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Jimmy’s Hall : une petite musique à contre-temps.

La critique aux ordres du régime libéral ne remplit pas seulement son rôle en portant aux nues les navets hollywoodiens et les films du politiquement correct le plus académique (éternels films sur juifs et nazis, biopic Hanna Arendt, sempiternelles histoires d’homos ou lesbiennes), et en démolissant ou ignorant les vrais grands films, porteurs d’une vision lucide de notre société et d’émotions authentiques (récemment Offline de Peter Monsaert, L’absence de Mama Keita, La Demora de Rodrigo Pla, et, actuellement, Siddhart de Richie Mehta). Elle agit aussi, de façon nihiliste, en faisant le même sort à un mauvais film et à un film excellent, désamorçant celui-ci de la charge dont il est porteur.

Les réactions aux films de Ken Loach en sont un bon exemple : quel que soit le film concerné, elles relèvent de la condescendance (le minimum pour un cinéaste aussi reconnu) : on le traite avec une certaine indulgence, mais du bout des lèvres. On ne parle jamais de chef-d’œuvre, même quand, pour The Navigators, le terme s’impose, et ses comédies sociales sont traitées de façon anecdotique (comme l’a été récemment le film palestinien d’Hani Abu-Assad, Omar, traitant des outils psychologiques de la répression contre la résistance palestinienne, qui vient de tenir en échec Israel).

Pourtant, La Part des anges était bien plus explosive que son synopsis ne le laissait attendre : elle dénonçait cette société libérale du Grand Bousillage (titre du roman de Volker Braun sur le sabotage actuel du travail et des compétences des travailleurs) où, pour arriver à décrocher un CDI, il faut accepter de tomber dans la délinquance ! Looking for Eric, en apparence plus fantaisiste, était plus combatif encore, puisqu’il montrait que le remède aux problèmes psychiques générés chez les travailleurs par la savante désorganisation du travail était, non bien sûr le recours aux psychologues, mais l’action collective (c’est aussi la leçon de Deux Jours, une nuit, des Dardenne).

Par contre, Jimmy’s Hall a été plutôt bien accueilli (il est vrai qu’on pensait que c’était son dernier film) : Télérama est tout émoustillé par le potentiel sexy de l’interprète principal, Barry Ward, et réclame pour lui un prix d’interprétation "subito", et du coup il sacre K. Loach "tendre anar" !

Pourtant, il faut le dire (pour mettre d’autant plus en valeur les grands films de Loach), c’est un mauvais film. Loach a fait d’autres mauvais films, mais Route Irish, par exemple, était justifié par l’urgence de dénoncer l’utilisation, dans les guerres états-uniennes, et, en l’occurrence en Irak, de sociétés de mercenaires. Ici, aucune urgence, et Loach est constamment à côté de la plaque.

Dans une interview, il précisait qu’il ne voulait pas s’en prendre seulement à l’Eglise, mais à tout pouvoir ; malheureusement, le rôle du méchant, ici, est tenu, caricaturalement, par un curé (et le rôle du curé gentil est, du reste, tout aussi caricatural : on pense au couple stéréotypé du bon flic et du méchant flic). Or, aujourd’hui, nos sociétés se développent selon une logique totalement opposée aux valeurs religieuses, et les chrétiens résiduels font figure de guignols attardés : était-il utile de nous assurer que les marmites où sont censés brûler les pécheurs n’existent pas ?

Et, face à la dénonciation de l’Eglise, quelles valeurs trouve-t-on ? la fête, l’amour, la musique et la danse !

On pourrait se croire dans la première partie de Titanic, avec ses joyeux émigrants irlandais qui ne pensent qu’à faire la fête et danser. Barry Ward déclare dans une interview que le capitalisme repose sur la répression du plaisir : les acteurs sont rarement de grands intellectuels, c’est confirmé. Faut-il rappeler qu’il y a longtemps que le capitalisme puritain (correspondant à une phase d’accumulation du capital, basée sur la production) a laissé la place à un capitalisme jouissif basé sur la consommation, que cette conversion (déjà visible dans les années 1920) a été officialisée grâce à mai 68, dont les slogans sont constamment repris par l’industrie publicitaire, et que la plupart des pubs reposent sur la sacralisation du plaisir sexuel (d’abord, bien sûr, hétérosexuel, et, maintenant, de plus en plus souvent, homosexuel) ?

