RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Virginia Tech de Blacksburg : un massacre qui raisonne en chacun de nous, Alessandro Portelli.








Bonjour,

Ci joints (encore) deux articles sur le massacre de Blacksburg : un autre article de Alessandro Portelli (et des réactions d’habitants de la région : vieux mineur communiste, universitaires italiens émigrés à Bburg, entre autres) et un éditorial de Marco D’Eramo ( connaissant bien tous deux la vie quotidienne étasunienne).
On lit dans ce qui se passe aux USA l’annonce de ce qui peut de passer ici, plus tôt qu’on n’imagine, à trop vite circonscrire les massacres chez les autres, et le traitement de la folie dans les coins bien reculés de notre vie quotidienne.
On a entendu finalement que le tueur avait "des précédents psychiatriques" : le scoop...
On imagine, malheureusement, un peu mieux maintenant, avec la grande offensive en Europe, depuis quelques années, des pseudos thérapies comportementalistes, et des attaques tous azymuts contre la psychanalyse et contre l’inconcient, comment les pouvoirs culturel, médiatique et économique étasuniens, grâce à leur psychiatrie "scientifique" (et l’appui des laboratoires pharmaceutiques, à hauteur des trusts pétroliers pour les profits réalisés) avaient pu soigner le jeune aliéné qui a tué 32 collègues et lui ensuite (Marco est le seul à parler du massacre de 33 personnes, pas 32, 32 plus le jeune aliéné).
Les larmes de crocodile : qui selon la légende mange ses petits et les pleure ensuite...
C’est écoeurant. On est déjà là dedans.
M-A.P




Il manifesto, mercredi 18 avril 2007.


Un jeune italien qui fait ses études au Virginia Tech de Blacksburg le qualifie deux fois de « paradis » ; d’autres italiens interviewés sur l’Unità  confirment : un endroit agréable, amical. Moi aussi c’est comme que je m’en souviens. Une amie qui enseigne là bas m’écrit : « c’est un endroit agréable et serein. Mon mari et moi sommes venus il y a quinze ans, en pensant qu’au fur et à mesure de notre carrière nous serions partis, et au contraire, nous sommes restés, en renonçant même à des promotions. Si tu écris un article, il faut dire que cette communauté est tranquille. Moi qui suis une femme, je ne me suis jamais sentie en insécurité en traversant le campus de nuit ». Une image me revient à l’esprit quand ces mots croisent la tragédie d’hier. Elle vient de notre Rinascimento : la figure de la mort, avec l’inscription « Et in Arcadia ego », en Arcadie, je suis moi aussi. Où était la mort, dans l’Arcadie de Blacksburg, ou comment a-t-elle fait pour y entrer ?

Hier soir à la télé on montrait sur Fox News la photo d’un chèque : la National Rifle Association finançait le Virginia Tech, à coup de centaines de milliers de dollars, pour organiser des cours aux enfants de 12 à 14 ans où ils apprendraient « l’utilisation sûre des armes ». Tillman Cadle, mineur, communiste, leader des grandes grèves des années 30 me racontait : « Quand j’étais gosse -c’est-à -dire vers 1915- je demandai à mon père de m’offrir une carabine à air comprimé. Il me dit non, tu pourrais faire mal à quelqu’un. Je vais plutôt t’apprendre les règles de sécurité à avoir avec un vrai fusil. Il m’a emmené dans la campagne, il m’a expliqué comment je devais faire, et quand il a été sûr que je savais m’en servir il m’a dit : bon, maintenant si tu gagnes des sous tu as la permission de t’acheter un fusil ». Apparemment c’est pareil : l’utilisation sûre des armes, dans une culture où le fusil est symbole d’autonomie et d’identité.

Mais il y a une différence entre un père qui transmet à son fils un savoir sur une réalité où on va encore à la chasse pour manger, et une légitimation de masse et impersonnelle des armes, une militarisation des enfants dans un campus où, d’ailleurs, il y a aussi une Académie militaire - dans une Amérique en guerre, où la première réaction du président sur le massacre a été de réaffirmer que personne ne limitera le droit « constitutionnel » des américains à porter des armes. En réalité, comme tous les droits, celui-ci aussi devrait être l’objet de règles et de procédures. Même Gianni Riotta rappelait hier à la télé que la constitution parle, oui, du droit de porter des armes, mais seulement aux fins d’une « milice bien réglementée ». Bush a rappelé au contraire que porter des armes est un droit individuel « des américains », un signe de leur élection et unicité ; et c’est vrai que pour beaucoup de marginaux et de frustrés la possession d’une arme est quasiment le seul signe de citoyenneté qui leur reste. Dans un autre message, un ami de là bas me rappelle que si les démocrates ont gagné les dernières élections c’est parce qu’ils se sont bien gardé de parler du port d’armes.

