Pascale Fourier : Au moins une fois dans la partie de l’entretien qui précédait, vous avez utilisé la notion de « souveraineté nationale », si je ne me trompe pas. On ne peut pas dire que ça m’étonne, mais certains pourraient vous dire que la souveraineté nationale n’a plus lieu d’être, que ce qu’il faut construire, c’est la souveraineté européenne.
Pouvoir peser à nouveau sur le cours des choses
Aurélien Bernier : Moi, je serais tout à fait d’accord pour construire une souveraineté européenne. Ca ne me cause aucun problème. Le problème, c’est de savoir dans quel délai c’est réalisable. Et ce qu’on constate, c’est que la construction européenne s’est faite sans les peuples, même si à une certaine époque, à la limite, ça pouvait s’entendre puisqu’on sortait de la guerre et que les choses ne se seraient peut-être pas faites si on s’était appuyé sur les peuples. Mais c’est beaucoup moins excusable au jour d’aujourd’hui de continuer à construire une Union Européenne qui se fasse non seulement sans les peuples, mais contre l’intérêt des peuples.
Même si on peut le regretter, le seul niveau auquel on a encore accès à une souveraineté populaire, c’est l’État. Et c’est bien pour cette raison-là que l’objectif prioritaire, c’est de reconquérir cette souveraineté populaire. Et je crois qu’à partir du moment où on aura récupéré cette possibilité d’agir sur le cours des choses, que le peuple pourra agir sur le cours des choses, on pourra envisager de construire une souveraineté populaire supranationale qui ne doit pas forcément s’arrêter à l’Europe telle qu’elle est aujourd’hui, aux 27 états, qui peut aller bien plus loin. Mais ça, c’est quasiment de la politique-fiction. Aujourd’hui, ce qui importe, c’est que, quand on vote à une élection nationale, on désigne des représentants du peuple qui soient en mesure de mettre en oeuvre la politique pour laquelle ils ont été élus. Et ça, l’Union Européenne l’empêche. C’est donc dans ce sens-là que la reconquête de la souveraineté populaire est un objectif prioritaire. Et ce n’est absolument pas du nationalisme, ce n’est absolument pas du souverainiste comme on peut taxer de « souverainisme » certains personnages de droite. C’est vraiment redonner le pouvoir au peuple, redonner un sens au mot « démocratie ».
Pascale Fourier : Finalement, l’expression de la souveraineté nationale, c’est effectivement ( j’allais dire : « ce que vous, vous, français »... mais c’est un peu ça si on se pose en tant que pro-européen viscéral) ce que vous, français, ainsi que les hollandais vous avez mis en avant justement en 2005. Mais du coup, pour ainsi dire, vous vous êtes mis en marge, vous n’avez pas joué le jeu, vous n’avez pas joué le jeu européen. On doit pouvoir faire autre chose ! Ce n’est comme ça que ça pourra évoluer, aller vers quelque chose de positif...
Aurélien Bernier : Encore une fois, ça dépend de quel jeu on parle. On ne peut pas parler de l’Union Européenne sans parler des politiques qui sont menées. Si la France, si les Pays-Bas et si l’Irlande ont dit Non au traité constitutionnel européen ou au traité de Lisbonne, c’est bien un refus des politiques qui sont menées. Or, ce n’est encore une fois pas un refus de la paix, de la coopération entre les peuples, ce n’est pas un refus de l’idée d’Europe, c’est un refus de ce modèle-là ultra-libéral qui nous est imposé.
Reconquérir la souveraineté populaire
Pascale Fourier : Oui, mais quand même, le Parti Socialiste ou des mouvements comme Attac revendiquent une Europe sociale, écologique, démocratique. Ca me semble un peu iconoclaste que de dire, que de sous-entendre, qu’il n’est vraiment décidément pas possible que cette Europe advienne....
