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La Destruction de la Syrie : Une entreprise criminelle conjointe (Counterpunch)

Tout le monde prétend vouloir mettre fin à la guerre en Syrie et rétablir la paix au Moyen-Orient.

Enfin, presque tout le monde.

« Cette situation est comme un match d’éliminatoires où on voudrait que les deux équipes perdent, ou du moins que l’une des équipes ne gagne pas – l’idéal serait un match nul », a déclaré Alon Pinkas, ancien consul général israélien à New York, dans le New York Times en septembre 2013. « Qu’ils saignent tous les deux, une hémorragie à mort : telle est la réflexion stratégique. »

Efraim Inbar, directeur du Centre Begin-Sadat pour les études stratégiques, a souligné les mêmes points en août 2016 : « L’Occident devrait chercher à affaiblir encore plus l’Etat islamique, mais pas à le détruire... Laisser des méchants tuer des méchants peut paraître très cynique, mais c’est utile et même moral si ça garde les méchants occupés et moins en mesure de nuire aux gentils... Par ailleurs, l’instabilité et les crises contiennent parfois les germes d’un changement positif ... L’administration américaine ne semble pas capable de reconnaître le fait que l’EI peut être un outil utile pour saper le plan ambitieux de Téhéran pour la domination du Moyen-Orient. »

Bon, pas exactement tout le monde.

Mais le site humanitaire Avaaz veut sûrement mettre fin à la guerre et rétablir la paix.

Ou le veut-il vraiment ?

Avaaz fait actuellement circuler une pétition qui a recueilli plus d’un million de signatures et vise un million et demi. Il est susceptible de les obtenir, avec des formules telles que : « 100 enfants tués à Alep depuis vendredi dernier. Ça suffit ! » Avaaz poursuit : « Il n’y a pas de moyen simple pour mettre fin à cette guerre, mais il n’y en a qu’un pour faire cesser cette terreur venue du ciel – que partout les gens exigent l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne pour protéger les civils. »

Une zone d’exclusion aérienne ? Ça ne vous rappelle rien ? Ce fut le stratagème qui a servi à détruire les défenses aériennes de la Libye et qui a ouvert la voie à un changement de régime en 2011. Il fut promu avec zèle par Hillary Clinton, qui est également connue pour être favorable à l’application de cette même stratagème en Syrie. Et lorsque l’Occident parle de « zone d’exclusion aérienne », cela signifie que certains peuvent utiliser l’espace aérienne et d’autres pas. Avec la zone d’exclusion aérienne en Libye, la France, la Grande-Bretagne et les États-Unis ont pu faire voler leurs avions partout où ils voulaient, en tuant d’innombrables civils, en détruisant les infrastructures et en permettant aux rebelles islamiques de s’emparer d’une partie du pays. La pétition d’Avaaz fait la même distinction. Certains auraient le droit de faire voler leurs avions et d’autres pas. « Lançons un appel mondial retentissant à Obama et à d’autres dirigeants pour qu’ils résistent à la terreur de Poutine et d’Assad. C’est peut-être notre dernière et meilleure chance pour aider à mettre fin à cette assassinat en masse d’enfants sans défense. Signez. » Il ne s’agirait donc que d’une affaire d’assassinat en masse d’enfants sans défense, qu’il faudrait arrêter, et pour ce faire il faudrait faire appel au Roi des Drones, Obama, pour mettre fin à cette « terreur venue du ciel. »

Pas seulement Obama, mais aussi d’autres dirigeants « bons » et membres de l’OTAN : « A l’attention du président Obama, du président Erdogan, du président Hollande, du Premier Ministre May, et à d’autres dirigeants du monde : en tant que citoyens du monde entier horrifiés par le massacre d’innocents en Syrie, nous vous appelons à faire respecter une zone d’exclusion aérienne dans le nord de la Syrie, y compris Alep, pour arrêter le bombardement des civils syriens et veiller à ce que l’aide humanitaire parvienne à ceux qui ont le plus besoin. »

Le moment choisi pour lancer cette pétition est éloquente. Elle arrive au moment même où le gouvernement syrien fait le forcing pour mettre fin à la guerre en reconquérant la partie orientale d’Alep. Elle fait partie de la campagne de propagande massive en cours pour réduire la conscience de l’opinion publique de la guerre en Syrie à deux aspects : les enfants victimes et l’aide humanitaire.

