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L’Allemagne parie sur son vieux rêve d’hégémonie européenne. Derrière la Crise de l’Euro. (Dissident Voice)

Le pouvoir industriel et financier allemand est la clé qui permet de comprendre les manoeuvres internationales complexes et souvent troublantes qui accompagnent la Crise de l’Euro. L’Allemagne est la centrale électrique de l’industrie européenne, le seul pays à être sorti de la Grande Récession avec une économie saine, peu de chômage, la stabilité sociale et une balance commerciale positive. La stabilité de la monnaie européenne est essentielle à la continuation de cette situation économique favorable même si cela implique d’accorder plus de crédit à des économies en faillite comme la Grèce, l’Italie et d’autres à venir, comme l’a dit La Chancelière Merkel à son parti fiscalement conservateur en des termes clairs le 15 novembre. C’est seulement dans le cadre solide d’une Union Européenne forte que l’Allemagne, la principale nation créditrice de l’Europe, peut espérer toucher les intérêts de ses prêts et investissements européens.

Pour l’Allemagne, (et son allié américain) la Zone Euro est "trop grande pour faire faillite". Et puisque l’Union Européenne n’a pas de mécanisme comme la Banque Fédérale de Réserve étasunienne, seule l’Allemagne est en position de garantir les importants prêts indispensables. C’est un pari financier d’envergure historique et il a un prix politique : l’hégémonie allemande sur l’Europe.

Bismark a fait de l’Allemagne une grande puissance

L’ouvrage de Paul Kennedy "Naissance et déclin des grandes puissances" qui fait référence, considère l’Allemagne comme la puissance militaro-industrielle hégémonique (ou soit disant telle) depuis 1870 ; A cette date, Bismark, le Chancelier prussien de "sang et de fer", a dupé l’empereur français Napoléon III en l’incitant à se lancer dans une guerre à laquelle la Prusse se préparait depuis longtemps. Après une défaite retentissante (Napoléon a été fait prisonnier quand les Prussiens ont encerclé la principale armée française) Bismark a posé la couronne sur la tête de son souverain féodal qui, un peu à contre coeur, est devenu l’empereur Wilhem I et a régné depuis Berlin, sa capitale, sur un empire germanique étendu et uni (qui comprenait deux provinces françaises et la plupart des états du sud de langue allemande).

A la fin du 19ième siècle, l’industrie allemande, efficace, et organisée de manière scientifique menaçait de supplanter l’industrie anglaise vieillissante. Au même moment le militarisme prussien, soutenu par cette expansion industrielle et financière, se préparait à épauler l’hégémonie politique future et à conquérir des territoires. Au cours du 20ième siècle, il a fallu deux longues guerres mondiales pour empêcher l’empire allemand de transformer son pouvoir financier et industriel en domination impériale du Continent. Les deux principaux facteurs qui ont jugulé la tendance "naturelle" de l’Allemagne capitaliste à prendre le pouvoir en Europe ont été des facteurs militaires : 1) La géographie : située au centre de l’Europe entre le vaste empire russe et son alliée, la république française (une puissance militaire de première importance encore à l’époque), l’Allemagne était obligée de se battre au moins sur deux fronts en 1914 comme en 1940 et en mer contre la formidable Marine Britannique ; 2) La montée d’une nouvelle puissance militaro-industrielle beaucoup plus riche, les Etats-Unis, alliés de la France et de l’Angleterre.

Vaincue, divisée et démilitarisée, l’Allemagne rebondit

En 1945, la démilitarisation de l’Allemagne et sa division entre l’Est et l’Ouest qui ont suivi la seconde guerre mondiale, avaient pour but d’empêcher l’Allemagne de faire une nouvelle tentative d’hégémonie, mais en 1960 (l’année où j’ai acheté ma première Volkswagen !) l’industrie de l’Allemagne de l’Ouest s’était relevée de ses ruines, s’était modernisée et entrait en compétition avec l’industrie étasunienne. De plus la démilitarisation avait libéré d’énormes montants de capitaux allemands au moment où les vainqueurs de l’Allemagne, les Etats-Unis et l’URSS, épuisaient leurs économies dans une coûteuse course à l’armement. De plus, l’Allemagne de l’Ouest avait reçu le soutien inespéré de son ex-ennemi —Charles de Gaulle de France— qui avait conclu une alliance étroite avec le Chancelier Adenauer tout en menant une politique d’indépendance vis à vis des Etats-Unis pendant la Guerre Froide. Dès les années 1970, le leader de l’Allemagne de l’Ouest, Willi Brand a osé briser la glace de la Guerre Froide avec son Ostpolitik indépendante, et a entamé un commerce lucratif avec ses voisins du Pacte de Varsovie. Aujourd’hui l’Allemagne et la Russie sont des alliés et des partenaires commerciaux si fidèles qu’Immanuel Wallerstein peut parler d’un axe Berlin-Moscou.

