RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher
La chronique de Recherches internationales

Non au TAFTA, un traité inique, qui enfreint les textes des Nations Unies !

Le traité sur la mise en place d’une zone de libre-échange transatlantique (désigné par son sigle anglais TAFTA ou TTIP), qui est en cours de négociation dans la plus grande discrétion entre les dirigeants des États-Unis et de l’Union européenne (UE), et qui pourrait aboutir à la création de la plus vaste zone de libre-échange du monde (29 États, 820 millions d’habitants, de part et d’autre de l’Atlantique), serait très néfaste pour les travailleurs. Prévoyant l’élimination des droits de douanes, la suppression des « obstacles non-tarifaires » au commerce (comme le contrôle sur la qualité des importations), l’harmonisation des normes et des réglementations, il pourrait faire sauter les normes européennes en matière sociale ou environnementale, qui sont plus avancées que celles des États-Unis. Ainsi, cela pourrait remettre en cause la liberté syndicale, ou ouvrir l’Europe au boeuf aux hormones américain...

En outre, le TAFTA prévoit que les grandes multinationales, si elles s’estiment « discriminées » par une réglementation, peuvent réclamer des indemnités aux États, devant des tribunaux d’arbitrage privés. Elles auront le droit de faire condamner des États par des tribunaux d’arbitrage privés opérant en dehors de la juridiction nationale, les ISDS (« investor state dispute settlement »).

Dans ces tribunaux privés, ce n’est même pas un magistrat officiel qui juge, mais l’entreprise plaignante qui choisit un premier arbitre, l’État poursuivi un autre, et les deux parties, un troisième. Ces arbitres sont choisis dans un cercle très étroit et fermé, et très favorable aux milieux d’affaires. « On confie à trois individus privés le pouvoir d’examiner, sans aucune restriction ni procédure d’appel, toutes les actions du gouvernement, toutes les décisions de ses tribunaux, toutes les lois et régulations émanant de leur parlement. », comme le résume Juan Fernandez-Antonio, lui-même arbitre international, interviewé dans Fakir [1]. Ces ISDS fournissent une protection aux investisseurs mais pas aux États ni à la population. Ils permettent aux investisseurs de poursuivre des États, mais pas l’inverse ! Par exemple, le groupe nucléaire suédois Vattenfall poursuit en justice le gouvernement allemand pour sa décision d’abandonner l’énergie nucléaire après la catastrophe de Fukushima, et l’entreprise français Veolia, qui avait lancé une filiale de traitement des déchets en Égypte, filiale qui avait peu fait recette, a attaqué le gouvernement égyptien pour avoir augmenté le salaire minimum à la suite de la révolution arabe de 2011. Ces affaires ont déjà coûté aux gouvernements des centaines de millions d’euros. Cette justice est si inique que certains pays ont décidé de l’abandonner : l’Australie, la Bolivie, l’Équateur, l’Afrique du Sud.

Le TAFTA constitue aussi une grave menace pour l’exercice du droit syndical et les protections sociales, comme le salaire minimum. En effet les normes sociales seraient uniformisées sur celles des États-Unis. Or ce pays ne reconnaît pas la plupart des conventions fondamentales de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la protection des travailleurs (liberté de réunion, droit aux négociations collectives), car il les considère comme des entraves au commerce et à la libre concurrence.

Au nom du respect de la sacro-sainte « concurrence libre et non faussée », les multinationales pourraient par exemple obliger des États à privatiser entièrement les services de santé ! Les multinationales pourraient aussi contester les standards de l’OIT comme discriminants, elles pourraient faire valoir que la protection des travailleurs et des droits syndicaux sont des obstacles au commerce et au libre échange.

De plus, le TAFTA va à l’encontre de plusieurs textes importants des Nations unies, comme les conventions de l’OIT et le principe directeur n°9 de l’ONU sur les affaires et les droits de l’homme, qui prévoit que les États doivent s’assurer que les accords sur commerce et l’investissement ne contraignent pas leur capacité à assurer leurs obligations concernant les droits de l’homme. Un expert des Nations unies, l’avocat américain d’origine cubaine Alfred de Zayas, s’est récemment publiquement élevé contre le TAFTA et a réclamé la suspension des négociations menées entre États-Unis et Union européenne pour faire adopter ce projet. Alfred de Zayas, nommé « rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable », a préparé pour l’ONU un rapport sur les tactiques utilisées par les multinationales dans les négociations du TAFTA pour arriver à leurs fins. Il juge sévèrement les ISDS, qui constituent selon lui « une tentative d’échapper à la juridiction des tribunaux nationaux et de contourner l’obligation de tous les États d’assurer que toutes les affaires juridiques soient traitées devant des tribunaux indépendants qui soient publics, transparents, responsables et susceptibles d’appel ». Il ajoute que le TAFTA enfreindrait la Charte de l’ONU, signée par tous les États membres : en effet, « l’article 103 de la Charte de l’ONU dit que s’il y a un conflit entre les dispositions de la Charte et n’importe quel autre traité, c’est la Charte qui prévaut » [2].

Le TAFTA pourrait ainsi aggraver dramatiquement la pauvreté et la précarité dans l’Union européenne. Face à ces dangers, la CNUDCI, Commission des Nations unies pour le droit commercial international, a adopté en 2014 la « Convention sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondé sur des traités » : c’est un ensemble de règles de procédure qui visent à rendre publiquement accessibles les informations sur les arbitrages entre investisseurs et États découlant de traités d’investissement, de sorte que tous les textes du TAFTA soient rendus publics afin que dans tous les pays de l’UE, les parlementaires et les citoyens aient du temps pour les examiner et les évaluer de manière démocratique. C’est un pas vers plus de transparence dans les jugements rendus par les ISDS.

C’est maintenant à nous, les peuples, de peser pour que les textes et les valeurs humanistes de l’ONU prévalent sur ces tribunaux arbitraires qui sont l’expression du néolibéralisme le plus effréné, et de faire pression pour que le TAFTA ne soit pas adopté.

Chloé MAUREL
Docteure en histoire, spécialiste des Nations unies

Août 2016

Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.

6, av. Mathurin Moreau ; 75167 Paris Cedex 19

Site :http://www.recherches-internationales.fr/ Mail : recherinter@paul-langevin.fr

Abonnements 4 numéros par an : 55 Euros, Étranger 75 Euros

[1Sylvain Laporte, « TAFTA : les tribunaux du diable », Fakir, n°69, avril 2015, http://www.fakirpresse.info/tafta-les-tribunaux-du-diable

[2« UN calls for suspension of TTIP talks over fears of human rights abuses », The Guardian, 5 mai 2015, consultable en ligne sur https://www.theguardian.com/global/2015/may/04/ttip-united-nations-human-right-secret-courts-multinationals


URL de cet article 30768
   
Même Thème
Le Grand Marché Transatlantique : La menace sur les peuples d’Europe
Raoul Marc JENNAR
« Quelque chose doit remplacer les gouvernements, et le pouvoir privé me semble l’entité adéquate pour le faire. » Ces mots confiés par David Rockefeller au magazine américain Newsweek, le 1 février 1999, fournissent la clé pour comprendre ce qui se passe depuis une trentaine d’années et qu’on appelle « mondialisation néolibérale ». Déléguer au secteur privé la maîtrise des choix ou, pour l’exprimer à la manière pudique de journaux comme Le Monde ou Les Echos, « redéfinir le périmètre de (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Le rôle d’un bon journaliste est de s’en prendre aux abus de pouvoir des puissants. Et lorsque cela arrive, la réaction est toujours violente.

Julian Assange

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.