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Le Vatican : cité, cité-État, nation ou banque ?

Le texte qui suit est une traduction d’un article du journaliste et auteur étasunien Gerald Posner intitulé « The Vatican : City, City-State, Nation, or … Bank ? », publié le 21 avril 2025 sur le site du magazine étasunien Skeptic.

Beaucoup de gens ne considèrent la Cité du Vatican que comme le siège du gouvernement des 1300 millions de catholiques romains du monde. Quelques athées critiques y voient une holding capitaliste jouissant de privilèges spéciaux. Cependant, ce petit bout de terre au centre de Rome est également une nation souveraine, qui dispose d’ambassades diplomatiques appelées nonciatures apostoliques dans plus de 180 pays, et possède le statut d’observateur permanent auprès des Nations Unies.

Cela étant, le Vatican diffère radicalement des autres pays. Pour le comprendre, il faut connaître l’histoire de sa souveraineté. Depuis plus de 2 000 ans, le Vatican est une monarchie non héréditaire. Le pape est son chef suprême, investi du pouvoir décisionnel exclusif sur toutes les questions religieuses et temporelles. Il n’y a pas de pouvoir législatif, judiciaire ou de système de contrôle et d’équilibre des pouvoirs. Même les pires papes – sachant qu’il y en a eu de vraiment terribles – sont sacro-saints. Il n’y a jamais eu de coup d’État, de démission forcée ou d’assassinat avéré d’un pape. En 2013, le pape Benoît XVI est devenu le premier pape à démissionner en 600 ans. Les problèmes de déclin cognitif sont balayés sous le tapis. En investissant un seul homme d’un pouvoir illimité, le modèle gouvernemental du Vatican se rapproche de celui d’une poignée de monarchies absolues comme l’Arabie saoudite, Brunei, Oman, le Qatar et les Émirats arabes unis.

Un peu d’histoire. Du VIIIe siècle jusqu’en 1870, le Vatican constitue un empire séculier semi-féodal- les « États pontificaux » — qui contrôle la majeure partie de l’Italie centrale. Durant la Renaissance, les papes sont des rivaux redoutés des monarchies les plus puissantes d’Europe. Les papes croient que Dieu les a placés sur terre pour régner sur tous les autres dirigeants du monde. Les papes du Moyen Âge disposent de près d’un millier de serviteurs et sont entourés de centaines de clercs et de députés laïcs. Cette « Curie », en référence à la cour d’un empereur romain, devint un réseau de complots et de tromperies, composé en grande partie d’hommes célibataires (en théorie) qui vivaient et travaillaient ensemble tout en rivalisant afin de parvenir dans les petits papiers du pape.

Le coût de fonctionnement des États pontificaux, qui comprenaient l’une des plus grandes cours d’Europe, soumet le Vatican à une importante tension financière. Il a beau engranger des impôts et des taxes, vendre les produits de sa région agricole riche au nord et percevoir des loyers sur ses propriétés dans toute l’Europe, il est toujours à court d’argent. L’Église entreprend alors de vendre des indulgences, une invention du VIe siècle qui consiste en un morceau de papier promettant que Dieu renoncerait à toute punition terrestre pour les péchés de l’acheteur. Les pénitences imposées par l’Église primitive étaient souvent sévères, allant de la flagellation à l’emprisonnement, voire à la mort. Si certaines indulgences sont gratuites, les meilleures, qui promettent la plus grande rédemption pour les péchés les plus graves, sont coûteuses. Le Vatican fixe les prix en fonction de la gravité du péché.

