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El Presidente ou la démocratie à huis clos

Qu’arrive-t-il donc aux réalisateurs qu’on tenait pour des valeurs sûres ? Raoul Peck, auteur de l’anti-colonialiste Lumumba en 2000, plus récemment de I am not your Negro, réflexion sur le racisme consubstantiel aux Etats-Unis, a commis un Jeune Karl Marx, sorti cet automne, où notre Charly forme avec Jenny sa femme (parité oblige !) et Freddy (Friedrich Engels) un trio de joyeux lurons dont le slogan est "Je triompherai et [accessoirement] je changerai le monde". On y apprend essentiellement que Marx prenait à son petit déjeuner, non pas du café, mais de la soupe à l’oignon, soupe qui est devenue la tarte à la crème des critiques, s’extasiant sur l’exactitude de la reconstitution historique. Le Palestinien Hany abu-Assad (Paradise Now, Omar), après avoir réalisé pour le Qatar et autres émirats pétroliers un consensuel et hollywoodien Chanteur de Gaza (2015), est passé avec armes et bagages à Hollywood pour tourner avec Kate Winslet un film d’amour et de montagne (La montagne entre nous). Dans le cas de Santiago Mitre, la régression est moins flagrante, mais El Presidente n’est pas le grand film politique qu’on pouvait attendre.

Il y a une continuité entre El Presidente et El Estudiante de 2011 (la ressemblance entre les titres est due à la traduction, le titre original étant La Cordillera) ; le film précédent racontait la carrière fulgurante d’un étudiant futé qui, au lieu d’aller en cours et de potasser ses examens, étudiait les rapports de force au sein de l’Université et, en nouant amitié avec les gens bien placés, en rendant des services, et en trahissant au bon moment, prenait le pouvoir (cette satire bien enlevée pouvait aussi se lire en France comme une étude des coulisses de mai 68). Il est aussi question des coulisses du pouvoir dans El Presidente, et l’idée de base de l’intrigue était tout à fait intéressante : les chefs d’Etat de l’Amérique du Sud se réunissent au Chili pour créer une grande société pétrolière indépendante des Etats-Unis – mais sous le regard attentif de ces derniers, qui vont utiliser leur vassal mexicain pour s’immiscer dans l’organisation, et approcher le protagoniste du film, le président de l’Argentine (Ricardo Darin) pour essayer de retourner la situation en leur faveur.

Mais ce scénario reste schématique : l’aspect politique intéresse moins le réalisateur que la psychologie du président argentin, Hernan Blanco, dont les abîmes sont censés se dévoiler au cours de l’intrigue. Le film va donc dévier vers les rapports compliqués entre le père et sa fille, et les problèmes conjugaux de celle-ci . Après un suicide manqué, elle est frappée de mutisme ; on fait donc appel à un psychologue qui va nous régaler d’une séance d’hypnose, à l’issue de laquelle on s’attend à ce qu’il dise à Blanco : "Et voilà pourquoi votre fille est muette". Cela permet néanmoins aux critiques bienveillants de parler d’un film fantastique : mais il suffit de penser à la séance d’hypnose de Charlotte Gainsbourg dans Antichrist, et la façon dont Lars von Trier filme la séquence onirique du récit sous hypnose pour mesurer le manque d’imagination formelle de Mitre.

Quant à Ricardo Darin, on a toujours plaisir à le voir jouer, mais il faut avouer qu’il ne tire pas grand-chose de son personnage – peu aidé, certes, par un scénario pauvre et raide. Caractériser le film, comme le fait un critique hispanique, de "réflexion sur le mal", c’est vouloir gonfler la grenouille pour en faire un bœuf : Blanco arrive tout juste à raconter une histoire d’enfance où il voit, dans un cauchemar, un renard cornu qui est le diable ! Présenté d’abord comme "un homme ordinaire", (un "président normal" !), il doit se révéler à la faveur du sommet. Malheureusement, malgré les psychodrames de grand guignol que nous offre sa fille, on a du mal à percevoir une évolution psychologique, et le dénouement, peut-être inattendu (les méandres de la stratégie de Blanco sont un peu trop implicites), ne suscite en tout cas guère d’émotion.

Venons-en donc à l’aspect politique : est-ce un film progressiste, de dénonciation ? Dénonce-t-il une dérive inquiétante de nos démocraties ? ou succombe-t-il à la dérive actuelle des films politiques ?

Jadis, ce genre mettait en scène des citoyens courageux qui enquêtaient sur des magouilles politico-financières (Henri Verneuil, Mille Milliards de dollars, 1982), ou sur des complots du pouvoir profond (Francesco Rosi, Cadavres exquis, 1976), et cherchaient, au péril de leur vie, à les dénoncer à leurs concitoyens. Aujourd’hui, ce qu’on appelle "film politique" n’a rien à voir avec le social, mais seulement avec le "sociétal" (le sida, dans 120 Battements par minute, hagiographie grossière et porno d’Act up, produite par le fondateur d’Act up, Pierre Bergé ; l’immigration, traitée de façon pittoresque et caricaturale dans La lune de Jupiter, qui emprunte sans doute le gag de la lévitation au pitoyable Ma Loute de Bruno Dumont ; ou la maladie d’Alzheimer, dans La Finale, lauréate du récent Festival de l’Alpe d’Huez). Ou bien, comme dans Les Confessions, de Roberto Ando (2015), ou El Presidente, on traite bien de problèmes politiques, mais on les traite entre puissants, très loin des peuples, dans des lieux prestigieux, réservés aux VIP : un hôtel de luxe, sur les bords de la Baltique, pour le premier, ou au sommet des Andes, dans une station de ski ultra-moderne à l’Est de Santiago, qui rappelle Davos, pour le deuxième. Dans ces huis clos, les dirigeants prennent des décisions qui engagent le sort de continents entiers : c’est le syndrome du Spa (M. Vazquez Montalban disait que toute l’Europe est un Spa, on pourrait rectifier : tous les puissants de ce monde vivent dans un SPA). Il est clair que le concept de démocratie n’est plus qu’une coquille vide.

Mais la dénonciation est neutralisée par l’envoyé secret des Etats-Unis qui explique que les "good guys" ne valent pas mieux que les "bad guys" (les gringos), et que si les Sud-Américains arrivent à évincer les Etats-Unis, ils se retrouveront sous le joug d’une nouvelle puissance hégémonique, le Brésil, dont le Président, surnommé l’Empereur (impérialisme vient d’empereur !) est joué par une sorte de Lula (Leonardo Franco) qu’on aurait gonflé pour lui donner une stature "impériale". C’est la morale du film, cynique et démobilisatrice.

El Presidente ne tient donc aucune de ses promesses : ni film métaphysique sur le mal, ni film psychologique des profondeurs, ni film de dénonciation politique, ni même film d’acteurs (Daniel Gimenez Cacho, le curé pédophile de La mauvaise éducation, le père dépassé par les événements de La Zona, est sans doute celui qui tire le mieux son épingle du jeu, par son abattage dans le rôle du méchant, le Président mexicain). Il vaut surtout par le reflet qu’il donne d’un pouvoir mondial "jupitérien", jouant, comme les dieux antiques, depuis son Olympe, avec l’humanité.

Rosa LLORENS

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