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Vous aimez les romas d’espionnage ? Vous allez être servis (NdR)

"Les amis américains" : de nouveaux documents révèlent l’étendue de l’opération d’espionnage sur Julian Assange. (The Grayzone)

Une enquête exclusive de The Grayzone révèle de nouveaux détails sur le rôle clé joué par (le milliardaire) Sheldon Adelson à Las Vegas dans une opération d’espionnage de la CIA visant Julian Assange.

"J’étais le directeur de la CIA. On a menti, on a triché, on a volé." - Mike Pompeo, College Station, TX, 15 avril 2019

En tant que co-fondateur d’une petite société de conseil en sécurité appelée UC Global, David Morales a passé des années à sillonner les ligues mineures du monde des mercenaires privés. Ancien officier des forces spéciales espagnoles, Morales aspirait à devenir le prochain Erik Prince, le fondateur de Blackwater qui a su mettre son armée à contribution pour établir des relations politiques de haut niveau à travers le monde. Mais en 2016, il n’avait obtenu qu’un seul contrat important, celui de garder les enfants du président équatorien de l’époque, Rafael Correa, et de l’ambassade de son pays au Royaume-Uni.

Le contrat de l’ambassade de Londres s’est toutefois révélé particulièrement précieux pour M. Morales. A l’intérieur du complexe diplomatique, ses hommes gardaient le fondateur de Wikileaks, Julian Assange, une cible de choix du gouvernement américain qui vivait dans le bâtiment depuis que Correa lui avait accordé l’asile en 2012.

Il n’a pas fallu longtemps à Morales pour réaliser qu’il avait une occasion en or.

En 2016, Morales s’est précipité seul à une foire de la sécurité à Las Vegas, espérant trouver de nouveaux contrats lucratifs en vantant son rôle de gardien d’Assange. Quelques jours plus tard, il est revenu au siège de sa société à Jerez de Frontera, en Espagne, avec une nouvelle passionnante.

David Morales (à gauche), PDG de UC Global, lors d’un salon de la sécurité à Las Vegas en 2016.

"A partir de maintenant, nous allons jouer en première division" a annoncé M. Morales à ses employés. Lorsqu’un copropriétaire d’UC Global lui a demandé ce que Morales voulait dire, il a répondu qu’il s’était tourné vers le "côté obscur" - une référence apparente aux services de renseignements américains. "Les Américains nous trouveront des contrats partout dans le monde", a assuré M. Morales à son partenaire commercial.

Morales venait de signer un contrat pour garder le Queen Miri, le yacht de 70 millions de dollars appartenant à l’un des magnats des casinos les plus en vue de Vegas : le milliardaire ultra-sioniste et méga-donateur républicain Sheldon Adelson. Étant donné qu’Adelson avait déjà une équipe de sécurité importante chargée de le surveiller à tout moment, lui et sa famille, le contrat entre UC Global et le Las Vegas Sands d’Adelson était clairement la couverture d’une campagne d’espionnage apparemment supervisée par la CIA.

Malheureusement pour Morales, le consultant espagnol en sécurité chargé de diriger l’opération d’espionnage, ce qui s’est passé à Vegas a fini par sortir. [référence à un dicton américain "Ce qui se passe à Las Vegas, ne sort pas de las Vegas" - NdT]

Après l’emprisonnement d’Assange, plusieurs anciens employés mécontents ont finalement contacté l’équipe juridique d’Assange pour les informer de la mauvaise conduite et des activités sans doute illégales auxquelles ils avaient participé à UC Global. Un ancien partenaire commercial a déclaré qu’ils se sont manifestés après avoir réalisé que "David Morales a décidé de vendre toutes les informations à l’ennemi, les États-Unis". Une plainte pénale a été déposée devant un tribunal espagnol et une opération secrète qui a abouti à l’arrestation de Morales a été mise en route par le juge.

Morales a été accusé par un tribunal espagnol en octobre 2019 de violation de la vie privée d’Assange, d’abus des privilèges avocat-client de l’éditeur, ainsi que de blanchiment d’argent et de corruption. Les documents révélés au tribunal, qui étaient principalement des sauvegardes des ordinateurs de l’entreprise, ont révélé la réalité inquiétante de ses activités du "côté obscur".

Obtenus par des médias comme The Grayzone, les dossiers d’UC Global détaillent une opération de surveillance américaine élaborée et apparemment illégale dans laquelle la société de sécurité a espionné Assange, son équipe juridique, ses amis américains, des journalistes américains et un membre du Congrès américain qui aurait été envoyé à l’ambassade équatorienne par le président Donald Trump. Même les diplomates équatoriens que UC Global avait été engagé pour protéger ont été ciblés par le réseau d’espionnage.

L’enquête en cours a détaillé des opérations au noir allant de l’espionnage des conversations privées du fondateur de Wikileaks à la récupération d’une couche dans une poubelle de l’ambassade afin de déterminer si les excréments qu’elle contenait appartenaient à son fils. Selon les déclarations de témoins obtenues par The Grayzone, quelques semaines après que Morales ait proposé d’entrer par effraction dans le bureau de l’avocat principal d’Assange, le bureau a été cambriolé. Les témoins ont également détaillé une proposition d’enlèvement ou d’empoisonnement d’Assange. Une descente de police au domicile de Morales a permis de récupérer deux armes de poing dont les numéros de série avait été effacés, ainsi que des liasses d’argent.

Une source proche de l’enquête a déclaré à The Grayzone qu’un fonctionnaire équatorien avait été volé sous la menace d’une arme alors qu’il était porteur d’informations privées concernant un plan visant à obtenir l’immunité diplomatique pour Assange.

Tout au long de la campagne d’opérations au noir, les services de renseignement américains semblent avoir travaillé par l’intermédiaire de la société Las Vegas Sands d’Adelson, qui avait déjà servi de couverture à une opération de chantage de la CIA quelques années auparavant. Les opérations ont officiellement débuté lorsque le candidat à la présidence d’Adelson, Donald Trump, est entré à la Maison Blanche en janvier 2017.