Le grand pari de l’Allemagne réunifiée

Quand l’empire soviétique s’est effondré et que les deux Allemagnes ont été réunies en 1990, les capitalistes de l’Allemagne de l’Ouest qui voyaient loin, ont pris le risque d’investir d’énormes sommes d’argent dans la réunification et la modernisation de l’Est appauvri. Les investisseurs de l’Allemagne de l’Ouest ont gagné leur pari — et l’ont si bien gagné qu’une ancienne habitante d’Allemagne de l’Est dirige maintenant une Allemagne réunifiée, très peuplée, riche et puissante, à la tête de la Chancellerie établie à Berlin par Bismark en 1871.

La Chancelière Merkel a convaincu sa coalition, qui rassemble tous les tenants du capitalisme germanique, de faire, comme le conservateur Bismark, un pari audacieux. Lequel ? Aider la Zone Euro et en devenir ensuite propriétaire : devenir une puissance hégémonique sans l’aide de l’armée. Par la diplomatie et la force tranquille, la Chancelière va maintenant récolter les dettes que les Grecs et les Italiens ont contractées auprès des banquiers de Francfort aussi sûrement que les Marines étasuniens ont récupéré les dettes contractées par l’Amérique Centrale auprès des banques new-yorkaises au siècle dernier. Mais au lieu d’envoyer des navires de guerre, Merkel a utilisé habilement la voie diplomatique et le poids de l’argent pour provoquer la chute de Papandréou et Berlusconi, les deux Premiers Ministres européens les plus anciens et les plus populaires (Papandréou a été assez courageux pour la mettre au pied du mur et annoncer un référendum populaire sur l’Euro et le sommet de Nice, mais ensuite il a honteusement capitulé). Ce manipulateur hors pair de Bismark (qui après 1870 a préféré la diplomatie à la guerre) serait fier de sa disciple.

Deux décapitations sans effusion de sang

Les dirigeants grecs et italiens déposés ont été remplacés par des "technocrates" au service de la Banque Centrale européenne dominée par l’Allemagne. La Chancelière vient juste d’envoyer des équipes de banquiers allemands pour les "conseiller" tout comme le personnel de l’Ambassade étasunienne a "conseillé" les Mexicains et les Nicaraguayens : remboursez-nous, sinon ! Les conseillers sont là pour s’assurer que les régimes technocratiques fantoches imposent des mesures d’austérité drastiques aux peuples italiens et grecs et les forcent à rembourser les dettes contractées par leurs propres banquiers et dirigeants. Cela risque de ne pas être facile.

En attendant, les conséquences futures de la "décapitation" historique de deux dirigeants européens par Merkel peuvent se révéler aussi déterminantes, dans leur genre, que la double décapitation de la Tunisie et de l’Egypte. Pour commencer le fait que l’Allemagne ait imposé de facto des gouvernements supra-nationaux de "règlement judiciaire" à la Grèce et à l’Italie met un terme à leur souveraineté nationale et à la démocratie. Les deux grandes puissances ancestrales historiques de l’Europe, les sources de la civilisation européenne, les berceaux de la démocratie et de l’autorité de la loi sont désormais des états vassaux régis par les banques capitalistes allemandes et nord européennes.

D’une perspective internationale, la diplomatie de Merkel et sa force tranquille ont réussi à dominer deux pays où les hordes d’Hitler s’étaient cassées la figure. Quant au front est-allemand jadis vulnérable, il a été scellé dans le marbre par la récente inauguration du gazoduc Nord Stream qui va alimenter indéfiniment l’Allemagne en gaz bon marché et lui ouvrir un marché illimité pour ses Mercedes et ses Volkswagen. Et pour le moment les Etats-Unis dont la précaire situation financière dépend aussi de la stabilité de l’Euro, devra soutenir l’Allemagne même si cela équivaut à renforcer une économie européenne rivale dominée par l’Allemagne et qui est plus productive et plus puissante que l’économie américaine en déclin. La diplomatie bismarkienne de Merkel a donc réussi à se débarrasser les trois principaux obstacles historiques à l’hégémonie économico-militaire allemande : 1) la nécessité géographique qu’avait une puissance d’Europe centrale à se battre sur deux fronts ; 2) l’indéniable supériorité économique et militaire des Etats-Unis ; 3) le manque d’accès à des sources d’énergie modernes à base de pétrole.

De nouvelles opportunités de lutte ?

