ce blog, j’avais lu un fameux commentaire de Lionel je crois, qu’il résumait ainsi : " ...une expérience doit devenir inéluctablement un savoir ". C’est toute l’histoire de la lanterne de Confucius. Alors, connaissant l’Histoire, que nous manquent-ils pour prendre notre destin en mains. Nous les peuples du milieu. Ni bourgeois, ni mendiants, mais miséreux de l’humanité. Que manque t-il aux millions d’individus à travers le monde qui partagent le même dégout de ce système inhumain pour le mettre à bas ? Comment croire que c’est impossible à réaliser alors que nous devons le faire. C’est une obligation. Quelque soit notre âge, ce monde s’enfonce dans un chaos indescriptible dû à la conjonction des crises politiques, économique, sociale, et sociétale provoquée par une crise financière fabriquée de toutes pièces par quelques banksters et sbires à leur solde. C’est un fait. Ce monde là, doit changer. C’est un monde de racket et de voyous Il n’est plus question de probabilités même s’il nous reste qu’une seule chance sur l’infini nous devons tenter de changer ce monde ... Essayer de changer soi-même c’est finalement accepter de se soumettre au monde tel qu’il est . Les philosophes ont tord sur ce point ... A moins de ne pas se connaître soi-même ...

26/12/2014 10:05 par Trannoy

Une constante chez Jean Ortiz il ne connait et ne veut pas connaitre le PCV
Bernard administrateur site www.pcfbassin.fr

01/01/2015 02:51 par raimundo

Maduro aurait de moins en moins de soutien au sein du partie. Les anciens chavistes lui reprochent une certaine incompétence face à la crise. Ainsi, pour éliminer ces "concurrents" devenus trop critiques à son égard, Maduro n’hésite pas à échanger ses ministres. Le dernier en date a été le ministre de l’éxterieur "Enriques". Ancien ministre du pétrol et directeur de PDVSA, il avait déjà été dégradé pour devenir ministre de l’éxterieur. Maintenant il vient tout juste d’être à nouveau dégradé et sera envoyé à l’ONU en tant qu’ambassadeur auprès du conseil de sécurité. Les bruits courent que "Enriques" chercherait du soutient auprès du partie pour se présenter aux prochaines élections présidentielles.

01/01/2015 11:57 par legrandsoir

Ancien ministre du pétrol et directeur de PDVSA, il avait déjà été dégradé pour devenir ministre de l’éxterieur. Maintenant il vient tout juste d’être à nouveau dégradé et sera envoyé à l’ONU en tant qu’ambassadeur auprès du conseil de sécurité.

Drôle de "dégradation"...

Bonne année 2015 au Venezuela !

02/01/2015 03:12 par raimundo

Pas si drôle que ça. Le ministre du pétrole est le plus puissant ministre au venezuela. Celui-ci est en même temps le directeur de PDVSA. Il ne faut pas oublier que le gros de la rente vient du pétrol. Ramirez a été "promu" ministre de l’éxterieur afin qu’on lui enlève le pouvoir qu’il avait en politique d’intérieur. Dernièrement il était plus souvent présent dans les médias en tant que ministre de l’éxterieur que le président lui même. Les bruits courent qu’il voulait faire entrer son personnage dans l’état d’esprit des venezueliens pour les prochaines élections. C’est la raison pourquoi on l’envoie à NY. Maduro est en train de perdre le soutient qu’il avait auprès du partie et c’est mis à évincer les gens au sein du partie. Souvent des chavistas comme Ramirez, qui désapprouvent sa politique. Ramirez a été le dernier.

02/01/2015 07:49 par legrandsoir

Le ministre du pétrole est le plus puissant ministre au venezuela

Hum... au fond, un ministre de l’industrie spécialisé. Sa "puissance" n’est envisageable qu’à condition que ce ne soit pas le politique qui gouverne. Pour lui, comme pour les autres.

02/01/2015 03:37 par raimundo

Ramirez en tant qu’ambassadeur à l’ONU devra désormais suivre les ordres du nouveau ministre de l’éxterieur.

02/01/2015 10:47 par gérard

Depuis assez longtemps j’avais extrêmement peur que la règle pratiquement systématique, celle de la "malédiction du pétrole", finisse un jour ou l’autre par concerner le Venezuela, et apparemment ce moment serait venu.
Le récent rétablissement des relations diplomatique entre les USA et Cuba ne présage à mon avis rien de bon. Il me fait craindre que la "puissance de feu" économique et financière des Étasuniens étant ce qu’elle est (!), sera bien plus redoutable que ne le fut l’embargo, l’avenir parlera....
Voici l’avis de Bassam Tahhan : "Cuba, point de bascule vers la chute de la révolution bolivarienne"
http://www.agenceinfolibre.fr/bassam-tahhan-cuba-point-de-bascule-vers-la-chute-de-la-revolution-bolivarienne/
C’est un point de vue un peu désespérant, et partisan(?)....
Je le livre tel quel car je ne sais vraiment qu’en penser...
Cela me fait dire que si 2014 n’a vraiment pas été une bonne "cuvée" (euphémisme !), 2015 risquera d’être bien pire.

Tous mes vœux aux acteurs du Grand Soir.

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