Dans sa couverture de la relation présumée entre la CIA, UC Global et Adelson, le New York Times a déclaré qu’il n’était "pas clair si ce sont les Américains qui ont été à l’origine de l’écoute de l’ambassade". Bien qu’il ait décrit le travail d’un "client américain" dans des e-mails de la société, Morales a insisté devant un juge espagnol sur le fait que l’espionnage qu’il a mené à l’ambassade a été effectué entièrement au nom des services de sécurité équatoriens du SENAIN. Il a même affirmé à CNN Español qu’il cherchait simplement à motiver ses employés lorsqu’il s’est vanté de "jouer en première division" au retour de son voyage fatidique à Las Vegas.

Cette enquête permettra d’établir le rôle du gouvernement américain dans l’orientation de la campagne d’espionnage d’UC Global, de jeter un nouvel éclairage sur la relation apparente entre la CIA et Adelson, et de révéler comment UC Global a trompé le gouvernement équatorien au nom du client que Morales appelait les "amis américains". Grâce aux nouvelles révélations de la cour, The Grayzone est également en mesure de révéler l’identité du personnel de sécurité de Sands qui a vraisemblablement assuré la liaison entre Morales, la société d’Adelson et les services de renseignement américains.

Selon les documents du tribunal et le témoignage d’un ancien associé et employé de Morales, c’est le garde du corps principal d’Adelson, un Israélien-Américain nommé Zohar Lahav, qui a personnellement recruté Morales, puis a géré la relation au quotidien entre l’entreprise de sécurité espagnole et Sands. Après leur première rencontre à Vegas, les deux professionnels de la sécurité sont devenus des amis proches, se rendant mutuellement visite à l’étranger et se parlant fréquemment.

Pendant l’opération d’espionnage, Lahav a travaillé directement sous les ordres de Brian Nagel, le directeur de la sécurité globale de Las Vegas Sands. Ancien directeur associé des services secrets américains et expert en cyber-sécurité, M. Nagel a été officiellement recommandé par la CIA à la suite de collaborations fructueuses avec les services fédéraux de police et de renseignement. Chez Sands, il semblait être un intermédiaire idéal entre la société et l’État américain de sécurité nationale, ainsi qu’un guide potentiel pour les tâches de surveillance complexes confiées à Morales.

Lorsque le candidat favori d’Adelson, Donald Trump, est entré dans le Bureau ovale, la CIA est passée sous le contrôle de Mike Pompeo, un autre allié d’Adelson qui semblait apprécier la possibilité de mener des actions illégales, notamment l’espionnage de citoyens américains, au nom de la sécurité nationale.

Pompeo décrit l’attaque d’Assange

Le premier discours public de Pompeo en tant que directeur de la CIA, prononcé le 13 avril 2017 au centre de réflexion Center for Strategic and International Studies, basé à Washington DC, a été l’un des discours les plus paranoïaques et les plus aigus jamais prononcés par un chef d’agence.

L’ancien membre républicain du Congrès du Kansas a commencé son discours par une longue tirade contre les "Philip Agees dans le monde", faisant référence au lanceur d’alerte de la CIA qui a remis des milliers de documents classifiés à des éditeurs de gauche qui ont révélé des détails choquants sur les changements illégaux de régime aux États-Unis et les complots d’assassinat dans le monde.

Faisant allusion aux "âmes sœurs" contemporaines d’Agee, Pompeo a déclaré :
"La seule chose qu’ils ne partagent pas avec Agee, c’est le besoin d’un éditeur. Tout ce dont ils ont besoin maintenant, c’est d’un téléphone intelligent et d’un accès à Internet. Dans l’environnement numérique actuel, ils peuvent diffuser instantanément des secrets américains volés dans le monde entier à des terroristes, des dictateurs, des pirates informatiques et à toute autre personne cherchant à nous faire du mal".

Le directeur de la CIA n’a pas caché l’identité de sa cible : "Il est temps d’appeler WikiLeaks pour ce qu’elle est réellement : un service de renseignement hostile non étatique souvent soutenu par des acteurs étatiques comme la Russie" a-t-il déclaré.

Pendant les minutes qui ont suivi, Pompeo s’est opposé à Assange, le qualifiant de "narcissique", "d’escroc", "de lâche". Le républicain de droite a même cité la critique de l’éditeur Wikileaks par Sam Biddle de The Intercept.

Ensuite, Pompeo a promis une campagne de contre-mesures "à long terme" contre Wikileaks. "Nous devons reconnaître que nous ne pouvons plus laisser à Assange et à ses collègues la latitude d’utiliser les valeurs de la liberté d’expression contre nous. Leur donner l’espace nécessaire pour nous écraser avec des secrets détournés est une perversion de ce que représente notre grande Constitution. Cela s’arrête maintenant", a-t-il juré.

Bien que Pompeo ait déclaré reconnaître que "la CIA a l’interdiction légale d’espionner les gens par le biais de la surveillance électronique aux États-Unis", il semble avoir déjà mis en place un programme agressif pour espionner non seulement Assange, mais aussi ses amis américains, ses avocats et pratiquement tout le monde dans son voisinage immédiat. Menée par UC Global, la campagne consistait à enregistrer des conversations privées de cibles américaines, à ouvrir leurs téléphones, à photographier leurs informations personnelles et même à voler les mots de passe de leurs courriels.

L’attaque apparente de la CIA sur Assange avait été activée des semaines auparavant, lorsque Wikileaks avait annoncé la publication des fichiers de la CIA, appelée Vault7. Il ne faudra pas longtemps avant que l’équipe de sécurité d’Adelson commence à préparer la place pour accueillir Morales à Las Vegas.

Voyage vers "le côté obscur"

Le 26 février 2017, Wikileaks a annoncé la publication prochaine d’une importante tranche de dossiers de la CIA révélant des détails sur les outils de piratage et de surveillance électronique de l’agence. Une de ces applications d’espionnage appelée "Marble" permettait aux espions de l’agence d’implanter un code qui occulte leur identité sur les ordinateurs piratés. D’autres fichiers contenaient des preuves de programmes qui permettaient aux pirates de pénétrer dans des applications de messagerie cryptée comme Signal et Telegram, et de transformer les Smart TV de Samsung en appareils d’écoute.

Deux jours après l’annonce initiale de Wikileaks, le 28 février, Morales fut transporté d’Espagne vers un hôtel à Alexandria, en Virginie - à deux pas du siège de la CIA à Langley. Bien qu’UC Global n’ait eu aucun contrat connu du public avec une quelconque société en Virginie, des documents judiciaires obtenus par The Grayzone établissent que Morales a envoyé des courriels cryptés à partir d’une adresse IP située en Alexandrie et a payé les factures d’un hôtel local pendant les huit jours suivants.

