Charles Koskas nous informe de la création de l’association "Mémoire et politique" et nous transmet la déclaration d’intention qui sera soumise à discussion lors de l’assemblée fondatrice de l’association qui aura lieu le Vendredi 24 janvier 2003 à 19h30 à la Salle Chaptal, R.de C. de l’Hôtel de l’Industrie, 4 Place Saint Germain des Près, Paris 6ème.
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Déclaration d’intention
1. La gauche française entre dans le XXIe siècle en portant le fardeau d’une double défaite. Le communisme stalinien a discrédité l’idée même de révolution, associée à une inévitable dégénérescence dans le totalitarisme. La social-démocratie a dévalorisé l’idée même de réforme, associée à une inévitable adaptation au capitalisme. Réforme, révolution : aux deux pôles qui dessinaient l’horizon du possible et du souhaitable pour tous ceux qui ne se satisfont pas de l’ordre des choses, les repères sont brouillés. Le doute et le scepticisme, la résignation ou la confusion s’installent. C’est cet horizon qu’il faut retrouver. Ce sont ces repères qu’il faut réinventer.
2. Car la gauche traverse une crise sans précédent née de ce double discrédit. Ses diverses composantes, qu’elles se réclament de la réforme ou de la révolution, ont beau présenter des programmes, aucun ne réussit à masquer l’absence de projet. Le programme dit l’immédiat, l’exigence et les revendications. Le projet dit le lointain, l’espérance et la transformation. Cette articulation entre l’un et l’autre, qui, dans l’histoire et les débats de la gauche, recouvre celle de la réforme et de la révolution, fait aujourd’hui défaut. Les réformistes se présentent en meilleurs gestionnaires, les révolutionnaires en meilleurs militants. Mais ni les uns ni les autres ne sauraient nous dire vers quel horizon ils regardent, quel avenir les motive et quel rêve les habite. Les premiers tendent à s’adapter, les seconds se revendiquent des luttes, mais ils ont en commun de rester silencieux sur leur ambition finale : on serait bien en peine de dire à quel monde ils aspirent, au delà des généralités sur l’injustice et l’inégalité.
3. C’est à cette crise de l’imaginaire de la gauche qu’il importe d’abord de s’attaquer. Dans sa diversité, la gauche n’a plus guère d’alphabet commun, désormais remplacé par des vulgates et des automatismes, des invectives ou des opportunismes. Certes, elle sait, d’instinct ou d’expérience, que le « mouvement inconscient » de l’histoire et son moteur supposé infaillible, la lutte des classes, ne suffisent pas à assurer ses lendemains enchanteurs. Elle a compris que cette boîte à outils est trop sommaire pour penser les questions de la démocratie, du droit, du marché, bref de la vie, de l’organisation et de la transformation des sociétés. Mais elle ne sait pas trop par quoi la remplacer, quels outils nouveaux inventer, quels ateliers inédits ouvrir.
4. Par delà les actions immédiates qui peuvent requérir les individus, citoyens et salariés que nous sommes, cet atelier intellectuel nous paraît la véritable urgence. Ayant appris des échecs et des erreurs de la gauche, dopés par l’effondrement de l’Union soviétique et l’échec des tiers-mondismes, néo-conservateurs et néo-impérialistes sont en effet à l’offensive, et leurs armes sont autant idéologiques qu’économiques ou militaires. Leur offensive s’appuie sur un imaginaire du monde dont l’efficacité et la cohérence ne sauraient être sous-estimées, d’autant plus qu’elles profitent des dynamiques de la démocratie et du marché. Il ne suffit pas de lutter au jour le jour, de résister aux injustices et de condamner les inégalités qui sont le lot de notre monde commun, encore faut-il proposer un imaginaire du monde alternatif qui soit porteur d’une démocratie approfondie et d’une liberté accrue.
5. « Mémoire et politique » se propose donc de contribuer à la réinvention d’une langue commune où la gauche, dans sa diversité, puisse retrouver des référents communs. Son ambition est de renouer les fils défaits et dénoués durant le court XXe siècle (1914-1989), ceux qui liaient réforme et révolution au lieu de les opposer et de les affronter. Son souhait est de reprendre le dialogue interrompu en 1914 entre réformistes à principes et révolutionnaires démocrates. Sa figure tutélaire pourrait être Rosa Luxemburg, marxiste révolutionnaire anti-totalitaire avant l’heure, à la fois internationaliste, humaniste et démocrate, dont l’héritage intellectuel s’est perpétué dans l’oeuvre d’Hannah Arendt.
6. Association libre de membres libres, « Mémoire et politique » n’est lié à aucun parti de la gauche, mais n’en exclut aucun de son paysage. Ni embryon de parti, ni annexe d’un courant, elle se veut un lieu de travail et de rencontre, de confrontation et d’élaboration. Les intérêts des partis, syndicats et associations militantes sont respectables, mais ne sont pas son premier souci. Si la crise de la gauche en particulier et du politique en général appelle évidemment des réponses immédiates, elles ne sont pas de son ressort. « Mémoire et politique » vise ailleurs et au-delà : contribuer au réenchantement d’une pensée de gauche en dessinant un horizon de possibles où l’utopie ait à nouveau sa place ; faire droit à la pensée complexe au coeur de la pensée politique en retrouvant les chemins d’un humanisme radical et d’un universalisme concret.
7. Lieu de débat, « Mémoire et politique » se fixe comme règle de vie le libre exercice de la pensée, écrite ou parlée, ce qui signifie le respect des opinions iconoclastes, la discussion des points de vue, l’échange des argumentations. A l’inverse, cette règle proscrit l’invective, l’insulte, la démonisation et le soupçon. Réapprendre à discuter et retrouver une éthique du débat sont aussi des nécessités, tant la gauche politique ou intellectuelle donne aujourd’hui le spectacle d’une succession de monologues où chacun ne parle qu’aux siens, sans souci de l’échange, de l’écoute et de la confrontation. Aussi l’association s’efforcera-t-elle d’organiser la rencontre et le dialogue de pensées situées aux pôles opposés de la gauche, entre réforme et révolution.
8. « Mémoire et politique » associera trois niveaux de travail : des réunions plénières de l’association autour de plusieurs intervenants ; des ateliers approfondissant durant plusieurs séances une même thématique ; des cahiers et un site internet présentant les exposés ou textes que son bureau jugera dignes d’êtres diffusés plus largement.