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Projet de directive Bolkestein : une machine de guerre contre les peuples d’Europe, par Pierre Khalfa.


Strasbourg, 11 février 2006 : Faisons barrage à la directive Bolkestein, mobilisation européenne unitaire ! ( + explications de la directive )



Alors que le débat sur le projet de traité constitutionnel bat son plein, la
proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur,
dite "Bolkestein", du nom de l’ancien Commissaire chargé du marché
intérieur, est emblématique de la vision libérale de la construction
européenne.


L’objectif de cette directive "est d’établir un cadre juridique
qui supprime les obstacles à la liberté d’établissement des prestataires de
services et à la libre circulation des services entre les Etats membres".
Comme le note l’exposé des motifs, "la proposition couvre tous les services
qui représentent une activité économique au sens de la jurisprudence de la
Cour relative à l’article 49 du traité". Rappelons que cette jurisprudence
(C-180-184/98) indique que "constitue une activité économique toute activité
consistant à offrir des biens et des services sur un marché donné". On le
voit, quasiment toutes les activités de services, à l’exclusion des services
régaliens de l’Etat fournis gratuitement, sont concernés. L’enjeu est donc
considérable.


Le principe du pays d’origine

Ce projet de directive repose sur une innovation juridique : le principe du
pays d’origine. Ce principe signifie qu’un prestataire de services est
exclusivement soumis à la loi du pays où il est établi et non plus à la loi
du pays où il fournit le service.

Ce principe est d’abord un renoncement à la logique d’harmonisation qui
était théoriquement la doctrine officielle de l’Union européenne (UE).
Certes cette doctrine avait déjà était mise à mal par le refus d’une
harmonisation des règles fiscales et des droits économiques et sociaux des
salariés. Pire même, souvent cette harmonisation faite "par le bas" a été
porteuse de régression sociale. C’est par exemple ainsi au nom de l’égalité
entre les femmes et les hommes qu’a été supprimée l’interdiction du travail
de nuit pour les femmes. Une autre solution aurait été au contraire
d’harmoniser "par le haut" en interdisant le travail de nuit pour tous les
salariés, quitte à indiquer des exceptions à cette règle pour des raisons
d’intérêt général.

Cependant le maintien d’une logique d’harmonisation dans la construction de
l’UE pouvait laisser espérer qu’un jour, mobilisations sociales et rapports
de force aidant, nous arriverions petit à petit à imposer une convergence
par le haut des droits des habitants de l’Europe. Si elle était adoptée,
cette directive renverrait cette perspective aux calendes grecques. Le
principe du pays d’origine apparaît de fait comme une incitation légale aux
délocalisations vers les pays de l’Union où règnent les moins-disants sociaux,
fiscaux et environnementaux et où la protection des consommateurs est
moindre. Il s’agit d’une incitation à créer des entreprises n’ayant qu’un
siège social plus ou moins fantomatique dans ces pays et qui avec une simple
boite aux lettres pourront intervenir dans toute l’Union. De plus, le
contrôle de ces entreprises échapperait à l’administration du pays
d’accueil. Le projet de directive indique ainsi que "l’Etat membre d’origine
est chargé du contrôle du prestataire et des services qu’il fournit, y
compris lorsqu’il fournit ses services dans un autre pays membre". La portée
pratique d’une telle proposition apparaît clairement : c’est la porte
ouverte à une liberté d’action totale pour les entreprises qui pourront agir
de fait sans aucun contrôle sérieux.


Que deviennent les services publics ?

Ce projet de directive concerne l’ensemble des activités de services
considérés comme une activité économique, à l’exception de celles déjà 
couvertes par une autre directive. Ainsi les télécommunications, les
transports sont explicitement exclus de son champ d’activité. De plus, le
principe du pays d’origine ne s’appliquera pas à la distribution
d’électricité et de gaz, à l’eau et aux services postaux. Faut-il être
rassurés pour autant ? Non car pour l’essentiel, ces secteurs sont déjà 
déréglementés et les missions de service public sont en train de se réduire
comme une peau de chagrin, voire ont quasiment disparu comme dans le cas des
télécommunications.

