11 

Retraites : Pourquoi nos « élites » ignorent-elles que le PIB double en 40 ans ?

En mai 2003, Bernard Friot (1) rappelait, à propos du débat sur les retraites, qu’avec une croissance moyenne de 1,6 % l’an, le PIB doublait en valeur constante en 40 ans. Il publiait le tableau suivant dans l’indifférence médiatique, syndicale et politique :

Alors que les gouvernements successifs réduisaient les dépenses utiles (santé, éducation, services publics), ce tableau montrait que la seule question à se poser était : que faire de l’excédent de richesse produit ?

C’est pour ne pas avoir à répondre à cette question que nos « élites » « ignorent » le doublement du PIB en 40 ans, qu’en 2003 elles ont trouvé un « accord » pour reculer l’âge de la retraite, conformément à l’accord européen signé en mars 2002 à Barcelone par Chirac et Jospin.

C’est la mise en oeuvre de cet accord de Barcelone qui se poursuit aujourd’hui, avec des ministres de gauche dans un gouvernement de droite, montrant bien que le clivage gauche/droite n’est qu’un leurre destiné à faire oublier le clivage fondamental de la société française : capital/travail.

Pour faire oublier la signature de Barcelone, nos « élites » peuvent occuper les médias et nous expliquer " avec toute l’autorité que leur confère leur incapacité à prévenir la crise " qu’avec la crise, le PIB ne doublera pas d’ici 2040. Mais, même si le PIB n’augmentait que de la moitié, il resterait quand même 1.650 milliards, soit une augmentation ne justifiant aucunement la réduction des dépenses utiles tous azimuts !

Autre rideau de fumée : pour sauver la planète, il faudrait en finir avec la croissance. Oui, oui, en effet, il faut en finir avec la croissance capitaliste, cette croissance des gaspillages en tous genres pour accroître le profit, et d’abord en finir avec les gaspillages humains : 10.000 par an, c’est le nombre de décès prématurés que l’on pourrait éviter, si les ouvriers et employés avaient en France la mortalité des cadres supérieurs et des professions libérales (2).

Mais au lieu de s’attaquer aux inégalités, nos « élites » les aggravent sans autre justification que satisfaire l’appétit du capital.

S’affranchir des « élites »

C’est parce qu’ils font ce constat que 72 % des Françaises et des Français jugent négativement le capitalisme, qu’ils refusent massivement de participer aux simulacres démocratiques électoraux.

Le peuple de France vit douloureusement une société qui sacrifie tout " y compris sa jeunesse " pour le profit immédiat de quelques-uns. Et il la rejette.

Ce rejet massif indique que les temps changent et que demain peut être différent d’aujourd’hui, que le capitalisme et l’enfoncement inexorable du plus grand nombre dans la misère ne sont pas l’horizon indépassable. Il indique qu’une autre société est en gestation.

Nous sommes entrés dans une phase de transition où tous les peuples du monde vivent la nécessité vitale d’en finir avec le capitalisme. En fonction de son niveau de développement économique, de son histoire et de ses traditions, chaque peuple construit ou cherche à construire de nouveaux rapports sociaux.

En France, ce qu’il reste des gratuités, des couvertures sociales et des services publics montre ce que pourrait être une société de la mise en commun, débarrassée de la rente capitaliste. Les partis politiques, les syndicats sont nés avec le capitalisme ; ils ont grandi avec lui et, comme lui, ils sont arrivés au bout de ce qu’ils pouvaient apporter à la société. Le peuple de France ne peut s’écrire un avenir progressiste qu’en rupture avec la société capitaliste d’aujourd’hui et ses « élites ».

Contrairement à ce qu’on veut leur faire croire, les Françaises et les Français n’ont pas besoin « d’élite » pour définir un projet de société et le mettre en oeuvre. N’est-ce pas malgré les « élites », et donc contre elles, qu’ils ont voté « Non » au référendum européen, le 29 mai 2005 ? La somme de leurs critiques de la société actuelle n’est-elle pas déjà le contour de la société qu’ils souhaitent ? Par leur participation au tissu associatif, ne font-ils pas quotidiennement la preuve de leur capacité à organiser la vie concrète ? Dans les luttes, leurs pratiques de l’assemblée générale, des coordinations ne sont-elles pas la mise en oeuvre d’une nouvelle dimension de la démocratie ?

