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Le chanteur des FARC et les sirènes colombiennes

«  Le Venezuela serait-il devenu dangereux pour les combattants sociaux et pour les révolutionnaires du monde ? » (1) s’interroge le Parti Communiste vénézuélien. Après avoir essuyé de nombreuses critiques suite à la détention et extradition de l’opposant communiste Joaquin Pérez Becerra, le gouvernement bolivarien récidive avec l’arrestation, mardi 31 mai 2011, de Guillermo Enrique Torres, alias "Julian Conrado", membre reconnu des FARC. Toujours coiffé d’un chapeau et armé d’une guitare, l’homme s’est fait connaître comme le chanteur de la guérilla, de par ses nombreuses chansons composées sur le thème. Petite moustache et une allure d’enseignant, Julian Conrado intègre, selon les services de rensignements colombiens, la guérilla dans les années 80 fuyant l’extermination du parti de gauche l’Union Patriotique (2).

Né en 1954, l’homme était activement recherché dès lors où son corps ne fut pas retrouvé parmi les tués lors de l’opération "Fénix" (durant laquelle fut abattu Raul Reyes, en 2008) (3). Ce sont finalement les autorités vénézueliennes qui l’ont capturé, dans l’état de Barinas (à l’Ouest du pays), où le guérillero vivait dans une « modeste ferme » semble-t-il depuis qu’il avait quitté la Colombie il y a de cela huit mois (4). « Nous étions à sa poursuite depuis plusieurs années, jusqu’à ce que nous puissions récolter suffisamment d’informations crédibles qui nous indiquaient qu’il se trouvait au Venezuela ; nous en informèrent les autorités vénézuéliennes qui ont agit immédiatement » a indiqué le Ministre de la Défense colombienne, Rodrigo Rivera (5). Comme lors de l’affaire de Pérez Becerra, le président Hugo Chavez a reçu les remerciements de son homologue colombien, Juan Manuel Santos, qui a déclaré que l’extradition du détenu lui avait été confirmé par le dirigeant bolivarien (6).

Il n’est pas difficile de deviner que cette nouvelle action du régime chaviste va accentuer la fissure qui s’était déjà dessinée au sein du mouvement révolutionnaire vénézuélien. Le PCV a rapidement exprimé son désaccord profond avec l’action gouvernementale et a affirmé « toute sa solidarité » avec Julian Conrado (7). Soulignant la coopération des services de renseignements colombiens et vénézuéliens dans cette traque, il a rappelé « la relation et l’aide au niveau des services d’intelligence et militaire qui existe entre le MOSSAD israélien et la CIA nord-américaine avec le gouvernement et l’état colombien pour persécuter ceux qu’ils appellent "terroristes" et qui sont des militants révolutionnaires » (8). Pour les communistes, cette relation entre les administrations des deux pays voisins est en train « indirectement et sans le vouloir, de faire le jeu et/ou de faire partie du réseau mondial de l’impérialisme pour capturer des cadres révolutionnaires de gauche » (9).

Soumis à une alerte de code rouge émise par Interpol (10), Julian Conrado est recherché pour délit de trafic de drogue, extorsion et violence à des fins terroristes (11). Rapidement, sur internet, les sites alternatifs d’information de gauche ont informé sur cette détention et ont reçu de nombreuses critiques d’internautes à l’encontre de Chavez avec, en toile de fond, le cas de Pérez Becerra (12).

Nul doute que la Colombie semble avoir trouvé le point faible du gouvernement bolivarien avec ces différents cas d’extraditions de "terroristes". Soudainement préoccupé par l’image que pourrait renvoyer le Venezuela aux yeux des médias, le président Chavez s’est déjà exprimé sur le "piège" que lui tendait ses adversaires avec ces "patates chaudes", ce chantage au soutien "aux terroristes". Pourtant, la soumission aux exigences de Bogota ne se traduit pas par une paix médiatique à l’égard du régime chaviste : sitôt après la livraison du Becerra, une vaste campagne de désinformation s’est opérée contre Chavez avec l’affaire de l’ordinateur de Raul Reyes. Attribuant au président vénézuélien ainsi qu’à son homologue équatorien des relations douteuses et des financements obscures avec la guérilla colombienne. Il s’est avéré que l’ensemble des "preuves" apportées par l’analyse des fichiers informatiques de l’ordinateur ont été déclarées invalides et d’une authenticité « douteuse » comme le rapporte le journal britannique The Guardian (13). Le journaliste Maurice Lemoine a souligné le double jeu de Santos qui, tout en voulant s’afficher comme le nouvel allié de Caracas, n’a pas hésité a contribuer au mensonge sur ces supposées relations entre les FARC et Chavez (14).

Au final, les concessions octroyées à l’état colombien par Hugo Chavez ne lui apportent qu’un semblant d’apaisement et affaiblissent au contraire sérieusement son propre camp. Sourd aux avertissements, portés principalement par les communistes, le président vénézuélien continue d’alimenter involontairement la politique de déstabilisation de Bogota qui a réussi là à le piéger dans ses filets. Quant à Julian Conrado, il est à son tour victime de cette alliance contre-nature et sera certainement livré à ses geôliers par ceux dont il pouvait espérer au moins la protection.

« Le plus joli mot dans la guérilla (...) c’est le mot Camarade, Camarade, Camarade, on l’entend dans les bons moments et mauvais moments (...) si tu ne le sens pas ne le dis pas, ne le dis pas, ne le dis pas » (15) chantait le guérillero.

Loïc Ramirez

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Croire que la révolution sociale soit concevable... sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c’est répudier la révolution sociale. C’est s’imaginer qu’une armée prendra position en un lieu donné et dira "Nous sommes pour le socialisme", et qu’une autre, en un autre lieu, dira "Nous sommes pour l’impérialisme", et que ce sera alors la révolution sociale !

Quiconque attend une révolution sociale “pure” ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n’est qu’un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu’est une véritable révolution.

Lénine
dans "Bilan d’une discussion sur le droit des nations", 1916,
Oeuvres tome 22

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