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Signaux de retraite

illustration : "Old Man Dozing", Duane Hanson, 1976.

Le vrai travail des confédérations syndicales consiste, on le perçoit de mieux en mieux au fil de leurs discours défaitistes depuis pas mal de temps déjà , à nous faire accepter qu’il faut manifester à l’heure, bien en rang, avec de gentils slogans bien propres sur eux, avant de foncer devant sa télé et voir nos chefs conclure le gentleman agreement confédérations/gouvernement, qui finalisera une défaite de première grandeur face à cette énième régression - « mère des réformes » selon Sarkozy de Nagy-Bocsa - sans précédent sur les retraites.

Défaite annoncée qui prépare clairement la destruction totale à terme de la retraite par répartition, sous prétexte, comme toujours avec notre orwellien gouvernement, de la protéger.

Le chemin vers le néant est clairement indiqué. Le pouvoir rendra toujours plus impossible l’accès aux conditions qui permettraient de toucher une retraite normale, une retraite donnant les moyens à la vie de continuer sans excès, mais sans misère, pour tous, à un âge où le travail n’a pas déjà tué le temps restant et provoqué la maladie.

Le discours confédéral est un moment déterminant dans l’action syndicale, un catalyseur très puissant, d’autant plus s’il y a des militants, des sympathisants, du monde derrière. Car quoiqu’en disent les mercenaires médiatiques, les syndicats représentent toujours une force, incarnent la puissance mobilisatrice d’un monde du travail qui s’obstine à ne pas baisser les bras, à ne pas abandonner la lutte contre la classe possédante, aujourd’hui comme hier.

Les discours des représentant confédéraux ne se substituent pas à la lutte et ses acteurs. Mais ils en expriment la valeur et la force, font reconnaître leur cohésion et donnent l’impulsion déterminante pour qu’elles deviennent massives et déterminées. Le discours est essentiel contre l’adversaire et pour ses propres troupes. Le discours est une arme.

Les discours ont la capacité d’enclencher une dynamique générale qui repousse, casse l’adversaire, pour ne pas dire l’ennemi de classe, le patronat aujourd’hui totalement représenté par le gouvernement. Il incarne le combat, il l’anticipe, il le renforce. Quand un représentant confédéral parle haut et fort, s’il est combatif, arrogant envers ceux d’en face, qu’ils aient une caméra, un gros chéquier ou une écharpe tricolore, le syndicat se lève, les salariés, les citoyens embrayent, tous ensemble.

L’arme confédérale est aujourd’hui au pied.

Thibault, pour la CGT, - syndicat numériquement le plus important et idéologiquement le plus « radical » - joue globalement la même partition que Chérèque pour la CFDT. Par ses mots, d’abord. Propos face à la presse dévidés sans débordements, dans une langue alternant le soutenu et le populaire, et dépassionnée. Communication.

On retrouve là les structures de la communication gouvernementale. Structures qui sont celles de tout pouvoir, aujourd’hui. Des pouvoirs désirant fondamentalement que l’emballage des mots fasse plus sens que le discours. Voilà dans quelle optique les politiques « travaillent » leur passage à la télé, et peut-être certains syndicalistes.

Aux côtés des mots, la posture et le rythme de la parole, les pauses même, révèlent au moins autant. Elle donnent à voir, chez les leaders syndicaux ou politiques, une habitude de l’expression publique qui impressionne, qui domine le prolo à l’écoute. Lui qui ne sait pas parler. Les combats même que semble soutenir, en occurrence, l’homme de pouvoir qui s’exprime dans le micro ou dans l’écran, s’effacent devant cette parole professionnelle, apaisante, diluante. Ils deviennent légers face à ce discours de poids. Les colères qui reniflent cette duplicité du discours, aussi. Qui a vu Xavier Mathieu à la télé ces derniers temps ?...

Les yeux froids, la rigidité a-émotive durant les discours de Thibault, comme durant ceux de Mailly et de Chérèque d’ailleurs, sont destinés à nous interpeller, à nous dire « attention, habitude ! ». Les trois leaders ont l’habitude du conflit, des problèmes de société, dont ils parlent, du problème « retraite » comme des autres, passés et à venir. « Il convient donc », selon la formule qu’utilise très régulièrement Thibault, de les laisser faire, les laisser gérer. Les pros de la gestion de crise sont là . C’est bien eux et ils seront là toujours là . Ca va aller, ne vous inquiétez pas, laissez- leur apprécier les termes du problème et vous guider.. L’évidente maîtrise de la parole et le côté gris, froid, ordinaire - pour pointer et « gérer » l’extraordinaire, puisque le nombre de grèves, d’actions de luttes a baissé ces dernières années, malgré un nombre de conflits signalés plus importants - , de Thibault et Mailly invitent à la délégation.