Mais n’utilisons pas ce thème de la passion américaine pour les armes pour éloigner de nous cette horreur, pour dire que c’est leurs affaires et que ça ne nous regarde pas. Cesare Pavese disait, il y a longtemps, que l’Amérique est le plus grand théâtre sur lequel, à la plus vaste échelle, on met en scène le drame du monde, donc quand nous parlons de l’Amérique nous parlons aussi de nous.

Après tout, il existe de vastes tranches de territoire italien où se procurer une arme n’est pas plus difficile qu’en Virginie. Surtout, si au fond de la violence diffuse dont ceci n’est que le signal bruyant qu’il existe une sensation informelle d’offense, d’injustice, de ressentiment sans objet à la recherche de boucs émissaires, et bien celle-ci transpire aussi dans cette Italie « exaspérée » dont a parlé ces jours ci Adriano Sofri. Bien sûr, l’Italie exaspérée ne tire pas dans les écoles - mais récemment à Rome, comme il y a quelques temps à Erba, elle sort de chez elle et tue son voisin pakistanais sur lequel elle déverse toutes ses frustrations et ses ressentiments, ou fait feu sur un camp de roms. L’obscurité au-delà des buissons n’est pas seulement dans cette Arcadie de Blacksburg, mais aussi dans nos immeubles solitaires.

Les descriptions d’Arcadie violée qui arrivent de Blacksburg semblent suggérer une horreur sans histoire, qui fait irruption d’on ne sait pas trop où. Mais il existe justement une profondeur d’expérience et de mémoire qui donne forme au rapport à la tragédie, à la façon de la gérer et de réagir. J’ai été très impressionné par l’histoire des gens qui ont été blessés parce qu’ils se sont jetés par la fenêtre pour échapper au tueur. C’est une image qui renvoie directement à la vision la plus traumatisante et censurée du 11 septembre, celle des gens qui se jetaient des deux tours après l’attentat.

Le massacre de Blacksburg renvoie certes à Columbine et à ses précédents, mais je suis sûr que dans ces moments là , les gens impliqués ont pensé aussi au 11 septembre, matrice désormais générale de toutes les peurs d’invasion et de violation. Mais en réalité, hier Blacksburg n’a pas tant été Manhattan du 11 septembre que Bagdad de tous les jours : un massacre commis par un attentat suicide. A Blacksburg, c’est une irruption imprévue, à Bagdad (et pas seulement là ), c’est un événement ordinaire. Du coup, un peu comme le 11 septembre, la douleur a rappelé aux américains qui veulent y prêter attention, que - comme la mort est dans leur Arcadie, eux aussi sont dans le monde.

Il y a d’autres mémoires aussi, mémoires locales très anciennes et, pourtant encore vives et palpitantes. De Blacksburg, Stephen Mooney, un autre ami qui avant de devenir professeur à l’université, a travaillé à la mine (chose insolite mais, aux USA, bien moins impensable que chez nous) m’écrit : « Ce que je voudrais que tu indiques c’est le fort sentiment de cohésion et d’affection, avec un intense désir d’aider, qui s’est aussi manifesté clairement aujourd’hui, malgré la tragédie qui nous a touchés ». Selon Mooney, la collectivité trouve cette force et ces sentiments dans son histoire - parce que ce n’est pas la première fois que la mort massive touche cet endroit de la Virginie. James Mooney écrit : « J’ai senti quelque chose - une sensation, une reconnaissance- qui m’a touché : la ressemblance extraordinaire entre l’aube après cette fusillade et l’aube après les nombreux désastres miniers qui ne sont que trop familiers pour les gens qui habitent en Virginie ou dans le Kentucky » : des 371 morts du désastre de Monongah en 1907, jusqu’aux 12 de Sago en janvier 2006. « Il y a deux heures, l’employée du supermarché m’a embrassé, révélant ainsi l’intensité de l’anxiété qu’elle éprouvait en ne sachant pas si son fils - qui avait un cours dans le bâtiment du massacre- était vivant ou mort, j’ai pensé aux mêmes sensations de peur et d’horreur que j’ai vues sur les visages des familles et amis dans les montagnes, pendant leur attente des nouvelles sur les vivants et sur les morts après un explosion dans la mine ». La mémoire donne une forme à la façon de vivre la tragédie et la tragédie donne forme à la mémoire : « Je suis sûr que cette terrible journée raisonnera dans ces collines de Virginie pendant longtemps encore. Mais, à la différence des notes douces et douloureuses des grandes ballades de cette terre, les échos du 17 avril 2007 ne porteront pas en eux une affirmation de vie, mais la profonde peine pour une mort soudaine et douloureuse ».

