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Les nouveaux serviteurs de la bourgeoisie

La bourgeoisie française peut s’estimer heureuse ! Après le sarkozysme qui l’a comblée au- delà même de ses espérances, voilà la social-démocratie qui s’apprête à son tour avec un dévouement singulier à servir les mêmes maîtres. Certes, les pratiques dans leurs apparences, le style, les mots d’ordre et le discours de la social-démocratie diffèrent des manières du gouvernement précédent. Mais il ne s’agit là que des formes et d’un déguisement acceptable, qui reflètent plus ou moins nettement le fond commun : servir la même classe sociale, la bourgeoisie qui les place à tour de rôle à la tête de l’État.

« Le premier devoir du président de la République, c’est de rassembler » affirmait François Hollande le soir de son élection. La France a besoin « d’apaisement, de réconciliation, de rassemblement » insistait-il dans son premier discours à l’Élysée le 15 mai 2012.

La collaboration de classes est une constante et une caractéristique essentielle de la social-démocratie. Des figures éminentes de ce courant politique collaboraient déjà avec Nicolas Sarkozy. Michel Rocard, Jack Lang, Michel Charasse, Bernard Kouchner etc. ont tous travaillé sans état d’âme avec Sarkozy pour l’aider à appliquer une politique entièrement dédiée à la classe dominante. Il y a longtemps que les sociaux-démocrates français et européens ont abandonné la confrontation avec la bourgeoisie. Ils sont « plus à l’aise, tellement le mot révolution leur fait peur, dans la gestion de la brutalité et de la barbarie du capitalisme qu’ils considèrent comme un système naturel et donc inéluctable »(1). Depuis la fin du XIX siècle, leur histoire n’est qu’une succession de trahisons des classes populaires et d’une collaboration implacable avec les classes dominantes. De retour au pouvoir, la social-démocratie française n’est donc absolument pas prête à remettre en cause les intérêts et les privilèges de la bourgeoisie. Bien au contraire, elle tentera, au delà du discours, de les consolider.

Après avoir abandonné Dominique Strauss Kahn à sa vie nocturne dissolue, la bourgeoisie a jeté son dévolu sur François Hollande. Ses médias et ses instituts de sondage lui ont apporté une aide décisive. Même Sarkozy ne comprenait pas qu’on lui préférait Hollande, lui qui avait la haute main sur cette redoutable arme que sont les médias grâce à ses amis comme Martin Bouygues (un tiers des audiences télévisuelles), Arnaud Lagardère (Europe 1, Paris Match, leJDD entre autres), Bernard Arnault (La Tribune), François Pinault (Le Point) et bien sûr Serge Dassault propriétaire du Figaro sans compter les différentes nominations et placements de ses proches un peu partout.

Pour la bourgeoisie, Hollande est l’homme de la situation. Il est capable de préserver les intérêts des riches tout en faisant croire aux masses populaires qu’il entreprend des réformes en leur faveur. Le sarkosysme avec sa manière directe et brutale de servir la classe dominante ne correspond plus à la nouvelle réalité de la lutte des classes. Place aux nouveaux serviteurs de l’ordre établi !

Pour produire l’illusion du changement et donner l’impression de créer quelque chose de tout à fait nouveau, ils doivent travestir la réalité. Leur langage, leur style, leur comportement et leurs actes doivent faire oublier le gouvernement précédent. François Hollande et ses ministres doivent se draper dans un déguisement respectable pour que la différence avec l’ancien pouvoir paraisse éclatante. Ils ont besoin pour se distinguer de l’ancien gouvernement de jouer une nouvelle comédie sur la scène politique française. Ainsi, le nouveau président et ses ministres, pour leurs déplacements, sont invités et encouragés à préférer le train à l’avion. On ne parle plus de rigueur et d’austérité, mais de croissance. La parité entre hommes et femmes au sein du gouvernement est respectée. « Un coup de pouce » au SMIC sera donné. Le « contrôle au faciès » sera combattu. « Le pouvoir sera exercé au sommet de l’État avec dignité et simplicité » et les comportements seront d’une « scrupuleuse sobriété ». Fini donc la période « bling-bling », le « Fouquet’s », les fanfaronnades, les vaines agitations, les mutilations de la langue et autres vulgarités de l’ancien président. L’État non seulement « sera impartial », mais aussi « la propriété de tous les français ».

Les nouveaux serviteurs ont besoin de magnifier et d’exagérer les tâches à accomplir pour mieux masquer leur véritable mission, servir les puissants.

