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Adulé du public espagnol, persécuté par la police et la Justice....

Willy Toledo et le droit au blasphème

(Lire aussi le complément, par Jean ORTIZ)

Accusé d’un crime contre la liberté de conscience, d’un délit contre les sentiments religieux et du crime d’entrave à la justice, Willy Toledo passera au tribunal à Madrid le lundi 17 février 2020.

En septembre 2017, je participais à Caracas à un colloque de solidarité avec le Venezuela (oui, je sais, c’est mal). J’y ai fait connaissance d’un Espagnol nommé Willy Toledo. Pour tout avouer, je n’avais pas pris la précaution de retirer de l’argent avant de partir de France et, sur place, l’affaire s’avérait compliquée. De sorte que, au début de mon séjour, c’est Toledo qui payait mes bières et mes clopes (à l’époque, je fumais. Oui, c’est mal).

C’était un joyeux drille, charismatique, en tee-shirt fatigué, vieux jean déchiré et bottillons éculés. Il m’avait dit qu’il était comédien. J’ai pensé : intermittent dans la panade. En vérité Willy Toledo est un grand acteur de cinéma espagnol, une star qui a reçu pas moins d’une dizaine de récompenses, dont deux fois le prix Goya (équivalent

des César français et des Oscar états-uniens). Sa fiche Wikipedia en espagnol le présente comme un « actor, productor de teatro y activista politico ».
Retenons bien le « activista politico ». Il se proclame aussi ami de Cuba (aïe, c’est très mal).

WillyToledo, m’a confié une chose qu’il aime bien répéter : « Avant que je parle de mes engagements politiques, je recevais 15 propositions de films par an. Je n’en reçois plus aucune. « Ils » m’empêchent de faire mon métier. A présent, je travaille en Argentine ».

Bien entendu, si Toledo était un célébrissime acteur vénézuélien brimé par « le régime bolivarien », les médiacrates de la bande à Pujadas, Salamé et autres, s’étrangleraient en des « Toledôôôô » aussi vibrants que leurs habituels «  Venezuelââââ ».

Donc, « tricard » dans son pays, ostracisé, censuré, WillyToledo joue à celui qui n’a plus rien à perdre.
Quand pérore dans toutes les villes d’une Espagne catholicarde (qui a oublié de se nettoyer du franquisme) la statue de la « vierge Marie » portée en de longues processions, l’Eglise dit en quelque sorte merde aux adeptes d’autres religions et aux athées. Pourtant, plus de 50 % des Espagnols de 15-24 ans se déclarent non-croyants. En janvier 2009, deux autobus sillonnaient Barcelone en affichant sur leur flanc le slogan : « Dieu n’existe probablement pas. Maintenant, cesse de t’en faire et profite de la vie. »

Quand trois femmes organisent dans les rues de Séville en 2014 la procession d’un gros « vagin insoumis » (« procesión del coño insumiso)  » l’association « Abogados Cristianos » dépose plainte et WillyToledo les soutient (Elles ont depuis été acquittées).

En réplique à la bien-pensance espagnole, Willy Toledo avait donné sur cette affaire un avis cinglant : « Yo me cago en dios y me sobra mierda para cagarme en el dogma de la santidad y virginidad de la Virgen María ». Lu en version originale, c’est plus fort et chacun peut deviner.

Poursuivi par la Justice, il refuse de se rendre à la convocation du juge et il se moque : « Je veux informer les sicaires du régime bourbonico-franquiste espagnol que je n’ai pas la moindre intention de perdre une seule seconde de ma vie pour me présenter devant vos illustrissimes personnes ». Il précise les jours et heures où l’on pourra venir l’arrêter au « Théâtre Lliure de Gràcia », à Barcelone. Pédagogue, il ajoute : « Dites aux agents qui viendront me chercher qu’un théâtre est un bâtiment dans lequel on joue des pièces de théâtre, ce n’est pas un endroit excessivement dangereux, donc vous ne courrez aucun danger ».

Autre lieu d’arrestation possible, indique-t-il : « …ma maison habituelle à Madrid, que vous connaissez très bien car c’est à ce même endroit que vous avez envoyé vos hommes de main pour m’arrêter la dernière fois.

