Le commerce peut-il être « équitable » ? par Michel Charvet.





Convergences Révolutionnaires, 27 novembre 2006.


Tous équitables ?


L’équitable fait fureur. Même à l’Élysée et à Matignon, on sert du café équitable ! Des grandes entreprises s’y sont mises : Starbucks et les hôtels Accor ne rechignent pas à proposer du café équitable, La Poste fournit des tenues « équitables » à ses facteurs (enfin, seul le coton est équitable, la confection reste dans le circuit industriel « classique » !). Et, surtout, des grandes marques de l’agroalimentaire comme Nestlé et de la distribution (Leclerc, Monoprix, Auchan, etc.) proposent des produits équitables, attirées par leur croissance de 50 % en 2005.

Dans le monde du commerce équitable, les attitudes diffèrent vis-à -vis de cette évolution. Certaines associations, comme Artisans du Monde ou Minga continuent à développer leurs filières propres de commercialisation, avec leurs propres boutiques tenues à l’aide de bénévoles. Mais d’autres acteurs du commerce équitable s’intègrent dans le circuit qui arrive dans les rayonnages des grandes surfaces : on pense bien sûr, entre autres, à Max Havelaar et son logo, ou à la société commerciale Alter Eco. Pour ces derniers, cette évolution est favorable et permet au commerce équitable de prendre un nouvel envol.


Requins équitables ?

Max Havelaar n’est qu’un « label », une étiquette garantissant que l’association a vérifié que le produit a été acheté à un certain prix au producteur. Max Havelaar n’achète, ne vend rien. Parfois, il décerne son label à des produits qui passent par des circuits associatifs ou des entreprises spécialisées dans l’équitable comme Alter Eco (une société anonyme dont les actionnaires, comme la société financière Unigrains [1], spécialisée dans l’agro-alimentaire, comptent bien tirer des dividendes un jour !). Mais, souvent, derrière l’étiquette Max Havelaar, ce sont directement des grandes entreprises agroalimentaires, les principales responsables de la misère des petits producteurs, qui achètent les produits équitables aux coopératives. Au Mali et au Sénégal, le coton équitable Max Havelaar (celui qui habille les postiers...) est acheté par Dagris, compagnie française, héritière de l’ancienne compagnie coloniale du textile, et dont l’activité principale consiste à continuer d’exploiter de façon « non équitable » les producteurs de l’Afrique de l’Ouest. Et comme un même importateur peut acheter à la même coopérative de producteurs une part équitable et une part non-équitable de production (la part équitable peut ne représenter que 10 % de la production d’une coopérative), on imagine que tous les chantages sont possibles dans les négociations. C’est ainsi que, pour certaines coopératives, lors de la baisse des cours mondiaux d’un produit, la part d’équitable qui leur est achetée baisse significativement. La promesse du commerce équitable de garantir un prix d’achat minimum au producteur ne se réalise alors tout simplement pas !

Outre l’achat, les circuits de transport, de mise en conditionnement, de torréfaction des produits sont donc souvent les circuits classiques. L’étiquette « équitable » peut être un prétexte pour Nestlé ou Malongo de surfacturer au consommateur une marge supplémentaire. Pour ces trusts qui se sont mis à l’équitable, c’est tout bénéfice !

Comme Max Havelaar décerne ses labels sans toujours réellement se donner les moyens de contrôler la réalité du terrain (tout en se faisant payer pour ce label par les producteurs !), on trouve de tout parmi les coopératives labellisées. Par exemple, comme l’avait révélé l’émission du 2 avril 2006 de Capital, une plantation d’orangers au Brésil qui emploie des salariés agricoles à des conditions de salaire et de travail tout sauf « éthiques », mais dont les propriétaires ont une villa confortable avec piscine. Fedecocagua, une fédération guatémaltèque de coopératives labellisée Max Havelaar, enchaînait des paysans producteurs par des prêts à des taux usuraires (jusqu’à 35 % !) et menaçait de poursuites judiciaires ceux qui préféraient quitter le système « équitable ».

Évidemment, il y a aussi des coopératives qui respectent le principe de redistribuer au producteur, de mettre en place des meilleures conditions de travail, de construire des écoles, tout ce qui est mis en avant dans le commerce équitable. Mais comment contrôler de loin ce qui se passe réellement ? Des rapports peuvent être truqués, des visites préparées pour que le contrôleur qui passe en coup de vent dans une coopérative n’y voie que ce qu’on veut lui montrer. Rien ne pourrait remplacer le contrôle de la population elle-même. Et c’est bien la limite du commerce équitable, quelle que soit la sincérité de ses initiateurs.


Débat dans le monde de l’équitable

Il est vrai que certaines associations du commerce équitable sont les premières à dénoncer ces dérapages, et à dénoncer l’hypocrisie des grandes compagnies qui prétendent faire de l’équitable alors qu’elles sont les premières responsables du commerce « inéquitable ». Pour ces associations, la solution serait un commerce équitable où les acteurs du monde associatif gèrent l’achat et la distribution des produits, dans des boutiques spécialisées. C’est en partie le point de vue développé par Christian Jacquiau dans « Les coulisses du commerce équitable » [2]

Mais l’association Max Havelaar n’a pas tort quand elle pointe que, pour faire de l’équitable en grand pour des millions de producteurs en touchant des millions de consommateurs dans le monde d’aujourd’hui, il faut passer par les grandes filières de commercialisation.

