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Crise des crédits immobiliers "subprime" et turbulences financières mondialisées, par Michel Lasserre.

En moins d’une semaine, la BCE a accordé aux banques européennes plus de 220 milliards d’Euros de prêts d’urgence. La dernière opération similaire datait du 12 septembre 2001, et ne s’élevait qu’à 69,3 milliards d’Euros. Les sommes avancées ce mois d’août sont énormes, et leur ampleur ne peut se justifier que par des risques très importants pour les marchés financiers. On entend parler de "crise du crédit", de prêts immobiliers dits "subprime", de faillites de fonds états-uniens spécialisés dans l’immobilier, de baisses des bourses. Des banques de divers pays, dont la France, sont touchés. Que se passe-t-il exactement ? quels sont les mécanismes en oeuvre ? les risques possibles ?

18 août 2007.

Faits et mécanismes en action

a) Crédits "subprimes" et défauts de paiements des emprunteurs.

L’immobilier est un secteur important de l’économie, et plus particulièrement aux Etats-Unis où les prêts hypotécaires sont très développés. En effet, il est courant pour les ménages états-uniens d’emprunter en hypothèquant leur maison, ce qui augmente leurs possibilités de consommation et alimente la croissance nationale. Pour la bonne santé de l’économie américaine, il importe alors de faciliter l’accès à la propriété à des couches de plus en plus larges de la population. Depuis quelques années se sont donc développés des crédits dits "subprimes", adaptés à des ménages modestes

Ces crédits sont accordés par des institutions financières de moins en moins regardantes sur le profil de l’emprunteur. Ils ont un taux d’intérêt très élevé, de 4 à 5 points supérieur au taux normal (prime de risque), et variable en fonction de l’évolution des taux de la FED. Leur remboursement se fait souvent suivant la règle du 2"‘28 : deux ans de remboursements très faibles, puis 28 ans à pleine charge. Les montages financiers permettent parfois de prêter jusqu’à 110 % de l’acquisition.

Ces prêts ont connu un grand succès, d’autant plus que les taux d’intérêts de la FED étaient très faibles (inférieurs à 2 % de 2002 à 2004). En 2006, les crédits subprimes représentaient pas moins de 600 milliards de dollars, soit environ 20 % de tous les prêts immobiliers accordés aux Etats-Unis.

A partir de 2005, les taux de la Fed sont montés rapidement pour atteindre 5,25 % à la mi-2006. Les remboursement des crédits ont alors subi d’importantes augmentations, plusieurs centaines de dollars mensuels, et de nombreux ménages emprunteurs ont connu des difficultés de paiements. Près de 1,2 million de prêts immobiliers ont fait défaut en 2006 aux Etats-Unis, soit une augmentation de 42 % par rapport à 2005. Ces défauts de paiements entraînent des mises en vente de logements, et on estime aujourd’hui que plus de 2 millions de foyers américains vont ainsi perdre le leur.


b) Conséquences directes de la crise des crédits subprimes sur l’économie américaine.

Les ventes de logements consécutives à des défauts de paiements ont pour premier effet de saturer le marché de l’immobilier, entraînant une baisse des prix pour la première fois depuis dix ans.

La construction de nouveaux logements ralentit, et les reventes baissent. (en juillet 2007, les mises en chantier ont reculé de 20,9 % sur un an, et les permis de construire de 22,6 %.)

La baisse des prix du marché immobilier diminue les possibilités d’emprunt des ménages voulant hypothéquer leur logement, possibilités déjà altérées depuis deux ans par la hausse des taux.


c) Conséquences sur les marchés financiers.

Les défauts de paiements des crédits subprime retombent en premier lieu sur les établissements financiers spécialisés dans l’immobilier, et dont plusieurs ont déjà fait faillite depuis le début 2007. Seulement, beaucoup de ces titres de crédits ont servi de support pour émettre des obligations [1]qui ont été diffusées dans l’ensemble de la finance américaine et même mondiale. De très nombreux établissements financiers de tous pays possèdent donc une quantité plus ou moins importantes de ces titres. Ils en ont même parfois placés auprès de leurs clients. Cette méthode permet certes de répartir les risques, mais aussi de les généraliser en cas de coup dur.

L’effondrement de la valeur de ces créances engendre des pertes pour les banques, qu’elles sont obligés de provisionner. Ce qui réduit leur possibilités d’offre de crédits.

Comme il est difficile de savoir quelles banques et fonds divers sont concernés, et de quelle importance, la méfiance s’installe et les établissements financiers rechignent à se prêter mutuellement de la monnaie. Le système entre dans une crise du crédit.

Pour trouver des liquidités de plus en plus rares, et dont ils ont de plus en plus besoin, les établissements financiers n’ont guère d’autre choix que de vendre des titres sur les marchés d’actions. La crise du crédit se transmet alors aux bourses internationales. De nombreux fonds ont ainsi vendu des titres sur les bourses mondiales, entraînant une baisse rapide des cours.


d) L’intervention des Banques Centrales.

