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Colombie : crise et contre-offensive impérialiste des États-Unis

par Renán Vega Cantor (historien, chercheur et professeur à l’Université Pédagogique Nationale de Bogotá).

"Pour contrôler le Venezuela, il est nécessaire d’occuper militairement la Colombie" : Paul Coverdale, Sénateur Républicain des États-Unis, Premier rapporteur du Plan Colombie pour le Sénat des États-Unis, 1998.

"Bien que beaucoup de citoyens craignent un autre Viêt-Nam, cela semble nécessaire, parce que le Venezuela a du pétrole. le Venezuela a une aversion contre les États-Unis, ceux-ci doivent intervenir en Colombie pour dominer le Venezuela. Et après, l’Équateur semble aussi vital, et les indiens de là -bas sont dangereux, les États-Unis doivent là aussi intervenir dans ce pays. (...) Si mon pays dispense une guerre civilisatrice dans l’Irak lointain, je suis sûr qu’il peut aussi le faire en Colombie, et la dominer elle et ses voisins : le Venezuela et l’Équateur"  : Paul Coverdale, le 10 avril 2000.

La déshonorante remise de la souveraineté colombienne entre les mains des États-Unis, paraphée avec l’établissement de sept bases militaires sur le territoire colombien, fait partie d’une plus vaste stratégie de la part de la première puissance mondiale afin de s’assurer le contrôle de son pré carré latino-américaine pour les prochaines décennies.

La crise de l’hégémonie mondiale étasunienne se manifeste sur deux circonstances complémentaires : la crise économique qui les mange de l’intérieur, et les échecs stratégiques en Irak et en Afghanistan. Pour compenser cette baisse de pouvoir dans le monde, les États-Unis renforcent leurs entrées en Amérique Latine, où après avoir à peu près laissé le continent respirer durant une petite décennie ils sont entrain de développer une contre-offensive, comme Renán Vega Cantor le soutien dans cet article.

1. États-Unis : la crise interne s’accentue

Dans les derniers mois annoncer la fin de la récession et le commencement d’une récupération imparable est devenu un passe-temps populaire pratiqué par les principaux porte-paroles du capitalisme mondial. Ces prédictions ont peu à voir peu avec la réalité de actuelle du capitalisme, comme cela est démontré par l’amplitude de la crise économique aux États-Unis qui s’est prolongée au-delà de ce qui était prévu par les annalistes. En effet, et c’est le premier élément à souligner, la crise dure depuis plus de deux ans, elle s’est initié en juin 2007 quand plusieurs fonds spéculatifs ont fait faillite aux États-Unis et que l’on avait constaté que Brea Sterms, la troisième banque du pays, se trouvait dans de sérieuses difficultés. C’était le commencement de l’actuelle crise économique et financière aux États-Unis, qui a été répercutée quasiment instantanément sur le reste de monde.

Malgré la politique de sauvetage financier et patronal, poussée par les administrations Bush et Obama, la crise n’a pu être circoncise, au contraire une nouvelle bulle spéculative s’est mise a enfler : celle de la somme nécessaire au sauvetage qui grandit de manière vertigineuse et qui très probablement éclatera au moment où l’on s’y attend le moins. En même temps, les faillites de sociétés financières ne se sont pas arrêtées, ce qui a entraîné des fusions-acquisitions bancaires qui ont réduit encore plus le secteur financier, répercussion typique de la logique capitaliste qui s’exprime dans les maximes "le grand poisson mange le petit" et "sauf qui peut" . Ainsi, depuis le début 2009 on a annoncé que trois banques des États-Unis, Bank of America, Wells Fargo et PNC Financial Services Group ont acquis leurs anciens concurrents respectifs Merrill Lynch, Wachovia et National City. De cette façon, ces banques ont augmenté leurs actifs et le nombre de leurs bureaux dans tout le pays et, comme cela ne pouvait pas manquer, ces fusions ont occasionné des milliers de licenciements.

