La guerre en Ukraine (The vineyard of the Saker)

Russie Insider a publié mon dernier article sur l’évolution de la guerre en Ukraine. C‘est une version plus élaborée et approfondie de celui qui avait déjà été publié ici.

1. La thèse essentielle que je développe dans cet article est que ce ne sont pas les mouvements tactiques mineurs qui déterminent le cours de cette guerre. C’est le nombre de victimes infligés à l’armée ukrainienne. Elle a pris une raclée pendant l’été, elle prend à nouveau une raclée.

Dans mes articles publiés sur Russia Insider, j’ai mentionné le chiffre de 1100 victimes infligées à l’armée ukrainienne pendant la bataille de deux semaines pour l’aéroport de Donetsk, chiffre indiqué dans des documents officiels ukrainiens que des hackers ont piratés. Les Forces Armées de Novorussie (NAF) évaluent actuellement le nombre total de soldats ukrainiens morts depuis la reprise des combats à environ 1500. Colonel CASSAD disait hier que le chiffre pourrait être de plus de 1800.

Les chiffres de 1500 et 1800 couvrent une période plus longue que celui de 1100 dans les documents ukrainiens piratés. Le fait qu’ils soient tous du même ordre de grandeur suggère que tous ces chiffres sont fiables. Si c’est bien le cas, alors cela montre que j’ai raison de croire que l’armée ukrainienne subit des pertes au rythme de plusieurs centaines de morts par semaine.

2. Bien sûr, les NAF souffrent également d’un taux élevé de pertes actuellement. Toutefois, il est clair que c’est à un niveau sensiblement moindre que l’armée ukrainienne. Comme je l’ai dit dans l’article du Russia Insider, le porte-parole des NAF a indiqué que, selon eux, le ratio des pertes est de 4 sur 1. Colonel CASSAD pense que pendant la période où l’armée ukrainienne a perdu 1800 hommes au combat, les NAF ont déploré 600 victimes. C’est un rapport de 3 à 1.

Je pense que les pertes des NAF ont été plus élevées au cours des 3 dernières semaines parce que les NAF ont été à l’attaque la plupart du temps. Lorsque cette étape se terminera avec la fermeture totale de la poche de Debaltsevo, je pense que le nombre de morts va beaucoup diminuer. Par contre, avec l’effondrement du chaudron, le nombre des morts ukrainiens va augmenter surtout s’ils continuent de se livrer au même genre de contre-attaques stériles que d’habitude.

3. Comme je l’ai dit dans l’article de Russia Insider, l’armée ukrainienne ne peut tout simplement pas continuer à laisser mourir plusieurs centaines de soldats chaque semaine. Dans la situation actuelle, il ne faudra pas longtemps avant que l’Ukraine ne rende les armes. Je le crois d’autant plus que je pense avoir grandement surestimé le nombre total de soldats ukrainiens dans le Donbass dans mon article sur Russia Insider. J’ai évalué leur nombre à environ 60 000 en me basant sur l’été dernier. Mais je crois maintenant qu’il y en a beaucoup moins, ce qui explique l’effort de mobilisation dont j’ai longuement parlé dans l’article du Russia Insider.

4. Au plan politique, la RPD / RPL adoptent une ligne très dure dans les négociations. Pour être plus précis :

(1) ils contestent maintenant formellement la nature des pouvoirs plénipotentiaires de Koutchma, à savoir sa capacité à signer des accords qui engagent formellement et légalement la junte. Ils insistent pour qu’il lui soit officiellement reconnu ce pouvoir.

Comme je l’ai dit précédemment, il n’a jamais fait de doute que Koutchma agissait pour le compte de la junte quand il a signé le Protocole de Minsk et il est vraiment ridicule de le nier. Pourtant la junte refuse de formaliser la position de Koutchma parce que, s’ils admettent officiellement qu’il est leur représentant alors ils admettent officiellement qu’ils négocient avec les NAF, ce que, pour des raisons politiques et idéologiques, ils refusent catégoriquement de faire.

