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Le phénomène Netflix d’un point de vue marxiste

Le phénomène Netflix s’est emparé de la planète, c’est un fait. Aujourd’hui le service de vidéo à la demande par streaming est un acteur incontournable du monde de la culture. Concentration du capital et des moyens de production culturelle, modèle économique et spécificités techniques, cet article vise à explorer les problématiques soulevées par le cas Netflix pour constituer la base d’un point de vue communiste.

Parler de Netflix, et plus généralement de toute innovation technique prise dans un contexte socio-historique particulier, implique d’abord de considérer objectivement ce sur quoi porte l’innovation en question : un outil. Netflix, en tant que plateforme de streaming vidéo adjointe d’un modèle commercial innovant (l’abonnement donnant un accès illimité à un certain contenu), est un moyen technique, “infrastructures”. Si l’on veut analyser Netflix dans l’usage qu’en fait la société – dans sa fonction culturelle et anthropologique – nous parlons non plus de l’outil lui-même, mais de la manière dont cet outil fonctionne, ou plutôt de la manière dont on le fait fonctionner.

L’outil Netflix (la plateforme de streaming avec ses serveurs, ses logiciels, son modèle commercial) conditionne l’usage, c’est une évidence. Il ne peut y avoir d’individus – ni de groupes sociaux – qui profitent du streaming s’il n’existe pas de plateforme de streaming. Mais ce serait une erreur que de considérer l’usage (la fréquence à laquelle on utilise Netflix, le type de contenu que l’on y visionne, les buts avoués ou inconscients de cette pratique, etc) comme strictement déterminé par le seul outil.

Notre analyse devra faire la critique aussi bien de l’usage (la pratique et la fonction sociale) que de la structure (les conditions matérielles de l’usage) qui font ensemble la totalité de notre cas d’étude.

Mais quitte à utiliser la catégorie de totalité, nous devons pousser la logique jusqu’au bout en considérant que la totalité que constitue Netflix en tant qu’objet d’étude se trouve elle-même prise dans une totalité d’ordre supérieur, à savoir la société capitaliste dans laquelle Netflix est pensé et utilisé.

Un point de vue communiste sur la question de Netflix doit donc partir de ce qui est le premier terme de notre équation : la réalité matérielle de Netflix. La principale innovation du site de streaming n’est pas son fonctionnement au point de vue strictement technologique. L’informatique rendait le streaming possible bien avant l’apparition de la plateforme. Son innovation majeure est son modèle commercial basé sur l’abonnement donnant accès à un contenu immense par sa quantité. Kinnari Naik de l’université de Leicester a calculé qu’il faudrait 3274 heures d’une vie pour regarder l’ensemble des contenus hébergés sur le site.

Notre première critique sera donc une interrogation quant à ce modèle commercial : permet-il de rémunérer justement l’ensemble des travailleurs participant au procès de production allant de l’écriture du scénario au partage en ligne du contenu audiovisuel ? Sans même avoir besoin de répondre par la négative de manière argumentée, nous pouvons d’ores et déjà dire que tant qu’une hiérarchie capitaliste exploite les travailleurs concernés le problème du modèle commercial est précédé par celui de la plus-value. Supprimer l’exploitation des travailleurs en remettant l’outil productif entre les mains de ceux qui l’utilisent est la condition à laquelle on peut envisager le problème de la plus-value sous un aspect “purement” technique et non plus politique - au sens de la lutte des classes. Dans une économie socialiste, un équivalent de Netflix serait possédé collectivement et son usage serait soumis à un débat démocratique. A cette condition on pourrait débattre sans entraves politiques de la répartition de la valeur économique dégagée par un modèle commercial innovant. Sans traiter le problème à la racine (la question de la plus-value), on se condamne à l’impuissance, en ce qu’on ne remet pas en cause le droit d’une minorité de donneurs d’ordres capitalistes à décider pour tous.

Outre le modèle commercial, ce qui fait la force de Netflix (ainsi que nombreux autres services en ligne comme Facebook, Youtube, etc) est l’effet de plateforme. Un hébergeur de contenus sur internet bénéficie de cet effet à partir du moment où la quantité de données hébergées atteint une certaine “masse critique”. Plus la masse de données est grande, plus l’usager a de chances de trouver ce qu’il cherche sur une seule et même plateforme, moins il devient intéressant d’héberger des contenus ailleurs. En langage économique on pourrait dire que les coûts de transaction du passage d’un hébergeur à un autre augmentent au fur et à mesure que le passage se fait d’un “grand” à un “petit” hébergeur. Très simplement, il est plus intéressant de payer 10 euros par mois pour accéder à 5 millions de films que de payer la même somme pour accéder à 500 000 films, ces derniers fussent-ils de meilleure qualité.