Dans la perspective de la lutte des classes en Europe, cette nouvelle situation crée de nouvelles possibilités. Depuis plus d’un an, les jeunes et les travailleurs grecs font grève et se battent pour ne pas avoir à "payer pour leur crise" et maintenant les Italiens, qui ont une longue histoire d’auto-organisation, vont être aussi amenés à défendre leurs intérêts. Ces luttes inévitables prendront place dans l’ambiance révolutionnaire qui émane du Printemps Arabe et qui s’est maintenant étendue au monde entier avec le mouvement Occupy Wall Street des 99%. Plus personne ne se fait d’illusions sur l’effet de "ruissellement"* des profits du capital. Qui plus est, les nouveaux dirigeants technocrates de la Grèce et de l’Italie et les petits comptables allemands qui les conseillent auront du mal à gérer au niveau politique des foules rebelles qui se considéreront comme des esclaves de la dette au service des banques allemandes créditrices. Il faudrait un comédien comme Berlusconi ou un "socialiste" populiste comme Papandréou pour continuer d’embobiner les masses et obtenir leur adhésion et maintenant voilà qu’ils sont partis.

Cette nouvelle situation en Grèce et en Italie, engendrera certainement à la fois une montée des ressentiments nationaux et des divisions dans la bourgeoisie nationale entre les "Européens" et les intérêts du business local (tourisme, industries d’exportation) qui pourraient soutenir la classe laborieuse en réclamant la sortie de l’Euro pour pouvoir dévaluer la monnaie et redevenir compétitifs. Si le ressentiment national ne se transforme pas en chauvinisme et si les bourgeois qui se sont ralliés à la classe laborieuse ne réussissent pas à prendre la direction du front populaire des 99%, il pourrait y avoir de nouvelles perspectives de lutte. Le facteur clé est l’internationalisme. Ce n’est que si les classes laborieuses grecques et italiennes parviennent à s’unir (et à s’allier aux Espagnols, aux Irlandais et aux autres travailleurs européens) qu’ils parviendront à échapper à l’esclavage de la dette imposé par les banques européennes dominées par les Allemands.

Jusqu’à présent les syndicats européens et les partis de gauche (Communistes et Socialistes) ont réussi à maintenir les luttes de classe à l’intérieur des frontières nationales tout en limitant la résistance à des "grèves générales" d’une journée et en canalisant le mécontentement dans les élections locales et nationales. (Les élections sont bien sûr devenues inutiles depuis que les gouvernements de règlement judiciaire sont nommés par un super-gouvernement européen à qui ils rendent des comptes). Néanmoins, les syndicats nationaux établis qui font de la collaboration de classe et les partis de "Gauche" —bien que complètement rejetés par la jeunesse grecque et les indigñados espagnols— ont encore une grande influence en Italie et en France. Si des mouvements horizontaux, plus spontanés et auto-organisés comme le Printemps Arabe, les indigñados et le mouvement international Occupy Everything se répandaient dans la vieille Europe (y compris en Allemagne) la camisole de force dans laquelle les officiels de la Gauche maintiennent les mouvements sociaux pourrait éclater et laisser échapper de nouvelles énergies qui pourraient générer une solidarité internationale des 99%.

Cette solidarité sera nécessaire quand la prochaine bulle financière explosera —comme c’est inévitable— et transformera la Grande Récession ( dont les 1% se sont très bien "remis") en une seconde Grande dépression mondiale.

Richard Greeman

Richard Greeman est un intellectuel marxiste, qui milite depuis longtemps pour les droits humains, contre la guerre, contre les frappes nucléaires, pour l’environnement et pour la lutte des classes aux Etats-Unis, Amérique Latine, France, et Russie. Il est connu pour ses études et traductions du romancier révolutionnaire franco-russe Victor Serge. Il est l’auteur de nombreuses publications en Anglais et Français sur les luttes de classe internationales et la théorie révolutionnaire. Il est basé à Montpellier, France, où il dirige la Fondation Internationale Victor Serge. On peut le joindre à rgreeman@gmail.com

Pour consulter l’original : http://dissidentvoice.org/2011/11/germany-gambles-on-the-old-dream-of-...

Traduction : Dominique Muselet pour LGS

Note :

La théorie du ruissellement (traduction de l’anglais "trickle down economics") est une théorie économique d’inspiration libérale selon laquelle, sauf destruction ou thésaurisation (accumulation de monnaie), les revenus des individus les plus riches sont in fine réinjectés dans l’économie, soit par le biais de leur consommation, soit par celui de l’investissement (notamment via l’épargne), contribuant ainsi, directement ou indirectement, à l’activité économique générale et à l’emploi dans le reste de la société. Cette théorie est notamment avancée pour défendre l’idée que les réduction d’impôt y compris pour les hauts revenus ont un effet bénéfique pour l’économie globale. L’image utilisée est celle des cours d’eau qui ne s’accumulent pas au sommet d’une montagne mais ruissellent vers la base. Wikipedia

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