RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher
21 

Tunisie : «  tout changer, pour que tout reste pareil »…

Le 14 janvier dans la soirée, on apprenait le départ du président Ben Ali : après plusieurs semaines d’émeutes, qui avaient pris des allures de révolution, le peuple tunisien renversait le dictateur, contraint de quitter le pays. Zine el Abidine Ben Ali s’est ainsi réfugié en Arabie Saoudite, qui sera donc sa terre d’exil, puisque la France a, semble-t-il, décliné sa demande, lâchant de la sorte son ancien allié sans la moindre vergogne…
Dans le respect du processus institutionnel tunisien, le premier ministre, Mohamed Ghannouchi, qui exerçait cette fonction aux côtés du président Ben Ali depuis 1999, a assuré l’intérim de la présidence, le temps de proclamer le nouveau président, Fouad Mebazaâ, un des bras droit de Ben Ali, membre de tous ses gouvernements successifs et, selon certains observateurs, son dauphin désigné.

En effet, après avoir «  constaté la vacance de la présidence », le Conseil institutionnel, en vertu de l’article 57 de la Constitution, a établi qu’il revenait au président du Parlement d’assurer la présidence jusqu’aux prochaines élections, qui doivent avoir été organisées endéans un délai de soixante jours au plus. C’est ce qu’à annoncé le président du Conseil, Fethi Abdennadher, lui aussi fidèle de Ben Ali parmi les fidèles…

Dès l’annonce de la fuite du président Ben Ali, en dépit de l’euphorie qui s’emparait des masses populaires tunisiennes dont la joie éclatait dans les rue de Tunis et dans tout le pays, une analyse de la situation ne laissait cependant que peu de doutes sur la suite des événements.

En effet, force était de constater que tous ceux qui venaient de prendre le relai de Ben Ali étaient ses anciens ministres et hauts fonctionnaires, tous ceux qui avaient profité du régime, s’étaient enrichis et possédaient le pays…

Autrement dit, trois hypothèses, a priori, se dégageaient de cette analyse à chaud :
1. Le gouvernement par intérim, qui, à peine en fonction, avait proclamé l’état d’urgence et la loi martiale, réprimait toute opposition dans le sang durant la nuit ; et Ben Ali, une fois la crise jugulée, revenait (Mohamed Ghannouchi n’avait-il pas précisé, d’ailleurs, qu’il assurait l’intérim car le président Ben Ali était «  temporairement » incapable d’exercer ses fonctions ?) ou pas, mais, avec ou sans lui, tout continuait comme avant.

2. Les insurgés pensaient avoir gagné, la colère retombait (cas d’école d’une révolution mal organisée qui, refroidie dans son élan, avorte et ne peut que rarement être relancée) et, en douceur et sur le long terme, les anciens dirigeants, qui avaient jusqu’alors agi dans l’ombre de Ben Ali, récupéraient le gâteau et confisquaient à nouveau le pouvoir au peuple. Au mieux, on arrêtait quelques familiers et proches de Ben Ali, juste pour faire bonne figure (et tout le monde en Europe et ailleurs n’y verrait que du feu ; d’autant plus que la Tunisie quittera rapidement l’actualité et retournera à son triste sort, tandis que les charters de touristes recommenceront à affluer vers Djerba).

3. Les insurgés réalisaient qu’ils étaient en train de se faire manipuler par ce tour de passe-passe et poursuivaient le mouvement jusqu’au renversement complet de la dictature et l’arrestation ou la fuite de tous ceux qui l’avaient soutenue. Probablement, alors, la démocratie et les changements socio-économiques avaient leur chance d’aboutir.
Certes, face à la ténacité et au courage avec lequel le peuple tunisien avait jusqu’alors conduit sa révolution, il n’était pas impossible qu’il surprît encore.

Qui, en effet, aurait parié sur l’avenir de cette révolution ? Or, elle avait la peau dure. Et, tandis que les gouvernements européens pouvaient aller cacher leur honte pour leur attentisme et leur mutisme scandaleux (espéraient-ils l’essoufflement du mouvement et la fin des troubles, pour à nouveau dormir tranquillement ?), les Tunisiens, quoi qu’il en fût de la suite des événements, avaient déjà offert au monde une extraordinaire leçon de démocratie.