À l’époque, le concept de budget ou de planification financière demeure un gros mot pour les papes qui se succèdent. Comble d’humiliation, l’Église se retrouve contrainte d’emprunter à deux reprises aux Rothschild, la plus importante dynastie bancaire juive d’Europe. James de Rothschild, chef du siège parisien de la famille, devient le banquier officiel du pape. Lorsque la famille renfloue le Vatican, cela ne fait que trente-cinq ans que les répercussions déstabilisantes de la Révolution française ont conduit à l’assouplissement des lois discriminatoires à l’égard des Juifs en Europe occidentale. C’est seulement alors que Mayer Amschel, le patriarche de la famille Rothschild, quitte le ghetto de Francfort avec ses cinq fils et crée une banque. Il n’est donc pas étonnant que les Rothschild aient suscité une telle jalousie. Au moment où le pape Grégoire leur demande le premier prêt, ils viennent de créer la plus grande banque du monde, dix fois plus importante que leur plus proche concurrent.

L’opposition du Vatican au capitalisme est un vestige des idéologies médiévales, selon lesquelles seule l’Église est habilitée par Dieu à lutter contre Mammon, une divinité satanique incarnant la cupidité. Son interdiction de l’usure, c’est-à-dire du fait de percevoir des intérêts sur l’argent prêté ou investi, repose sur une interprétation littérale de la Bible. Le Vatican se méfie du capitalisme. Il pense que les militants laïques l’utilisent comme un levier afin de séparer l’Église de l’État. Dans certains pays, la « bourgeoisie capitaliste », comme l’appelait le Vatican, avait même confisqué des terres de l’Église en vue de les affecter à un usage public. La résistance du Vatican à la finance moderne est également alimentée par l’idée que le capitalisme est principalement l’apanage des Juifs. Quoi qu’il en soit, si les dirigeants de l’Église n’apprécient peut-être pas les Rothschild, ils aiment leur argent.

En 1870, le Vatican perd son empire terrestre du jour au lendemain lorsque Rome tombe aux mains des nationalistes qui luttent pour unifier l’Italie sous un seul gouvernement. Les seize mille kilomètres carrés de l’Église sont réduits à une minuscule parcelle de terre. La perte des revenus des États pontificaux place l’Église était au bord de la faillite.

Le Vatican parvient à survivre grâce au « denier de Saint-Pierre », une collecte de fonds très populaire depuis le VIIIe siècle chez les Saxons en Angleterre (et interdite par la suite par Henri VIII lorsqu’il rompit avec Rome et se proclama chef de l’Église d’Angleterre). Le Vatican supplie les catholiques du monde entier de contribuer financièrement pour soutenir le pape, qui s’était déclaré prisonnier au sein du Vatican et refusait de reconnaître la souveraineté du nouveau gouvernement italien sur l’Église.

Au cours des près de 60 années d’impasse qui suivent, la gestion financière insulaire et largement calamiteuse du Vatican le maintient sous une pression énorme. Le Vatican aurait fait faillite si Mussolini ne l’avait pas sauvé. Le Duce, le leader fasciste italien, n’était pas un grand fan de l’Église, mais il était suffisamment réaliste sur le plan politique pour comprendre que 98 % des Italiens étaient catholiques. En 1929, le Vatican et le gouvernement fasciste signent les accords du Latran, qui confèrent à l’Église un pouvoir plus important que tout ce qu’elle avait jamais connu depuis l’apogée de son royaume temporel. Ils octroient 44 hectares à la Cité du Vatican et 52 propriétés « patrimoniales » dispersées en vue de former un État autonome. Ils rétablissent la souveraineté papale et mettent fin au boycott de l’État italien par le pape.

Les accords du Latran déclarent le pape « sacré et inviolable », l’équivalent d’un monarque laïc, et reconnaissent qu’il est investi de droits divins. Un nouveau code de droit canonique rend l’enseignement religieux catholique obligatoire dans les écoles publiques. Les cardinaux se voient accorder les mêmes droits que les princes de sang. Toutes les fêtes religieuses deviennent des jours fériés et les prêtres sont exemptés du service militaire et du devoir de juré. Une convention financière en trois articles accorde aux « corporations ecclésiastiques » une exonération fiscale totale. Elle indemnise également le Vatican pour la confiscation des États pontificaux à hauteur de 750 millions de lires en espèces et d’un milliard de lires en obligations d’État assorties d’un intérêt de 5 %. Cet accord, d’une valeur d’environ 1,6 milliard de dollars de 2024, soit environ un tiers du budget annuel total de l’Italie, constitua une bouée de sauvetage indispensable pour l’Église, qui manquait cruellement de liquidités.