Je vous prie seulement de ne pas le faire à des heures intempestives, comme la fois où vous êtes venus à 00h40 alors que je dormais déjà du sommeil du juste : ce n’est pas une heure pour aller déranger une maison décente, il n’est pas question de me présenter au poste de police de la Brigade politique sociale avec de la chassie dans les yeux : je suis un mec élégant ».

L’ironie n’est pas un délit en Espagne. Grâce à Willy Toledo, nous saurons bientôt si le droit au blasphème (si mal connu de Nicole Belloubet en France) existe chez nos voisins. Et accessoirement, nous verrons si soutenir les pays latino-américains qui défient Trump est le blasphème des blasphèmes.

Maxime VIVAS

COMPLEMENT PAR JEAN ORTIZ

Solidarité avec l’acteur Willy Toledo

Willy Toledo est un acteur espagnol connu et aimé du public populaire. Son travail d’acteur, dans de nombreux films et pièces de théâtre, est remarquable. A l’époque, il était la coqueluche que le « tout-Madrid » se disputait.

Mais voilà, il s’est engagé, avec un courage qui force l’admiration, dans la solidarité avec Cuba, le Venezuela, la Bolivie... Il est devenu, dès lors, pour la pensée dominante persona non grata et condamné à une mort lente professionnelle. L’homme ne manque ni de courage ni d’humour. On sait que l’Espagne demeure un pays où la hiérarchie de l’Eglise vit encore à l’heure du « national-catholicisme », des restes de la dictature franquiste, de la « croisade »... Contre l’avortement, contre le mariage pour tous (adopté), contre la procréation assistée, on a vu des évêques manifester, suivis d’énormes foules bigotes et néo-fachotes, dans les rues de Madrid. C’est dans ce contexte que l’acteur et quelques amis ont organisé une « procession des chattes (« de los coños ») insoumises », une initiative à l’humour ravageur, subversif, jouissif, chargée de remises en causes radicales... Willy Toledo, ô sacrilège des sacrilèges, a, ce faisant, remis en cause le dogme de la virginité de la Vierge Marie.

A la suite de cette parodie de procession, et de ses déclarations « athées », hâtées d’en finir avec le poids social et culturel, ultra-conservateur, de l’Eglise espagnole, Willy Toledo est poursuivi pour « atteinte au sentiment religieux », un euphémisme qui, pour l’acteur, cache en fait que le « délit de blasphème et d’hérésie » de l’époque franquiste reste en vigueur, sans vraiment dire son nom.

Pour répondre de ce délit, Willy Toledo est convoqué devant la justice à Madrid. On savait l’ordre moral en Espagne à cheval sur le dogme, mais tout cela pue le franquisme, comme lorsque les militants étaient « caressés » à la Brigade politico-sociale.

Il va sans dire que nous, communistes français, démocrates, antifascistes, sommes aux côtés de Willy Toledo, contre les obscurantistes, les inquisiteurs d’hier et d’aujourd’hui.

Jean ORTIZ

COMMENTAIRES  

12/02/2020 15:15 par Claude

Suite a la lecture de ce texte les expressions de Toledo me rappelle celles de mon père le rescapé du franquisme.
Par contre il ne fumait pas ce bûcheron des landes tranquille rêvant de Robespierre Castro et des poètes espagnols.
Il était Mon Vieux ! (J. Ferrat)

12/02/2020 16:32 par Vania

Un commentaire sur le Venezuela. Le traître à sa patrie Guaido ( hué par plusieurs vénézuéliens ) a reçu la protection de l’ambassadeur de France à son arrivée à Caracas. Quelle honte !! Il faut dénoncer les agissements de l’ambassade France au Venezuela.
https://twitter.com/ErikaOSanoja/status/1227436455208914945
https://francais.rt.com/international/71228-traitre-assassin-assez-sanctions-retour-chaotique-de-juan-guaido-au-venezuela

12/02/2020 22:58 par bostephbesac

Qu’ attend donc le Vénezuéla pour expulser les ambassadeurs étrangers violant sa souverainété, et bien entendu rappeler les siens en poste dans ces pays ripoux (dont le notre) ?

12/02/2020 23:58 par T 34

En Espagne la répression ne cesse pas, que ce soit soit un gouvernement PP ou un gouvernement PSOE/Podemos.

13/02/2020 09:50 par J.J.