À partir de ce moment, il a fait des allers-retours presque chaque mois entre l’Espagne, la région de Washington, New York, Chicago ou la base d’opérations d’Adelson à Las Vegas.
Lorsqu’il était à Washington DC, Morales envoyait des courriels à partir d’une adresse IP statique située au Grand Hyatt Hotel, à quatre blocs de la Maison Blanche.

Les messages Instagram de la femme de Morales et de sa compagne de voyage, Noelia Páez, soulignaient la fréquence de ses voyages :

Posts l’Instagram par la femme de Morales, Noelia Páez, à Las Vegas le 20 janvier 2017

Les autres dirigeants d’UC Global ont commencé à se méfier de Morales et de ses transactions secrètes aux États-Unis. D’après leurs témoignages, il parlait constamment de ses relations de travail avec les Américains. Pourtant, UC Global avait été engagé par l’agence de renseignement équatorienne SENAIN pour assurer la sécurité de l’ambassade du pays à Londres - et non pour espionner ses occupants.

Il était de plus en plus évident pour eux que Morales trompait son client à Quito pour servir une force plus puissante à Washington.

"Je me souviens que David Morales a demandé à une personne de la société de préparer un téléphone sécurisé, avec des applications sécurisées, comme un ordinateur crypté pour communiquer avec "les amis américains", afin de sortir sa relation avec les États-Unis de la portée de la société", se souvient un ancien employé d’UC Global.

Un ancien partenaire commercial d’UC Global a déclaré dans son témoignage :

"Parfois, lorsque je lui demandais avec insistance qui étaient ses "amis américains", David Morales répondait qu’ils étaient "les services secrets américains". Cependant, lorsque je lui ai demandé de me communiquer le nom d’une personne des services de renseignement qu’il rencontrait pour lui donner des informations, M. Morales a coupé la conversation et a souligné que le sujet était exclusivement géré par lui, en dehors de la société".

L’ex-partenaire soupçonnait que M. Morales recevait des paiements des services de renseignement américains par le biais d’un compte bancaire géré par sa femme, Páez. "A une occasion," ont-ils témoigné, "j’ai entendu une conversation concernant des paiements sur ce compte dont M. Morales ne voulait pas informer le reste des membres de la société."

Les soupçons se sont transformés en rage lorsque l’ancien partenaire d’UC Global a reconnu toute l’étendue du subterfuge de M. Morales. J’ai commencé à le frapper ouvertement lors de discussions violentes au cours desquelles je lui ai répété qu’une société comme la nôtre est basée sur la "création de la confiance" et qu’il ne peut pas "donner d’informations à la partie adverse", a rappelé l’ex-associé. À la fin de plusieurs de ces discussions, il a déclaré que Morales avait ouvert sa chemise, s’était gonflé la poitrine et s’était exclamé : "Je suis un mercenaire, un vrai !"

Une caméra pour l’Équateur, une autre pour "le client américain"

Deux anciens employés de UC Global et l’ancien partenaire commercial ont déclaré que M. Morales avait commencé à mettre en place une opération d’espionnage sophistiquée à l’ambassade de Londres en juin 2017. Son témoignage a été corroboré par les courriels que Morales a envoyés aux employés qui ont supervisé la surveillance.

Avant cela, les caméras à l’intérieur et autour de l’ambassade de l’Equateur à Londres étaient des unités CCTV standard. Leur seule fonction était de détecter les intrus. Mais surtout, elles n’enregistraient pas le son.

Pour transformer les caméras d’instruments de sécurité en armes d’intrusion, Morales a envoyé un e-mail à un ami, "Carlos C.D. (espion)", qui possédait une société d’équipement de surveillance appelée Espiamos, ou "Nous Espions". Il a informé Carlos que "notre client" avait demandé que de nouvelles caméras soient placées dans l’ambassade, équipées de microphones indétectables.

Le 27 du même mois, Morales a écrit au même employé : "le client veut avoir le contrôle des caméras en streaming, ce contrôle devra être effectué depuis deux endroits différents." Il a demandé un serveur de stockage séparé qui pourrait être exploité "depuis l’enceinte où se trouve l’enregistreur".

En modifiant les caméras pour qu’elles puissent être contrôlées de l’extérieur, et en les équipant de micros cachés, Morales a mis en place le mécanisme permettant d’espionner les conversations intimes d’Assange avec ses amis et ses avocats. Il a également pris des mesures pour transmettre les images à un serveur de stockage extérieur séparé, gardant ainsi l’opération cachée du SENAIN équatorien. Ses ordres de marche provenaient d’une organisation qu’il décrivait simplement comme "le client américain".

Tous les 15 jours environ, Morales envoyait un des employés à l’ambassade pour recueillir les enregistrements DVR des images de surveillance et les apporter au siège de la société à Jerez, en Espagne. Certains clips importants étaient téléchargés sur un serveur appelé "Operation Hotel", qui a ensuite été transformé en un système basé sur un site web. Lorsque la taille du fichier vidéo était trop importante pour être téléchargée, M. Morales le remettait personnellement à son "client" aux États-Unis.

En décembre 2017, Morales fut convoqué à Las Vegas Sands pour une session spéciale avec "les amis américains". Le 10 de ce mois-là, il a envoyé une série de courriels à son équipe d’espionnage à partir d’une adresse IP statique à l’hôtel Venetian apparetnant à Adelson. Les messages contenaient une nouvelle série d’instructions.

Pour limiter encore plus l’accès du gouvernement équatorien au système de surveillance installé à l’ambassade, il a donné des instructions à ses employés : "Nous ne pouvons pas leur donner accès à certains services du programme, donc ils ne savent pas qui a le plus de connexions ou qui est en ligne dans le système... [mais] tout doit donner l’impression qu’ils y ont accès."

Morales a envoyé à son équipe une présentation powerpoint contenant les instructions pour le nouveau système. Le but de ces instructions était de créer deux utilisateurs distincts : un administrateur pour le client équatorien qui n’aurait pas accès à la connexion afin de ne pas remarquer le second utilisateur ; et une connexion de sécurité distincte pour les Américains, qui auraient le contrôle total des fonctions de surveillance du système.