Pie XI, le pape qui conclut l’accord avec Mussolini, était suffisamment avisé pour savoir que ses cardinaux et lui avaient besoin d’aide pour gérer cette énorme manne. Il fit donc appel à un conseiller laïc extérieur, Bernardino Nogara, un fervent catholique réputé pour être un génie de la finance.

Nogara ne tarda pas à bouleverser des centaines d’années de tradition. Il ordonna par exemple à chaque département du Vatican d’établir un budget annuel et de publier chaque mois un état des recettes et des dépenses. La Curie s’insurgea lorsqu’il persuada Pie XI de réduire les salaires des employés de 15 %. Après le krach boursier de 1929, Nogara investit dans des entreprises étasuniennes de premier ordre dont les actions avaient chuté. Il acheta également des biens immobiliers prestigieux à Londres à des prix défiant toute concurrence. Alors que les tensions montaient dans les années 1930, Nogara diversifia encore les avoirs du Vatican dans des banques internationales, des obligations d’État américaines, des entreprises manufacturières et des services publics d’électricité.

Sept mois seulement avant le début de la Deuxième Guerre mondiale, l’Église se dote d’un nouveau pape, Pie XII, qui avait une affection particulière pour l’Allemagne (il avait été nonce apostolique, c’est-à-dire ambassadeur, en Allemagne). Nogara prévient que le déclenchement de la guerre mettrait à rude épreuve l’empire financier qu’il avait si soigneusement construit pendant une décennie. Lorsque la guerre éclate en septembre 1939, Nogara comprend qu’il ne suffit pas de transférer les actifs immobilisés du Vatican vers des refuges sûrs. Il sait qu’au-delà du champ de bataille militaire, les gouvernements mènent une vaste guerre économique pour vaincre l’ennemi. Les puissances de l’Axe et les Alliés imposent une série de décrets draconiens restreignant de nombreuses transactions commerciales internationales, interdisant le commerce avec l’ennemi, prohibant la vente de ressources naturelles essentielles et gelant les comptes bancaires et les actifs des ressortissants ennemis.

Les États-Unis sont les plus agressifs, recherchant les pays, les entreprises et les ressortissants étrangers qui font affaire avec les nations ennemies. Sous la direction du président Franklin Roosevelt, le département du Trésor crée une liste noire. En juin 1941 (six mois avant Pearl Harbor et l’entrée officielle des États-Unis dans la guerre), la liste noire comprenait non seulement les belligérants évidents tels que l’Allemagne et l’Italie, mais aussi des nations neutres comme la Suisse et les minuscules principautés de Monaco, Saint-Marin, Liechtenstein et Andorre. Seuls le Vatican et la Turquie sont épargnés. Le Vatican était le seul pays européen à avoir proclamé sa neutralité et à ne pas figurer sur la liste noire.

Au sein du département du Trésor, un débat houleux éclate pour savoir si les manœuvres de Nogara visant à dissimuler les holdings dans plusieurs juridictions bancaires européennes et sud-américaines sont suffisantes pour inscrire le Vatican sur la liste noire. Nogara arrive à la conclusion que ce n’est qu’une question de temps avant que le Vatican ne soit sanctionné.

Chaque transaction financière laisse une trace écrite auprès des banques centrales des Alliés. Nogara doit mener les affaires du Vatican en secret. La création, le 27 juin 1942, de l’Istituto per le Opere di Religione (IOR), la banque du Vatican, est une aubaine. Nogara rédige un chirographe (une déclaration manuscrite), une charte en six points pour la banque, signée par Pie XI. Comme sa seule succursale se trouve à l’intérieur de la Cité du Vatican, qui, encore une fois, ne figure sur aucune liste noire, l’IOR est libre de toute réglementation en temps de guerre. L’IOR est un mélange entre une banque traditionnelle (comme J. P. Morgan) et une banque centrale (comme la Réserve fédérale étasunienne). La banque du Vatican peut opérer partout dans le monde, ne paie pas d’impôts, n’a pas à afficher ses bénéfices, à produire de rapports annuels, à divulguer ses bilans ou à rendre des comptes à des actionnaires. Située dans un ancien donjon de la Torrione di Nicoló V (Tour de Nicolas V), elle diffère beaucoup des autres banques.