Cet effet de plateforme pousse à la concentration des contenus de manière quasi inéluctable. Seule une innovation majeure peut briser un effet de plateforme préexistant, voyez par exemple comment Facebook a remplacé MySpace au milieu des années 2000 grâce à ses fonctionnalités et son interface radicalement neuves.

Une telle “disruption” a bien moins de chances d’avoir lieu aujourd’hui, car le marché des services en ligne est de plus en plus dominé par une fraction du capital qui s’est concentrée à mesure que se sont concentrés et amplifiés les contenus. Aujourd’hui Facebook se prémunit de toute concurrence en rachetant les services qui pourraient un jour avoir l’envie de chasser sur ses terres propres (Instagram, WhatsApp).

Le double mouvement de concentration des contenus et de concentration du capital sont pris par les communistes dans une perspective technique (l’avantage objectif qu’il y a à bénéficier des effets de plateforme, l’avantage objectif qu’il y a à concentrer les moyens de production pour faire accéder le plus grand nombre à la consommation de produits culturels) mais aussi dans une perspective politique. En menant le combat sur le terrain de la lutte des classes, nous luttons pour que les innovations socialement utiles apportées par Netflix soient remises entre les mains de tous ceux qui en bénéficient et qui y contribuent : les travailleurs, et en dernière analyse la société dans son ensemble. Dans une société socialiste il devient possible d’envisager un service public de la culture qui garantit à tous un accès égal aux contenus audiovisuels en question. Dans ce contexte l’infrastructure informatique et le modèle commercial par abonnement peuvent être de formidables supports d’une diffusion égalitaire de la culture. Dans la société capitaliste c’est un tout autre usage qui prévaut, ce que nous allons montrer ici.

Quant à l’usage qui est fait de la plateforme, il nous faut d’abord voir ce qu’est concrètement le catalogue que propose Netflix. Et il nous faut voir que de simple plateforme, l’entreprise étasunienne est passée au rang de producteur de grande envergure, avec 80 films en 2018. Avec un résultat net de 1,2 milliards de dollars en 2018, il s’agit là d’un géant dont le poids décisionnel dans le monde du business culturel va toujours grandissant. Et de la même manière que l’on peut critiquer la production du studio Marvel (propriété de Disney) comme accumulation de navets à la sauce super-héros, on se doit de critiquer Netflix pour le type de contenus proposés sur la plateforme.

Pour grandir, Netflix a fait le pari de l’éclectisme : en étant peu tatillonne, la société donne la chance à des scénaristes, réalisateurs et acteurs peu connus du public. Cette stratégie qui consiste à se constituer un répertoire le plus vaste, le plus diversifié (mais surtout le plus profitable) possible permet l’acquisition de perles rares insoupçonnées et la constitution d’une bande de contenus exclusifs permettant de contrer légèrement la dépendance vis-à-vis des grands producteurs que sont Warner Bros, Disney et consorts (car ce sont ces producteurs qui accordent à Netflix les licences de diffusion des œuvres dont ils sont propriétaires).

Si l’on peut louer le fait que Netflix donne des chances de briller à des artistes inconnus, il ne faut pas s’y tromper en voulant y voir de la bienveillance et de l’amour pour la diversité culturelle. Netflix doit faire face à une concurrence féroce sur le marché de la vidéo à la demande, et n’utilise l’éclectisme que par intérêt économique. Un service public de la culture qui utiliserait certaines méthodes de la firme de Los Gatos (siège social de Netflix en Californie) aurait pour mission de financer la création artistique la plus diversifiée possible, mais sans avoir pour objectif premier la rentabilité qui prévaut chez les grandes entreprises du secteur. Dans une telle perspective un abonnement payé chaque mois par les utilisateurs ne financerait pas qu’un échantillon prédéfini de grosses productions destinées au public de masse, mais pourrait au contraire instaurer une forme de solidarité envers les petites productions artistiques.

Il s’agit maintenant de constater ce vers quoi mène l’émergence des géants du secteur de la culture. Ici la critique embrasse de nombreux acteurs, d’Universal à Netflix en passant par Warner, Disney et l’ensemble des grandes sociétés qui forment l’hégémonie culturelle du capital dans la sphère de la production cinématographique et musicale.