Une crise du crédit est sans issue si personne ne peut refinancer les banques, c’est à dire leur apporter la monnaie nécessaire à leurs opérations ordinaires. Les Banques Centrales jouent alors le rôle de prêteur en dernier recours, elles se doivent de fournir les liquidités nécessaires pour éviter la paralysie du système financier. C’est ce qu’elles viennent de faire à plusieurs reprises, et recommenceront certainement tant que la situation le justifiera.


Le risque d’une récession.

Les défauts de paiements consécutifs aux crédits subprime ne concernent directement qu’un secteur très limité de la finance mondiale, et même états-unienne. Il y a déjà eu des faillites de fonds, il y en aura peut-être d’autres, des pertes financières seront bien réellement subies par l’ensemble des intervenants sur ce marché du crédit, mais les turbulences de ce mois d’aout finiront bien par s’apaiser moyennant une petite purge des marchés financiers.

La situation est plus délicate au niveau de l’économie états-unienne. La crise des crédits subprimes a porté un coup à l’ensemble du marché immobilier. La baisse des mises en chantiers, la baisse des prix des logements ainsi que la baisse simultanée des possibilités d’emprunts hypothécaires des ménages, ont un impact sur la consommation des ménages et la croissance. Certains analystes n’hésitent pas à parler d’une récession, laquelle pourrait bien évidemment se transmettre à l’ensemble de l’économie mondiale.


L’incohérence d’un système reposant sur la croissance de l’endettement.

Le capital financier dégage des profits dont une partie s’accumule aux capitaux déjà existants. Cette logique d’accumulation est incontournable dans ce système, car si le capital ne peut plus s’accumuler, le système économique et financier entre dans une crise grave. Un rôle essentiel des dirigeants de l’économie capitaliste est donc précisément de permettre au capital de toujours trouver de nouveaux débouchés pour pouvoir rendre possible cette accumulation. Recherche d’autant plus difficile que, depuis une bonne décennie, le capital financier est devenu surabondant par rapport aux besoins de l’économie productive. Un débouché, qui a pris une ampleur importante depuis quelques décennies, est le crédit, et surtout le crédit aux ménages (immobilier et consommation). Ce dernier est particulièrement développé aux Etats-Unis, et Sarkozy souhaiterait qu’il en soit de même en France. La très importante offre de crédit, et la concurrence entre prêteurs qui en découle, pousse ces derniers à être de moins en moins regardant sur les capacités de remboursement des emprunteurs, ceci avec l’aval implicite des autorités publiques.

La montée des crédits aux ménages s’appuie sur une logique économique qui pose question. Les ménages emprunteurs consomment immédiatement, mais les remboursements des emprunts réduisent leurs capacités de consommation future. Le crédit à la consommation favorise donc la croissance économique immédiate, au détriment de la consommation à venir. Comme l’endettement à des limites, le débouché des crédits aux ménages risque de se tarir, laissant place à des défauts de paiements et à un ralentissement de la consommation.
En fixant le niveau des taux d’intérêts, les Banques Centrales ont une lourde responsabilité dans l’extension du crédit. Les taux descendus très bas après septembre 2001 ont certes permis la relance espérée, mais aussi la montée rapide d’une bulle d’endettement dont les crédits subprimes ne sont qu’une partie. C’est précisément pour ralentir cette croissance du crédit, génératrice d’inflation et d’instabilité, que les taux ont été relevés à partir de 2005, avec pour effet pervers d’augmenter les remboursements des crédits déjà attribués. Face à l’essouflement constaté de la croissance, et à la montée des défauts de paiements, on peut penser que les Banques Centrales vont baisser leurs taux dans la période à venir, et favoriser ainsi la croissance des marchés financiers, et le gonflement des bulles de crédit ...

La question qui se pose alors n’est pas seulement celle de la double contrainte que doivent assumer les Banques Centrales, mais surtout celle de la cohérence d’un système économique qui ne doit sa perpétuation qu’au prix d’un endettement toujours croissant.

Michel Lasserre

www.m-lasserre.com

- Reproduit avec l’ autorisation de l’ auteur.




A LIRE : Note sur l’éclatement de la bulle immobilière américaine, par Isaac Johsua.



Perspectives pour l’économie mondiale, par Alan Woods.


Immobilier, subprime, crise financière : ce qui avait marché en 1998 semble ne plus marcher ! par Vincent Présumey.






[1Un établissement de crédit regroupe ses titres de créances immobilières dans un même "panier", et en tire un nombre d’obligations qu’il place sur le marché. D’un total de 50 millions de dollars de créances qui rapportent 9 % d’intérêt, il tirera 250 000 obligations à 200 dollars qu’il pourra placer à 5 %. Il récupèrera alors ses fonds tout en conservant 4 % d’intérêt sur les créances ainsi revendues.


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