La banque du Vatican est créée en tant qu’institution autonome, sans aucun lien entrepreneurial ou ecclésiastique avec une autre division de l’Église ou quelque agence laïque. Son seul actionnaire est le pape. Nogara la dirige sous le seul veto de Pie XII. Sa charte lui permet « de prendre en charge et d’administrer les actifs destinés aux organismes religieux ». Nogara interprète cette disposition de manière libérale, estimant que l’IOR peut accepter des dépôts en espèces, en biens immobiliers ou en actions (et même, plus tard, pendant la guerre, en redevances sur les brevets et en paiements de polices d’assurance).

Durant la guerre, de nombreux Européens inquiets cherchent désespérément un refuge pour leur argent. Les riches Italiens, en particulier, sont impatients de sortir leur argent du pays. Mais Mussolini décrète la peine de mort pour toute personne exportant des lires depuis les banques italiennes. Parmi les six pays limitrophes de l’Italie, le Vatican reste le seul territoire souverain non soumis aux contrôles frontaliers italiens. Grâce à la banque du Vatican et aux ecclésiastiques disposés à recevoir des valises remplies d’argent liquide sans laisser de traces écrites, les Italiens peuvent contourner les limitations. Et contrairement aux autres banques souveraines, l’IOR n’est soumise à aucun audit indépendant. Elle est tenue, supposément afin de rationaliser la tenue des registres, de détruire tous ses dossiers tous les dix ans (une pratique qu’elle a suivie jusqu’en 2000). L’IOR n’a pratiquement rien laissé qui puisse permettre aux enquêteurs d’après-guerre de déterminer s’il s’agissait d’un moyen de blanchir le butin de guerre, de détenir des comptes ou de l’argent qui aurait dû être restitué aux victimes.

La création de l’IOR fait disparaître le Vatican du radar des enquêteurs financiers étasuniens et britanniques. Elle permet à Nogara d’investir à la fois dans les forces alliées et dans les puissances de l’Axe. Comme je l’ai découvert lors des recherches que j’ai effectuées pour mon livre sur les finances de l’Église, God’s Bankers : A History of Money and Power at the Vatican (« Les banquiers de Dieu : Une histoire de l’argent et du pouvoir au Vatican », non traduit), publié en 2015, les principaux gains de Nogara, pendant la guerre, sont liés à ses investissements dans des compagnies d’assurance allemandes et italiennes. Le Vatican réalisa des profits colossaux lorsque ces compagnies confisquèrent les polices d’assurance-vie des Juifs envoyés dans les camps de la mort et les convertirent en espèces.

Après la guerre, le Vatican affirma n’avoir jamais investi ni tiré profit de l’Allemagne nazie ou de l’Italie fasciste. Tous ses investissements et mouvements d’argent durant la guerre furent dissimulés par le réseau offshore impénétrable de Nogara. La seule preuve de ce qu’il s’est passé se trouve dans les archives de la Banque du Vatican, qui demeurent scellées à ce jour. (J’ai publié des articles d’opinion dans le New York Times, le Washington Post et le Los Angeles Times appelant l’Église à ouvrir ses dossiers de la banque du Vatican sur la guerre afin qu’ils puissent être inspectés. L’Église a ignoré ces demandes.)

