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Matraques contre caméras

dessin : faujour sur Que fait la police ?

Le 14 octobre dernier, vers 22 heures, Ladj Ly, réalisateur professionnel qui a travaillé, entre autres, pour Envoyé Spécial sur France 2, filme une intervention policière dans un immeuble de la rue Picasso à Montfermeil. Montfermeil fait partie des banlieues « chaudes ».

« La police lancée à la poursuite d’une voiture ayant grillé un feu rouge "a subi ce soir-là des tirs de mortiers de feu d’artifice et des jets de pierre", raconte-t-il, et "il y a comme par hasard une caméra" et "quelqu’un cherche à prendre la police par défaut". »

Cette déclaration prêterait à sourire si elle ne provenait pas du directeur départemental de la sécurité publique de Seine-Saint-Denis. En la lisant attentivement, j’ai été frappée par la qualité « cinématographique » du langage de M. Jean-François Herdhuin. D’un côté la police (les gentils) lancés à la poursuite d’une voiture (les méchants) qui a enfreint le code la route en brûlant un feu rouge (le motif). Les gentils veulent rattraper les méchants pour les punir (la quête). Mais les méchants sont de vrais méchants et il s’ensuit des tirs de mortiers et des jets de pierre (la montée dramatique). Le gentil s’en sortira-t-il ? Suspens... et voilà que sort de l’ombre le gros méchant avec sa caméra (l’opposant). Clameurs et frissons dans la salle. La tension est à son paroxysme.

En tant que scénariste, cela mérite vingt sur vingt. Non, dix-neuf car, dans ce contexte-ci, on ne dit pas prendre par défaut mais prendre en défaut. Par contre, M. Herdhuin aurait pu opter par défaut pour la carrière de scénariste advenant que la police n’ait pas voulu de lui ou qu’il s’en soit lassé.

Ce qui m’interpelle, une fois de plus, c’est la collusion entre forces de police et monde politique. Les forces de police sont par définition au service de l’État mais l’État, quant à lui, est (devrait être) au service des citoyens. Il est vrai que tous les policiers ne sont pas des bruts et que beaucoup font sérieusement un travail qu’ils ont choisi, avec les risques que cela comporte. Mais il y en a aussi qui usent et abusent de leur force et pouvoir. Je n’étais pas à Montfermeil et ne peux donc analyser la situation qu’à partir des éléments dont nous disposons. Les déclarations des témoins et des habitants de l’immeuble convergent. Il y a eu violence policière. Deux policiers ont été suspendus et mis en examen. L’IGS enquête, c’est parfait.

Un policier blessé à la main a un arrêt de travail d’un mois. Le jeune homme, menotté, qu’il frappait avec sa matraque, a un arrêt de travail deux jours. La main d’un policier doit être plus fragile que la tête d’un jeune de vingt ans. Le directeur départemental de la sécurité publique de Seine-Saint-Denis remet en question la véracité de la vidéo de Ladj Ly, l’accusant de vouloir « prendre la police par défaut ». Il prend soin de ne pas mentionner le nom du réalisateur et de se contenter d’utiliser le « on », renvoyant ainsi la vidéo au rang des vidéos amateurs. Il accuse ensuite le réalisateur d’avoir « restreint » son film « aux scènes mettant en cause la police ». M. Herdhuin prépare ainsi, avec zèle, l’entrée en scène de Christian Demuynck qui reprend la balle au bond en déclarant : « Tout le monde, ou presque, peut devenir Spielberg grâce à son téléphone portable ou son caméoscope ». Ce dernier apporte donc son soutien à l’idée lumineuse du directeur départemental de la sécurité publique de Seine-Saint-Denis d’embaucher un caméraman pour filmer les interventions policières. Selon M. Demuynck « C’est le meilleur moyen d’éviter les vidéos bidonnées d’apprentis SPIELBERG qui remettent en cause, de façon injuste, le travail de nos policiers. Ce dispositif, largement généralisé aux États-Unis, ne peut apporter que plus de transparence aux actions menées par les forces de Police. Préventif, il permettrait ainsi d’éviter tout dérapage, toute polémique et toute escalade inutile ».