(2) Les NAF ont dit qu’ils seraient d’accord pour un nouveau cessez-le feu sur la base de la ligne de front actuelle mais pas sur la ligne de front du protocole de Minsk. C’est une façon de dire non aux appels à un cessez-le-feu parce qu’ils savent parfaitement que la junte n’acceptera pas cette condition. Il faut d‘ailleurs noter que les NAF ont rejeté la demande d’un cessez-le feu temporaire de sept jours à Debaltsevo aujourd’hui. Je pense que c’est la première fois que les NAF rejettent une demande de cessez-le-feu.

C’est un complet retournement de situation. Au printemps et à l’été derniers, c’était la NAF (et les Russes) qui demandaient instamment un cessez-le-feu et la junte qui ignorait leurs appels tout en faisant semblant d’être d’accord. La situation s’est inversée. C’est le signe clair que ce sont maintenant les NAF qui ont l’initiative.

(3) Les Russes soutiennent la même ligne de front que les NAF. On n’en a pas entendu parler, mais hier, 2 février 2015, Interfax a fait cette annonce, aussi brève que capitale, à 20h03, heure de Moscou :

"Le Kremlin a déclaré : la ‘ligne dure’ des milices de l’Est de Ukraine est absolument justifiée".

Comme je l’ai dit précédemment, les Russes ont abandonné l’espoir que l’Occident force la junte à négocier. Cette déclaration en est une preuve supplémentaire. Les NAF ont le feu vert de Moscou pour poursuivre leur offensive.

(4) Pour comprendre pourquoi les Russes ont abandonné l’espoir d’une solution négociée, penchez-vous sur la dernière déclaration de Porochenko aujourd’hui même. Même si tout s’effondre autour de lui, il continue à rejeter les appels à la fédéralisation et continue de dire que l’Ukraine restera un Etat indivisible. Comme je l’ai dit précédemment, la nature idéologique et politique de la junte lui interdit toute autre réponse et tous ceux qui pensent que la junte acceptera d’elle-même un compromis se mettent le doigt dans l’œil.

5. Je ne parlerai pas de ce qui ressemble à un début de crise politique à Kiev, car il y a d’autres analystes qui en savent plus que moi là-dessus.

Alexander MERCOURIS

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Commentaire du Saker : voici ce que je ai écrit dans la section des commentaires de Russia Insider sous l’analyse d’Alexandre.

Puisque Alexander a eu l’amabilité de mentionner mon nom, je veux juste dire que je suis *entièrement* d’accord avec son analyse, surtout quand il prédit de nouveaux désastres à l’armée ukrainienne. Il a également raison quand il dit que le nombre d’Ukrainiens tués est une catastrophe humanitaire : on pourrait bien assister à quelque chose de tout à fait étonnant - une guerre où il y a plus de victimes militaires que de victimes civiles. Qui plus est, je pense aussi que la décision d’arrêter le massacre ne dépend pas de Kiev, mais de Washington. Cette guerre va durer aussi longtemps que les États-Unis veulent maintenir la plaie ouverte et laisser le sang couler, et aucune quantité "d’aide" occidentale (létale ou autre) n’inversera la tendance dans cette guerre. La seule question est de savoir combien d’Ukrainiens seront sacrifiés avant que cette abomination ne s’arrête enfin. La « solution » à cette guerre est évidente et tout le monde la connait : une Ukraine nominalement indivisée, avec une autonomie culturelle, économique et politique pour *toutes* ses régions, pas seulement le Donbass, et la pleine reconnaissance des autorités novorusses comme partenaire d’égale importance dans les négociations. Toutes les sottises sur les "9 000 soldats russes" qui auraient "envahi" l’Ukraine et la présentation de la Russie comme "pays agresseur" (comme le dit la Rada) ou l’affirmation insensée que la RNL et la RND sont des « organisations terroristes » (position officielle de Kiev) ne font que retarder la fin inévitable et augmenter le nombre des morts inutiles. Enfin, je pense également que les États-Unis / OTAN ne sont pas en capacité d’envoyer des forces pour écraser les Novorusses et donc ils ne le feront pas. Ce que les États-Unis / OTAN peuvent faire et feront c’est fournir de l’aide financière et de l’aide militaire, et beaucoup de grands mots, de paroles en l’air et de promesses vides. Ce ne sera pas suffisant. L’analyse d’Alexander est parfaite.

