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Comment l’Europe va-t-elle réagir à l’abandon de l’accord iranien par Trump ? (Counterpunch)

Gary Leupp

Les gens se demandent comment l’Iran va réagir au retrait des États-Unis du Plan d’action global conjoint signé par l’Iran, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, la Chine et la Russie en juillet 2015. Moi, je me demande comment l’Allemagne, la quatrième économie mondiale, va réagir. Le mois dernier, lors de son sommet avec Trump, Angela Merkel a réitéré le ferme soutien de l’Allemagne à l’accord. Je me demande comment la France va réagir. Emmanuel Macron, qui a également eu un sommet avec Trump le mois dernier, a confirmé le soutien inaltérable de la France. Je me demande comment la Grande-Bretagne va réagir. Theresa May a qualifié l’accord de ’vital’ et le ministre britannique des affaires étrangères Boris Johnson est allé à Washington pour insister sur la nécessité de maintenir l’accord.

L’Allemagne et la France figurent parmi les dix principaux partenaires commerciaux de l’Iran (malgré les sanctions). Ils veulent accroître leurs échanges commerciaux avec la 27e économie mondiale, ainsi que leurs investissements. Avec son territoire immense, sa population instruite de 80 millions d’habitants, ses riches ressources naturelles et son ouverture de capitaux étrangers, l’Iran apparaît comme une excellente opportunité d’investissement.

L’Allemagne représente 60 % des investissements de l’UE en Iran. Elle vend des machines, des métaux, des produits chimiques et des véhicules ainsi que des produits agricoles, et affiche un excédent commercial substantiel avec le pays. Ses investissements ont augmenté d’environ 25 % par an au cours des dernières années. Les capitalistes allemands attendaient cet accord avec impatience. En janvier, le constructeur automobile iranien Khodro a signé un contrat avec Daimler pour commencer à produire des voitures Mercedes-Benz en Iran cette année. C’est le genre de coopération que les États-Unis veulent maintenant empêcher, en décourageant le financement international et en appliquant des sanctions à ceux qui défient leurs objectifs géopolitiques. On peut s’attendre à voir monter en Allemagne le ressentiment à l’égard des États-Unis s’ils exigent que les capitalistes allemands se soumettent à la politique étasunienne en Iran et ailleurs.

Les frictions au sujet de la politique iranienne s’ajoutent aux difficultés que rencontre l’économie allemande à cause des sanctions contre de la Russie. Celles-ci ont été exigées par Washington en 2014, au prétexte de l’agression russe en Ukraine. (En vérité, un coup d’État soutenu par les États-Unis pour provoquer un changement de régime, l’adhésion à l’OTAN, l’expulsion de la Russie de ses bases navales historiques en Crimée et leur acquisition par l’OTAN a suscité une réaction prévisible de la Russie ; alors Washington a protesté, appliqué des sanctions et exigé de ses partenaires occidentaux qu’ils fassent de même). Une étude de l’année dernière indique que les sanctions ont coûté quelque 65 milliards de dollars à la Russie, et que les contre-sanctions ont coûté aux États-Unis et à l’Europe plus de 50 milliards de dollars. 40% de ces pertes ont été des pertes allemandes.

Beaucoup d’Allemands influents s’opposent aux sanctions. L’ancien chancelier Gerhard Schröder (prédécesseur de Merkel pendant sept ans) s’oppose aux sanctions (et il dit même qu’il comprend pourquoi la Russie a repris la Crimée). Les ministres-présidents de Saxe-Anhalt et de Thuringe ont tous deux appelé à la fin des sanctions, qui sont particulièrement préjudiciables à leurs économies. La plupart des gens se rendent compte qu’elles ont été adoptés par l’UE sous la pression des États-Unis (avec l’aide du Royaume-Uni, le principal agent de Washington au sein de l’UE, qui en était encore membre), et qu’elles entraînent l’Union, à son corps défendant, vers une confrontation avec la Russie pour le compte des États-Unis.

Entre-temps, plusieurs guerres impérialistes au Moyen-Orient inondent l’Europe de réfugiés, en particulier l’Allemagne. C’est comme si les Etats-Unis exigeait que l’Europe prenne en charge le coût humain de leurs interventions irresponsables et catastrophiques dans des régions voisines de l’Europe. (Nous, on les bombarde, et vous, vous en occupez ! Si vous ne voulez pas les accueillir vous n’avez qu’à construire des murs et mettre en prison les musulmans qui rentrent quand même ! )

Comme les États-Unis s’opposent sérieusement au commerce (au ’ libre-échange ’) entre l’Iran et l’Europe, exigeant de nouvelles ’sanctions secondaires’, les tensions américano-européennes qui ont déjà atteint un niveau sans précédent (étant donné les décisions idiotes des Etats-Unis comme celles de quitter l’Accord de Kyoto et de reconnaître Jérusalem comme capitale d’Israël, sans parler du dégoût général que suscite la présence de Trump à la présidence étasunienne), les tensions entre les deux côtés de l’Atlantique vont probablement augmenter. Trump est déjà très impopulaire en Europe, et les sondages montrent que, pour la première fois, la plupart des Européens ont une vision des États-Unis plus négative que positive.