Il est évidemment trop tôt pour pouvoir analyser concrètement les décisions et les réalisations du nouveau gouvernement. Mais des signes et des déclarations des nouveaux serviteurs trahissent déjà leurs discours et creusent de larges fissures sur leur masque laissant entrevoir le vrai visage de la social-démocratie. La croissance économique par exemple est le mot fétiche des nouveaux serviteurs. Ils le répètent à longueur de journée, sans jamais expliquer aux citoyens le contenu réel de cette fameuse croissance. Aucune mesure précise n’est prise concernant la hausse du pouvoir d’achat des travailleurs et des classes populaires susceptible de stimuler la consommation, élément central de la croissance économique. Silence également sur les moyens à mobiliser pour combattre réellement le chômage qui ravage la vie de larges couches de la population. Par contre, les sociaux-démocrates au pouvoir insistent déjà sur la réduction des dépenses publiques et du déficit public. Ils parlent même d’équilibre budgétaire : « nous nous tiendrons à nos engagements (...)de ramener les déficits en dessous de 3% du PIB en 2013 ». Une loi de programmation des finances publiques sera élaborée cet été, tracera « le cheminement contraignant » qui mènera « à l’équilibre en 2017 » assurait le nouveau ministre des Finances Pierre Moscovici à Berlin le 21 mai 2012. Il va donc « falloir faire un effort, c’est certain, mais cet effort sera justement réparti » disait François Hollande le 30 mai sur le plateau de France 2. Sous la croissance l’austérité ! Les nouveaux serviteurs se préparent donc à poursuivre en douceur le travail de démolition des acquis sociaux entamé avant eux par le gouvernement précédent conformément aux seuls intérêts de la classe dominante. L’ancien pouvoir parlait de politique de rigueur, le nouveau de la croissance pour désigner en fait, à quelques inflexions près, une même politique au service de la même classe sociale, la bourgeoisie qu’ils sont tenus l’un et l’autre de servir.

Manuel Valls, le nouveau ministre de l’intérieur, veut quant à lui, faire mieux que Brice Hortefeux, Éric Besson et Claude Guéant réunis. Son fétichisme pour la sécurité et son mépris, qu’il affiche avec une certaine fierté pour les populations des quartiers populaires, sont sans bornes.

Rarement dans l’histoire récente de la France, on a brisé autant de familles, infligé autant de souffrances et humilié autant d’hommes, de femmes et même d’ enfants sans papiers que sous le règne de Sarkozy. Rarement les travailleurs immigrés, les Roms, les musulmans etc. n’ont été la cible privilégiée des politiques xénophobes et boucs émissaires pour mieux occulter la faillite économique de la bourgeoisie, que sous le pouvoir quasi monarchique de l’ancien président. Manuel Valls s’inscrit totalement dans cette détestable politique sécuritaire qui l’a propulsé au-devant de la scène politique. Comme tout opportuniste et carriériste qui se respecte, Valls a construit toute sa carrière sur le terrain de la sécurité, de la xénophobie et de la haine des travailleurs immigrés comme les Le Pen, père et fille, et Sarkozy. Toutes les opportunités sont bonnes pour parler de l’insécurité et rendre hommage aux forces de l’ordre (2) même si la liste des hommes morts dans les commissariats, ou lors des interpellations policières est trop longue (3). Jamais Manuel Valls n’a eu la moindre pensée pour ces hommes, nombreux et anonymes, tués justement par ces forces au service de l’ordre établi. Seule compte pour lui sa carrière. Il va certainement déployer un zèle singulier, d’une manière différente que ses prédécesseurs, pour masquer la faillite économique et morale de la bourgeoisie en présentant les travailleurs immigrés, les musulmans, les sans papiers etc. comme responsables des malheurs de la France. L’agitation des sociaux-démocrates autour de l’insécurité/immigration n’a d’égale que leur silence sur le chômage et la précarité de l’emploi qui plongent l’individu dans l’incertitude et l’ insécurité économique et sociale la plus totale.

La soumission des sociaux-démocrates aux intérêts des puissants à l’intérieur du pays, se reflète plus nettement encore dans leur politique extérieure et dans leur vision guerrière du monde.

Depuis 1914, la social-démocratie a participé à toutes les guerres impérialistes conformément aux intérêts exclusifs des classes dominantes. En août 1914, les sociaux démocrates allemands ont voté les crédits de guerre au Reichstag se rangeant ainsi du côté de Guillaume II, c’est à dire du côté de la bourgeoisie allemande. La Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), l’ancêtre du Parti Socialiste, se rallie, elle aussi, à « l’effort de guerre » juste après l’assassinat de Jean Jaurès ! Les sociaux-démocrates se sont ainsi mis au service de leurs bourgeoisies respectives et ont largement contribué à dresser les ouvriers et les peuples les uns contre les autres. Rappelons tout de même que cette boucherie a fait 9 millions de morts !

« Les armes vont parler » disait François Mitterrand pour annoncer la première guerre du Golfe en 1991.

La guerre impérialiste en Yougoslavie a été menée, main dans la main, par Chirac et Jospin derrière les américains en 1999.