Artisans du Monde reconnaît dans une étude sur « l’impact de 25 ans de commerce équitable », publiée en 2004, les limites de leur intervention. Pour une bonne part des artisans producteurs, l’activité pour le marché équitable est une activité d’appoint, qui améliore le quotidien mais qui n’est guère plus rentable que le travail agricole ou la production artisanale pour le marché local. Les producteurs voient souvent Artisans du Monde comme un partenaire commercial comme un autre, sans percevoir la notion de commerce équitable. Artisans du Monde n’ayant qu’une capacité d’écoulement limitée, ils ne peuvent absorber qu’une part des productions. Et comme le marché équitable écoule des produits de meilleure qualité, les « producteurs les moins performants » (comme l’écrit ce rapport) se retrouvent exclus du circuit, voire licenciés des ateliers. Le travail à domicile payé à la pièce est fréquent. Certes, les situations sont diverses et, dans d’autres ateliers, les conditions de travail et de rémunération des producteurs sont meilleures. Reste que le bilan qu’Artisans du Monde présente de son action est bien mitigé.

Alors commerce équitable dans les grandes surfaces ou pas ? Ce n’est pas la vraie question. Le commerce équitable ne peut pas résoudre les problèmes des populations des pays pauvres. Le développement de ces pays ne peut pas passer par une spécialisation de quelques filières économiques comme le café, le coton, l’artisanat traditionnel qui seraient soutenues par la bienveillance des consommateurs occidentaux. C’est bien la domination de l’impérialisme et des trusts qui est en cause. Même quand ils essayent de se donner une image « éthique » !

Michel Charvet
Extrait du dossier : "Le commerce peut-il être « équitable » ?". A lire.



- Source : Convergences Révolutionnaires
www.convergencesrevolutionnaires.org






Commerce équitable et justice globale, par James O’Nions.


Plus de 860 millions de personnes souffrent de faim. 30 millions de personnes en meurent - Nieleny 2007, Forum Mondial pour la Souveraineté Alimentaire.


OMC et Agriculture : ruine et exode rural pour des millions de paysans du Sud, par Meena Raman.

Une autre solution miracle pour l’Afrique ? Bill Gates va ressusciter la Révolution verte déclinante de la Fondation Rockefeller, par Grain.






[1N.d.l.r. - voir aussi au sujet des participations d’ Unigrains dans les OGM www.e-torpedo.net, et d’ autres informations sur le site du SEL de Paris www.seldeparis.org.

[2Les coulisses du commerce équitable - Mille et une nuits, Fayard, 2006. - 22 € - 476 pages.


COMMENTAIRES  

03/12/2006 11:47 par Robert

C’est une bon texte mais je vous invite à lire l’enquete qu vient de consacrer le Nouveau Consommateur à ce thème.
www.nouveauconsommateur.com
Robet

15/12/2006 17:06 par mireille

Suite à l’article sur le commerce équitable, je souhaiterai apporter une information importante sur les cafés MALONGO qui mettent en avant ce genre de commerce, mais qui en réalité ne s’en sert que de publicité pour vendre l’ensemble de ses produits qui lui rapporte un beau pactole puisque aujourd’hui par l’intermédiaire d’une SCI (ANTIGUA)créée dans le but d’investir la somme de 25 millions d’euros dans un lieu prestigieux avec vue sur mer et montagnes (village de LA GAUDE, haut perché de l’arrière pays nicois) mais qui ne possède aucune structure routière adaptée aux nécessités de cette société et qui engendrera des couts énormes supplémentaires de transport, MALONGO s’acharne à vouloir s’imposer sur ce site classé par la DATAR "pole de compétitivité mondial solutions cummuniquantes sécurisées, malgrè l’opposition des communes et populations environnantes qui s’opposent à l’implantation d’usines classée à 20 M de chez eux. Le directeur n’hésite pas à faire savoir qu’il aurait l’appui des politiques, ce qui est vrai car nous le constatons aujourd’hui. Il semblerait que d’autre part, le prix du kilo de café payé par MALONGO aux petits producteurs soit inférieur à d’autres enseignes, si j’en crois la lecture d’articles précédents parus dans la presse

03/12/2006 15:19 par Anonyme

La misère équitable,pour des super profits non équitables .

03/12/2006 20:31 par raphaël

Article intéressant, et moins partial que d’autres. Je suis toutefois un peu triste d’y trouver comme référence l’émission Capital de M6.