Tout, les Françaises et les Français ont tout pour définir ensemble et mettre en oeuvre leur projet de société : il suffit qu’ils osent s’affranchir de la tutelle des « élites » et prennent l’initiative de se réunir, sans se soucier des clivages gauche/droite, syndicaux, philosophiques ou religieux, pour élaborer et décider ensemble comment ils veulent vivre demain, libérés du joug du capital.

Dans les entreprises, les cités, les quartiers, les villages, avec tous celles et ceux qui voudront y participer, recensons ce qui ne peut plus durer, ce dont nous ne voulons plus ; ébauchons la société française dans laquelle nous voulons vivre ; et pour la nommer et la réaliser ensemble, créons nos comités, désignons des représentants révocables.

Assez de pillages et de misères,
assez de jeunesses sacrifiées,
les richesses produites par le peuple doivent revenir au peuple !

15 juin 2010

Jean-François Autier
retraité (ajusteur mécanicien SNCF), de 1971 à 1997 a assumé différentes responsabilités politiques et techniques à la Fédération du PCF 33.
jean-francois.autier@wanadoo.fr

et

Michel Peyret
retraité (instituteur), de 1953 à 2006 adhérent du PCF pour lequel il a assumé différentes responsabilités politiques et électives (député de Gironde, notamment).
michel.peyret@gmail.com

(1) Bernard Friot : économiste, sociologue, professeur émérite à l’Université Paris Ouest Nanterre. Dernier ouvrage : « L’enjeu des retraites », 175 pages, éditions La Dispute. Une interview à lire à l’adresse suivante : http://www.frontsyndical-classe.org/article-bernard-friot-economiste-la-retraite-un-salaire-continue-51972429.html

(2) INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) : « Les inégalités sociales de santé », 448 pages, éditions La Découverte.

COMMENTAIRES  

18/06/2010 15:04 par Fald

Article intéressant.

Ce qui me frappe, c’est que ceux qui nous cachent la richesse réelle du pays et font croire qu’elle va s’épuiser si on ne réduit pas les dépenses sociales sont les mêmes qui justifient de retarder le droit au départ en retraite en nous racontant que tout le monde va vivre plus longtemps.

Ils s’appuient pour cela sur l’allongement de l’espérance de vie depuis un siècle. Mais qui peut prévoir raisonnablement qu’on va inventer bientôt des choses aussi décisives que les vaccins, les antibiotiques et la chimiothérapie ? Personne ! Et même si de telles potentialités existent encore quelque part dans la nature, on n’est pas près de les trouver avec une recherche que les mêmes élites s’acharnent à étrangler !

Ils nous cachent aussi que l’allongement passé de l’espérance de vie est dû en grande partie, à côté des progrès de la médecine, au progrès social. Si les malades profitent de la médecine, c’est grâce à la sécu, non ? Si les vieux sont en forme plus longtemps, c’est parce qu’ils se reposent et se soignent et font ce qu’ils veulent grâce à la retraite. Arrêtez-moi si je dis une connerie ! Si les fonctionnaires vont plus loin que les salariés du privé, c’est parce qu’ils n’ont pas le souci d’être virés du jour au lendemain sur simple caprice d’un grand ou d’un petit chef. En tout cas, il me semble.

Nos « élites », (permettez-moi de conserver vos guillemets, qui me paraissent très justifiés) nous construisent un monde où la situation normale du salarié est de se contenter d’un salaire minimum sous peine de délocalisation, de se demander chaque jour s’il aura encore du boulot le lendemain, de passer des heures dans les transports en plus du turbin, de devenir obèse à force de manger n’importe quoi n’importe quand entre deux heures de travail, d’accomplir le dit travail sous le harcèlement de petits chefs ou de grands managers complètement fachos et, last but least too, de se retrouver à 62 ans devant le non-choix : tu continues cette vie encore 5 ans ou tu finis dans la pauvreté.