L’Italie et la Grèce achètent du pétrole brut iranien et soutiennent également le JCPA. En fait, tout le monde le soutient, sauf Binyamin Netanyahu (qui tient Trump par le bout du nez), Trump, le Congrès américain et les monarques sunnites férocement anti-chiites, notamment le roi Salman d’Arabie Saoudite. L’accord a été confirmé aux Nations-Unies par la résolution 2231 (2015) du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Si les Etats-Unis réussissent à le saboter (bien que cela soit sans importance*, selon Condi Rice), l’Europe sera furieuse. Il en sera de même pour la Russie et la Chine, qui approfondissent leurs liens avec l’Iran. La Chine est le premier ou le deuxième partenaire commercial de l’Iran, rivalisant avec les Émirats arabes unis. Elle a l’intention d’intégrer l’Iran au sein de la Compagnie de Shanghai.

En se retirant de l’accord, Trump s’aliène les entreprises européennes qui espéraient profiter d’un énorme gisement de nouvelles opportunités. Il contrarie la Russie et la Chine, même si les États-Unis ne pourront pas entraver leurs transactions commerciales dans la même mesure. Il contrarie l’Inde, un autre partenaire commercial iranien de premier plan, même si Trump a essayé, jusqu’à présent, de cultiver des liens avec le premier ministre Moti. Et aussi le Japon, qui achète du brut iranien (et qui était, jusqu’à ces dernières années, le premier partenaire commercial de l’Iran, avant d’être dépassé par la Chine).

Beaucoup de gens dans le monde se disent : ’Ce crétin de président américain est en train de rompre avec le monde entier pour se plier à l’agenda anti-iranien belliqueux (changement de régime) de ce menteur de Netanyahu. Ce n’est pas bon pour le libre-échange, ni la paix dans le monde.’ Téhéran bénéficiera de la sympathie du monde entier, et sera considéré (une fois de plus) comme une victime de l’intimidation américaine. Ce que Trump fait à l’Iran pourrait briser l’alliance atlantique. Ce serait une bonne chose. Il est temps que l’unilatéralisme ’Choc et effroi’** de l’après-guerre froide cède la place à un monde multipolaire dans lequel des individus aussi dangereux que Trump et John Bolton ne pourront plus accéder au pouvoir.

Gary Leupp

Gary Leupp est professeur d’histoire à l’Université de Tufts et occupe un second emploi au Département de religion. Il est l’auteur de Servants, Shophands and Laborers in in the Cities of Tokugawa Japan ; Male Colors : The Construction of Homosexuality in Tokugawa Japan ; et Interracial Intimacy in Japan : Western Men and Japanese Women, 1543-1900. Il a contribué à Hopeless : Barack Obama et la politique de l’illusion, (AK Press). On peut le joindre à l’adresse suivante : gleupp@tufts.edu

Traduction : Dominique Muselet

Notes :

* http://www.fr.awdnews.com/index/condoleezza-rice-soutient-trump-dit-quelle-ne-signerait-pas-laccord-avec-liran/

** En anglais “Shock and Awe”

 https://www.counterpunch.org/2018/05/09/how-will-europe-react-to-trumps-dumping-the-iran-deal/
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COMMENTAIRES  

11/05/2018 05:43 par depassage

Comment l’Europe va-t-elle réagir à l’abandon de l’accord iranien par Trump ?

Elle va se coucher comme un caniche et va gigoter un peu en remuant une queue désapprobatrice pour la forme.

11/05/2018 13:44 par taliondachille

Le marché iranien est juteux mais les USA ne fabriquent rien de ce qu’ils ont besoin. Les USA savent surtout faire des armes. Problème : c’est un consommable. Pour faire de la croissance il faut balancer les bombes sur les populations pour pouvoir en refabriquer (Le Havre, Irak...). Détruire les marchés par les sanctions et/ou les bombes permet d’affaiblir les concurrents au moment ou les USA sont en perte de vitesse. Le calcul est mauvais ? Le capitalisme étant au bout du rouleau (comprendre baisse tendancielle du profit), il passe du court terme au très court terme. Et le très court terme c’est de provoquer une guerre contre l’Iran. *l’*empire ne peut survivre que par la guerre et en ce moment ils n’ont pas grand chose à se mettre sous la bombe...
Ce qui est nouveau, aussi, c’est cette attaque déguisée mais frontale avec l’Allemagne, ce qui change depuis les année 20. Merkel va-t-elle se laisser marcher sur les couilles ? A voir.
La très bonne nouvelle, c’est cette baisse significative de la cote d’amour envers les Yankees. Yessss ! On attendait ça depuis 1776 !