Obtenues par The Grayzone, le document était rédigé dans un anglais parfait par un locuteur qui n’était manifestement pas Morales :

"David Morales n’avait manifestement pas les connaissances techniques", a dit un ancien spécialiste informatique d’UC Global qui a reçu les instructions, "le document a donc dû être envoyé par une autre personne. Comme il était en anglais, je pense qu’il a pu être créé par les services de renseignement américains".

L’auteur des instructions powerpoint était clairement un expert en cybersécurité ayant une expérience de la surveillance électronique et du piratage. Cette personne a démontré son savoir-faire en effaçant toutes les métadonnées du document, à l’exception du nom d’utilisateur "PlayerOne". Le powerpoint a été transmis en la présence physique apparente de Morales, qui a ensuite dit à ses employés : "Ces personnes m’ont donné les instructions suivantes, rédigées en anglais".

Dans l’entourage d’Adelson, il y avait au moins un expert en cybersécurité ayant une longue expérience de collaboration avec les services de police et de renseignement américains : Brian Nagel, vice-président senior et responsable mondial de la sécurité à Las Vegas Sands.

Du meilleur enquêteur américain en matière de cybercriminalité au chef de la sécurité d’Adelson.

Une des rares photos accessibles au public du directeur de la sécurité mondiale de Las Vegas Sands, Brian Nagel, tirées de son témoignage devant le Congrès en 2007

Au cours de sa longue carrière au sein des services secrets américains, M. Nagel a travaillé au carrefour de l’application de la loi fédérale et des renseignements américains. Dans les années 1990, Nagel a non seulement servi dans le cadre de la protection personnelle des présidents George H.W. Bush et Bill Clinton, mais il a également été chargé de "travailler avec deux services de protection étrangers après l’assassinat et la tentative d’assassinat de leurs chefs d’État respectifs", a-t-il déclaré lors d’un témoignage sous serment devant un tribunal de district américain en 2011. Nagel a également déclaré qu’il a ensuite protégé le directeur et le directeur adjoint d’une agence fédérale qu’il a omis de nommer.

Au cours du même témoignage, Nagel a déclaré avoir reçu le sceau de la communauté du renseignement de la CIA, un prix décerné aux personnes n’appartenant pas à la CIA "qui ont apporté une contribution significative aux efforts de l’Agence en matière de renseignement".

En tant que directeur adjoint des services secrets, il est apparu aux côtés du procureur général américain de l’époque, John Ashcroft, lors d’une conférence de presse sur la lutte contre la cybercriminalité en novembre 2003, et a témoigné devant la sous-commission de la sécurité intérieure de la Chambre des représentants en mars 2007. Outre ces deux événements publics, M. Nagel n’est pas apparu devant les caméras.

Alors que le public a tendance à associer les services secrets américains à des hommes costauds en costume sombre et aux teintes d’aviateur qui chuchotent dans leurs manches tout en filant les présidents, l’agence fonctionne également comme le principal organisme d’enquête sur la criminalité informatique du pays.

En novembre 2002, le Los Angeles Times a fait état du rôle de Nagel dans la création de la Los Angeles Electronic Crimes Task Force, une opération fédérale massive qui a occupé un étage entier d’un gratte-ciel du centre-ville de Los Angeles. Dédiée à la lutte contre la criminalité électronique et le cyberterrorisme, la task force comprenait le FBI, les forces de l’ordre locales, des entreprises de sécurité privées et les services secrets américains. L’initiative, a déclaré M. Nagel, "visait à renforcer nos partenariats actuels et à en créer de nouveaux".

En octobre 2004, M. Nagel a été crédité d’avoir fait tomber une importante organisation internationale de cybercriminalité appelée shadowcrew.com (sans aucun rapport avec l’organisation de pirates informatiques Shadow Brokers qui a divulgué des secrets de la NSA). Selon TechNewsWorld, sous la surveillance de Nagel, "les services secrets ont utilisé des écoutes téléphoniques, un informateur sous couverture et leurs propres pirates pour accéder aux parties privées du site [shadowcrew]".

Ces tactiques semblaient remarquablement similaires à celles déployées treize ans plus tard pour espionner Assange.

Avant de quitter la vie publique en 2008, M. Nagel a aidé le Département de la sécurité intérieure (DHS) à créer le National Computer Forensic Institute. Le directeur du DHS de l’époque, Michael Chertoff, a promis que l’institut "renverserait la situation pour les groupes criminels" en donnant aux forces de l’ordre le pouvoir d’utiliser "les mêmes technologies" que les pirates informatiques et les cybercriminels habituellement employés.

Deux ans plus tard, lorsque Wikileaks est apparu pour la première fois, les unités fédérales spéciales de cybersécurité que Nagel a contribué à créer étaient probablement en première ligne de la lutte américaine contre le centre d’échange d’informations en ligne d’Assange.

L’assistant personnel israélo-américain d’Adelson devient un intermédiaire espion.

Lorsque Nagel a rejoint Las Vegas Sands en tant que directeur de la sécurité globale, il a été chargé de sécuriser un empire financier et politique international qui s’étendait des États-Unis à Israël et à Macao en République populaire de Chine. Le président de Sands, Sheldon Adelson, possédait une fortune évaluée à environ 30 milliards de dollars qui le plaçait régulièrement dans le top 10 de la liste des Américains les plus riches établie par Forbes.

Les activités politiques d’Adelson étaient guidées par deux facteurs : son désir d’étendre ses opérations de jeu dans le monde entier et son sionisme fanatique. Il était tellement engagé en faveur de l’État juif autoproclamé qu’il s’est un jour plaint d’avoir servi dans l’armée américaine alors qu’il était jeune plutôt que dans l’armée israélienne.

En tant qu’ami personnel et bienfaiteur financier du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, Adelson a investi son argent dans une tentative avortée d’empêcher la réélection du président Barack Obama et la signature de l’accord nucléaire iranien. En 2016, il est devenu l’un des principaux donateurs de la campagne présidentielle de M. Trump, contribuant à la mise en place de l’administration la plus favorable au Likoud de l’histoire des États-Unis.

Pour assurer sa protection personnelle, Adelson a réuni une collection d’anciens soldats israéliens et d’agents de renseignement comme gardes du corps. A la tête de son service de sécurité se trouvait Zohar Lahav, un citoyen israélien qui a été vice-président de la protection des cadres à Las Vegas Sands.

