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11 juin ’68

On oublie pas ... 11 juin 68. Après vingt-deux jours de grève, la police investit les usines Peugeot à Sochaux : deux morts, cent cinquante blessés. « A la mémoire de Pierre Beylot et Henri Blanchet, tombés pour le libre exercice du droit de grève. » Extrait d’un ouvrage paru chez François Maspéro, collection cahiers libres 303, "Une milice patronale : Peugeot" de Claude Angeli et Nicolas Brimo (P15 à 19)

Dimanche 9 juin 1968, les événements de Mai n’en finissent plus de finir. Dans les usines encore occupées comme dans les rues du Quartier latin, l’ordre n’a pas encore tout à fait triomphé.

Il fait beau. Leurs réservoirs d’essence de nouveau pleins, les Parisiens ont quitté leur ville tandis que, place Beauvau, le nouveau ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, travaille comme il le fera six ans durant, sans se soucier ni du jour, ni de l’heure.

A l’Hôtel Matignon, la petite équipe qui entoure Georges Pompidou fait le compte des entreprises où, demain, les ouvriers reprendront le travail. Parmi elles, l’usine Peugeot de Sochaux avec ses 25 600 ouvriers : la plus forte concentration industrielle de France.

A Sochaux, deux jours plus tôt, un scrutin a été organisé dans les plus mauvaises conditions - 5280 votants sur les 25 600 salariés des "Automobiles Peugeot" - et la fin de la grève, votée avec seulement 49 voix de majorité.

C’est peu et les syndicats sont divisés sur l’attitude à prendre. Difficile d’apprécier, au moment où le travail reprend, partout en France, ce que veulent ces milliers d’ouvriers, souvent d’origine rurale, qui habitent dans un rayon de soixante kilomètres autour de l’usine. Les dirigeants de la CFDT pensent que ce résultat ne prouve pas grand chose et qu’il faut continuer. A la CGT, une majorité pense le contraire, et incite les ouvriers, ici à Sochaux, comme partout en France, à "savoir finir une grève".

Le retour des drapeaux rouges.

Le lundi 10 juin, dès quatre heures du matin, les deux cent cinquante cars Peugeot déversent leurs cargaisons d’ouvriers sur les parkings de l’usine. Les drapeaux rouges ont été enlevés, les murs rapidement badigeonnés et les slogans vite effacés du bitume. Les machines se remettent à tourner mais le coeur n’y est pas. Dans les ateliers, des bruits courent : les chefs s’apprêtent à accélérer les cadences ; la direction va exiger dix-sept samedis de travail supplémentaires pour rattraper les pertes à la production. Une fois de plus, la base a le sentiment d’avoir été piégée.

A neuf heures du matin, le climat devient lourd. la grogne s’étend. A la carrosserie, ça discute ferme."J’en ai marre, dit un ouvrier, je m’en vais chez moi". D’autres se mettent à remonter la chaîne des "404", poste après poste, ouvrier après ouvrier : "Viens, on va au bureau". Bedonnant et chauve, le directeur de la "carrosserie" voit bientôt arriver cinq ouvriers dont deux délégués : "Vous n’allez pas recommencer, non ?"

Ils vont recommencer. Ils sont très vite soixante-quinze qui font le tour des ateliers voisins du leur. Des jeunes : le plus âgé doit avoir à peine trente ans. Et leur groupe grossit, de bâtiment en bâtiment. A dix heures, on ne travaille plus guère dans l’usine. La maîtrise fait ce qu’elle peut mais il est déjà trop tard. Des ouvriers quittent l’usine et s’installent au long de l’avenue d’Helvétie qui relie Sochaux à Montbéliard et sur laquelle s’ouvrent les grilles de l’usine. En petits groupes compacts, on y attend l’arrivée des délégués syndicaux.

A quinze heures, tout est joué : dix mille ouvriers de la première et de la seconde équipe votent "la grève avec occupation". On réinstalle les drapeaux rouges sur les portes de l’usine.

Quand tombera la nuit, quelques centaines d’ouvriers seulement resteront sur place. Répartis aux quatre coins de l’usine, ils assureront la sécurité et les piquets de grève.

Le tableau de chasse des CRS

A trois heures du matin, l’assaut est donné. Sur deux fronts. Des gendarmes mobiles investissent les portes de l’usine tandis qu’un commissaire de police somme les grévistes d’évacuer les lieux.

Au même moment, les CRS franchissent les murs d’enceinte. L’opération est bien menée, la souricière bien tendue. L’effet de surprise a joué à plein : les policiers matraquent même ceux qui dorment. Personne ne les attendait et les grévistes fuient en ordre dispersé. CRS et gendarmes seront rapidement maîtres du terrain.

