RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

De ces hommes qui méritent d’être crus.

Intervention lors de la journée « Sur les pas de Chavez », le 5 mars 2014, à Paris. Retranscription à partir de quelques notes griffonnées, de mémoire et complétée par quelques précisions. VD

Bonsoir,

C’est la première fois que je me retrouve devant un pupitre. Et c’est la première fois que je rends publiquement hommage à un disparu.

Il y a deux façons de rendre hommage à une telle figure : à partir d’une analyse historique, ou à partir d’une vision personnelle. Et comme je ne suis pas un historien, je vais vous présenter ma vision personnelle.

Mon premier contact physique avec l’Amérique latine a eu lieu au mois de juillet 1982, au Nicaragua, lors du 3ème anniversaire de la révolution sandiniste. Une foule nombreuse et compacte se pressait dans la ville de Matagalpa. Ce fut par la même occasion ma première expérience de cette tradition qui consiste à scander le nom d’un camarade disparu et la foule de répondre d’une seule voix, à l’énoncé de chaque nom, « Presente ! ».

C’est une expérience qui m’a marqué. Cette façon de dire « on n’oublie pas », cette manière de voir le passé et les disparus non pas comme des éléments caducs, désuets ou dépassés, mais bien comme des éléments constitutifs à part entière du combat présent.

Ce fut une expérience marquante car elle prenait de court et même à contre-pied quelqu’un qui venait d’une société où les politiciens professionnels aiment dire des trucs du genre « le passé, c’est le passé, je préfère regarder vers l’avenir ». Une société où même la Libération et le programme du Conseil National de la Résistance sont déjà de « l’histoire ancienne ».

Ce qui introduit une première idée forte : à vision historique, comportement historique.

Une deuxième idée forte me vient par le biais de celui qu’on surnomme le Général des Hommes Libres, Augusto Cesar Sandino, qui, dans son premier manifeste politique adressé au peuple Nicaraguayen en 1927, écrivait ceci «  Celui qui n’exige rien de sa patrie, même pas un morceau de terre pour y être enterré, mérite d’être écouté. Et même plus que d’être écouté, mérite d’être cru. »

Ce qui m’amène à cette deuxième idée forte : la vérité est certifiée par l’abnégation.

De Bolivar à Chavez, en passant par José Marti, Fidel Castro, le commandant Marcos, et tous les autres : nous y voilà, nous y sommes. Au cœur même de la différence fondamentale qu’il y a entre un politique qui parle de révolution (ou pas), et un révolutionnaire qui fait irruption – j’ai presque envie de dire « contraint et forcé » - dans le champ politique.

Une troisième idée forte surgit à partir des images de Chavez (des images non « officielles ») , dans un documentaire d’Oliver Stone, South of the border. Je me souviens que ma première réaction a été de me dire que ce Chavez était quelqu’un à qui on poserait facilement la main sur l’épaule. Une impression donnée probablement parce qu’on sentait que l’inverse était tout aussi vraie.

Et puis il y avait aussi ce regard, un regard qui ne trompe pas, le regard de l’amoureux. Oui, Chavez, comme Bolivar, comme tant d’autres, était un amoureux, un grand amoureux. Il éprouvait un grand et authentique amour pour le peuple.

Je me permets d’ouvrir une parenthèse : j’avoue que si j’ai pu assez tôt et assez facilement intellectualiser cette idée d’amour envers le peuple, le sentiment en lui-même m’était étranger. Pour moi, aimer tout un peuple, ça ne voulait rien dire. Peut-être parce que je n’avais pas saisi la subtilité entre aimer un peuple et aimer le peuple. Et probablement aussi parce que je n’avais pas encore fait connaissance avec Cuba. (En amour, comme en tout, il faut bien une première fois.) Fin de la parenthèse.

Chavez était donc mu par une vision historique. Combien de conversations a-t-il échangées avec Bolivar ? Beaucoup, sans doute.

