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Roman et Histoire

Rencontre de deux livres : «  L’art français de la guerre » roman d’ALEXIS JENNI et «  L’ennemi intérieur » de Mathieu RIGOUSTE au sous-titre explicite : «  La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine »

Il est très probable qu’ils ne se connaissent pas et qu’ils ne se sont jamais rencontrés mais pendant que le premier, dans sa tranquillité lyonnaise, rédigeait son vaste roman où deux décennies de l’histoire nationale celle de la guerre de libération de la France ( de la Résistance à la reconquête) suivie de celle des deux guerres de décolonisation ( Indochine et Algérie) font écho à la France d’aujourd’hui , l’autre , historien universitaire ,courait les archives de la Défense nationale pour y faire l’histoire des mêmes guerres françaises et des traces qu’elles ont inévitablement laissées dans la vision stratégique des couches dirigeantes du pays.

Les personnages du roman d’Alexis Jenni sont tous des personnages de fiction mais ils sont inscrits dans l’histoire du pays et ils sont des hommes «  du rang », soldats ou officiers parachutistes, et du terrain. Les stratèges, civils ou militaires dont Mathieu Rigouste a décortiqué scrupuleusement les écrits de la période coloniale à aujourd’hui expriment la pensée dirigeante. Deux mondes bien séparés : d’un côté les penseurs de la guerre, de l’autre les exécutants.

Dans l’interview qu’il a accordée à COMAGUER, ALEXIS JENNI (diffusée sur Radio Galère le 14.03) explique que son roman formule une hypothèse : «  L’art français de la guerre (celui de la période coloniale) a été transféré à la police ». Mathieu Rigouste dans un ouvrage documenté d’historien de plus de 300 pages répond : «  Cette hypothèse est exacte ! »

Le fil ne s’est pas rompu entre les Massu, Bigeard, Aussaresses et autres et les théoriciens de la contre-révolution militaire * et leurs successeurs civils les Pasqua, Alliot-Marie, Guéant, Longuet et autres inspirateurs de l’homme au Karcher foudroyant.
Le livre de Mathieu Rigouste n’aura évidement jamais l’écho d’un Prix Goncourt, déjà en cours de traduction dans 14 langues. C’est pourquoi nous joignons ci-après quelques lignes de l’introduction et les pages principales de la conclusion

* Le plus connu de ces théoriciens est le colonel Trinquier auteur de « La guerre moderne ». Le lieutenant colonel David Galula a mis ses idées à l’épreuve pendant la guerre d’Algérie (à la tête d’un bataillon du 41° bataillon d’infanterie coloniale en Kabylie) mais c’est aux Etats-Unis qu’il a le plus fait école. Invité par la Rand Corporation - un think tank du Pentagone- dés 1962, il publie aux Etats-Unis en 1963 «  Pacification in Algeria » et toujours aux Etats-Unis où bien que décédé en 1967 il est après avoir collaboré directement avec Henry Kissinger l’un des inspirateurs par son ouvrage «  COUNTERINSURGENCY WARFARE, THEORIE ET PRATIQUE » publié en 1964 de l’actuel directeur de la CIA et ex Chef d’Etat-major des armées, le général PETRAEUS. Comme l’avait déjà démontré Marie Monique Robin dans son livre «  Escadrons de la mort, l’école française », «  L’art français de la guerre » largement expérimenté en Indochine et en Algérie a donc fait largement école et par son truchement la France à apporté une contribution mondiale à la lutte contre l’émancipation des peuples colonisés et dominés.

Introduction

Aux racines du « nouvel ordre sécuritaire »

« Les rapports de pouvoir, tels qu’ils fonctionnent dans une société comme la nôtre, ont essentiellement pour point d’ancrage un certain rapport de force établi à un moment donné, historiquement précisable, dans la guerre et par la guerre. Et s’il est vrai que le pouvoir politique arrête la guerre, fait régner ou tente de faire régner une paix dans la société civile, ce n’est pas du tout pour suspendre les effets de la guerre ou pour neutraliser le déséquilibre qui s’est manifesté dans la bataille finale de la guerre. Le pouvoir politique, dans cette hypothèse, aurait pour rôle de réinscrire perpétuellement ce rapport de force, par une sorte de guerre silencieuse, et de le réinscrire dans les institutions, dans les inégalités économiques, dans le langage, jusque dans les corps des uns et des autres. " - Michel FOUCAULT

Dans la France des années 2000, comme dans de nombreux pays occidentaux, 1’« islamisme », le « terrorisme », 1’« immigration clandestine », les « violences urbaines » et 1’« incivilité » semblent bien être devenus les principales menaces désignées par les discours publics à droite comme à gauche. Et, dans l’arsenal sécuritaire déployé par l’État pour les combattre, une figure s’est discrètement réaffirmée depuis les années 1980, celle de 1’« ennemi intérieur », même si ce vocable, naguère banal, n’est plus jamais usité.

La notion évoque en effet une période révolue, celle de la guerre froide : l’ennemi du « monde occidental » était alors le communisme et ses « cinquièmes colonnes » à l’intérieur du territoire. C’est d’abord cet ennemi que l’État français entendait combattre à l’époque, dans les guerres coloniales d’Indochine (1946-1954) et d’Algérie (1954-1962). Face aux révoltes nationalistes, les pires méthodes furent utilisées pour éradiquer la « gangrène subversive pourrissant le corps national », dans les colonies comme en « métropole », Théorisée par des militaires, la « doctrine de la guerre révolutionnaire » (DGR) justifiant ces méthodes a été alors officialisée par les responsables politiques de la Ve République. La lutte contre 1’« ennemi intérieur » sur le territoire national, relais supposé de la « subversion » anticolonialiste dans les colonies, y occupait une place essentielle.