Comme cela arrive habituellement dans un système capitaliste, le poids de la crise retombe sur les secteurs et les travailleurs les plus pauvres. Ainsi, l’an dernier le nombre de personnes sans domicile fixe a augmenté de manière conséquente, cette catégorie de citoyens pauvres inclue maintenant une grande part de jeunes parents qui n’ont pas pu payer leurs hypothèques. Dans tous États-Unis le pourcentage de sans domicile fixe a augmenté de 10%, mais dans plusieurs régions du pays ce taux monte jusqu’à 56%.
Une autre conséquence de la crise est qu’en 2010 environ huit millions d’enfants vivront dans un état de pauvreté extrême, les suicides et les actions délictueuses dont ces enfants seront les victimes ou les protagonistes augmenteront de la même manière. La situation des plus pauvres est déjà si précaire que Ruby Takanashi, présidente de la Fondation pour le Développement de l’Enfant, a affirmé que "actuellement, les enfants sont une espèce menacée dans la société américaine". De même, tous les jours des milliers d’Américains coulent littéralement dans la pauvreté après être resté trop longtemps chômeurs et avoir perdu -de manière automatique- leur couverture médicale. Les données sont instructives, puisque chaque semaine 3 500 personnes perdent cette couverture médicale en Floride, 2 500 à New York , 1 600 en Géorgie et environ 1 000 dans le Michigan.

Dans le même sens négatif pour les travailleurs, le taux de chômage a atteint 10,2% durant le mois d’octobre 2009, le chiffre le plus élevé de ces 27 dernières années, uniquement surpassé par une pointe à 10,8% durant l’hiver 1982. De la même manière, le temps pour qu’un chômeur retrouve du travail en passant maintenant à 7,5 mois a lui aussi atteint son pic historique. Si nous parlons d’un chômage de 10% pour une force de travail composée par 154 millions de personnes cela veut dire qu’il y a un peu plus de 15 millions de personnes au chômage. Ce chiffre prend plus de sens s’il est comparé aux 7,5 millions de chômeurs qui étaient recensés en décembre 2007. Bien sûr, ceux qui maintiennent leur emploi ou ceux qui après quelques mois de chômage obtiennent un travail, doivent supporter la précarisation du travail, des salaires plus faibles et une intensité de travail plus soutenue et plus dure, comme cela se manifeste dans l’augmentation du nombre d’heures par homme/femme employé(e) : en novembre 2009 les travailleurs ont travaillé hebdomadairement 5% de plus qu’en novembre 2007.

Comme expression macroéconomique de tous les aspects mentionnés, le déficit budgétaire du gouvernement des États-Unis a atteint le record historique de 1 400 milliards de dollars, accentué tant par la chute des recettes d’impôts (les revenus gouvernementaux sont tombés de 16,6 % en 2009 par rapport à l’année précédente) que par la dépense colossale faite par l’administration pour stabiliser le système financier, pour sauver des banques et des entreprises et pour stimuler l’économie interne, ce qui a augmenté ces frais de 18,2%. La chute des revenus s’explique par l’augmentation du chômage, par la réduction des salaires, et par une politique fiscale très libérales avec les capitalistes et les spéculateurs.

Littéralement, il y a des régions des États-Unis qui ont basculé dans le tiers-monde, avec cela il faut comprendre que certains États fédéraux ne disposent pas des ressources nécessaires pour garantir le fonctionnement de leur appareil bureaucratique, pour payer le personnel administratif, et que des écoles, des hôpitaux ont dû être fermés et des infrastructure abandonnées, tout cela a également fait croître la pauvreté. Le cas le plus emblématique, bien qu’il ne soit pas unique, et celui de l’État de Californie, catalogué comme la huitième économie du monde et toujours vue comme l’un des bijoux de la couronne des États-Unis. En 2009 cet État est entré en faillite face à la réduction drastique de ses revenus fiscaux, et a annoncé la vente et la location de places et de parcs publics pour pouvoir obtenir des fonds. A la suite le gouverneur Arnold Schwarzenegger a décidé de diminuer les salaires des fonctionnaires, des maîtres, des policiers et des pompiers, et encore il n’a pu les payer à temps.