Ceux qui nous construisent ce monde-là ont le culot de nous dire que tout le monde arrivera centenaire !

Ils vivent vraiment dans le « monde à part » de l’apartheid social. Car ils ont raison pour eux-mêmes : le gosse de grand bourgeois qui naît maintenant a toutes les chances d’arriver centenaire s’il ne se drogue pas trop lors de sa crise d’adolescence grâce à son argent de poche illimité.

Mais le gosse de salarié de base qui naît aujourd’hui a toutes les chances de crever beaucoup plus tôt que ses grands parents ! C’est cela, la triste réalité. Déjà , les mesures prises par Simone Veil sous la houlette d’Edouard Balladur en 1993 font « vivre » aujourd’hui 1 200 000 retraités en dessous du seuil de pauvreté. Où est l’allongement de leur espérance de vie ?

Et toutes les extrapolations sur le futur à partir des progrès du passé ne sont que pure charlatanerie et propagande.

Si je peux me permettre un petit reproche aux auteurs de l’article : vous renvoyez droite et gauche dos à dos comme le feraient n’importe quel « apolitique » tendance François Bayrou.

Pourtant, vous qui êtes de la Gironde, vous devriez savoir ce qui plombe justement la compréhension de la politique par le peuple : ce qui envoie un viticulteur du Bordelais en prison, c’est ce qui a permis aux mitterrandiens et à leurs successeurs d’arriver au pouvoir, et cela s’appelle la fraude à l’étiquette.

Vous-mêmes, je pense, vous dites de gauche. Vous feriez donc mieux de dénoncer cette fraude au lieu d’accréditer l’idée qu’une vraie gauche aurait mené une politique de droite. Tous ceux qui préconisent une vraie politique de gauche, avec des entreprises publiques permettant de mener une vraie politique économique et sociale, devraient sans relâche dénoncer la fraude à l’étiquette de gauche, qu’elle vienne des socialistes, des verts, mais aussi de la droite (fracture sociale de Chirac) ou de l’extrême droite (dite « populiste » alors qu’elle est carrément démagogique).

18/06/2010 15:34 par do

Salut à toutes et à tous,

Ce n’est pas seulement que le PIB officiel double en quarante ans ; c’est qu’en ce moment, grâce aux progrès scientifico-techniques qui avancent à une vitesse de plus en plus accélérée, la productivité du travail double tous les 10 ans.

Encore il y a quelques mois, j’entendais un économiste rappeler à la télé que depuis l’an 2000, la productivité du travail avait doublé !

Depuis 1990, elle a été multipliée par quatre !

Un travailleur d’aujourd’hui produisant quatre fois plus qu’un travailleur d’il y a vingt ans, il est clair qu’il n’y a aucun problème de retraite : leur "raisonnement" dans le style « avant il y avait quatre travailleurs pour un retraité, bientôt il y aura seulement un travailleur pour un retraité », un tel raisonnement est tout simplement complètement bidon !

Ils se foutent de notre gueule pour nous entuber une fois de plus !

Puisque la productivité des travailleurs a été multipliée par quatre en 20 ans, le bénéfice des exploiteurs lui aussi s’est multiplié, même si l’on nous le cache du mieux qu’on peut afin d’éviter d’augmenter les salaires des exploité-e-s.

ON PEUT PAR CONSÉQUENT AUGMENTER LES COTISATIONS PATRONALES !

Du moins celles des grandes entreprises, c’est-à -dire celles où la productivité du travail et donc le bénéfice des patrons a effectivement augmenté (sans pour autant que les salaires des exploité-e-s n’aient augmenté, eux ! ce qui est parfaitement dégueulasse.).

Le plus simple et le plus juste, en attendant l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme, c’est tout simplement de multiplier par quatre les salaires, et c’est faisable, puisque la productivité du travail a été multipliée par quatre en vingt ans !

Ainsi, les cotisations retraites seront elles aussi multipliées par quatre.

Une seule solution, la révolution !