En effet, concernant cette histoire de "piscine " - qui reflète par ailleurs à mon avis assez le profond mépris voire un certain neo-colonialisme de certains pour le Sud -, Reginaldo, le gérant de la coopérative brésilienne COAGROSOL avait apporté la réponse suivante (en espagnol) :

"Sobre el tema de la piscina, es ridà­culo, pues hablan de un tanque con un poco de agua que un productor tiene para sus hijos y nietos bañarse cuando tenemos 40 grados de calor. En verdad los que tienen plata aqui tienen sociedad en clubes de recreo que realmente tienen piscinas, y no tanques con un poco de agua.
Es lamentable que estas personas miran las cosas asi, me parece que quisieran encontrar aqui personas muriendo de
hambre, sin ropas o cosas asà­. Tenemos en este momento un fuerte cambio por los impaclos de C.J. [comercio justo] y por el trabajo de la cooperativa, y creo que eso es la finalidad del C.J.
"

TRADUCTION : "Au sujet de la piscine, c’est ridicule, ils s’agit d’un tank avec un peu d’eau qu’un producteur
a fait pour que ses petits enfants puissent se baigner lorsqu’il fait 40 degrés. Ceux qui ont de l’argent ici, oui ils ont des piscines dans leurs clubs privés, et pas des tanks d’eau. C’est lamentable de voir que ces personnes voient les choses de cette façon, j’ai I’impression qu’ils veulent trouver ici des personnes qui meurent de faim, sans vêtements et des choses de ce
type. Nous avons aujourd’hui un véritable impact grâce au commerce équitable et au travail de la coopérative, et cela correspond à la finalité du commerce équitable ".

Par ailleurs, le même reportage montre un cueilleur qui explique qu’il gagne le même salaire chez un producteur de Coagrosol ou chez un autre producteur.
Le reportage se garde bien en effet d’expliquer que les cueilleurs bénéficient de projets sociaux financés par la prime de développement. Si au lieu de souligner la question du salaire du cueilleur on avait montré les différents projets sociaux, l’impression du public aurait été toute autre.

Ces projets sont :
- Le centre de formation à l’informatique géré par le syndicat pour les enfants de cueilleurs,

- Les actions du centre Patrulha Mirirn de formation professionnelle de jeunes en situation d’insertion (mécanique, etc.),

- Le projet de fabrication d’aliments pour des compléments alimentaires destinés à résoudre les problèmes de malnutrition des enfants,

- Le projet d’alphabétisation des adultes menées par le syndicat lui-même.
Puisqu’il s’agit de "moyens producteurs", COAGROSOL est traité par FLO comme une situation intermédiaire entre petit producteur (registre des petits producteurs) et une plantation
(registre des plantations), c’est-à -dire qu’en plus d’un prix minimum garanti dont bénéficient les producteurs (règle du registre des petits producteurs), la prime de développement est gérée par un organisme collectif qui réuni les producteurs et le syndicat de cueilleurs d’oranges (registre des plantations).

La prime de développement dans le cas de jus d’orange n’est pas mince. Elle est de 100 USD pour un prix minimum de 1200 USD /T. Pour 1 tonne de concentré, il faut 8 tonnes d’oranges.
Donc la prime de développement correspond à 16% du prix que perçoit le producteur. On ne peut pas dire dans ce contexte que ce sont des miettes !! En 2004, la prime était de 100.000 USD, elle semble avoir doublé en 2005.

Le choix des projets à financer est donc décidé par le syndicat et COAGROSOL. 38% du montant a été utilisé par COAGROSOL, donc en faveur des producteurs, et 62% pour des projets sociaux proposés par le syndicat.

Le syndicat de cueilleurs, partenaire de COAGROSOL dans ce projet de commerce équitable, considère aujourd’hui qu’il est préferable d’investir la prime dans des projets de formation ou sociaux, plutôt que d’accroître le salaire. Pour eux, le plus important est que le salaire légal soit garanti et que le commerce équitable permette aux producteurs d’assurer de bonnes
conditions de travail.

Aujourd’hui, les cueilleurs liés au syndicat travaillent pour plus de 1300 producteurs d’orange de la région. Les cueilleurs tournent d’une exploitation à I’autre, et pas toujours sur des
exploitations liées à COAGROSOL. La coopérative a un projet pour améliorer la situation.

Elle propose à un groupe de cueilleur de monter une association spécifique de travailleurs qui utilisera la prime directement. Cela permettra d’éviter de diluer les effets de la prime sur
l’ensemble des travailleurs à travers des projets sociaux. Ce choix de concentrer les effets du commerce équitable sur un groupe de personnes présente plusieurs avantages, et au moins il permettra de montrer plus concrètement les résultats devant une caméra de télévision.

Nous sommes dans une démarche de progrès qui est un élément clé du commerce équitable. Cette démarche est donc souvent critiquée pour cela : certains aimeraient avoir des résultats plus "purs", sur toute la chaîne, ...etc. L’avantage, c’est que les résultats sont mesurables - et mesurés (cf. www.avsf.org) - et sont une alternative concrète au commerce traditionnel, si inéquitable !

07/08/2007 19:54 par Croa

Je crois tout ce qui est dans cet article. Toutefois le fond est mal perçu en ce sens que le tournant prit par certaines filières était tout à fait prévisible.
Le but de mouvements tels qu’Artisans du Monde est de démontrer la viabilité d’un commerce équitable. Cet objectif est attein et confirmé dans la durée.
Généraliser celui-ci ne peut être que le fruit de règlementations, donc de décisions politiques. Nous en sommes encore très loin !

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