Si j’analyse les propos du directeur de la sécurité publique et du sénateur de l’UMP, il ressort que les principales victimes dans cette affaires sont les policiers, qu’on s’efforce de salir alors qu’ils sont les innocentes victimes d’une conspiration de la population qui organise des descentes avec des caméras. Comme l’a déclaré, à juste titre, M. Jean-François Herdhuin, les agressions contre les policiers, c’est inadmissible. Certes. Mais que dire de la violence policière, notamment de celle montrée dans la vidéo du fameux soir à Montfermeil. On y voit clairement les coups de matraques pleuvoir sur un jeune homme de vingt ans. La police représente l’ordre et la force. Elle devrait utiliser cette force seulement à des fins de maintien de la sécurité publique et de la sécurité des individus. Investir une entrée d’immeuble, menotter et tabasser un jeune ne me semble pas répondre à ces critères. En judo, il y a une règle d’or : utiliser la force de l’adversaire pour le maîtriser et non pour l’anéantir. Sur un tatami, un judoka peut tuer facilement, les étranglements sont mortels. Mais il sait s’arrêter avant. L’adversaire vaincue sait aussi baisser les armes avant de se faire tuer. Tout est question de maîtrise et de respect de part et d’autre. Bien sûr, les policiers n’exercent pas leurs fonctions sur un tatami. Mais leur métier a aussi des règles et ils sont tenus à un code de déontologie. Sang-froid et intelligence sont deux qualités essentielles que devraient avoir les membres des forces de police. Malheureusement, nombre d’entre eux se laissent griser par le pouvoir que leur confère leur position. Pouvoir et force. Un bon policier armé n’utilisera son arme (matraque ou arme à feu) que dans les situations qui l’exigent et avec discernement. Tel ne semble pas avoir été le cas à Montfermeil.

Deux poids deux mesures. J’aime cette expression car elle illustre parfaitement la société d’aujourd’hui et plus particulièrement la société française avec d’un côté les nantis et de l’autre les petites mains. Les premiers ne sont pas forcément riches mais ils ont une place dans la société, un chez eux, un travail et un avenir tranquille. Parmi eux, il y a ceux qui, à l’instar de Messieurs Herdhuin et Demuynck, occupent une place privilégiée avec tout le pouvoir que cela leur confère. Ils représentent la France et l’ordre. Les petites mains travaillent, vivent dans des HLM et ont forcément tort.

Pourriez-vous nous expliquer M. Herdhuin en quoi le film de Ladj Ly, dont vous avez tous les rushes entre votre possession, seraient moins objectif que le film que tournera un caméraman au service de la police, engagé par vos soins ? Vous avez oublié de préciser, lors de votre point de presse, que les images de l’altercation de Montfermeil ont été prises par un professionnel. Ladj Ly a plusieurs films à sont actif, dans lesquels il a fait preuve d’impartialité. Selon vos dires et les écrits du sénateur, seule la police mérite notre confiance. Elle seule dit la vérité. Quant à nous, les apprentis Spielberg, mettant sur Internet des vidéos bidonnées, contentons-nous de regarder les belles images diffusées par la police. Elles ne seront ni partielles, ni partiales, la police ne théâtralisera pas ses exploits, ne « buzzera » pas ses vidéos et il n’y aura donc pas d’escalade de la violence. Je suis certaine que la police ne restreindra pas ses films « aux scènes qui mettent en cause la police ». Je mettrais ma main au feu, qu’elle redonnera sa place à la « vérité », la vérité des banlieues violentes, des ghettos noirs et magrébins où la police se fait tabasser. Des commissariats où les marches sont un peu trop abruptes, où les annuaires téléphoniques tombent malencontreusement sur la tête des personnes interrogées…

Quant à M. Demuynck, il a de toute évidence su tirer les leçons des grands frères américains. Les films de Spielberg l’ont marqué et la police américaine est son modèle. Mais je me permets de lui suggérer la lecture d’un excellent ouvrage publié conjointement par la National Lawyers Guild, la Anthony Baez Foundation et la October 22nd Coalition to Stop Police Brutality, Repression and the Criminalization of a Generation. Il s’agit d’un ouvrage regroupant plus de 2 000 cas de violence policière ayant abouti à la mort d’un individu. Les noms, les circonstances et les lieux sont soigneusement décrits et appuyés par des témoignages. Où étaient les caméras de la police américaine lors de ces événements ? Deux mille décès causés par la violence policière entre 1990 et 1999, sans compter ceux qui n’ont pas été répertoriés en raison de l’immensité de la tâche. Une mise à jour pour la troisième édition est en cours.

Je pense que ni le directeur départemental de la sécurité publique de Seine-Saint-Denis ni le sénateur de l’UMP ne pourront remettre en question la crédibilité de la National Lawyers Guild (une association du barreau oeuvrant pour les droits civils). Quant aux deux policiers suspendus, je crains qu’ils ne soient utilisés qu’à titre d’exemple. Ils font partie des petites mains. Bien sûr que leur comportement est inexcusable mais il faudrait remonter beaucoup plus haut pour trouver les vrais responsables. Parmi les hautes sphères du pouvoir, là où tout est permis à condition que cela ne se sache pas.

Claude Jacqueline Herdhuin
Scénariste, assistante-réalisatrice, auteure

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