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La chronique de Recherches internationales

De Doha à Bali : remettre le développement dans l’agenda de l’OMC pour le développement

Du 3 au 6 décembre 2013 se tiendra la 9e conférence ministérielle de l’OMC et la 6e de l’ère du programme de Doha pour le développement, lancé en 2001. L’ambitieux projet de refonder le compromis productif, normatif et commercial des rapports Nord-Sud n’aura pas survécu aux jeux des intérêts conflictuels des Etats, à la crise économique globale de 2007 et aux nouveaux déséquilibres de l’économie politique mondiale, particulièrement dans les domaines vitaux de l’énergie, du climat et de l’alimentation. La coopération commerciale multilatérale en sort épuisée.

Mais le plus significatif c’est le recul de la thématique du développement et son effacement face aux enjeux de l’émergence. En effet, les pays émergents, le G3 en particulier, concentrent désormais l’essentiel du débat sur les rapports Nord-Sud. Débats qui véhiculent l’idée, trompeuse à nos yeux, que le Sud est désormais sur une trajectoire de croissance et de développement ascendante. Ce contexte pose avec acuité la question du traitement des PED non émergents et bien entendu avec encore plus d’acuité celle des pays les moins avancés (PMA) auxquels était dédié ce cycle de négociation. Mais face aux prometteurs marchés des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) faut-il s’attarder sur ces 48 pays qui ne représentent que 0,9 % du PIB mondial, 1 % du commerce mondial, 0,53 % si on exclue les combustibles, 2,5 % des entrées totales d’IDE mais 12 % de la population mondiale ?

La réponse est triplement positive. Premièrement, l’enjeu du cycle de Doha est de prouver que la communauté internationale est en mesure de livrer un produit répondant aux problèmes des PMA et que le système commercial multilatéral peut être un levier de la lutte contre la pauvreté. On ne voit pas sinon à quoi servirait l’ouverture commerciale. Il en va de la crédibilité de l’OMC et de la légitimité de la gouvernance globale. Deuxièmement, la façon dont est traité le « milliard d’en-bas » (« bottom billion » selon la formule de P. Collier) sera révélatrice d’une gouvernance inclusive et équitable ou alors d’une gouvernance exclusive et inégalitaire. Troisièmement, l’effet boomerang de la pauvreté globale fera que le non traitement des problèmes de ces pays se retournera à terme contre l’ensemble de la communauté internationale, pays développés en premier lieu.

La Déclaration de Doha comportait de nombreux engagements généreux en faveur des PMA. Mais du fait de leur caractère non contraignant, leur mise en œuvre débouche toujours sur des résultats peu substantiels qui n’offrent pas aux PMA de réelles perspectives de progrès. En dehors de la dérogation adoptée à la Conférence de ministérielle de Genève de 2011, donnant droit aux Membres d’accorder un accès préférentiel aux services et fournisseurs de services des PMA et de l’extension de la période de transition pour la mise en œuvre de l’accord sur la propriété intellectuelle par les PMA au titre de l’Article 66.1, les PMA ont très peu à se mettre sous la dent.

Autre illustration de cette logique de donnant-prenant, en 2005, à l’issue de la Conférence ministérielle de Hong Kong, les pays développés et les pays en développement en mesure de le faire se sont engagés à accorder à tous les produits de tous les PMA un accès au marché sans droits ni contingent. Une disposition dérogatoire a cependant tout de suite tempéré cette offre généreuse puisque qu’il est admis que les membres qui ont des difficultés à fournir un tel accès à leur marché accorderont une ouverture à 97 % des produits originaires des PMA. L’offre est ainsi vidée de sa substance par la possibilité de soumettre certains produits à des restrictions d’exportation et d’exclure 3 % des lignes tarifaires des PMA. Compte-tenu de la concentration des exportations des PMA sur une gamme limitée de produits, l’exclusion de quelques lignes tarifaire seulement peut effacer tous les bienfaits attendus.

Le coton, élément emblématique du cycle de Doha, est pris au piège des divergences sur l’agriculture et des jeux d’intérêts qui jalonnent le chemin vers Bali. Son traitement n’est ni « spécifique », ni « rapide » encore moins « ambitieux », termes figurant dans la déclaration ministérielle de Hong Kong (2005). Et Bali n’offre pas de perspectives pour une issue heureuse. Les vrais débats sur les 28 mesures du traitement spécial et différencié sont renvoyés aux calendes « multilatérales » et devraient s’ajouter à la liste déjà très longue des sujets qui s’amoncèlent sur ciel de l’après Bali.

Quelles devraient être les perspectives post-Bali ? Il y en trois.

Toute d’abord, la rénovation du traitement spécial et différencié afin que les dispositions prises ne relèvent plus uniquement de la diplomatie déclamatoire. Il faudrait en produire une conception centrée sur les besoins spécifiques des PMA. Une conception qui autoriserait des régulations par produits et, au nom de la stabilité et sécurité socioéconomiques interne à ces pays, les autoriserait et les aiderait à se protéger, leur vulnérabilité étant parfois due à leur exposition trop excessive à la concurrence mondialisée. Il convient de sortir de la logique qui fait de l’accès aux marchés la seule voie de transformation et de développement. Le commercialisme de l’OMC est devenu contre-productif.

Ensuite, les futures règles du commerce international ne devraient pas contraindre ou empêcher, d’une part, le développement de capacités productives dans ces pays et, d’autre part, la concrétisation des processus d’intégration régionale. Il faudrait que le système commercial multilatéral soit facteur de cohérence et de stabilité, au moment où ces pays tentent tant bien que mal de construire une politique commerciale et productive au niveau régional et où l’Afrique est engagée dans une vaste initiative de transformation économique et structurelle pour le développement sous l’égide des Nations unies. Cela impliquerait pour l’OMC de mettre en œuvre une négociation de lignes directrices sur les meilleures pratiques volontaires pour les nouveaux accords commerciaux régionaux et la modification des accords existants. Il faudrait également penser à doter l’organisation d’un Conseil du Commerce et du Développement dédié à veiller à la cohérence pro-développement des politiques commerciales.

Enfin, la consolidation et la pérennisation des deux dispositifs que sont l’aide au commerce et le cadre intégré renforcé. Bien entendu révisions et recentrages de leurs axes d’action sont nécessaires. Les PMA n’y voient aucun inconvénient à condition que cela ne devienne pas l’occasion d’en réduire la portée ou d’y introduire une forme quelconque de conditionnalité.

Le paquet développement pour les PMA annoncé en grande pompe risque ainsi d’arriver vide à Bali à force de minimiser les exigences de ces derniers. Ces exigences sont pourtant soutenues par tous ceux qui œuvrent pour faire du commerce un véritable instrument au service du développement et de la lutte contre la pauvreté. Le paquet de Bali réduit la question du développement à la facilitation des échanges et à la libéralisation agricoles. Nous sommes très loin du contenu de la Déclaration de Doha.

Cheikh Tidiane Dieye
Directeur exécutif du Centre Africain pour le Commerce, l’Intégration et le Développement (CACID), affilié au réseau Enda Tiers Monde.

Mehdi Abbas
Maître de conférences Grenoble-Alpes Université, Chercheur Pacte-Edden et chercheur associé au CACID.

Cette chronique est réalisée en partenariat rédactionnel avec la revue Recherches internationales à laquelle collaborent de nombreux universitaires ou chercheurs et qui a pour champ d’analyse les grandes questions qui bouleversent le monde aujourd’hui, les enjeux de la mondialisation, les luttes de solidarité qui se nouent et apparaissent de plus en plus indissociables de ce qui se passe dans chaque pays.

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