La banque du Vatican permit à l’Église de réaliser d’immenses profits pendant la guerre. Mais par la suite, ses caractéristiques mêmes – absence de transparence et de contrôle, absence de contrepoids, non-respect des meilleures pratiques bancaires internationales – devinrent sa faiblesse. Son secret absolu en fit un paradis fiscal offshore très prisé après la guerre par les riches Italiens qui souhaitaient échapper à l’impôt sur le revenu. Les chefs de la mafia nouèrent des liens d’amitié avec des membres haut placés du clergé et les utilisèrent pour ouvrir des comptes à l’IOR sous de faux noms. Nogara prit sa retraite dans les années 1950. Les profanes qui l’avaient assisté étaient loin d’être aussi intelligents et imaginatifs que lui. Cela ouvrit la banque du Vatican à l’influence des banquiers laïcs. L’un d’eux, Michele Sindona, fut surnommé par la presse « le banquier de Dieu » au milieu des années 1960 en raison de son influence considérable et des accords qu’il avait conclus avec la Banque du Vatican. Sindona était un banquier flamboyant dont les projets d’investissement étaient toujours à la limite de la légalité. (Des années plus tard, il fut condamné pour fraude financière massive et meurtre d’un procureur, avant d’être lui-même assassiné dans une prison italienne.)

Pour aggraver encore les effets néfastes de la gestion des investissements de l’Église par Sindona, le pape choisit dans les années 1970 un fidèle monseigneur, Paul Marcinkus, né à Chicago, pour diriger la Banque du Vatican. Le problème, c’était que Marcinkus ne connaissait pratiquement rien à la finance ni à la gestion d’une banque. Il raconta plus tard à un journaliste que lorsqu’il apprit qu’il allait superviser la Banque du Vatican, il visita plusieurs banques à New York et à Chicago pour glaner des conseils. Il acheta également quelques livres sur la banque internationale et les affaires. Un haut responsable de la banque du Vatican s’inquiéta du fait que Marcinkus « ne savait même pas lire un bilan ».

Marcinkus permit à la banque du Vatican de s’impliquer davantage avec Sindona, puis avec un autre banquier au discours enflammé, Roberto Calvi. Comme Sindona, Calvi fut également recherché pour de nombreux crimes financiers et fraudes, mais il jamais condamné. Il fut retrouvé pendu en 1982 sous le pont Blackfriars à Londres.

Dans les années 1980, la banque du Vatican était devenue partenaire d’entreprises douteuses dans des paradis fiscaux comme le Panama, les Bahamas, le Liechtenstein, le Luxembourg et la Suisse. Lorsqu’un ecclésiastique demanda à Marcinkus pourquoi la banque du Vatican était entourée d’un tel mystère, il lui répondit : « On ne peut pas diriger l’Église avec des Ave Maria. »

Toutes ces transactions secrètes furent dévoilées au début des années 1980, lorsque l’Italie et les États-Unis ouvrirent des enquêtes criminelles sur Marcinkus. L’Italie l’inculpa, mais le Vatican refusa de l’extrader, lui permettant ainsi de rester dans la Cité du Vatican. Le bras de fer prit fin lorsque toutes les accusations criminelles furent abandonnées et que l’Église versa la somme astronomique de 244 millions de dollars à titre de « contribution volontaire » pour reconnaître son « implication morale » dans la fraude bancaire en Italie. (Quelques années plus tard, Marcinkus retourna aux États-Unis, où il passa ses dernières années dans une petite paroisse de Sun City, en Arizona).

On aurait pu s’attendre à ce qu’après s’être laissé utiliser par une multitude de fraudeurs et de criminels, la banque du Vatican mette de l’ordre dans ses affaires. Mais tel ne fut pas le cas. Le pape a beaucoup parlé de réformes, mais elle a continué de pratiquer les mêmes opérations secrètes, allant même jusqu’à effectuer des dépôts offshore massifs sous couvert de fausses organisations caritatives. La combinaison entre une grande quantité d’argent, en grande partie en espèces, et une absence totale de contrôle s’est une fois de plus avérée explosive. Tout au long des années 1990 et au début des années 2000, la banque du Vatican est restée une banque offshore au cœur de Rome. Elle fut même de plus en plus utilisée par les plus hauts responsables politiques italiens, y compris les Premiers ministres, comme caisse noire pour tout, de l’achat de cadeaux pour leurs maîtresses au paiement de leurs ennemis politiques.