Si le sens apparent de leurs discours est de donner quelques compréhensions ponctuelles sur tel ou tel conflit, le sens réel permanent est « laissez- moi faire ». Idem pour Chérèque, mais il l’exprime pour l’heure différemment, sans doute pour avoir trop donné dans ce registre de « guide » de sa nation syndicale grâce aux médias qui le sollicitaient, pour y trouver leur compte. Comme aurait dit le disparu médiatique Ardisson, « c’est un bon client ».

Il y a une ritournelle dans cette gestion, de cette dilution vers les sables mouvants du rituel et de la négociation. On ne peut s’étonner qu’au fil des discours leaders revienne sans cesse l’appel au gouvernement, à écouter, à négocier, à « entendre les revendications ». S’il vous plaît, Messieurs les gouvernants.

Les représentants confédéraux nous parlent et on n’entend plus les salariés de Molex, les Conti, ou les Carrefour. Thibault, Mailly, Chèrèque sont les luttes, la lutte. Ils sont la calme voix qui nous indique la voie. Ils combattent à notre place, ou quasiment Normalement contre ceux qu’ils appellent à entendre les revendications. Mais appeler son adversaire à entendre ça veut dire qu’on est en dialogue avec lui, déjà . Rien à voir avec un combat.

Le sens immédiat et passé, intemporel de la CGT et de toutes les organisations syndicales réelles et représentatives véritablement des salariés nous apparaît depuis toujours sans ambiguïté : « on se bat, on lutte salariés contre patronat, on est pas là pour négocier, on est là pour imposer notre volonté ». Paroles et papiers ne doivent finalement atterrir sur la table que pour acter l’état du rapport des forces en présence.

Hors, les positions, les forces syndicales et patronales sont historiquement asymétriques. Soubie et autres Parisot voudraient que ce soit oublié. Mais qui exploite et qui possède les résultats sonnants et trébuchants de l’exploitation ?...Qui détient les moyens juridiques et policiers d’exercer la domination en propulsant au feu les politiques larbins et idéologiquement proches, en facilitant leurs carrières, et parfois même celles de leurs proches ?...

Dans une rencontre syndicat/patronat on ne négocie pas, on se bat. La négociation, si elle s’avère nécessaire, n’est que la continuation du combat par d’autres moyens. Tous les conflits que nous avons en mémoire nous le répètent. L’histoire des reculs sociaux de la dernière décennie est rythmée de défaites initiées et/ou sanctionnées par des négociations.

C’est le rapport des forces, le compte des coups donnés et à venir, c’est la mobilisation, la force collective toujours en alerte et en marche qui font le vainqueur. Chaque salariés le ressent quand il perd ou gagne une lutte dans son entreprise ou son service public.

Dans la litanie des luttes et des coups distribués, on connaît trop bien et depuis trop longtemps le vainqueur. C’est pour ça que la CGT s’était donné pour coeur et pour objectif la « transformation sociale ». En réalité il n’y a pas un seul syndicat qui n’oeuvre pas, au moins formellement, pour la transformation sociale, si on considère qu’elle consiste à mettre au pouvoir dans l’entreprise, dans les structures de coordinations sociales, ceux qui font le travail et la richesse en France et ailleurs, ceux qui doivent en recevoir tous les fruits, les salariés, les travailleurs, les prolétaires.

« Transformation sociale », c’est juste un autre nom, déjà édulcoré, pour désigner la lutte des classes. En occurrence, ce qui marque dans le phrasé et les mots du discours de Thibault c’est une façon de s’adresser à nous avec la langue des maîtres. Ainsi, on ne se bat plus mais on formule un certain nombre « de valeurs, de visions, de revendications à défendre ». En ce sens, il convient de ne plus dire « nous exigeons » et encore moins « Basta ! » et jamais « Dehors la racaille patronale ! ».. Pour les quelques excités qui ne voudraient pas comprendre on pose une lumière universellement tamisée sur les brasiers. L’affrontement à intensité maximale que nous vivons entre capitalistes et exploités, en France et ailleurs, devient pour les micros, maintenant facilement offerts aux leaders des confédérations syndicales, un large « débat de société ».