Adelson avec un garde du corps principal.

Naturalisé aux États-Unis, Lahav a travaillé pendant un certain temps dans les années 1990 comme administrateur au consulat israélien de Miami. Il a fait l’objet d’une petite controverse en 1996 lorsque le Miami New Times a rapporté que la ville de Miami l’avait engagé comme sergent d’armes, lui confiant la protection du maire ainsi qu’un ensemble de rôles indéfinis, dont celui d’assistant personnel.

Lahav s’est de nouveau retrouvé dans l’actualité en 2011 lorsque neuf membres de l’équipe de direction d’Adelson ont poursuivi son employeur à Las Vegas Sands pour avoir refusé de leur payer des heures supplémentaires. Trois des membres de l’équipe ont modifié la poursuite en alléguant qu’on leur avait refusé des promotions parce qu’ils étaient afro-américains.

"L’équipe de protection des cadres, pendant ses 14 années d’existence, a été gérée et contrôlée par une équipe de direction composée exclusivement d’anciens citoyens israéliens à la peau blanche", s’est plaint leur avocat. (En plus de Lahav, la plainte a désigné Adi Barshishat comme un Israélien qui a aidé à diriger l’équipe de sécurité d’Adelson. Dans son profil sur Linkedin, Barshishat énumère une surveillance intensive de l’entraînement par une "agence gouvernementale israélienne" non nommée).

Dans leur plainte contre Sands, les plaignants ont allégué que Lahav racontait régulièrement des blagues à caractère raciste. L’un d’entre eux a accusé Lahav de forcer les membres de l’équipe à "transporter des armes à feu en violation de la loi de l’État" et de leur faire utiliser une machine à rayons X non enregistrée qui mettait leur santé en danger. Deux des gardes de sécurité ont ensuite poursuivi Adelson pour les avoir fait "subir des blessures, y compris la stérilisation" en les obligeant à passer aux rayons X chaque pièce du courrier du milliardaire. Lahav a également été accusé d’avoir ordonné au personnel de sécurité de ne communiquer avec Nagel sous aucun prétexte.

Sands a rapidement exercé des représailles contre les gardes de sécurité mécontents, les réaffectant à des rôles humiliants de flics de centre commercial. Ensuite, l’avocat d’Adelson a accusé l’avocat adverse d’antisémitisme, affirmant qu’il avait harcelé Lahav avec des "questions insultantes sur la race, sa religion" et la famille d’Adelson. Enfin, Brian Nagel a fait pression pour empêcher que les audiences soient filmées, insistant devant un juge de district sur le fait que la couverture télévisée "créerait du matériel destiné à une utilisation virale sur Internet par des groupes haineux extrémistes et des terroristes" qui pourrait nuire à la sécurité personnelle d’Adelson.

Il s’agissait d’une affirmation ironique d’un agent de sécurité dont la société semblait avoir participé à une opération d’espionnage très intrusive et peut-être illégale contre Assange et de nombreux avocats, journalistes, politiciens, citoyens américains et diplomates équatoriens.

Une façade de la CIA sur le sol chinois ?

Au moment du procès, la société d’Adelson semblait avoir travaillé en étroite collaboration avec la CIA. Un rapport confidentiel de 2010 d’un enquêteur privé engagé par l’industrie du jeu a pointé du doigt le casino d’Adelson à Macao comme étant une façade pour les opérations de l’Agence contre la Chine.

"Une source fiable a rapporté que les responsables du gouvernement central chinois croient fermement que Sands a permis à des agents de la CIA/FBI d’opérer depuis ses installations. Ces agents "surveillent apparemment les fonctionnaires du gouvernement continental" qui jouent dans les casinos", a-t-il déclaré.

Précédemment détaillé par le Guardian en 2015 et consulté par The Grayzone en mai dernier, le rapport confidentiel citait des preuves provenant de sources officielles chinoises selon lesquelles "des agents américains opérant à partir de Sands, "attirent" et piègent des fonctionnaires du gouvernement continental, impliqués dans les jeux, pour les forcer à coopérer avec les intérêts du gouvernement américain".

Un porte-parole d’Adelson’s Sands a publié un démenti ambigue du rapport, déclarant qu’il s’agissait simplement d’"une idée pour un scénario de film". Peu de temps après, une autre collaboration entre Adelson et Langley semblait se dessiner, et elle contenait elle aussi tous les éléments d’un thriller d’espionnage à grand succès.

"Je sens que cette personne lui a proposé de collaborer avec les services de renseignement américains"

Le salon de l’industrie de la sécurité de 2016 à Las Vegas, à la Sands Expo, a été l’occasion pour la société d’Adelson - et probablement la CIA - d’engager David Morales. Son recruteur personnel, selon les témoignages, était Lahav.

Lorsque Morales est rentré de Las Vegas pour rejoindre sa base en Espagne, il a divulgué les détails de l’accord à son partenaire commercial de l’époque.

"J’ai déduit des conversations avec David Morales, où il a avoué en détail les accords conclus lors de son voyage aux États-Unis", a déclaré plus tard l’ex-partenaire devant un tribunal espagnol, "le chef de la sécurité de Las Vegas Sands, un juif du nom de Zohar Lahav, a pris contact avec M. Morales, devenant ainsi un bon ami à la foire de la sécurité de Las Vegas. Je sens que cette personne lui a proposé de collaborer avec les services de renseignements américains pour lui envoyer des informations sur M. Assange".

M. Morales a confirmé son amitié étroite avec Lahav lors d’un entretien au tribunal espagnol mené en février dernier par Aitor Martinez, un avocat espagnol représentant M. Assange dans cette affaire. Lors d’une précédente comparution devant le tribunal, le procureur espagnol avait interrogé directement Morales sur le lien entre Lahav et les services de renseignement américains ; Morales avait affirmé qu’il n’en avait aucune idée.

Un ancien partenaire commercial de Morales s’est souvenu d’un incident "lorsque Zohar [Lahav] est venu en Espagne et a séjourné dans la maison habituelle de Morales pendant une semaine".