Chavez avait aussi la fougue et l’énergie d’un amoureux. Combien de nuits blanches passées dans son bureau, à lire, à réviser, à apprendre ? Beaucoup, sans doute.

Et Chavez était quelqu’un qui non seulement méritait d’être écouté, mais plus que ça, méritait d’être cru.

Alors, oui, j’avoue qu’en apprenant la mort d’Hugo Chavez, j’ai pleuré. Ce fut bref, mais intense.

En réalité, je n’ai pas pleuré la mort de Chavez, j’ai pleuré l’incommensurable injustice qui lui a été faite avant, pendant et après.

J’ai pleuré l’insondable médiocrité et bêtise de tous ces gens de très peu qui ne m’ont jamais inspiré autre chose qu’une vague indifférence ou mépris.

J’ai pleuré devant ce cirque occidental animé par des couillons, des abrutis, des charlatans, des « spécialistes », des nullités, des médiocres, des salauds, des omniprésents, des va-t-en guerre humanitaires – j’en ai toute une liste comme ça - qui se sont déchaînés contre celui dont Lula disait qu’il était « le plus légitime d’entre nous ».

Alors j’aimerais conclure selon la tradition dont j’ai parlé en introduction. Aux camarades latinos présents dans cette salle, si je fais l’appel d’un grand et cher camarade disparu, et si j’appelle le nom de Hugo Chavez, que me répondez-vous ?

[la salle : Presente !]

Merci.

Viktor Dedaj
5 mars 2014

URL de cet article 24730
  

Même Auteur
Cuba sous embargo - paroles cubaines sur le blocus
Viktor DEDAJ
Instauré depuis 1962 par les États-Unis après un échec de l’invasion de l’île, le blocus non seulement pourrit la vie des Cubains mais constitue également une véritable insulte à la communauté internationale, laquelle, dans sa quasi totalité, le condamne chaque année à l’ONU depuis près de trente ans. Cette négation de la souveraineté des États et cette sanctification du droit d’ingérence par l’asphyxie constitue l’un des plus grands scandales de tous les temps. Dans le carnet de bord qu’il tient tout en (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"De toutes les ironies exprimées par la politique étrangère américaine, notre position vis-à -vis de Cuba est la plus paradoxale. Une forte dégradation de la situation économique a provoqué une poussée du nombre de Cubains entrant illégalement aux Etats-Unis.

Nous faisons tout ce que nous pouvons pour détériorer la situation économique et ainsi accroître le flux. Nous encourageons également cet exode en accordant aux Cubains, qui arrivent illégalement ou qui s’approchent par voie de mer, un statut de résident et une assistance pour s’installer.

Dans le même temps, nous n’avons pas respecté les quotas de visas pour les Cubains désireux d’immigrer aux Etats-Unis [...] quand Castro tente d’empêcher des cubains malheureux de quitter leur pays infortuné, nous l’accusons de violer des droits de l’homme. Mais quand il menace d’ouvrir grand les portes si nous continuons à accueillir sans limites des cubains sans visas - y compris ceux qui ont commis des actes de violence pour aboutir à leurs fins - nous brandissons des menaces imprécises mais aux conséquences terribles. "

Jay Taylor, responsable de la section des intérêts américains à Cuba entre 1987 et 1990, in "Playing into Castro’s hands", the Guardian, Londres, 9 août 1994.

"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
Le fascisme reviendra sous couvert d’antifascisme - ou de Charlie Hebdo, ça dépend.
Le 8 août 2012, nous avons eu la surprise de découvrir dans Charlie Hebdo, sous la signature d’un de ses journalistes réguliers traitant de l’international, un article signalé en « une » sous le titre « Cette extrême droite qui soutient Damas », dans lequel (page 11) Le Grand Soir et deux de ses administrateurs sont qualifiés de « bruns » et « rouges bruns ». Pour qui connaît l’histoire des sinistres SA hitlériennes (« les chemises brunes »), c’est une accusation de nazisme et d’antisémitisme qui est ainsi (...)
124 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.