« Yo me cago en dios y me sobra mierda para cagarme en el dogma de la santidad y virginidad de la Virgen María ».
Bien que mes notions de la langue espagnole soient relativement modestes, je n’ai eu aucun mal à traduire.

Il y a quelques années, de passage à Santander, je me suis délicieusement "croassé" un digne ecclésiastique devant la cathédrale(je sais, c’est mal et mesquin). Je n’ai pas compris ce qu’il m’a dit, mais ça n’avait pas l’air aimable. Heureusement il a eu la bonne idée de ne pas appeler les gardes de cette espèce de police qui surveille les lieux de culte.

13/02/2020 10:01 par André LACROIX

Pour une fois - à propos de l’ "affaire Mila"- on est d’accord avec Emmanuel Macron :

« La loi est claire : nous avons droit au blasphème »
Selon le président, les enfants doivent « être mieux protégés » contre les « nouvelles formes de haine et de harcèlement en ligne » :

« Je sépare cet impératif de la question sur la critique des religions. La loi est claire : nous avons droit au blasphème, à critiquer, à caricaturer les religions. »

« L’ordre républicain n’est pas l’ordre moral », a-t-il insisté, avant de préciser : « Ce qui est interdit, c’est l’appel à la haine, l’atteinte à la dignité. »
(Le Monde, 12/02/2010)

13/02/2020 12:43 par babelouest

@ André Lacroix
A-t-il au moins compris que la provocation à la haine équivaut largement à l’appel à la haine ? Car s’il en avait décelé toutes les implications, il tournerait comme dit un vieux livre "soixante-dix-sept fois sept fois" dans sa bouche ses paroles avant de les semer à tous vents.

On le dit mal souvent dans les commentaires, à mon avis. Combien parlent de "droit au blasphème", il ne s’agit aucunement à mon sens de cela, mais tout simplement du fait qu’en France laïque le concept de blasphème n’existe pas. On rit des humains, les hommes politiques le plus souvent, mais en général de ce qu’on appelle "les hommes publics" (ceci inclut les femmes, pas de discrimination pseudo-sexiste) parce qu’un homme public n’est plus un particulier, on rit des castes dans le sens des fonctions, sans viser personne, on se gausse des associations diverses (selon la loi les religions sont des associations comme les autres, avec des nuances qui sont d’ordre fiscal uniquement) : c’est une saine pratique démocratique. Mais sans doute "les politiques" actuels engoncés dans une religiosité passéiste ne l’entendent pas ainsi, y compris ceux qui se disent "de gauche" parce que la gauche, si un jour elle a eu un sens, l’a complètement perdue.

Je dis tout cela parce que souvent j’ai tenu des propos similaires devant un ami FM au GO, qui manifestement m’approuvait, au point de me présenter comme un ami sûr rue Cadet où manifestement il était connu comme le loup blanc pour avoir exercé longtemps diverses fonctions importantes. Bien entendu, largement trop libre, je n’en suis pas.

Vive la laïcité !

13/02/2020 20:03 par gusdenantes

quand je pense au temps que j’ai perdu ,
à imaginer que les humanistes avaient gagné la guerre ,
à penser que la démocratie de marché était l’évolution naturelle de toute forme d’humanisme ,

en fait , ce sont les bruns qui ont gagné la guerre , ils regnent partout , avec leur amis curé le cauchemar n’a jamais cessé.

13/02/2020 20:25 par Milsabor

@André Lacroix.
Micron qui défend le droit au blasphème, c’est à mourir de rire. "Et en même temps" l’antisionisme est assimilé par sa grandeur à l’antisémitisme. Ben avec ça le droit au blasphème est bien barré...

14/02/2020 17:52 par Palamède Singouin

@ Milsabor

Micron qui défend le droit au blasphème, c’est à mourir de rire. "Et en même temps" l’antisionisme est assimilé par sa grandeur à l’antisémitisme. Ben avec ça le droit au blasphème est bien barré...

Criminaliser l’antisionisme, c’est d’autant plus grave que le sionisme n’est pas une religion, mais un projet colonial - donc raciste - qui comme toutes les entreprises de ce genre s’appuie sur des considérations religieuses aussi crédibles que la virginité de Marie ou les tête-à-tête entre Allah et Mahomet.

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