Aurélien Bernier : Il ne s’agit pas de dire que ce n’est pas possible. Je ne sais pas si c’est possible ou pas. Ce que je constate, c’est que ce n’est pas le cas. Et donc il n’y a pas 36 solutions : soit on attend que ce soit le cas (on n’est pas obligé d’attendre de façon passive et je ne pense pas que les gens que vous ayez cités attendent de façon passive), soit on se dit qu’il y a peut-être un autre niveau d’intervention, une autre échelle, qui serait plus efficace pour reconquérir cette souveraineté populaire. Et le fait est qu’il n’existe pas d’exercice de la souveraineté populaire au niveau européen et que donc tout est à construire. Il y a peut-être des gens très efficaces, très performants, qui envisagent de construire ça très rapidement, mais moi j’ai l’impression que c’est quelque chose qui prendra au moins quelques décennies. Il y a des niveaux où existe un exercice de la souveraineté populaire, où existent des institutions pour faire fonctionner la démocratie - ce qui n’existe donc pas au niveau de l’Union Européenne. Et ce fonctionnement est bloqué parce que ces Etats se sont soumis - et une bonne partie volontairement - au droit communautaire, au carcan libéral de l’Union Européenne. Et donc restaurer une souveraineté populaire au niveau d’un État où les outils existent pour la faire fonctionner paraît beaucoup plus envisageable et en tout cas beaucoup plus rapide que de tenter de le faire au niveau européen où tout est à créer. Et donc c’est bien pour cela que la désobéissance européenne prend tout son sens, puisqu’il s’agit de faire exploser ce carcan et de redonner aux Etats les moyens d’agir en dehors du cadre européen.
Pascale Fourier : « Exploser ce carcan », ou exploser l’Europe ?
Imaginaire... et réalité...
Aurélien Bernier : Non, c’est bien exploser ce cadre, qui est celui de l’Union Européenne et qui pratique le néolibéralisme comme aucun État de la planète ne le pratique. L’Union Européenne a une ferveur libérale encore plus exceptionnelle que celle des États-Unis, ce qui n’est quand même pas peu dire. Et c’est bien cette construction européenne-là qu’il s’agit de remettre en cause, et encore une fois pas l’idée d’Europe avec ce qu’elle peut contenir de paix, de solidarité -ce qui est oublié depuis longtemps parce qu’on a remplacé cette idée-là par la guerre économique, par la libre concurrence, le libre-échange, la destruction des acquis sociaux.
Il faut qu’on arrive à montrer que le débat est faussé parce qu’on mélange un imaginaire avec une réalité, une construction économique, une construction politique qui se fait en balayant la démocratie. Et ça, c’est vraiment l’enjeu principal, parce que cet amalgame fait effectivement que, quand vous parlez de désobéissance européenne, quand vous parlez de changer d’Europe, de tout reconstruire parce que celle-ci est absolument insupportable, on voit sortir des termes comme « nationalistes » ou « souverainistes »... Mais « souverainiste », si c’est défendre l’exercice la souveraineté populaire, oui, il faut être souverainiste à ce moment-là ! Il ne faut pas non plus se laisser piéger par les mots !
Pascale Fourier : Aurélien Bernier j’ai bien suivi tout ce que vous avez raconté...., mais disons que pour l’instant le M’PEP n’a peut-être pas un poids politique extrêmement important.... Qui pourrait vous suivre sur ce que vous proposez ?
Poser la bonne question
Aurélien Bernier : Ca, c’est la grande question. D’abord, je pense qu’il n’est pas besoin d’avoir un poids politique extrêmement important pour poser des bonnes questions. Et je pense qu’on en pose une qui peut être gênante pour certaines personnes, mais qui est bonne.
Notre ambition c’est bien sûr de mettre ce débat sur la table, d’en parler, d’en débattre avec la population, d’en débattre avec les partis politiques, d’expliquer aussi cette notion de « désobéissance européenne » parce que ce n’est pas quelque chose qu’on est habitué à entendre. Et ce débat, on verra bien qui s’en empare qui se positionne par rapport à ces questions.
