[note du traducteur : la « Résistance » est le nom de guerre que des Démocrates US se sont donnés pour marquer leur « opposition » à Trump]
Depuis que les soupçons ont été confirmés que l’administration Trump travaille effectivement à poursuivre et emprisonner le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, pour avoir publié des documents authentiques, la soi-disant "Résistance" se démène pour expliquer exactement pourquoi elle soutient avec autant d’enthousiasme cette opération. Et quand je dis « se démène », je suis très, très généreuse. Quand on a appris qu’une erreur de copier-coller d’un document judiciaire avait par inadvertance révélé le fait que l’administration Trump poursuivait un programme qui, de l’avis de divers [expertshttps://theintercept.com/2018/11/16/as-the-obama-doj-concluded-prosecution-of-julian-assange-for-publishing-documents-poses-grave-threats-to-press-freedom/] politiques, aurait des effets dévastateurs sur la liberté de la presse, le supporter de #Resistance et membre d’un think tank de Washington, Neera Tanden, a répondu par un tweet, "Never mess with karma" [Ne jouez jamais avec le karma]. Au moment d’écrire ces lignes, si vous faites une recherche sur Twitter des mots "Assange" et "karma" ensemble, vous trouverez d’innombrables loyalistes du Parti démocrate utilisant ce concept pour justifier leur soutien à une attaque de l’administration Trump contre la presse infiniment plus dangereuse que les saillies du Président contre Jim Acosta.
Le problème, bien sûr, c’est que le "karma" n’existe pas. C’est un concept religieux hindou qui n’est soutenu par aucune preuve plus tangible que l’affirmation qu’un prêtre peut transformer le pain et le vin en corps et sang d’un charpentier nazaréen mort il y a des milliers d’années. Un expert démocrate qui utilise le concept de "karma" pour justifier son soutien enthousiaste à l’attaque fasciste de Trump contre la liberté de la presse fait preuve de la même honnêteté intellectuelle qu’un expert républicain qui dit "C’est la volonté de Dieu" pour justifier l’existence de la misère.
Mais c’est aussi leur meilleur argument.
Réfléchissez-y. Il n’y a vraiment pas d’autre façon de justifier leur appui à l’administration Trump - une administration à laquelle ils prétendent s’opposer – qui veut procéder à une inculpation aux implications juridiques graves contre la liberté de la presse qu’ils prétendent défendre. La seule façon de le justifier est de le faire avec une notion vague et abstraite qu’Assange "n’a que ce qu’il mérite" puisque les publications WikiLeaks de 2016 du Parti Démocratique ont probablement contribué à la victoire électorale de Trump, et la seule façon de réifier cette notion vague et abstraite est de faire appel à un principe métaphysique imaginaire, à savoir, le karma.
Mais, encore une fois, le karma n’existe pas. Il n’y a pas de divinité invisible à huit bras qui flotte dans les coulisses pour arbitrer et décider des conséquences des publications de WikiLeaks, et il n’y a pas d’argument rationnel pour soutenir que la persécution d’Assange par l’administration Trump est souhaitable parce que Assange le "mérite". Le fait est que ces gens soutiennent le fascisme de Trump de la manière la plus toxique possible, qu’ils sont totalement incapables de défendre ce soutien avec la moindre honnêteté intellectuelle, et que la "Résistance" autoproclamée devrait plutôt s’appeler "l’Assistance".
Le journaliste Glenn Greenwald décrit ce phénomène comme ceci :
Mais la grande ironie, c’est que beaucoup de Démocrates se rangeront du côté du ministère de la Justice de Trump plutôt que de celui d’Obama. Leur mépris personnel et émotionnel pour Assange - parce qu’ils pensent qu’il a contribué à la défaite de Hillary Clinton : le crime le plus grave - l’emporte largement sur toute préoccupation concernant les menaces que les tentatives de l’administration Trump de criminaliser la publication de documents représentent pour la liberté de la presse.
Cela reflète l’ironie générale de l’ère Trump pour les Démocrates. Alors qu’ils prétendent, d’un côté, trouver l’autoritarisme de l’administration Trump et les atteintes à la liberté de la presse si répugnantes, de l’autre, ils se servent de l’autoritarisme de Jeff Sessions et Mike Pompeo pour reproduire la mentalité autoritaire selon laquelle quiconque publie des documents nuisibles à Hillary ou des documents qui ont été "classifiés" par le gouvernement américain, devrait aller en prison.
...C’est cette mentalité totalement autoritaire et crapuleuse qui est sur le point de rallier les Démocrates de toutes sortes aux factions les plus extrémistes et dangereuses du camp Trump, pour créer des précédents en vertu desquels la publication de l’information - longtemps considérée comme sacrée pour tous ceux qui s’intéressent aux libertés de la presse - peut maintenant être sanctionnée.
Et c’est exactement ce qui se passe. Jetez un coup d’œil aux joyeuses célébrations dans les sections de commentaires en ligne après l’annonce que l’administration de Trump a fait porter des accusations "sous scellé" [accusations gardées secrètes- NdT] contre Assange (ici, ici, ou ici par exemple) pour avoir un avant-goût de l’ambiance de la "vague bleue" [couleur du parti Démocrate – NdT] qui règne en ce moment. Leur haine envers Assange a pris le pas non seulement sur leur haine envers Trump, mais aussi sur comment ils sont censé lui résister efficacement.
Lorsque vous vous retrouvez à soutenir des principes contradictoires, c’est le signe certain que vous n’avez jamais été guidé par des principes.
Et c’est vraiment la leçon que nous pouvons tirer de tout cela. La souche nuisible du libéralisme US qui promeut les théories conspirationnistes anti-Russes, qui soutient la persécution des lanceurs d’alerte, qui attaque l’idée de Trump plutôt que la politique réelle de Trump, n’a jamais eu aucun principe d’aucune sorte. Bien avant que Trump ne prenne le pouvoir, il y avait déjà des projets contre la Russie, les médias alternatifs, WikiLeaks, et la transparence au gouvernement, et tous ces projets ont été systématiquement mis en oeuvre par les puissants en faisant appel à la mentalité grégaire de "nous contre eux" de la Mac-Résistance. Ces gens ne soutiennent pas la persécution d’un éditeur en raison de leurs valeurs idéologiques, ils la soutiennent parce que c’est ce que de puissants manipulateurs veulent qu’ils fassent.
La persécution méprisable d’Assange par Trump et le soutien inconditionnel du libéralisme corporatiste à son égard ont discrédité toute la classe politique dominante US. Personne dans ce bazar n’a de principes. Si vous comptez toujours sur Trump ou les Démocrates pour vous protéger de la montée du fascisme, le moment est venu de vous retirer.
Caitlin Johnstone
Traduction "plus le temps passe, et plus je me rends compte à quel point cette affaire est délirante et méconnue..." par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.