Les tabloïds italiens et un livre publié en 2009 par le grand journaliste d’investigation Gianluigi Nuzzi révélèrent une grande partie des dernières malversations de la Banque du Vatican. Ce n’est toutefois pas la honte publique causée par les « Vatileaks » qui conduisit à des réformes substantielles dans la gestion financière de l’Église. De nombreux hauts dignitaires ecclésiastiques savaient que vu que l’institution était vieille de 2 000 ans, s’ils attendaient patiemment que l’indignation publique s’apaise, la banque du Vatican pourrait rapidement reprendre ses activités louches.

Ce qui bouleversa la gestion financière de l’Église provint de manière inattendue, avec une décision concernant une monnaie commune — l’euro — qui semblait à l’époque sans rapport avec la Banque du Vatican. L’Italie abandonna la lire comme monnaie nationale et adopta l’euro en 1999. Initialement, cela plaça le Vatican, qui avait toujours utilisé la lire, dans une situation délicate. Le Vatican débattit de la question de savoir s’il devait émettre sa propre monnaie ou adopter l’euro. En décembre 2000, l’Église signa une convention monétaire avec l’Union européenne qui lui permit d’émettre ses propres pièces en euros (marquées distinctivement « Città del Vaticano ») ainsi que des pièces commémoratives qu’elle vendit à un prix nettement plus élevé aux collectionneurs. Il est important de noter que cet accord n’obligeait pas le Vatican, ni les deux autres pays non membres de l’UE qui avaient accepté l’euro — Monaco et l’Andorre —, à se conformer aux strictes réglementations européennes en matière de blanchiment d’argent, de financement du terrorisme, de fraude et de contrefaçon.

Ce que le Vatican n’avait pas prévu, c’est que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), un groupe économique et commercial de 34 pays qui surveille la transparence en matière d’échange d’informations fiscales entre les pays, avait parallèlement commencé à enquêter sur les paradis fiscaux. Les pays qui partageaient leurs données financières et avaient mis en place des mesures de protection adéquates contre le blanchiment d’argent étaient inscrits sur une liste dite « blanche ». Ceux qui n’avaient pas agi mais s’étaient engagées à le faire étaient inscrits sur la liste grise de l’OCDE, et ceux qui refusaient de réformer leurs lois sur le secret bancaire étaient relégués sur la liste noire. L’OCDE ne pouvait pas contraindre le Vatican à coopérer, car il n’était pas membre de l’Union européenne. Cependant, son inscription sur la liste noire de l’OCDE aurait paralysé la capacité de l’Église à faire des affaires avec toutes les autres juridictions bancaires.

En décembre 2009, le Vatican signa à contrecœur une nouvelle convention monétaire avec l’UE et s’engagea à se conformer aux lois européennes en matière de blanchiment d’argent et de lutte contre le terrorisme. Il fallut un an avant que le pape ne promulgue le tout premier décret interdisant le blanchiment d’argent. Le changement le plus significatif eut lieu en 2012, lorsque l’Église autorisa les régulateurs européens de Bruxelles à examiner les livres de la Banque du Vatican. Il y avait un peu plus de 33 000 comptes et quelque 8,3 milliards de dollars d’actifs. La banque du Vatican n’était pas conforme à la moitié des quarante-cinq recommandations de l’UE. Elle avait toutefois fait suffisamment d’efforts pour éviter d’être inscrite sur la liste noire.