Le général de Gaulle, arrivé au pouvoir en mai 1958, a rapidement cherché à rompre avec les aspects les plus choquants de la DGR. Mais-ce n’est que progressivement, jusqu’à la fin de la guerre d’Algérie en mars 1962, qu’elle cessera vraiment d’être une doctrine d’État. Et la notion du danger représenté par 1’« ennemi intérieur », incarné notamment par les immigrés venus des anciennes colonies, restera très prégnante dans l’esprit des « élites de la nation »,
Dès lors, comment comprendre le renouveau contemporain de ce concept clé de la doctrine de la guerre révolutionnaire, pourtant évacuée officiellement de longue date par l’État ? Certains éléments clés de cette doctrine auraient-ils permis de façonner cette grille de lecture sécuritaire qui présente les populations issues de la colonisation comme les vecteurs intérieurs d’une menace globale ? L’étude de la guerre coloniale peut-elle nous aider à comprendre le développement du « nouvel ordre sécuritaire » qui s’affirme dans la France des années 2000, en particulier depuis les attentats du Il septembre 2001 aux États-Unis ? Dans quelle mesure les rapports de pouvoir, les techniques de contrôle et plus largement les processus de domination dans la France contemporaine ont-ils pu être influencés par cette phase de l’expérience coloniale, qui s’acheva en 1962 ?

Selon nombre d’observateurs et d’acteurs de la « question postcoloniale », cette expérience, largement effacée ensuite des représentations et des discours officiels, influencerait toujours certaines pratiques de l’État et les imaginaires sur lesquels elles s’appuient. Depuis les années 1990, non sans de vives controverses, cette problématique occupe une place nouvelle dans l’université française et au sein du mouvement social, dans les médias et sur la scène politique.

Dans le champ universitaire, le débat a d’abord été organisé autour des versants culturels et imaginaires de la ségrégation. On a commencé par analyser la manière dont la discrimination des « non-Blancs » sous la Ve République pouvait reproduire des éléments de la représentation des colonisés

Conclusion

L’ordre par le chaos

Au terme de cette étude, l’hypothèse de notre questionnement initial se voit largement confirmée : oui, certains des présupposés idéologiques essentiels qui structuraient hier les théories contre-subversives appli ­quées par l’armée française dans les guerres d’Indochine et d’Algérie contribuent à structurer de façon décisive le « nouvel ordre sécuritaire » dans la France d’aujourd’hui. A l’ancienne figure de 1’« ennemi intérieur » communiste ou colonial s’est substituée celle d’un « ennemi intérieur postcolonial », désigné comme à la fois local et global, dissimulé dans les quartiers populaires, surtout parmi les non-Blancs pauvres. Au-delà des profonds changements géopolitiques, économiques et sociaux qu’a connus le monde depuis la fin des colonies, au-delà des mutations doctrinales majeures au sein de l’armée et des forces de police, le contrôle de l’immigration postcoloniale aura été en France le principal « fil rouge » ayant permis l’étonnante résurgence de certaines représentations racialistes au sein des médias dominants, comme celle de certains dispositifs de contrôle coloniaux au sein des appareils d’État.

L’ancienne doctrine de la guerre révolutionnaire conçue pour la répression coloniale et le modèle sécuritaire contemporain ont en effet en commun un grand nombre de mécanismes. Tout d’abord, les trois axes imaginaires autour desquels l’une et l’autre sont organisés :

- focalisation sur un ennemi intérieur socio-ethnique renvoyé à une menace globale ;
- conception du contrôle comme une médecine du corps national ;

- utopie d’une société sûre et assainie opposée au mythe d’une société gangrenée.

La contre-subversion

1. Les populations colonisées sont des milieux de prolifération de la subversion révolutionnaire.

2. Le renseignement doit permettre de faire apparaître les hiérarchies parallèles adverses, à tenir, détruire ou remplacer.

3. La terreur permet à l’adversaire de tenir la population, il faut se réapproprier ces principes.

4. Désigner la subversion intérieure permet d’amener la population à soutenir la répression et à y participer.

5. L’action psychologique permet de contrôler les représentations de la population et la guerre psychologique de tromper l’adversaire. L’armée doit être le chirurgien de la société gangrenée.

6. Le quadrillage militaro-policier de l’espace urbain constitue un acte chirurgical radical pour purger les subversifs et immuniser la population colonisée.

7. La raison d’État justifie l’état d’exception et la militarisation du contrôle.

Le modèle sécuritaire

1. La population en général et les classes populaires en particulier sont des milieux de prolifération des menaces et l’enjeu même du contrôle.

2. Le renseignement, face aux nouvelles menaces, doit permettre de tout voir, tout savoir, tout prévoir.

3. Pour sécuriser il faut insécuriser : contrôler la population avec des moyens susceptibles de « terroriser les terroristes ».

4. Faire connaître la menace globale et désigner l’ennemi intérieur socio-eth ­nique permet de conscientiser la population et de l’amener ainsi à participer à la sécurisation.

s. Former les institutions (médias, écoles ...) à la promotion de l’esprit de défense permet d’immuniser la population contre les nouvelles menaces.

6. Un quadrillage militaro-policier permanent mais nivelé permet d’immuniser les « zones grises » contre les nouvelles menaces.

7. La sécurité est la première des libertés. Les libertés publiques sont conditionnées à la sécurisation.

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