Une autre preuve de la relation entre Lahav et Morales se trouve dans une lettre de recommandation non datée que Lahav a écrite pour son ami. Rédigée sur du papier à en-tête de Sands, Lahav a déclaré qu’il avait "travaillé avec M. David Morales, PDG d’UC Global S.L. pendant 3 ans", le félicitant pour sa "loyauté et sa constance" :

Fin 2017, la prétendue collaboration entre Morales et Sands avait atteint sa pleine maturité, la CIA lui ayant apparemment donné un coup de main. Ensemble, ces entités ont intensifié leur surveillance des associés d’Assange et ont déjoué son plan de quitter l’ambassade sous la protection de l’inviolabilité diplomatique.

Espionnage, vol de couches et plans de cambriolage.

Stefania Maurizi, une journaliste italienne qui visitait régulièrement Assange à l’ambassade à Londres, se souvient des rencontres détendues avec un minimum de sécurité et des interactions amicales avec le personnel de l’ambassade pendant les cinq premières années du séjour du fondateur de Wikileaks. C’est en décembre 2017 que tout a changé.

Lors d’une visite pour interviewer Assange ce mois-là, les gardes de sécurité espagnols d’UC Global ont exigé que Maurizi leur remette son sac à dos et toutes ses affaires à l’intérieur pour la première fois. Elle a protesté contre cette nouvelle procédure apparemment arbitraire, mais en vain.

"Ils ont tout saisi", a déclaré Maurizi au Grayzone. "Ils ont pris mes deux téléphones, dont un était crypté, mon iPod et de nombreuses clés USB. Il n’y avait aucun moyen de récupérer mon sac à dos. Le garde m’a dit : "Ne vous inquiétez pas, tout ira bien, personne ne pourra accéder à votre matériel ou ouvrir votre sac à dos". J’étais très méfiante. Je n’avais même pas le droit d’apporter un stylo à l’intérieur pour prendre des notes".

Il s’est avéré que les employés d’UC Global ont photographié le numéro international unique d’identification des équipements mobiles et le numéro de la carte SIM à l’intérieur du téléphone de Maurizi et de nombreux autres visiteurs. Sur l’une des photos obtenues par The Grayzone, les prestataires de services de sécurité ont retiré la carte SIM pour obtenir une image claire des codes. Il semblait que c’était l’information dont ils avaient besoin pour pirater les téléphones.

Photo du téléphone portable de la journaliste Stefania Maurizi, prise par UC Global

A l’époque, Maurizi ne savait rien des relations actuellement en cours d’enquête entre la CIA et l’équipe de sécurité de l’ambassade. Elle savait seulement que Correa, le président équatorien de gauche qui a défendu Assange, avait été remplacé quelques mois plus tôt, en mai 2017, par Lénin Moreno, son ancien vice-président qu’il a qualifié de cheval de Troie des intérêts américains.

La nouvelle administration a pris une soudaine tournure pro-américaine qui a rendu obligatoire l’hostilité envers Assange et son organisation. Alors que le FMI faisait miroiter un prêt massif à son gouvernement à court d’argent, Moreno a dénigré Assange en le qualifiant de "hacker" et lui a coupé l’accès à Internet ainsi que les visites de l’extérieur pendant une période prolongée.

Assange, pour sa part, était dorénavant convaincu que la sécurité de l’ambassade l’espionnait. Fin 2017, il utilisait une machine à bruit blanc dans la salle de conférence principale pour sécuriser ses conversations avec les avocats, et tenait les réunions les plus sensibles avec ses avocats dans les toilettes des femmes, ouvrant les robinets pour noyer le son de leurs conversations. UC Global a contrecarré cette pratique en plaçant un microphone magnétique au fond d’un extincteur, ce qui leur a permis de fouiner dans le bruit blanc. Un second microphone a été installé dans les toilettes des femmes.

D’autres plans exposés dans les e-mails de la société UC Global prévoyaient de planter un micro capable d’écouter à travers les murs, et de le placer secrètement dans le bureau de l’ambassadeur, qui était désigné dans les e-mails comme "Directeur de l’hôtel".

Morales a également proposé d’installer des dispositifs d’écoute dans la chambre d’Assange, et même de mettre en place un programme pour remplacer tous les extincteurs par de nouveaux, avec des micros cachés. Le micro de la salle de conférence principale a enregistré la majeure partie des conversations, et est actuellement en possession du juge espagnol qui supervise l’affaire.

"Julian était extrêmement inquiet. Il a dit que les gardes travaillaient pour les services secrets", s’est rappelé son avocat, Martinez. "Je lui ai dit qu’ils étaient juste des gars de la classe ouvrière du sud de l’Espagne, d’où je viens. Mais maintenant je me rends compte qu’il avait totalement raison."

Le 12 décembre, deux jours après avoir reçu les instructions à Las Vegas Sands sur la création de flux séparés pour les caméras de surveillance, Morales a envoyé un e-mail à l’équipe d’espionnage de son ambassade, identifiant des cibles individuelles spécifiques. Selon un ancien employé d’UC Global, la liste a été créée par "les Américains".

Parmi les premiers sur lesquels il leur a ordonné de se concentrer, on trouve "Fix", un expert allemand de la cyber-sécurité, et "MULLER", une référence à Andrew Müller-Maguhn, un hacker allemand et un activiste des droits de l’Internet qui était un ami proche d’Assange. Lors d’une visite à l’ambassade, UC Global Security a photographié le contenu du sac à dos de Müller-Maguhn et les numéros de contact de son téléphone portable.

Morales a également exigé la surveillance d’Ola Bini, un développeur de logiciels suédois qui a rendu visite à Assange, et de Felicity Ruby, une collègue de Bini dans l’entreprise Thought Works, que Morales a décrite comme "une équipe de pirates informatiques".

Dans un bulletin de septembre 2017, Morales a publié une liste de dix cibles individuelles pour l’enquête, exigeant des profils actualisés sur les avocats d’Assange tels que Renata Avila, Jennifer Robinson, Carlos Poveda et le juge espagnol Baltasar Garzon.

Il a demandé une "attention particulière" à Stella Moris, un membre de l’équipe juridique qui a récemment révélé qu’elle avait entamé une relation avec Assange et qu’elle avait eu deux enfants avec lui pendant son séjour à l’ambassade... Après avoir proposé "une personne entièrement dévouée à l’activité" d’espionnage de Moris, Morales a finalement demandé à un employé de voler une couche-culotte à l’un des fils de Moris afin d’extraire l’ADN qui pourrait prouver qu’elle était la mère des enfants d’Assange. "À l’époque", a déclaré l’employée, "Morales a délibérément indiqué que "les Américains" ont insisté pour confirmer [les résultats de l’ADN]".

