Ces entreprises qui redécouvrent leur ancrage territorial

Jean-Baptiste Losada

Il semblait acquis que dans la cadre de la mondialisation, les entreprises devaient devenir fluides et se libérer de toute entrave territoriale pour réussir. Or, un nombre croissant d’entreprises raisonne maintenant à l’inverse, en faisant le choix de l’enracinement comme Optic 2000, de la relocalisation des productions comme Rossignol, ou des filières locales comme Auchan. Leur objectif : faire rimer efficacité économique, responsabilité sociale et loyauté territoriale.

Le 3 février dernier, Optic 2000, géant de la vente au détail de lunettes a lancé un nouveau programme « Vision solidaire » à Morez, en plein coeur du bassin historique de la lunetterie française.Ce choix illustre une tendance émergente parmi les entreprises : celle de produire au plus près de leurs clients, mais aussi de lier responsabilité sociale et loyauté territoriale.

Produire au plus près du marché

Plusieurs raisons expliquent ce mouvement. Bien sûr, il y a d’abord les considérations de bonne gestion, bien illustrées par la décision de Rossignol de relocaliser une partie de sa production en France. En janvier 2010, le groupe a en effet choisi de rapatrier à Nevers (Nièvre) une chaîne de production, auparavant située en Pologne, dans laquelle était assemblées ses fixations de skis. Puis, en septembre dernier, il a confirmé ce revirement stratégique en faisant le choix de relocaliser à Sallanches (Haute-Savoie)la fabrication de 60.000 paires de skis junior, jusqu’à présent produites en Asie. Pour expliquer la décision de l’entreprise, Mimmo Salerno, directeur de l’usine de Sallanches, invoque des critères logistiques :« Il est plus efficace de produire en France. Notre marché se situe autour de l’arc Alpin et 95% des matières premières proviennent d’Europe […] Notre production sera ainsi au plus près des besoins, en bonne quantité et au bon moment. »

Favoriser les filières locales

Ce mouvement d’intégration dans des bassins de vie et d’emploi touche aussi la grande distribution. Ainsi, Auchan met en avant sa politique de « collaboration avec 17 500 PME, dont 9.500 prestataires de services généraux et 8.000 fournisseurs qui fabriquent 75% des produits de la marque Auchan et génèrent 34 % du chiffre d’affaires sur les produits épicerie/ frais libre-service ». Une façon de faire justifiée par le souhait de « renforcer l’ancrage local des magasins en proposant des produits de terroir » mais aussi par la nécessité de développer des filières d’approvisionnement stables et de qualité grâce à une politique de partenariats durables. Le groupe souligne ainsi « sa volonté d’offrir de nouveaux débouchés aux PME selon leur potentiel ; dans un ou plusieurs magasins, puis, en fonction des résultats, éventuellement à l’échelle régionale et nationale ».

Plus prosaïquement, l’enseigne a compris que la prospérité de ses magasins était tributaire de celle des zones dans lesquels ils sont implantés. « Fortement impliqués dans la vie locale, les magasins Auchan commercialisent une offre significative de produits locaux ou régionaux pour répondre aux demandes des consommateurs et contribuer au développement économique de la zone où ils habitent », explique l’enseigne de supermarchés.

Jouer la carte du " Made in France "

De la sorte, les entreprises redécouvrent que, même dans une économie globalisée, elles s’inscrivent dans un territoire dans lequel vivent ses clients et à l’égard duquel elles ont des responsabilités. En lançant son programme « Vision Solidaire » destiné à valoriser, dans son réseau de près de 2000 point de vente, les lunettes de fabrication française, Optic 2000 joue la même partition tout à la fois économique et sociale. « Nous estimons que, pour défendre le niveau de vie et le pouvoir d’achat des Français, il ne faut pas seulement voir en eux des consommateurs, mais aussi des travailleurs et des producteurs », explique Yves Guénin, secrétaire général du groupe.

Ici aussi, la démarche passe par le renforcement des liens noués avec les fournisseurs locaux. Avant de lancer un appel d’offre pour la fabrication de 400.000 verres et 150.000 lunettes de « qualité made in France », Optic 2000 s’est assuré que le cahier des charges prenait bien en compte les aspirations de ses clients, les contraintes de rentabilité des fabricants et les exigences de maîtrise des coûts exprimées par les organismes complémentaires d’assurance maladie. L’objectif : inscrire la responsabilité sociale dans une action territoriale concrète et bénéfique pour tous.

Des démarches soutenues par les clients

Les entreprises qui, comme Optic 2000, Rossignol ou Auchan redécouvrent ou cultivent les liens qui les unissent à un territoire, retissent aussi des liens avec leurs clients. La crise économique et sociale a en effet renforcé la désillusion à l’égard de la mondialisation et la défiance à l’égard des entreprises qui en jouent pour s’exonérer de leurs responsabilités sociales. Dans ce contexte, les consommateurs sont dès lors mieux disposés à l’égard des marques qui font le choix de l’éthique et de la loyauté. A l’occasion d’un sondage réalisé voici quelques mois pour LSA, un magazine dédié à la grande consommation en France, 71,5 % des Français affirmaient que renforcer le label « Made in France » était, selon eux, une bonne idée. 51,7 % disaient y voir un « garantie de qualité » et 56,6 % une « protection des emplois ». Demain, responsabilité sociale et loyauté territoriale pourraient bien aller de concert.

COMMENTAIRES  

30/06/2011 12:15 par babelouest

Pour idyllique que puisse paraître ce concept en soi louable de la reprise en compte du terroir, il doit se doubler de considérations plus terre à terre.

Délocaliser pour délocaliser était stupide : les entreprises assez intelligentes pour intégrer cette prise de conscience, pour ne pas appliquer bêtement ce que rabâchent des écoles de commerce hyperformatées, l’ont bien compris. A elles de faire des émules parmi des managers plus obtus, et plus difficiles à dévisser de convictions apprises à grands frais dans des officines adeptes de l’École de Chicago.

En revanche, on notera que les conditions auxquelles les grandes surfaces assujettissent leurs fournisseurs sont si drastiques que les producteurs en meurent commercialement. Produire à perte des bestiaux ou des salades ne dure qu’un temps assez bref. Il sera donc nécessaire que les centrales d’achat sachent contenir les appétits d’actionnaires bornés et avides. A long terme (un terme que le capitaliste ne connaît pas), tout le monde, y compris les porteurs d’actions, y gagnera.

C’est cela qui est essentiel, une meilleure entente entre tous, ou un jour une révolution peut ruiner, voire "dézinguer" l’actionnaire confit dans son cocon de profiteur. Redisons-le, cette notion de l’avenir occulté par le profit immédiat peut tuer.

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