Tout s’est réglé à Paris. La reconquête de l’usine a été décidée dans la soirée par la direction générale de Peugeot et Raymond Marcellin avec, naturellement, le feu vert de Georges Pompidou. Pour assurer le succès de l’opération, il fallait rester discret : ni la direction de l’usine de Sochaux, ni le préfet du Doubs n’étaient au courant de ce qui se tramait à quatre cents kilomètres de là. Il fallait frapper fort et vite comme chez Renault, à Flins, en finir avec ces ouvriers qui avaient eu l’impudence de "recommencer". A l’aube, c’est chose faite.

A quatre heures trente du matin, les CRS chargent pour la première fois. Maintenant on se bat. De la ville viennent les premiers renforts, des ouvriers, mais aussi des lycéens. Certains se joignent aux secouristes déjà débordés, d’autres se battent derrière et devant les barricades.

Aux pierres que les ouvriers lancent par-dessus les murs, les CRS ripostent à coup de grenades lacrymogènes et offensives. Chacune de leurs salves est suivie d’une sortie et d’une charge. Chaque fois, les ouvriers reculent d’une centaine de mètres, se regroupent derrière leurs barricades et repartent à l’assaut.

A plusieurs kilomètres de l’usine, dans cette agglomération qui s’étend autour de Sochaux et de Montbéliard, et où vivent près de cent mille personnes, chacun entend les explosions des grenades. "Dix éclatements à la minute", note un journaliste local.

Vers dix heures du matin, les grévistes rendent aux CRS la monnaie de leur pièce. Ils pénètrent dans l’usine. "On a franchi le petit mur d’enceinte près de la porte "J", raconte un ouvrier qui combattit dans les rangs des FTP pendant la Résistance. Et les CRS se sont mis à foutre le camp. Alors, j’ai vu leur gradé qui sortait son revolver et qui tirait. Et nous, on continuait à avancer. Il a couru rejoindre les autres à cent mètres de là, peut-être. Alors, ils ont pris leurs fusils. On était "fin-fous". On a bondi vers un command-car qui était là, vide. On a trouvé deux mousquetons. On a cassé les crosses. Puis, on a mis le feu au réservoir et on est vite ressorti de l’usine".

Mais trois balles des CRS ont fait mouche. Près de la cabine des gardiens, Pierre Beylot, 24 ans, est en train de mourir. Deux autres de ses camarades sont blessés par balle. Les CRS s’affolent et emploient les grands moyens. Ils visent les manifestants avec leurs fusils lance-grenades, Henri Blanchet, 49 ans, "soufflé" par l’explosion, tombe du mur sur lequel il était monté. Il meurt sur le coup : fracture du crâne. Serge Hardy, 36 ans, atteint à la jambe par une grenade, devra être amputé dans la soirée, au-dessus du genou. Une troisième grenade fait mouche : Joël Royer, 18 ans, militant des jeunesses communistes, perdra son pied droit.

A quatorze heures trente les combats reprendront. L’arrivée des renforts des CRS rallume les bagarres. Un motard est lapidé par les grévistes. En s’enfuyant, il abandonne sa moto qui flambe aussitôt.

A la nuit, après dix-huit heures de combats, c’est enfin la trêve. Les responsables syndicaux ont pu rencontrer la direction et les CRS se retirent à l’intérieur de l’usine. Peugeot cède. Seule concession des délégués ouvriers : l’usine ne sera plus occupée. A vingt et une heures, ordre est donné aux policiers de quitter l’usine et Sochaux.

Les CRS ne manqueront pas leur sortie. Ils arrosent leur départ. A la grenade. Sur la route de Belfort, les policiers épuisent leurs stocks. Contre la foule, contre des boutiques. Et même en passant, sur la place de l’Eglise, à Vieux-Charmont, au moment où le curé raccompagne les enfants après le catéchisme.

Les CRS regagnent leurs départements d’origine, les Bouches-du-Rhône, le Haut-Rhin et le Rhône. Ils laissent à Sochaux deux cadavres et deux infirmes...

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L’auteur : Christophe OBERLIN est né en 1952. Chirurgien des hôpitaux et professeur à la faculté Denis Diderot à Paris, il enseigne l’anatomie, la chirurgie de la main et la microchirurgie en France et à l’étranger. Parallèlement à son travail hospitalier et universitaire, il participe depuis 30 ans à des activités de chirurgie humanitaire et d’enseignement en Afrique sub-saharienne, notamment dans le domaine de la chirurgie de la lèpre, au Maghreb et en Asie. Depuis 2001, il dirige régulièrement des (...)
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