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La concurrence est une (double) illusion

Le système capitaliste fonctionne selon des lois, appelées "lois du marché ». Elles régissent les échanges en fonction de l’offre et de la demande, et sont censées assurer la « libre concurrence », c’est à dire de permettre à tous les acteurs économiques de se présenter sur un marché sans entraves, et d’avoir la possibilité de développer son activité sans souffrir de la puissance des acteurs déjà présents sur ce marché.

Il est intéressant pour commencer de s’interroger sur la contradiction évidente qu’annoncent deux termes qui s’opposent en tout (mais qui n’ont pourtant pas l’air de choquer outre mesure), à savoir « LIBRE-concurrence » et « LOIS du marché ». Cette contradiction sonne comme un aveu de la pente naturelle que porte en lui le capitalisme, à savoir la concentration des richesses en un petit nombre de mains, et cela signifie que sans lois préalables, le système ne peut pas par lui-même permettre les conditions de cette « concurrence libre et non faussée ». La satisfaction de l’intérêt individuel se traduisant par la nécessité de l’accumulation, les rapports des différents acteurs sont conditionnés par leur position lors de l’échange, c’est à dire par leur force respective, déterminée par le niveau d’accumulation de chacune des parties : le plus riche se trouve alors toujours en position dominante, et possède plus de chances de remporter la partie (c’est à dire le profit, la plus-value réalisée lors de la transaction, de l’échange). La concurrence ne pouvant absolument pas être « libre » librement, c’est donc dans le soucis idéologique de satisfaire au fumeux concept de « main invisible » (comme une sorte de morale sauvée) que des lois ont été adoptées pour « réguler » le marché, un peu à la manière dont les lois du droit commun sont faites pour équilibrer le désir de liberté des hommes avec la nécessité pour eux de vivre en société.

C’est ce rôle d’équilibriste si délicat qu’ont joué durant des décennies nos politiques de tous bords, oscillant entre plus de liberté ou plus de contraintes, tentant de préserver sur le fil ce qu’on appelle le « pacte social » (qui détermine en gros une sorte de limite à partir de laquelle le peuple peut se révolter). Bien sûr, la concurrence « pure et parfaite » ne pouvait être qu’un objectif théorique, et les principes de régulation étant largement contournables (et contournés) par tout un arsenal d’exceptions, cette première illusion permit aux grandes entreprises des pays dits développés d’augmenter leurs parts sur tous les marchés internationaux, à travers une mondialisation des échanges dans laquelle elles ont acquis une position dominante. Et c’est seulement une fois cette position acquise que les monopoles ou oligopoles se sont pris à redouter ce libre échange qui les a jusque-là avantagé, car il peut menacer leur pouvoir. Car à force de dérégulations, de mondialisation, les rapports de force se sont transformés, et les Etats les plus riches se trouvent aujourd’hui en proie à des dettes colossales, à un climat social tendu, et surtout à une perte d’influence inévitable (voir retournement du capitalisme) : les pays émergents veulent aujourd’hui profiter eux-aussi du système de libre-échange, et leurs ressources en matières premières, en forces de travail, sont encore largement exploitables… ils deviennent des concurrents sérieux (on a bien vu le nombre d’entreprises rachetées par de nouveaux groupes étrangers).

Cette nouvelle situation fait peur au pouvoir politique comme au pouvoir économique, et c’est tout naturellement que leurs liens se sont à cette occasion resserrés. Cette alliance est ce qu’on appelle une relation "gagnant-gagnant" , car d’un côté les grosses firmes font élire le pouvoir politique, et de l’autre l’Etat s’engage à subventionner, protéger et servir les intérêts financiers de ces gros groupes. D’ailleurs, il n’y a qu’à voir le nombre d’individus travaillant successivement dans l’une ou l’autre de ces branches pour imaginer le nombre de conflits d’intérêts possibles. Et lorsque le président se déplace à l’étranger avec les grandes entreprises, il assume ainsi deux casquettes : à son poste officiel de représentant du peuple s’ajoute le rôle du VRP, car d’une part il touche une inévitable commission (peu importe sa nature), et d’une autre des contrats qui remplissent les poches de l’Etat.

Désormais, les puissances financières doivent arrêter de se cacher derrière leur petit doigt, et sortir de cette notion contraignante de concurrence libre-et non faussée : là où autrefois la corruption et les failles juridiques devaient permettre l’accumulation malgré les lois en vigueur, on doit se préparer aujourd’hui à réformer la justice, modifier le code du travail, redéfinir l’aide sociale, contrôler l’immigration, afin d’assumer pleinement l’injustice du système capitaliste, et surtout de conserver une position dominante, conjointement avec l’Etat qui prépare les règles et le positionnement futur sur de nouveaux marchés (comme la guerre). D’ailleurs, il serait intéressant de jeter un coup d’oeil sur les actions détenues ensemble par ces deux pouvoirs (politique et financier), car on y trouverait sans doute un intérêt particulier porté sur les technologies utilisables en matière de renseignement, de transport ou d’armement…

Cette volonté de supprimer la notion de « libre concurrence » a d’ailleurs été appliquée au traité européen, dans lequel elle ne figure plus comme objectif (voir article). Jouant sur la contradiction originelle de cette notion, c’est jusqu’aux opposants des capitalistes qui se sont faits berner, et même quelques grands chefs d’entreprise… mais il ne faut pas s’y tromper, les lobbies industriels et financiers sont bien trop puissants pour ne pas avoir eux-mêmes exigé cette disparition du texte, qui leur sert plus qu’elle ne leur nuit.

Car en réalité, et même si la « libre » concurrence n’a jamais véritablement existé, en supprimant la notion de « concurrence libre et non faussée », on permet ainsi aux entreprises déjà très puissantes de se protéger derrière les règles d’une concurrence qui se trouve par définition être « non-libre et faussée » (c’est à dire clairement déloyale). Après s’être rassasié de profits durant toute leur croissance, les entreprises parvenues au stade quasi monopolistique veulent pouvoir pleinement profiter des règles d’un capitalisme non libre, c’est à dire en réalité plus pur, moins moral et moins juste. A la mondialisation ils préfèrent désormais le protectionnisme, des droits de douane ou une politique monétaire avantageuse. Au lieu de profiter des paradis fiscaux pour se protéger des impôts, ils préfèrent le bouclier fiscal. Ils voudraient voir les rétro-commissions illégales devenir légales, l’abus de position dominante financé par le contribuable, les « fusions-acquisitions » décidées et institutionnalisées par l’Etat, l’entente sur les prix déterminée par la rentabilité, les brevets protégés par le secret-défense…en bref éteindre tous les contre-feux qu’ils avaient eux-mêmes allumés pour nuire au développement de leurs concurrents, désirant aujourd’hui pérenniser à tout prix leur domination, c’est à dire leurs profits mis en péril par l’émergence d’entreprises étrangères.

En définitive, nous allons passer d’une libre concurrence déjà biaisée (il n’y a qu’à voir comment les brevets sont utilisés pour s’accorder un monopole à court ou moyen terme - et ce même au détriment de millions de médicaments génériques capables de soigner des millions de malades), à une concurrence « faussée », qui sera encore plus injuste mais plus assumée.

Mais en même temps que faire d’autre, puisqu’ici tout le monde a l’air de croire qu’il faut des lois contraignantes pour garantir la liberté !….

Caleb Irri

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