Les sociaux-démocrates ont soutenu sans hésitation aucune Nicolas Sarkozy pour l’intervention des forces de l’OTAN en Libye permettant, entre autres, à Total de pomper sans trop de contraintes le pétrole du peuple libyen au prix de dizaines de milliers de morts et de la destruction d’une grande partie du pays.

Deux semaines à peine après son installation au pouvoir, Hollande parle déjà d’intervention armée en Syrie encouragé par le « grand humaniste » de tous les temps, Bernard-Henri Lévy.

Le départ prévu des puissances impérialistes de l’Afghanistan est la conséquence directe de la défaite de l’OTAN face à la résistance afghane. Là encore la seule différence entre Sarkozy et Hollande est le calendrier ! Le premier prévoyait le retrait fin 2013, le second fin 2012. Sur les raisons impérialistes de l’intervention dans ce pays, les deux serviteurs de la bourgeoisie sont entièrement d’accord.

Les sociaux-démocrates français entretiennent, par ailleurs, d’excellentes relations avec les plus rétrogrades des régimes et les plus dangereux pour la paix de la planète. Il serait peut-être fastidieux d’énumérer ici toutes les dictatures qu’ils ont soutenues ou qu’ils soutiennent encore. Israël arrive en tête de ces États qui menacent la paix du monde et admiré par les sociaux-démocrates. Ni l’occupation, ni les massacres à répétition, ni les condamnations de l’ONU, ni les souffrances infligées au quotidien au peuple palestinien etc. n’entament leur vénération et leur soutien inconditionnel à l’État sioniste.

Leur soutien va également aux régimes d’un autre âge comme celui de l’Arabie Saoudite, du Qatar et ceux de toutes les monarchies du Golfe. Aujourd’hui, les nouveaux serviteurs font beaucoup de bruit autour du cas de Mme.Ioulia Timochenko en boycottant l’Euro 2012 organisé en Ukraine : « aucun membre du gouvernement n’assistera aux matches en Ukraine » déclarait Valérie Fourneyron ministre de la jeunesse et du sport au journal l’Équipe (4). Cette déclaration contraste violemment avec le silence du candidat Hollande sur la Formule 1 qui s’est déroulée à Bahreïn du 20 au 22 avril 2012 (5). Ce silence, qui dure toujours, est interprété par le peuple de Bahreïn comme un soutien à la dictature des Al Khalifa.

Les sociaux-démocrates ont également des amis un peu partout comme par exemple les Bongo, père et fils, en Afrique. Laurent Fabius, qui a visité le Gabon en février 2012, disait « Nous avons parlé des relations entre le Gabon et la France qui sont des relations excellentes et j’ai dit mon souhait qu’elles se développent dans le futur » (6).

Il ne s’agit là que de quelques exemples montrant ce dévouement des sociaux-démocrates à servir les intérêts de la bourgeoisie française partout à travers le monde.

Le nouveau pouvoir se présente tel un prestidigitateur habile attirant et fixant, par un tour extraordinaire, l’attention des classes populaires sur les quelques aspects plutôt positifs de ses décisions pour mieux cacher sa véritable mission, servir la classe dominante. Les sociaux-démocrates donnent l’illusion d’être radicalement différents des gouvernements précédents, ce qui leur permet de tenir endormis les travailleurs et l’ensemble des classes populaires. Ils sont donc plus difficiles à combattre que l’ancien pouvoir. Mais les illusions vont bientôt se dissiper avec la poursuite de la rigueur même déguisée en croissance, l’arrivée des licenciements massifs d’ouvrières et d’ouvriers, la multiplication des entreprises en faillite, le despotisme de la Commission Européenne, des marchés financiers, des agences de notation etc. etc. Le nouveau gouvernement apparaîtra alors tel qu’il est réellement, c’est-à -dire un instrument au service de la classe dominante.

Toutes les forces du progrès qui se réclament des travailleurs doivent s’unir pour construire ensemble une autre alternative à la social-démocratie qui est non seulement éloignée des intérêts des classes populaires, mais constitue également un véritable obstacle sur le chemin du dépassement du capitalisme.

Mohamed Belaali

(1) http://belaali.over-blog.com/article-social-democratie-et-collaboration-de-classes-50152165.html

(2) Manuel Valls : « Sécurité : la gauche peut tout changer », Éditions du Moment, 2011.

(3) http://belaali.over-blog.com/article-crimes-ordinaires-de-l-etat-fran-ais-98240680.html

(4) http://www.lequipe.fr/Football/Actualites/Les-politiques-boycotteront-l-euro/288065

(5) http://belaali.over-blog.com/article-bahrein-la-formule-1-au-service-de-la-tyrannie-103865292.html

(6) http://www.rfi.fr/afrique/20120215-voyage-ex-premier-ministre-francais-laurent-fabius-gabon-interpelle-francafrique

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