La langue CGT, celle dont la presse permettait à peine l’expression encore du temps de Viannet, celle qui sentait la sueur et « traitait « les politiques et les journalistes à peine qu’elle traitait un sujet...Elle est passée de mode et avec elle une façon de vivre la lutte salariée, semble-t-il. La langue de Thibault à mis sa cravate et jeté la transformation sociale à la poubelle, comme les patois de nos campagnes. Peu ou prou tous les syndicats de la Confédération Européenne des Syndicats on fait d’ailleurs de même.

Chérèque, lui, on sait son passé, on sait le nombre astronomique de militants sincères qu’il a dégouté après la sombre affaire du PARE qui révéla l’ampleur de l’union objective des intérêts du patronat avec le syndicat réformiste et son patron. Patron qui n’hésitera pas, plus tard, à allez clamer devant le Medef son adhésion aux réformes ultra-libérales initiées il y a plusieurs années déjà , tout en embauchant en même temps des représentants pour aller convaincre des syndiqués de s’encarter chez lui, comme on convaincrait les niais aux puces de Saint-Ouen [puces de saint-ouen = célèbre marché d’objets anciens, antiquités, etc dans la banlieue parisienne et où la bonne affaire peut se dénicher mais l’arnaque aussi - NdR et habitant proche de la dite marché].

Chérèque, un bi-polaire du syndicalisme dont le discours a divergé à 180° par rapport à ce qu’il nous fourgue en réalité dans ses interventions. Contrebande qui se traduit par un comportement de la CFDT proche de celui de la courroie de transmission du patronat, même si, comme toujours des militants démontrent, ci ou là , que certains peuvent résister et garder le vrai syndicalisme chevillé au corps.

Chérèque a opéré, dans le même temps que le sarkozysme se transformait en Titanic, un retournement habile, très trompeur, et très efficace au plan des mots. Il se présente en véhément dans ses propos à la presse. Il roule du discours, plante des « il n’est pas question ! », il fait du CGT « canal historique » ou presque, pour exiger, en réalité, qu’on permette à la CFDT d’aller déposer armes et bagages sur la table des négociations.

Chérèque l’ami qui nous ressemble et Thibault le gestionnaire qui nous rassemble. Deux facettes d’une similaire posture de renoncement.

Mailly, lui, roule sur le versant Thibault, avec cependant une hésitation à prendre les rênes, à nous dire « écarte-toi, je tiens la barre ». Hésitation qu’on peut voir comme un reflet trans-générationnel de l’ambiguïté fondatrice de FO dépeçant la CGT et trouvant des appuis obscurs outre-atlantique pour prospérer, au départ.

Mailly dénonce, Mailly refuse, Mailly s’oppose frontalement à la réforme des retraites. Mais il détaille à plaisir la hiérarchie des causes et des effets, les marches de l’argumentaire qu’il emploierait et emploiera dans de futures négociations. Il s’oppose, mais son regard appliqué attend le contradicteur bien plus que l’adversaire, cherche la faille logique sans pousser à la lutte. Il s’agit de refuser mais de ne pas affronter. Il s’agit de se distinguer des autres orateurs. La lutte n’y trouve pas son compte, la force collective en est amputée. FO ne se mettra pas plus dans le rouge que la CGT, d’ailleurs elle ne l’a pas fait au moment où les choses auraient pu facilement basculer vers un retournement général, en 1995 ou en 2003.

Les signaux de retraite semblent bien gros de mauvais fruits. Aux dernières nouvelles, on prépare les sirènes et les banderoles tout en multipliant les concessions, les reculs. Chérèque vient de briser la dynamique unitaire possible en se satisfaisant soudainement des trois mesures de la réforme sur lesquelles le gouvernement envisageait quelques négociations. Thibault et lui déclarent qu’il est "impossible de débattre sur le fond avec ce gouvernement", ce qui est encore un appel au débat. Tous deux encore demandent la tête de Woerth, sans demander le retrait de la réforme.

Pendant ce temps dans les classes populaires ce seront des dizaines de milliers de gens qui se retrouveront très bientôt sans pouvoir s’offrir autre chose que la survie, après ce qu’on appelle un vie de travail. En attendant l’extension de l’effondrement social annoncé.

TAIMOIN

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