En plus de cela, le gouvernement de Californie a décidé, décision prévue par un accord avec le Congrès, de diminuer son budget de 14 milliards de dollars et des coupes sombres ont été appliquées dans les services destinés aux pauvres, aux personnes âgées et aux handicapés. De même, trois jours de congés sans solde par mois on été accordés aux fonctionnaires de l’État afin de diminuer les frais. Il a même été question de libérer 27 000 prisonniers et de fermer plusieurs prisons.
Il a été rapporté que des groupes de citoyens de cet État ont proposé la légalisation de la marijuana, dans la mesure où cela rapporterait des revenus au fisc californien. Pour faire la promotion de cette demande de légalisation une annonce télévisée a été produite, défendue par son auteur en ces termes : "Le gouverneur ignore des milliers de californiens qui sont d’accord pour payer plus de taxes. Nous sommes consommateurs de marijuana et les impôts dérivés de sa légalisation pourraient payer le salaire de 20 000 professeurs" . En ce qui concerne les enfants ils comptent déjà parmi les plus affectés, la Californie a fait de la publicité qui annonçait que l’année scolaire serait écourtée d’une semaine, avec la perspective d’économiser 5,3 milliards de dollars sur les budget de l’enseignement et la maintenance des centres éducatifs.

Pour chacun des éléments balayés ci-dessus, les perspectives immédiates de récupération de l’économie américaine sont peu flatteuses. Dans la logique même du système capitaliste, une économie ne fonctionne qu’à partir de la capacité d’achat de sa population pour que les articles produits se vendent, ce qui est garanti uniquement si une portion significative de la population a un emploi pour pouvoir consommer et que cela stimule le fonctionnement de la production capitaliste, bien que cela ne soit plus un réalité aux États-Unis, puisqu’ils ne produisent plus grand-chose, tout est produit à l’extérieur dans les mal nommées économies émergentes, principalement en Chine.

A ce sujet, il est bon de rappeler que jusqu’à il y a quelques mois la consommation interne aux États-Unis était à l’origine de 60% de la croissance de l’économie mondiale, étant principalement basée sur l’endettement des familles américaines. La question centrale qui dérive de cela est celle-ci : Qui peut se substituer aux voraces consommateurs des États-Unis, quand leur chômage augmente, que les salaires baissent et qu’il n’y a pas de possibilité de continuer avec l’endettement forcé pour contrer la faillite du système hypothécaire ?

[..] [1]

E. Conclusion

Que le régime uribiste ait transformé la Colombie en cinquième colonne de la domination impérialiste des États-Unis, ce qui s’exprime avec la remise de notre souveraineté territoriale et la cession de nos principales ressources économiques à des entreprises multinationales, n’est pas seulement un déshonneur mais un fait qui va dans le sens inverse des processus nationalistes qui se développent dans divers lieux d’Amérique Latine, comme au Venezuela, en Bolivie et en Équateur. Mais ceci n’est ni plus ni moins une fatalité ni quelque-chose d’irréversible, parce que cela génère de nouvelles conditions pour que prenne corps en Colombie un processus d’indépendance nationale et de récupération de notre souveraineté de la part de tous ceux qui n’acceptent pas de devenir un protectorat yankee, à la manière de Puerto Rico, et qui refusent d’être soumis à la brutalité des "morphinomanes blonds" , comme Augusto César Sandino avait appelé les envahisseurs américains il y a quelques dizaines d’années.

Dans cette idée, la domination impérialiste renouvelée en Colombie devient l’occasion de récupérer un sentiment d’identité nationale anti-impérialiste pour la défense de notre territoire et de nos ressources, en concordance avec la lutte que l’on doit livrer en parallèle contre le capitalisme ganster qui s’est implanté sur le sol colombien. Ce capitalisme narcotrafiquant qui est également appuyé par le pouvoir impérialiste a fait des milliers de morts, de disparus, d’exilés et de prisonniers, et il a fait croître la misère, l’inégalité au sein de la population colombienne. En contrepoint il est nécessaire de continuer à chercher la construction d’un autre type de pays, qui se conjugue comme il y a deux cents ans avec les autres pays de la région qui cherchent actuellement un autre destin, indépendant, juste et souverain, comme l’ont rêvé Simón Bolà­var, José Martà­, Francisco Morazán et Che Guevara.

Renán Vega Cantor

http://www.primitivi.org/spip.php?article314

[1article écourté car très long, la totalité est lisible sur primitivi


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