Bravo !

Le Saker

Traduction : Dominique Muselet

 http://www.vineyardsaker.blogspot.fr/2015/02/war-in-ukraine.html

COMMENTAIRES  

04/02/2015 22:11 par Dwaabala

ce qui ressemble à un début de crise politique à Kiev,

Après qu’une nouvelle vague de troubles a envahi l’Ukraine, la Rada Suprême a décidé d’organiser une élection présidentielle anticipée, a fait libérer l’ancienne première ministre Ioulia Timochenko et a adopté une loi sur le retour à la Constitution de 2004, qui limite les pouvoirs du président.
http://fr.sputniknews.com/trend/reglement_situation_en_ukraine_02_2014/#ixzz3QoS1Bx5u

04/02/2015 23:27 par va savoir

Une côte glaçante : tuer à 3/1

Pourtant, ce soir, j’en arrive aux mêmes conclusions plutôt par le biais des motivations comparées des belligérants. Il me semble que le camp le + avantagé reste celui qui a le + à perdre s’il n’est pas prêt à mourir pour, in fine, ne pas "mourir".
Mais tout ça c’est du blabla. Reste l’être humain, la vie décimée aux 4 coins de la planète à cause de .....

Je finirai par trouver les épidemies de peste/choléra sympathiques car impartiales, n’ayant aucun objectif pernicieux, sans cible privilégiée, nul motif politique, frappant en aveugle, tuant dans toutes les tranches (âge, sexe, ethnie, religion...) très démocrates au final !

05/02/2015 09:46 par hf

Détrompe toi, hélas, pour de nombreuses raisons (alimentation, revenus, mobilité...), les épidémies ont toujours frappé plus fortement les catégories populaires que les privilégiés. et parmi elles les plus pauvres.

05/02/2015 20:11 par va savoir

c’est juste ! cependant, comme tu l’as souligné, la "richesse" a une faille, la mobilité : comment passer -et trépasser- d’une épidémie à une pandémie.
Chaque état a ses points forts/points faibles. "Fuyant afin d’échapper aux miasmes mortels, elle les emportait clandestinement dans ses bagages"

07/02/2015 10:14 par hf

Là aussi il faut nuancer. Il est des "maladies" qui ne s’exportent pas comme la faim, sinon elle aurait été soignée depuis longtemps. Après 1945 et la mise au point des avions intercontinentaux par les EU (les "forteresses volantes" ensuite utilisées dans le civil), tout rentre en contact rapidement. La capacité à la mobilité croissante et toujours plus rapide impose des mesures de préservation.
Même si ce n’est pas la seule, l’une des dimensions des plans de l’OMS dans les années 1950 fut de contenir les maladies transmissibles et porteuses de pandémie comme tu le dis, par des campagnes de vaccins. Le SIDA est le contre-exemple d’une maladie mal contenue qui a gagné ensuite les pays du "nord" ; les mesures contre ebola vont dans le même sens.
Pour ce qui concerne les conditions de vie et l’alimentation c’est une autre paire de manche ; elles ne traversent pas les océans par avion...
Il ne s’agit pas d’oublier le merveilleux dévouement de médecins occidentaux, cubains et autres qui risquent leur vie dans ces régions difficiles, mais tout ne se traite pas à égalité selon les régions, ni selon les "pathologies" qui affectent notre humanité.

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