Vu sous cet angle, les rebelles disparaissent du tableau. De même que tous leurs bailleurs de fonds étrangers, l’argent saoudien, les fanatiques wahhabites, les recrues de Daesh venus de partout dans le monde, les armes américaines et le soutien français. La guerre n’est plus que l’étrange caprice d’un « dictateur », qui se divertit en bombardant des enfants sans défense et en bloquant l’aide humanitaire. Un tel point de vue réduit la guerre de cinq ans en Syrie à la situation telle qu’elle fut décrite en Libye pour justifier la zone d’exclusion aérienne : rien qu’un méchant dictateur qui bombarde son propre peuple. Pour le public qui aime consommer les événements mondiaux sous forme de conte de fées, tout ça se tient. Signez une pétition sur votre ordinateur et sauvez les enfants.

La pétition d’Avaaz ne vise pas à mettre fin à la guerre et à rétablir la paix. Elle vise à l’évidence à faire obstacle à l’offensive du gouvernement syrien pour reprendre Alep. L’armée syrienne a subi de lourdes pertes en cinq ans de guerre, ses recrues potentielles ont en effet été invités à échapper à un service militaire dangereux en se rendant en Allemagne. La Syrie a besoin d’une puissance aérienne pour limiter ses propres pertes. La pétition d’Avaaz appelle à paralyser l’offensive syrienne et donc à se ranger du coté des rebelles.

Attendez – est-ce que cela signifie qu’ils veulent que les rebelles gagnent ? Pas exactement. Les seuls rebelles théoriquement assez forts pour l’emporter sont Daech. Et ça, personne ne le veut vraiment.

Le fait est que, pour mettre fin à cette guerre, comme pour la plupart des guerres, il faut un vainqueur. Lorsque la victoire est en vue pour un des deux camps, des négociations fructueuses peuvent alors démarrer pour aborder des questions telles qu’une amnistie. Mais cette guerre ne peut pas se conclure « par des négociations ». C’est un résultat que les États-Unis n’accepteraient que si Washington peut profiter des négociations pour imposer ses propres marionnettes - pardon, des exilés pro-démocratiques vivant en Occident. Mais les choses étant ce qu’elles sont, ces derniers seraient rejetés comme des traîtres par la majorité des Syriens qui soutiennent le gouvernement, et comme des apostats par les rebelles. Il faut donc qu’un camp gagne pour mettre fin à cette guerre. Le résultat le moins pire serait que le gouvernement d’Assad remporte la victoire, afin de préserver l’Etat. Pour cela, les forces armées syriennes doivent reprendre la partie orientale d’Alep occupée par les rebelles.

Le travail d’Avaaz est d’obtenir de l’opinion publique une opposition à cette opération militaire, en la décrivant comme rien d’autre qu’un effort conjoint russo-syrien visant à assassiner des civils, en particulier des enfants. Pour cela, ils appellent à une opération militaire de l’OTAN pour abattre (c’est cela que signifie « zone d’exclusion aérienne ») les avions syriens et russes qui offrent un soutien aérien à l’offensive de l’armée syrienne. Même des mesures aussi drastiques ne visent pas à mettre fin à la guerre. Elles visent seulement à affaiblir le vainqueur pour l’empêcher de gagner. Pour prolonger l’impasse. Cela signifie - pour employer l’absurde expression populaire en cours pendant la guerre de Bosnie - la création d’un « terrain de jeu équitable », comme si la guerre était un match sportif. Cela signifie prolonger la guerre jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien de la Syrie, et que ce qui reste de la population syrienne aille remplir les camps de réfugiés en Europe.