Lire le commentaire sous l’article dont le lien est ci-dessous :

http://mai68.org/spip/spip.php?article1322

Bien à vous,
do
http://mai68.org/spip

18/06/2010 20:13 par Odin

Des mots messieurs, des mots ...

Passez à l’actions, à la création,

à la production économique libre , dans le reel.

Les individus peuvent se libérer du besoin d’échanger pour leur besoin primaire, et subvenir à 120% a ceux ci aujourd’hui.

C’est des besoins secondaire, et du secteur secondaire qu’il faut donner l’assaut : des usines de productions, libres, de matériel libre ( sous licence libre ) , et TOTALEMENT automatisé.

Le travail physique et ouvrier n’a plus lieu d’etre : ne travaillez jamais ! OEUVREZ !

Maintenant PRODUISEZ !

18/06/2010 20:33 par Lulu

Lorsque j’ai expliqué à ma voisine (ingénieûûûre) de 27 ans que pour pouvoir toucher une retraite à taux plein à 62 ans il faut avoir commencer à travailler à 19 ans, sa réaction a été :

1 - c’est des conneries
2 - ce qui est pas normal, c’est les régimes spéciaux des postiers et de la sncf qui tiennent la france par les couilles ....

Lorsqu’on à affaire à des gens aussi cons que ça, il n’y a plus qu’une solution, action directe.

18/06/2010 21:09 par legrandsoir

il n’y a plus qu’une solution, action directe.

avant de "s’extrémiser", et si on pensait à lutter, tout simplement ?

18/06/2010 21:39 par Lulu

@ LGS

Bien sur, j’étais dans la provocation. C’est juste désespérant de constater que les premiers concernés par ces régressions s’en battent l’oeil complètement. Vue la mentalité générale, je crois bien que c’est cuit comme on dit. En tout cas merci à michel Peyret pour cet article.

18/06/2010 21:41 par CD

Peut-être les élites savent que le PIB ne doublera pas, qu’il a même de fortes chances de diminuer avec la possible dépression qui s’annonce, et qu’une croissance positive forte et régulière fait partie du passé, justement...

18/06/2010 21:55 par legrandsoir

Peut-être les élites savent que le PIB ne doublera pas

... comme elles avaient prévu la crise financière ?

19/06/2010 12:24 par Anonyme

Les élites veulent s’en foutre plein les poches, c’est tout !

Et la crise, pour l’essentiel, elle est bidon, juste un spectacle pour justifier les saloperies qu’ils nous font. Avez-vous vu le film "Le sucre" ?

Mais la crise est aussi le grincement de dents provoqué par le changement de leadership mondial ; les USA ne pouvant faire autrement que passer le relais à la Chine :

http://mai68.org/spip/spip.php?article107

14/07/2010 13:52 par jdal

Je me demande comment on peut fonder un raisonnement politique sur une boule de cristal. Malgré des critiques de la prévision qui ne datent pas d’hier (Ellul, Sfez), le prévisionnisme fleurit et ravage les esprits. Le doublement du PIB en 40 ans et celui de la productivité en 10 ans font dogme aussi bien que la paupérisation absolue du prolétariat autrefois. Il est curieux de voir que ces dogmes sont, d’une part sincèrement portés par les anti-capitalistes et hypocritement par les capitalistes. On dirait que ceux-là n’ont d’autre possibilité que de jouer sur le terrain que ceux-ci leur ont préparé.
Il se peut bien que le PIB mondial double en 40 ans et la productivité mondiale en 10, mais la répartition de ces augmentations dans le monde est une autre affaire. Il se peut aussi que si ces augmentations adviennent, il ne reste pas grand-chose de ce monde. La vérité des décisions n’est pas dans les décisions, mais dans leurs conséquences. Il y a bien un problème de financement des retraites pour les 30 années à venir. Sa solution n’est pas dans une spéculation stupide sur la croissance, mais dans la répartition de la production possible.

14/07/2010 22:42 par jdal

Pour faire écho au dernier commentaire de legrandsoir, qu’un gouvernement réduise les dépenses et augmente les impôts enseignerait à un enfant que ce gouvernement ne compte pas sur la croissance pour réduire déficit et dette.

(Commentaires désactivés)