11/05/2018 15:01 par vagabond

Probablement, l’image du caniche est parfaite. Agiter la queue en aboyant que l’état colon a le droit de se défendre.

12/05/2018 10:52 par Vagabond

Pour commencer "Démission du chef des inspections au sein de l’agence atomique, Tero Varjoranta"

12/05/2018 15:10 par Dominique

Bon article, mais qui se fourvoie complètement en imaginant que Netanyahu tient Trump par le bout du nez. L’entité sioniste ne survit que grâce aux subventions US. Ce sont les impôts des contribuables US qui paient l’effort de guerre et de colonisation sioniste. En pratique l’entité sioniste n’est rien de plus que la première base militaire occidentale au Proche-Orient. Dans de telles conditions, il est faux de croire que celui qui paie et qui a la plus grande armée de la planète obéissent à une puissance régionale.

Enfin, l’auteur qui est à la fois prof d’histoire et de religion devrait savoir que ce ne sont pas les juifs mais les chrétiens fondamentalistes qui ont inventé le sionisme politique, ceci un siècle avant que Herzl ne le reprenne pour le compte des juifs et affirme : "Le sionisme est une entreprise de colonisation." L’Occident ayant toujours été obsédé par la conquête de la Palestine (la première croisade fut fait sous le prétexte d’aller récupérer une relique qui n’a jamais existé - cela rappelle les armes de destruction massive de Saddam Hussein), il ne peut que soutenir la colonisation juive de la Palestine, ceci d’autant plus que pour nos fous de guerre qui sont souvent aussi des chrétiens fondamentalistes, une telle colonisation s’inscrit dans le plan de leur dieu car ils y voient la préparation de l’Apocalypse. Une raison de plus pour les USA, lesquels ont été construits par des fondamentalistes chrétiens, de soutenir l’entité sioniste et de ne pas croire que ce sont les sionistes juifs qui commandent les chrétiens. En fait c’est l’inverse, les sionistes juifs ne font que faire le sale boulot des chrétiens, et dès que le grand Israël sera réalisé, les chrétiens pourront apocalypser les juifs.

La Bible est ce livre commun aux 3 religions du livre, christianisme, islam et judaïsme, lesquelles partagent la croyance en un progrès suprématiste tel qu’il est défini en page 2 quand dieu donne à l’homme son ordre de mission : "Tu domineras la terre et totes ses créatures.". Ce livre décrit avant tout une obsession de la possession de la terre, terre qui devrait être rendue aux 7 tribus du début lors de l’apocalypse, toutes les autres tribus étant exterminées. Comme l’histoire le montre, les élites de ces 3 religions, en plus d’être obsédées par le contrôle de la terre et de ses richesses, ne sont pas d’accord sur qui sont ces 7 tribus, Le plus gros de ces gorilles est le chrétien, c’est lui qui fabrique le plus d’armes, qui a les plus grosses armées avec lesquelles il occupe non seulement la Palestine mais aussi plus de 100 autres pays. C’est aussi lui qui paie pour que le gorille juif puisse exister et dominer le gorille musulman. Malheureusement pour nos fous de guerre et de religion, les temps changent : guerre des 6 jours : en 6 jours les nationalistes arabes étaient retournés à la niche, guerre de Syrie : cela fait plus de 7 ans que l’axe anti-sioniste résiste et qu’il a même pris l’avantage sur le terrain.

Je pense aussi que la crise actuelle aide à cette situation de faiblesse de l’empire occidentalo-suprématiste car sa cause est d’ordre géologique : pour la première fois de son histoire, la civilisation industrielle de consommation de masse est confrontée aux limites géologiques des ressources naturelles dont elle a besoin pour sa croissance. Il s’en suit que les différents impérialismes ne peuvent qu’être de plus en plus divisés car leur unique recours est de se battre entre eux dans une lutte à mort pour le contrôle des ressources restantes. Je ne vendrais donc pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué : l’empire dispose encore d’une formidable capacité de nuisance et il semble plus disposé que jamais à l’utiliser. En fait il n’a pas le choix : soit il continue à faire la guerre, soit ses propres peuples se réveillent et disent une fois pour toutes Stop à la guerre ! et Stop à la civilisation industrielle de consommation de masse ! Le capitalisme n’y survivra pas, le marxisme productiviste non plus et nous aurons alors une chance d’avoir un scénario d’implosion similaire à celui de la fin de l’URSS et de pouvoir en profiter pour nous orienter vers un scénario de réparation des dégâts environnementaux, condition nécessaire pour stopper la sixième extinction de masse - si cela est encore possible.

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