Mais surtout, les missions d’intérêt général ne sont pas explicitement
exclues de l’application du principe du pays d’origine. Le champ des
services publics est très différent d’un pays à l’autre ce qui aura des
conséquences sur la manière dont un service peut être rendu. Un prestataire
de service ne sera ainsi pas obligé de respecter les exigences liées à des
missions de service public du pays dans lequel il fournit le service.

Enfin, comment les Etats pourront continuer à maintenir des dispositions
relatives à l’intérêt général alors que le projet de directive vise
explicitement à lever tous les obstacles à la liberté d’entreprendre et
fournit d’ailleurs une longue liste de mesures incompatibles avec cet
objectif. Plus globalement, dans une communication sur les services
d’intérêt général, la Commission a d’ailleurs indiqué fin 2001 que la
distinction entre activité économique et activité non économique était, de
fait, sans pertinence. C’est donc l’ensemble des services publics, notamment
l’éducation, la santé et les services publics locaux, qui pourraient rentrer
dans le champ d’application de cette directive.


Les soins de santé

La santé n’est pas exclue en tant que telle du principe du pays d’origine.
Certes, ce principe ne s’appliquera pas pour les exigences liées à "la
protection de la santé publique". Cela signifie par exemple que la
réglementation française sur l’amiante s’appliquera à tous les prestataires
de services quel que soit leur pays d’origine. De plus, "à titre
exceptionnel", un Etat pourra prendre des mesures à l’encontre d’un
opérateur de santé. Mais, comme le précise le projet de directive, il s’agit
là de mesures individuelles, c’est-à -dire concernant tel ou tel prestataire,
et non pas d’obligations générales de politiques de santé s’appliquant à 
tous.

Le texte de la directive impose la suppression d’un nombre considérable de
mesures qui sont pourtant à la base de la régulation des systèmes de soins
dans la plupart des pays de l’Union. Ainsi, concernant les pharmacies, il
deviendrait impossible pour un Etat d’imposer des normes d’implantation en
fonction de la population. De même, il ne serait plus possible d’imposer à 
un prestataire venant d’un autre pays de l’Union des normes d’encadrement ou
d’équipement dans les établissements de santé ainsi que des normes de
qualité et de soins. Il deviendrait, de plus, impossible d’imposer à un
opérateur de santé des tarifs obligatoires, ce qui revient à miner le
système de remboursement de soins mis en place par l’assurance-maladie.

On le voit, il s’agit d’une remise en cause frontale de toute possibilité de
mener réellement des politiques publiques en matière de santé.


Le droit du travail

Le projet de directive n’exclut pas explicitement les réglementations
nationales en matière de droit du travail du principe du pays d’origine. Une
possibilité juridique existe donc pour que puisse s’engager un démantèlement
du droit du travail.

Certes, une directive (96/71/EC) de 1996 sur le détachement des
travailleurs[1], qui prévoit un socle de garanties sociales minimales, n’est
pas concernée par ce principe de même que le règlement (1408/71) de 1971 de
coordination des régimes de sécurité sociale qui indique que "les personnes
qui résident sur le territoire de l’un des Etats membres sont soumises aux
obligations et sont admises au bénéfice de la législation de tout Etat
membre".

Le texte ne change pas les règles formelles qui s’appliquent actuellement en
matière de droit du travail et de protection sociale aux travailleurs
détachés dans le cadre d’une prestation de service transfrontalière. En
clair, cette directive n’autorisera pas encore France Télécom à faire venir
des travailleurs portugais avec un salaire portugais comme elle vient de le
faire illégalement.