Comme le New York Times l’a rapporté de Jérusalem en septembre 2013 « La synergie entre les positions israéliennes et américaines, sans être explicitement formulée par les dirigeants des deux pays, pourrait être une source importante de soutien alors que M. Obama cherche le soutien du Congrès pour des frappes chirurgicales en Syrie. » Il a ajouté que « les questions de sécurité nationale d’Israël reçoivent un large soutien bipartisan à Washington, et le American Israel Public Affairs Committee, l’influent lobby pro-Israëlien à Washington, est intervenu mardi pour appuyer la démarche de M. Obama. » (C’était à l’époque où Obama avait l’intention de « punir le président Bachar al-Assad pour l’utilisation d’armes chimiques, sans chercher à le forcer à quitter le pouvoir » - avant qu’Obama ne décide de se joindre à la Russie pour plutôt désarmer l’arsenal chimique syrien, une décision que le lobby pro-israélien et le Parti de la guerre lui reprochent encore.) La déclaration de l’AIPAC « n’a rien dit, cependant, sur l’issue préférée de la guerre civile ... » En effet. Selon cet article de 2013 : « alors que les espoirs d’une victoire d’une force rebelle modérée, laïque, qui pourrait mener un changement démocratique et même un dialogue constructif avec Israël, se sont amenuisés, une troisième approche a gagné du terrain : que les méchants se tuent entre eux. « La poursuite du conflit sert définitivement les intérêts d’Israël, dit Nathan Thrall, un analyste de l’International Crisis Group basé à Jérusalem . »

La vérité est que la Syrie est victime d’une entreprise criminelle prévue de longue date pour détruire le dernier état laïc nationaliste arabe indépendant au Moyen-Orient, après à la destruction de l’Irak en 2003. Bien qu’attribué à la répression gouvernementale des « manifestations pacifiques » en 2011, le soulèvement armé avait été prévu depuis des années et a été soutenu par des puissances extérieures : l’Arabie Saoudite, la Turquie, les Etats-Unis et la France, entre autres. Les motifs français restent mystérieux, à moins d’être liés à ceux d’Israël, qui voit la destruction de la Syrie comme un moyen d’affaiblir son rival dans la région, l’Iran. L’Arabie Saoudite a des intentions similaires pour affaiblir l’Iran, mais pour des motifs religieux. La Turquie, ancienne puissance impériale dans la région, a ses propres ambitions territoriales et politiques. Un découpage de la Syrie pourrait les satisfaire tous.

Cette conspiration flagrante et tout à fait transparente pour détruire la Syrie est un grand crime international, et les États mentionnés ci-dessus sont co-conspirateurs. Ils sont rejoints dans cette entreprise criminelle collective par des organisations soi-disant « humanitaires » comme Avaaz qui diffusent une propagande de guerre sous couvert de la protection des enfants. Cela fonctionne parce que la plupart des Américains ne peuvent tout simplement pas croire que leur gouvernement serait capable de telles choses. Parce que les gens ordinaires normaux sont bien intentionnés et détestent voir des enfants tués, ils imaginent que leur gouvernement doit être pareil. Il est difficile de surmonter un telle foi réconfortante. Il est plus naturel de croire que les criminels sont des gens méchants dans un pays auquel on ne comprend rien. Il n’y a aucune chance que cette entreprise criminelle éveille l’attention des procureurs de la Cour pénale internationale, qui, comme la plupart des grandes organisations internationales, est totalement sous contrôle américain. Par exemple, le sous-secrétaire général des Nations Unies pour les affaires politiques, qui analyse et définit les enjeux politiques pour le Secrétaire général Ban Ki Moon, est un diplomate américain, Jeffrey Feltman, qui était un membre clé de l’équipe de Hillary Clinton lorsqu’elle effectuait un changement de régime en Libye. Et parmi les complices de cette entreprise criminelle on trouve toutes les organisations pro-gouvernementales « non gouvernementales » telles que Avaaz qui repoussent les limites de l’hypocrisie en exploitant la compassion pour les enfants afin de justifier et perpétuer ce crime majeur contre l’humanité et contre la paix dans le monde.

Diana Johnstone

Traduction "en pensant à Falloujah" par Viktor Dedaj pour le Grand Soir avec probablement toutes les fautes et coquilles habituelles.

»» http://www.counterpunch.org/2016/10...
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