Le risque est déjà constaté comme réalité. L’immense majorité des produits dont est gavé le public participent de la diffusion d’idéologies qui ne font qu’accroître la domination du capital dans les esprits. Voyons par exemple la dernière saison de la série House of Cards produite par Netflix. Suite aux démêlés de l’acteur vedette Kevin Spacey en proie à des accusations de harcèlement sexuel, l’ultime saison a pris un tournant dans la droite ligne d’un certain féminisme libéral. Le mouvement #MeToo apparaît en filigrane tout au long de la saison, à travers la figure de Claire Underwood (femme du président Frank Underwood joué par Spacey). Le combat féministe bourgeois qu’elle mène devient la thématique centrale d’une série dans laquelle le cynisme politicien est un fil conducteur intangible. Cela soulève de nombreuses questions quant à la sincérité de ce militantisme. Quid de l’émancipation des femmes prolétaires ? Quid du féminisme réel incarné par les figures communistes depuis Clara Zetkin jusqu’à Angela Davis ? Quelle sincérité prêter à la ligne politique implicite que défend la série dans sa dernière saison ? Soyons clairs : notre sujet n’est pas le mouvement MeToo (qui est en premier lieu l’expression légitime de personnes ayant subi des agressions sexuelles), mais bien la récupération par le capital des problématiques “sociétales” pour faire pièce aux revendications sociales que porte un prolétariat en lutte.

La comédie ordinaire de la bourgeoisie s’étale à l’écran sans discontinuer, les injonctions morales au politiquement correct jouent plus que jamais leur rôle d’écrasement de la conscience de classe. Ceux-là disent : “voyez les gilets jaunes réactionnaires, voyez les masses avides de sang juif, homosexuel ou féminin. Comment accorder à ces brutes le moindre sou en plus sur leur fiche paie ? Ils n’en feraient de toute façon pas bon usage.” Cette comédie dans laquelle les pires réactionnaires que sont les bourgeois se font parangons de vertu est le jeu du grand capital. Ce jeu impose les règles du débat à la majorité via l’influence des monopolistes de la culture. Face à cela, les communistes maintiennent que le grand capital continuera de répandre ses idéologies antisociales tant qu’il en aura les moyens : il en va de sa survie.

Et pourtant... Netflix faisant le pari de l’éclectisme et de la loi du marché, il lui faut bien satisfaire une certaine demande venue de la part des franges contestataires de la population. C’est par exemple la série Brésilienne “3%”, dans laquelle est dépeint une société dystopique où 3% de privilégiés maintiennent sous leur coupe le reste de la société, qui incarne à merveille l’émergence d’un discours de plus en plus désillusionné quant à la société capitaliste. On pourrait se dire que Netflix aurait mieux à faire que de subventionner de telles productions, qui risquent d’éveiller dans l’esprit des gens certaines aspirations politiques contraires à ses intérêts. Comme disait Lénine : “les capitalistes nous vendront la corde avec laquelle nous les pendrons.”

Mais les communistes ne doivent pas non plus se faire d’illusions quant au réel potentiel subversif de telles productions, d’abord parce qu’elles participent avant tout d’un même complexe culturel au sein duquel l’alternative au capitalisme qu’est le socialisme-communisme n’est jamais présentée sous un jour favorable. Si les séries et films dystopiques fleurissent, on tarde encore à voir des artistes proposer dans leurs oeuvres un futur enviable auquel vouer un combat politique. Il est même avantageux pour le capital que les gens se morfondent dans un univers mental dystopique : l’espoir n’y vit plus, on n’a plus rien à faire que se lamenter sur son sort réel ou fantasmé en se targuant de subversion.

En conclusion nous pouvons parler d’un avis mitigé sur la question Netflix. En tant que fraction concentrée du grand capital mondial, en tant qu’instrument d’une hégémonie culturelle vacillante mais bien vivante, Netflix compte parmi les ennemis politiques du communisme. En tant que modèle économique et technique innovant, Netflix apporte des éléments intéressants à qui veut construire une culture démocratisée pour un monde socialiste.

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"c’est un cliché de journaliste que de souligner le caractère futile de lancer des pierres contre des tanks. Faux. Il est certain qu’il s’agit là d’un acte symbolique, mais pas futile. Il faut beaucoup de courage pour affronter une monstre d’acier de 60 tonnes avec des pierres ; l’impuissance du lanceur de pierres à arreter le tank ne fait que souligner l’impuissance du tank à faire ce qu’il est censé faire : terroriser la population."

Gabriel Ash

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