- Source : il manifesto www.ilmnaifesto.it

- Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio




Abîme américain, par Alessandro Portelli.






URL de cet article 4959
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Hélène Berr. Journal. Paris, Tallandier, 2008.
Bernard GENSANE
Sur la couverture, un très beau visage. Des yeux intenses et doux qui vont voir l’horreur de Bergen-Belsen avant de se fermer. Une expression de profonde paix intérieure, de volonté, mais aussi de résignation. Le manuscrit de ce Journal a été retrouvé par la nièce d’Hélène Berr. A l’initiative de Jean Morawiecki, le fiancé d’Hélène, ce document a été remis au mémorial de la Shoah à Paris. Patrick Modiano, qui a écrit une superbe préface à ce texte, s’est dit « frappé par le sens quasi météorologique des (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

La convention qui rédigea la Constitution des Etats-Unis était composée de 55 membres. Une majorité d’entre eux étaient des avocats - pas un seul fermier, ouvrier ou paysan. 40 possédaient du Revolutionary Scrip [monnaie émise pour contrer la monnaie coloniale]. 14 étaient des spéculateurs de terrains. 24 étaient des prêteurs. 11 étaient des marchands. 15 possédaient des esclaves. Ils ont crée une Constitution qui protège les droits de propriété, pas les droits de l’homme.

Senateur Richard Pettigrew - "Plutocratie Triomphante" (1922)

Le DECODEX Alternatif (méfiez-vous des imitations)
(mise à jour le 19/02/2017) Le Grand Soir, toujours à l’écoute de ses lecteurs (réguliers, occasionnels ou accidentels) vous offre le DECODEX ALTERNATIF, un vrai DECODEX rédigé par de vrais gens dotés d’une véritable expérience. Ces analyses ne sont basées ni sur une vague impression après un survol rapide, ni sur un coup de fil à « Conspiracywatch », mais sur l’expérience de militants/bénévoles chevronnés de « l’information alternative ». Contrairement à d’autres DECODEX de bas de gamme qui circulent sur le (...)
103 
La crise européenne et l’Empire du Capital : leçons à partir de l’expérience latinoaméricaine
Je vous transmets le bonjour très affectueux de plus de 15 millions d’Équatoriennes et d’Équatoriens et une accolade aussi chaleureuse que la lumière du soleil équinoxial dont les rayons nous inondent là où nous vivons, à la Moitié du monde. Nos liens avec la France sont historiques et étroits : depuis les grandes idées libertaires qui se sont propagées à travers le monde portant en elles des fruits décisifs, jusqu’aux accords signés aujourd’hui par le Gouvernement de la Révolution Citoyenne d’Équateur (...)
Analyse de la culture du mensonge et de la manipulation "à la Marie-Anne Boutoleau/Ornella Guyet" sur un site alter.
Question : Est-il possible de rédiger un article accusateur qui fait un buzz sur internet en fournissant des "sources" et des "documents" qui, une fois vérifiés, prouvent... le contraire de ce qui est affirmé ? Réponse : Oui, c’est possible. Question : Qui peut tomber dans un tel panneau ? Réponse : tout le monde - vous, par exemple. Question : Qui peut faire ça et comment font-ils ? Réponse : Marie-Anne Boutoleau, Article XI et CQFD, en comptant sur un phénomène connu : "l’inertie des (...)
93 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.