Dans leur évaluation de la banque du Vatican en 2017, des régulateurs européens notèrent que le Vatican avait fait des progrès significatifs dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Il s’est toutefois avéré extrêmement difficile de changer l’ADN des finances du Vatican. Lorsqu’un réformateur, le cardinal argentin Jorge Bergoglio, devint le pape François en 2013, il approuva une vaste réorganisation financière visant à rendre l’Église plus transparente et à la mettre en conformité avec les normes et pratiques financières internationalement reconnues. La mesure la plus notable fut la création par François d’une puissante division de surveillance financière, dont il confia la direction au cardinal australien George Pell. Mais Pell fut contraint de démissionner et de retourner en Australie, où il fut condamné pour abus sexuels sur mineurs en 2018. En 2021, le Vatican ouvrit le plus grand procès pour corruption financière de son histoire, incluant même pour la première fois la mise en accusation d’un cardinal. Cependant, l’affaire échoua et démontra finalement que le népotisme financier et les magouilles du Vatican se poursuivaient presque sans relâche sous le règne de François.

Il semble que pour chaque pas en avant, le Vatican parvienne d’une manière ou d’une autre à reculer en matière d’argent et de bonne gouvernance. Pour celles et ceux d’entre nous qui étudient la question, bien que le Vatican soit aujourd’hui plus conforme vis-à-vis de la communauté internationale qu’il ne l’a jamais été par le passé, le plus grand obstacle à une véritable réforme réside dans le fait que tout le pouvoir y est toujours détenu par un seul homme que l’Église considère comme le vicaire du Christ sur la Terre.

L’Église catholique considère que le pape régnant est infaillible lorsqu’il s’exprime ex cathedra (littéralement « depuis le siège », c’est-à-dire lorsqu’il fait une déclaration officielle) sur des questions de foi et de morale. Cependant, même les catholiques les plus fidèles ne croient pas que tous les papes prennent les bonnes décisions lorsqu’il s’agit de diriger le gouvernement souverain de l’Église. Aucune réforme susceptible de démocratiser le Vatican ne semble se profiler à l’horizon. Nous pouvons donc nous attendre à ce que de nouveaux scandales financiers ou des affaires liées à des luttes pour le pouvoir éclatent dans l’avenir, tandis que le Vatican s’efforce de devenir un membre respectueux de la communauté internationale.

Traduction : Nicolas Casaux

 https://www.partage-le.com/2025/04/28/le-vatican-cite-cite-etat-nation-ou-banque-par-gerald-posner/
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COMMENTAIRES  

02/05/2025 11:10 par Ida

"Les puissances de l’Axe et les Alliés imposent une série de décrets draconiens restreignant de nombreuses transactions commerciales internationales, interdisant le commerce avec l’ennemi, prohibant la vente de ressources naturelles essentielles et gelant les comptes bancaires et les actifs des ressortissants ennemis." Ah donc c’est possible de faire ça ! Bizarre qu’aujourd’hui avec l’entité génocidaire ça ne vienne pas à l’idée des dirigeants de procéder de la même manière. Mais j’oubliais, bête que je suis, on ne punit pas le flic de quartier représentant les ricains au Moyen Orient.

06/05/2025 16:08 par Tanguy

" Il n’y a jamais eu de coup d’État, de démission forcée ou d’assassinat avéré d’un pape. "

https://fr.wikipedia.org/wiki/Cat%C3%A9gorie:Pape_assassin%C3%A9

Et aucune démission forcée ?

"Déporté dans des mines en Sardaigne par l’empereur Maximin le Thrace, Pontien renonce à son siège épiscopal le 28 septembre 235"

"Déporté en Chersonnèse Taurique par l’empereur Constant II, Martin Ier aurait approuvé, ou du moins n’aurait pas condamné l’élection de son successeur Eugène Ier, ce qui peut être interprété comme une renonciation."

"Déposé par l’empereur Otton Ier, Benoît V ne se défend pas et, selon le chroniqueur Liutprand de Crémone, se dépouille lui-même de ses insignes pontificaux"

"Benoît IX convient, contre un avantage financier, de renoncer à la papauté. C’est son oncle, le pape Grégoire VI, qui lui succède après l’avoir convaincu de renoncer à sa charge"

Etc.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Renonciation_du_pape

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