Bouleversée par cette étrange mission, l’employée d’UC Global a fini par intercepter Moris à l’extérieur de l’ambassade pour l’informer du vol de couches prévu et pour la mettre en garde contre le fait d’emmener l’enfant à l’intérieur de l’ambassade.

"Ils étaient obsédés par les visiteurs américains, tous, des avocats aux journalistes en passant par les amis. Ils se concentraient beaucoup sur Glenn Greenwald, allant même jusqu’à ouvrir son passeport, prendre des photos de son visa pour la Russie et les envoyer à leur siège", a déclaré M. Martinez, en référence au journaliste américain basé au Brésil qui avait visité Assange. (Le Grayzone a vu la photo du visa d’entrée de UC Global dans le passeport de Greenwald).

Le courriel du 12 décembre de M. Morales appelait également à l’attention sur tout "citoyen russe" visitant Assange. La directive semblait refléter l’obsession américaine croissante de connecter Wikileaks aux services de renseignement russes et le prétendu piratage des serveurs de messagerie du Comité national démocrate en 2016.

Les images d’espionnage de l’humoriste et activiste Randy Credico en visite à Julian Assange en novembre 2017.

Suite à cette surveillance accrue, Garzon, le juge espagnol qui dirigeait l’équipe juridique d’Assange, a été suivi par les espions d’UC Global lorsqu’il a récupéré l’ancien président équatorien Correa à l’aéroport de Barajas à Madrid, en Espagne. Les deux ont été photographiés alors qu’ils se trouvaient au domicile de Garzon. Morales a ensuite envoyé par e-mail un rapport et des photos de la rencontre.

Un ancien employé d’UC Global a témoigné qu’en novembre 2017, Morales a proposé de s’introduire dans le bureau de Garzon à Madrid afin "d’obtenir des informations pertinentes sur M. Assange et de les donner [aux Américains]". L’ancien employé a noté que deux semaines plus tard, le bureau de Garzon a été cambriolé et qu’aucun argent ou objet de valeur n’a été pris. Le quotidien espagnol El Pais a rapporté que trois hommes cagoulés et habillés en noir ont fait irruption dans le bureau de Garzon le 18 décembre 2017, n’ont pas pris d’argent, mais ont "fouillé dans les documents".

Toutes les demandes de surveillance, de suivi et de communication sur Baltasar Garzón, selon ce qu’a déclaré David Morales, "provenaient des Américains", a témoigné l’ancien employé.

Morales a également envoyé des rapports sur une réunion que Correa a tenue à Bruxelles, avec des détails sur les numéros de série de ses appareils, des informations intimes sur les personnes qu’il a rencontrées, et le contenu de ces conversations. Curieusement, le rapport a été rédigé par Morales en anglais et envoyé à son équipe afin d’être partagé sur le serveur spécial créé pour le "client américain". Il a affirmé de manière peu plausible que le rapport était destiné au SENAIN équatorien.

Pourtant, lorsque le procureur et Martinez, l’avocat d’Assange, lui ont demandé pourquoi il avait rédigé en anglais un courriel destiné aux fonctionnaires équatoriens hispanophones, Morales s’est débattu pour trouver une excuse. "Parfois, j’aime écrire en anglais", a-t-il déclaré.

Maurizi, pour sa part, a constaté que les appels, les courriels et les textes de ses rédacteurs, alors au quotidien italien La Repubblica, ne passaient pas. "Personne ne pouvait expliquer cette perturbation", a déclaré Maurizi. "Je me demande si cela a quelque chose à voir avec ces activités d’espionnage. Jusqu’à ce jour, je ne peux pas le dire".

Pendant ce temps, Pamela Anderson, l’actrice américaine qui est devenue une amie d’Assange, s’est fait voler les mots de passe de son courriel et de son téléphone portable par UC Global lors d’une visite. Le vol a eu lieu lorsque Anderson a écrit ses mots de passe sur un bloc-notes afin qu’Assange puisse vérifier la sécurité de ses comptes. Grâce au système de caméra qu’ils ont installé, les espions d’UC Global ont réussi à photographier le bloc-notes, leur permettant ainsi d’accéder à ses comptes.

Le réseau d’espionnage a pris au piège pratiquement tous ceux qui entraient dans l’ambassade, même Dana Rohrabacher, la représentante des États-Unis à l’époque. L’avocate d’Assange, Jennifer Robinson, a assisté à la réunion d’août 2017 avec Rohrabacher et a affirmé qu’il s’était annoncé comme émissaire officiel de Trump. Elle a déclaré que le membre du Congrès avait offert une grâce présidentielle à la condition que l’éditeur de Wikileaks puisse fournir des preuves concrètes que le gouvernement russe n’avait pas piraté le serveur de messagerie du DNC.

Rohrabacher a admis plus tard qu’il avait fait miroiter la possibilité d’une grâce, mais a maintenu que sa visite était une "mission d’enquête" personnelle sans rapport avec une quelconque initiative de Trump.

Un ancien employé d’UC Global a témoigné que "les Américains étaient très nerveux à propos de la visite" de Rohrabacher, et "ont personnellement demandé à Morales de contrôler et de surveiller absolument tout ce qui se rapportait à cette visite". Pendant la réunion, Rohrabacher a dû laisser son téléphone aux espions d’UC Global.

Saboter la stratégie de sortie d’Assange, les complots de vol et d’assassinat.

Tout au long de décembre 2017, M. Assange et ses avocats ont élaboré un plan de sortie de l’ambassade en vertu des protections accordées aux diplomates par la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Une proposition prévoyait de nommer Assange diplomate pour un gouvernement ami comme la Bolivie ou la Serbie, lui garantissant ainsi l’immunité diplomatique. Le dernier volet du plan reposait sur la coopération du chef du SENAIN équatorien, Rommy Vallejo, qui était techniquement le patron de Morales. Vallejo est arrivé à l’ambassade le 20 décembre 2017, cinq jours seulement avant qu’Assange n’ait prévu de quitter l’ambassade.