Le film est donc totalement déphasé de la société actuelle ; mais comme Loach veut, en même temps, se montrer fidèle à ses engagements habituels, on est constamment gêné par des incohérences. Ainsi, au beau milieu des séquences folkloriques (violon gaëlique et claquettes), on entend ou lit, en bandeau, des références au Vent se lève, et des rappels marxistes sur la situation socio-économique en 1932 : dans Le Vent se lève, une séquence, cruciale dans le film, montre un procès populaire entre un grand propriétaire terrien et une pauvre paysanne ; ici, le cortège qui, dans une ambiance épique, ramène une famille expulsée dans sa ferme, est sans doute le plus beau moment du film. Mais, le plus souvent, ces rappels apparaissent comme des pièces rapportées, des fragments de catéchisme lourdement assenés.

Le rapport entre le générique et le film lui-même est particulièrement révélateur. Le film s’ouvre sur de vieilles images de New York : à partir des gratte-ciels, on se rapproche de l’échelle humaine et l’évocation de la crise économique de 1929 devient de plus en plus précise, avec ses files de chômeurs devant les bureaux sociaux ou les soupes populaires (on pense au générique de fin de Dogville qui, lui, fait logiquement le lien entre l’action du film et la société américaine réelle). Mais, dans le film, l’Amérique des années 20-30 est représentée, en leitmotiv, par la musique de jazz, et celle-ci présentée comme un symbole de liberté. Ce sont les moments les plus ennuyeux du film, avec la scène du charleston muet dansé par le héros et son ex fiancée, qui se voulait un grand moment de poésie, et qui tombe à plat. Au lieu d’aligner des clichés, il aurait été plus judicieux de démythifier enfin le jazz, en réalité symbole de ségrégation raciale : les richards des années 20-30 (d’autant plus riches que la crise s’étendait) allaient se faire amuser dans des cabarets de luxe par des musiciens noirs, eux-mêmes souvent contrôlés par la maffia, du fait de leur addiction à l’alcool ou la drogue : où est la liberté là-dedans ? Enfin le film se décrédibilisait dès le départ par le choix du beau gosse Barry Ward (qui fait penser à Edouard Martin, le syndicaliste sidérurgique récemment passé sur les listes électorales du PS hollando-vallsien).

Tout cela laisse perplexe : pourquoi Loach s’est-il imposé ce pensum, alors que, dans Le Vent se lève, il avait déjà tout dit (en action, et pas sous forme de déclarations théoriques) ? La force de ce film résidait dans la démonstration que toute guerre avec un ennemi étranger cache une guerre civile (le schéma vaut aussi pour la guerre civile espagnole, de façon encore plus claire, puisqu’une deuxième guerre civile se livrait, en Catalogne, à l’intérieur du camp républicain, comme l’avait montré Land and Freedom) : les intérêts de la bourgeoisie nationale s’opposent à ceux des travailleurs qui, une fois l’indépendance acquise, s’aperçoivent que rien n’a changé, que leurs rapports avec les exploiteurs nationaux sont les mêmes qu’avec les anciens exploiteurs coloniaux.

Cette leçon magistrale dévie ici, se perd en se divisant entre diverses cibles anachroniques (l’Eglise, la répression sexuelle, la répression de la musique moderne ...) au point que Télérama peut, judicieusement, décrire le film comme un affrontement entre ados et "adultes bornés" (voir la dernière séquence des ados à vélo qui semble sortir d’ET). Il serait triste que ce film termine la carrière de Loach, mais il faut espérer qu’il retrouvera l’inspiration de La Part des anges ou de L’Esprit de 45.

Rosa Llorens

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