Toutefois, cela ne doit pas nous rassurer pour autant. Le recours aux
travailleurs détachés est déjà en pratique un moyen de contourner les règles
sociales et de faire ainsi pression sur les normes d’emploi du pays où s’
exerce l’activité. C’est le cas non seulement parce que les possibilités
concrètes de contrôle sont réduites, mais aussi parce que la protection de
ces salariés diffère très sensiblement de celles des autres salariés. Seuls
le salaire minimum et la durée de travail maximum leur sont applicables et
non pas les conventions collectives ni même les autres dispositions issues
du code du travail. Mais surtout la capacité de résistance des salariés
détachés est bien moindre que celle des autres salariés car ils sont
dépendants de l’entreprise qui les emploie en matière de droit de séjour.
Les salariés détachés se trouvent ainsi dans une position de subordination
accrue vis-à -vis de leur employeur qui a ainsi toute liberté pour ne pas
respecter ses obligations.

Dans cette situation, le projet de directive aggrave encore les risques de
dumping social en rendant encore plus illusoires les possibilités de contrôle
des normes sociales et donc encore plus facile leur contournement par les
entreprises. Le projet de directive prévoit en effet un allégement des
contraintes des entreprises en matière de détachement. Elle prévoit de
supprimer " les règles tatillonnes " et " les formalités administratives à 
remplir avant que les entreprises puissent détacher des travailleurs ". Bref
le contrôle des pratiques sociales des entreprises était faible, il
deviendrait inexistant.


Un AGCS européen

On ne peut qu’être frappé par la ressemblance entre l’Accord général sur le
commerce des services (AGCS) qui se négocie à l’Organisation mondiale du
Commerce (OMC) et ce projet de directive : même objectif, la libéralisation
complète des services ; même définition des modes de fourniture des services
dont la définition est extrêmement large ; même méthode, celle des petits
pas qui mène à des transformations en profondeur ; même discours rassurant
visant à présenter les mesures envisagées comme de simples mesures
techniques de bon sens.

Le projet de directive vise donc à donner un coup d’accélérateur à la mise
en place de l’AGCS et à contourner les obstacles que les mobilisations
citoyennes avaient réussi à dresser contre ce processus. Ainsi, la santé, l
’éducation, la culture et l’audiovisuel étaient théoriquement " hors AGCS ".
Ces secteurs tombent maintenant dans le champ d’application du projet de
directive qui aura donc des effets directs sur la négociation AGCS, ce que
confirme d’ailleurs l’exposé des motifs qui indique que ce projet vise à "
renforcer la position de négociation " de l’Union.


Conclusion

Nous n’avons pris là que quelques exemples tirés de ce projet de texte qui
contient toute une foule de dispositions qui ont toutes pour objectif de
démanteler les réglementations que les Etats ont dû mettre en place, sous la
pression de leurs citoyens, pour limiter le pouvoir du capital et réguler un
tant soit peu l’économie en fonction de l’intérêt général. Si elle était
adoptée par le Conseil des ministres et le Parlement européen, elle
constituerait un recul considérable.

Le mouvement altermondialiste, dans toutes ses composantes syndicales et
associatives, est devant un défi majeur. Le Forum social européen (FSE) de
Londres a permis que se tienne un séminaire sur cette question et la
décision de lancer une campagne européenne y a été prise. Ce point sera d’
autre part à l’ordre du jour de la réunion des Attac d’Europe début
décembre. Il s’agit maintenant, face à une Commission ultralibérale, d’agir
concrètement afin de construire les rapports de force nécessaire. Le rejet
de la directive Bolkestein sera un des mots d’ordre de la manifestation
européenne du 19 mars à Bruxelles décidée lors du FSE. Mais d’autres
initiatives seront absolument nécessaires avant cette date.

Pierre Khalfa(Union syndicale G10 Solidaires), membre du Conseil scientifique d’Attac.


Chronique d’une mort annoncée : L’école maternelle, par Attac Midi Pyrénées, 19 novembre 2005.


Strasbourg, 11 février 2006 : Faisons barrage à la directive Bolkestein, mobilisation européenne unitaire ! ( + explications de la directive )


Pourquoi je ne voterai pas "non" à la Constitution, par Viktor Dedaj.


La directive Bolkestein « retirée » jusqu’au 29 mai ! par Jean-Jacques Chavigné, Gérard Filoche.

Dix bonnes raisons de voter NON... par A-J Holbecq




Source : Courriel d’information ATTAC - http://attac.org


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