"C’était la dernière étape", a déclaré M. Martinez à propos de la visite du chef du SENAIN. " [Vallejo] allait parler avec Julian [Assange] des derniers détails pour quitter l’ambassade et organiser un véhicule diplomatique. Maintenant, après avoir vérifié tous les dossiers et les e-mails, nous avons découvert que lorsqu’il a rendu visite à Julian, Morales a dit [à son équipe d’espions] de tout enregistrer, d’ouvrir toutes les caméras et de prendre toutes les données de tous les téléphones portables".

En effet, dès la fin de la rencontre, Morales a demandé à ses employés de lui envoyer les enregistrements complets de la surveillance par Dropbox. L’équipe d’UC Global a procédé à l’ouverture des téléphones de Vallejo et a pris les codes de ses portables.

Le 21 décembre - le lendemain de la rencontre d’Assange avec le chef du SENAIN - les procureurs américains ont secrètement déposé des accusations contre Assange devant le tribunal fédéral d’Alexandrie, en Virginie.

Selon une source impliquée dans le projet d’accorder l’immunité diplomatique à Assange, l’ambassadeur américain en Équateur, Todd Chapman, a informé les autorités équatoriennes qu’il avait eu connaissance de cette initiative et les a mises en garde contre son exécution.

La source a également déclaré à The Grayzone que lorsque l’un des fonctionnaires équatoriens impliqués dans la conception de la stratégie de libération d’Assange de l’ambassade est rentré à Quito, son véhicule officiel du gouvernement a été arrêté sur une route par des hommes armés masqués sur une moto qui lui a volé son ordinateur portable. L’ordinateur contenait des informations détaillées sur le plan visant à permettre légalement à Assange de quitter l’ambassade.

Guillaume Long, le ministre des affaires étrangères de l’Équateur sous Correa, a déclaré à The Grayzone que l’opération d’espionnage coordonnée par les États-Unis visant Assange à l’ambassade équatorienne était "une violation majeure de la souveraineté, du droit international et des règles qui régissent la diplomatie internationale". Et c’est complètement illégal et je dirais même que cela sape les arguments des États-Unis en faveur de l’extradition de Julian Assange".

Le vol présumé d’un fonctionnaire équatorien à Quito était conforme à un autre plan violent divulgué par un ancien employé d’UC Global devant le tribunal espagnol.

L’ancien employé a rappelé que Morales avait mentionné que "les Américains étaient désespérés" de mettre fin à la présence d’Assange dans l’ambassade. Ainsi, ils "proposaient d’activer des mesures plus extrêmes contre lui", y compris "la possibilité de laisser la porte d’une mission diplomatique ouverte, en arguant que c’était une erreur accidentelle, pour permettre l’entrée et l’enlèvement du demandeur d’asile ; ou même la possibilité d’empoisonner M. Assange".

Les membres du personnel ont été choqués lorsqu’ils ont appris la proposition et ont protesté auprès de M. Morales que la direction qu’il prenait "commençait à devenir dangereuse".

Après une campagne d’espionnage, une poursuite pour espionnage.

Le 11 avril 2019, la police britannique a fait une descente à l’ambassade équatorienne à Londres et a traîné Assange dans une camionnette. C’était la première fois dans l’histoire qu’un gouvernement autorisait un service de police étranger à entrer sur son territoire souverain pour arrêter un de ses citoyens.

Le même jour, Ola Bini - le programmeur informatique suédois qualifié de "hacker" par Morales et placé sous une surveillance américaine apparente - a été arrêté en Équateur et détenu pendant des mois sans inculpation. Accusé de collaboration avec Assange et de divers cyber-crimes, Bini a été détenu dans la prison équatorienne d’El Inca, où les autorités américaines auraient demandé à l’interroger. Amnesty International a qualifié Bini de "défenseur du numérique" et a condamné "l’ingérence indue du gouvernement" ainsi que l’intimidation de son équipe de défense juridique.

Assange, un citoyen australien, a ensuite été emprisonné dans la prison de Belmarsh, où il attend maintenant une éventuelle extradition vers les États-Unis et un procès pour 18 chefs d’accusation, dont 17 sont liés à la violation de la loi sur l’espionnage. Ces accusations sont passibles d’une peine maximale de 175 ans de prison.

Lors de la première audience d’extradition, le 24 février dernier, Assange a été confiné dans un box en verre qui l’a empêché de s’entretenir directement avec ses avocats. Des observateurs, dont l’ancien diplomate britannique Craig Murray, ont déclaré avoir remarqué que des agents américains s’étaient entretenus avec des procureurs britanniques à l’extérieur de la salle d’audience.

Un témoin de l’audience d’extradition a fourni à The Grayzone des photographies de plusieurs participants qui, selon lui, étaient des fonctionnaires du ministère américain de la justice qui se sont assis directement derrière les procureurs britanniques tout au long de la procédure.

Les photos, ci-dessous, montrent les présumés fonctionnaires à l’extérieur de la salle d’audience :

Après le début de l’audience, selon l’avocat d’Assange, Martinez, une avocate britannique est arrivée et a demandé la permission d’observer. Elle représentait Las Vegas Sands, ce qui indique clairement qu’Adelson était très préoccupé par l’issue de la procédure.

Ayant été promu du poste de directeur de la CIA à celui de secrétaire d’État, Mike Pompeo aurait jeté les bases de sa candidature au Sénat américain du Kansas. La première étape de la campagne de Pompeo, selon une série d’articles, a consisté à contacter Sheldon Adelson pour "évaluer l’intérêt" du financement de la candidature au sénat.

Fin 2019, suite à la révélation des relations de Sands avec UC Global, d’anciens employés de Morales ont révélé une rumeur selon laquelle le garde du corps d’Adelson, Zohar Lahav, avait été licencié par Las Vegas Sands. Lorsqu’on a demandé à Morales, lors d’une comparution devant le tribunal espagnol en février dernier, si la rumeur était vraie, il l’a confirmée, déclarant que Lahav avait été licencié à cause du "désordre" qu’il avait contribué à créer.

Contacté par téléphone par The Grayzone le 12 mai, Lahav a immédiatement raccroché lorsqu’on lui a dit qu’il parlait avec un journaliste.

Max Blumenthal - 14 mai 2020

article d’origine :
https://thegrayzone.com/2020/05/14/american-sheldon-adelsons-us-spy-ju...

Traduction par Toute la France avec Assange, retouchée ici ou là par VD

»» https://www.facebook.com/notes/toute-la-avec-assange-french-action-4-a...
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