Et moi je pense que la « gauche de gauche », comme on dit, encore une fois va aux élections avec un programme qui est inapplicable sans pratiquer la désobéissance européenne. Et ça, ils le savent ! Il faut arrêter... : ils le savent tous ! Quand on propose par exemple d’interdire les OGM dans un programme électoral, on sait très bien que c’est infaisable dans le cadre des institutions européennes - et il faut donc pratiquer la désobéissance européenne. Sauf que les partis politiques, et je dirais même les syndicats, parce que les syndicats seraient aussi concernés, ne le disent pas. Parce qu’ils ont toujours cette peur que l’opinion publique soit réticente, qu’ils ont peur de se faire piéger dans ce débat de mots dont on parlait tout à l’heure, de se faire piéger en se faisant taxer de « souverainistes », de « nationalistes », de tout ce que vous voulez, des choses qui ne tiennent pas la route une seconde, et dont ils ont peur.
Oser la désobéissance européenne
A un moment donné, il va falloir franchir ce pas et assumer le fait de dire : « Oui, si on est élu, eh bien on désobéira ! On fera de la désobéissance européenne pour mettre en oeuvre le programme sur lequel on a été élu ». Et tant que la gauche de gauche n’ira pas jusqu’au bout, je pense qu’il y aura une incohérence dans son discours parce qu’elle continuera à décrire ce monde antilibéral, progressiste, solidaire, écologique tout ce qu’on veut, dans lequel on aimerait tous vivre, mais elle n’expliquera pas aux gens qui votent pour elle comment on passe du monde dans lequel on est, ultra-libéral, avec ce carcan européen, à cette société meilleure.
Et donc on souhaite que cette idée de la désobéissance européenne fasse son chemin et qu’un jour elle soit intégrée dans un programme et que des partis, des mouvements, aillent aux élections en disant : « Oui, nous, on est prêts à désobéir pour mettre en oeuvre notre programme ». Évidemment, si ces partis se font élire sur la base d’un tel programme, alors on aura toute légitimité pour mettre en oeuvre cette désobéissance européenne, et on peut même imaginer sur certains sujets particulièrement importants de convoquer des référendums pour savoir si oui ou non on accepte de se soumettre encore une fois au droit européen - à un droit qui est profondément libéral et qui empêche et qui empêcherait un parti de gauche au pouvoir de mettre en oeuvre ses politiques.
De toutes façons, le débat se posera, c’est-à -dire que, pour l’instant, les partis le fuient, les syndicats également, mais il se posera. Parce que, depuis le Traité constitutionnel européen, on ne fait qu’expliquer aux populations que le parlement national passe 80 % de son temps à transcrire du droit européen, que les 20 % qui restent, comme l’a très justement dit Jean-Luc Mélenchon, doivent également être compatibles à 100 % avec le droit européen- et donc les gens ont parfaitement compris qu’il n’y avait plus de marges de manoeuvre au-delà du droit communautaire, et donc que l’Union Européenne imposait, dictait les politiques aux Etats-membres. Soit on dissout la gauche - soit on renonce à jamais à mener des politiques de gauche- , soit il faudra absolument, obligatoirement, parler de désobéissance européenne....
Union Européenne : Dissoudre la Gauche.... ou prôner la désobéissance européenne : la vraie alternative... (1/2)
Union Européenne : Dissoudre la Gauche.... ou prôner la désobéissance européenne : la vraie alternative... (2/2)
Aurélien Bernier,
secrétaire national du M’pep ( Mouvement Politique d’Education Populaire).
http://www.mpep.org/
entretien avec Aurélien Bernier en audio ( MP 3 téléchargeable) : « Dissoudre la Gauche ou prôner la désobéissance européenne : la vraie alternative.... »
Retrouvez Aurélien Bernier sur son blog : http://abernier.vefblog.net/