RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Université : les Solfériniens couchés devant le patronat

Après avoir voulu faire entrer davantage l’entreprise à l’école, le gouvernement cherche à faire de même à l’université. Le ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, a installé le comité Sup’emploi, présidé par deux chefs d’entreprise.

Geneviève Fioraso donne des précisions sur la composition de ce comité :

« Il sera coprésidé par deux chefs d’entreprise, Françoise Gri, ex-présidente de Manpower France [spécialiste de l’intérim], et Henri Lachmann, ex-PDG de Schneider Electric. Ensuite, nous avons fait appel à des personnes issues de l’entreprise, de la formation, de la recherche, qui siégeront en tant que personnes qualifiées. L’objectif est de mieux anticiper l’évolution des emplois, pour la formation initiale et pour la formation tout au long de la vie. Ce qui veut dire trouver de meilleures réponses sur les métiers en tension et sur ceux qui correspondent à nos enjeux de recherche comme l’allongement de la durée de vie, la transition énergétique, la chimie verte. »

Le président du Medef, Pierre Gattaz, applaudit des deux mains à cette merveilleuse symbiose, mais a des doutes car, pour lui, l’université n’est pas encore suffisamment soumise aux désidérata de l’entreprise :

« L’initiative me paraît tout à fait intéressante. Aujourd’hui, l’Education nationale et l’enseignement supérieur poussent très souvent des formations qui ne correspondent pas aux besoins des entreprises et aux métiers futurs. Il faut inverser cette tendance et concevoir les formations à partir de nos besoins, dans les filières du futur. Sinon, on va dans le mur. Mais il faut aussi orienter les formations vers nos besoins actuels. Car il nous manque des soudeurs, des chaudronniers, des décolleteurs… Il y a une sorte d’élitisme en France qui fait que, si on n’a pas un bac + 5, on n’est rien du tout.

En octobre, le Medef a réclamé (ses désirs sont des ordres) le copilotage des formations. Fioraso y est tout à fait favorable :

« Cela est déjà intégré dans la gouvernance des universités, où on a, depuis la loi sur l’enseignement supérieur de juillet dernier, davantage d’acteurs économiques. De même, grâce aux regroupements d’universités que nous encourageons, des stratégies de site vont être définies. Or ces stratégies sont faites pour être élaborées avec les acteurs économiques ! »

Mais pour Gattaz, cela ne suffit toujours pas :

« Les formations dispensées à l’université sont encore trop souvent orientées pour la toute petite minorité d’étudiants qui se destinent à l’enseignement, et pas pour ceux qui vont aller travailler en entreprise. »

Fioraso comprend ces objections mais rassure le patron des patrons :

« On a le même intérêt ! »

Gattaz reste méfiant :

« Oui, mais vous, vous avez d’énormes corporatismes… »

[Alors que, c’est bien connu, le patronat ne connaît pas le corporatisme.]

Fioraso rassure encore :

« Allez sur le terrain ! ça a énormément bougé ! Il ne faut pas écouter les postures des uns et des autres. Les universités ont désormais des « fab labs » [?], des ateliers de créativité… »

Objection de Gattaz :

« Mais il y a encore un pas à faire entre le système français, qui fonctionne sur des subventions, et une université comme Oxford… »

Encore un effort, les toutous solfériniens, accordez-nous la haute main sur les formations et les diplômes auxquels il faut faire perdre leur statut national :

« Ce que vous dites va dans le bon sens. Mais il faut aller beaucoup plus loin et plus vite. Il faut absolument que les entreprises ou les branches s’intègrent davantage dans les universités pour définir les métiers de demain. Or on sait que les régions – pour ce qui relève du champ de Vincent Peillon – sont encore très réservées sur notre intervention pour définir des qualifications, des diplômes et des calendriers adéquats.

Fioraso souhaiterait instaurer des quotas de stagiaires dans les entreprises. Pas question, lui répond son maître :

« Soit vous nous faites confiance et vous désasphyxiez les entreprises pour qu’elles soient plus compétitives en considérant qu’elles sont nos forces vives. Soit vous dites on a un problème de stagiaires, et vous mettez en place des quotas, des pénalités… et vous ajoutez 50 pages au Code du travail. »

[Ah, ce maudit Code du travail !]

Gattaz n’est pas contre les stagiaires, à condition qu’ils soient rémunérés par l’État :

« Il faut prévoir, pour nos étudiants issus de l’ENA, de Sciences po ou de l’École nationale de la magistrature, un stage obligatoire en entreprise en fin d’études. Dans une PME ou une entreprise de taille intermédiaire, en France ou à l’étranger. C’est fondamental. »

Récemment, un président d’université de gauche (il en reste une poignée) me confiait qu’avec la LRU et la loi Fioraso il était désormais impossible de mener une politique progressiste dans les établissements d’enseignement supérieur. Belle lucidité.

Source : Les Échos.

http://bernard-gensane.over-blog.com

URL de cet article 23645
  

Même Auteur
Pierre Lemaitre. Cadres noirs.
Bernard GENSANE
Contrairement à Zola qui s’imposait des efforts cognitifs démentiels dans la préparation de ses romans, Pierre Lemaitre n’est pas un adepte compulsif de la consultation d’internet. Si ses oeuvres nous donnent un rendu de la société aussi saisissant c’est que, chez lui, le vraisemblable est plus puissant que le vrai. Comme aurait dit Flaubert, il ne s’écrit pas, pas plus qu’il n’écrit la société. Mais si on ne voit pas, à proprement parler, la société, on la sent partout. A l’heure ou de nombreux sondages (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

Partout où le hasard semble jouer à la surface, il est toujours sous l’empire de lois internes cachées, et il ne s’agit que de les découvrir.

Friedrich Engels

Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
Médias et Information : il est temps de tourner la page.
« La réalité est ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est ce que nous croyons. Ce que nous croyons est fondé sur nos perceptions. Ce que nous percevons dépend de ce que nous recherchons. Ce que nous recherchons dépend de ce que nous pensons. Ce que nous pensons dépend de ce que nous percevons. Ce que nous percevons détermine ce que nous croyons. Ce que nous croyons détermine ce que nous prenons pour être vrai. Ce que nous prenons pour être vrai est notre réalité. » (...)
55 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.