C’est dès lors le lendemain qu’il fallait attendre, pour savoir ce qu’il en serait de la Tunisie et de sa révolution...

Toutefois, le réveil est difficile : les rues de Tunis et des grandes villes sont désormais désertes ; l’armée patrouille ; Ben Ali parti, tout le monde est gentiment rentré chez soi ; la révolution a vécu.

Les chefs de l’armée, en concertation avec les leaders du gouvernement, ont négocié le départ du président Ben Ali, qui a ainsi servi de fusible (avait-il encore vraiment le choix ?), et sa «  fuite », d’exutoire à la révolte. Mais ce sont bien tous les anciens de «  la bande à Ben Ali » qui demeurent aux commandes et continuent de contrôler tous les rouages du pays et le processus qui mènera aux élections d’un «  nouveau » parlement et à la désignation du «  nouveau » président.

Le tour de passe-passe magistralement exécuté par les dirigeants tunisiens (et peut-être, déjà , avec la complicité de certains Etats européens), est parvenu a calmer la rue, dont les meneurs, mal organisés et désormais dépouillés des forces vives de la révolte, n’ont plus les moyens de faire aboutir le processus révolutionnaire et d’instaurer leur propre gouvernement provisoire pour organiser des élections libres et effectivement transformer le régime.

La victoire de cette révolution au Maghreb aurait également pu être un motif d’espoir pour le peuple d’Algérie, toujours en lutte contre la junte corrompue qui le dirige. Hélas, l’échec tunisien n’augure rien de positif pour les Algériens.

Bref, les anciens ministres de Ben Ali ont eu très chaud, depuis quelques semaines. Aussi ont-ils eux-mêmes choisi de tout réorganiser, de tout changer, pour que tout reste pareil. 

La «  priorité absolue » du gouvernement d’intérim est désormais le rétablissement de l’ordre public. C’est pourquoi, depuis hier soir, le couvre-feu a été proclamé en Tunisie, sous le prétexte que des «  pillards » profitent de la situation de chaos, «  pillards » surgis de nulle part, «  pillards » que l’on n’avait pas encore vu agir, alors que des émeutes violentes ébranlent pourtant le pays depuis des semaines, «  pillards » parmi lesquels d’aucuns croient bien avoir reconnu des agents des forces spéciales de «  l’ancien » régime.

La France a pris «  acte de la transition constitutionnelle ». L’Union européenne s’est dite satisfaite par ce dénouement, qui devrait aboutir à «  une solution démocratique durable ». Les Etats-Unis ont exprimé leur respect pour «  le courage et la dignité du peuple tunisien ». Le secrétaire général de l’ONU, enfin, s’est réjoui de ce «  règlement démocratique et pacifique de la crise ».

Tout le monde est maintenant rassuré : tout va pouvoir continuer comme avant, en Tunisie.

Pierre PICCININ
Professeur d’histoire et de sciences politiques
Website : http://pierre.piccinin-publications.over-blog.com

URL de cet article 12505
  

« Cremada » de Maïté Pinero
Bernard Revel
Prix Odette Coste des Vendanges littéraires 2017 Maïté Pinero est née à Ille-sur-Têt. Journaliste, elle a été correspondante de presse en Amérique Latine dans les années quatre-vingts. Elle a couvert la révolution sandiniste au Nicaragua, les guérillas au Salvador et en Colombie, la chute des dictatures chiliennes et haïtiennes. Elle a écrit plusieurs romans et recueils de nouvelles dont « Le trouble des eaux » (Julliard, 1995). Les huit nouvelles de « Cremada », rééditées par Philippe Salus, illustrent (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"La réalité est un aspect de la propriété. Elle doit être saisie. Et le journalisme d’investigation est le noble art qui consiste à saisir la réalité aux mains des puissants."

Julian Assange

Lorsque les psychopathes prennent le contrôle de la société
NdT - Quelques extraits (en vrac) traitant des psychopathes et de leur emprise sur les sociétés modernes où ils s’épanouissent à merveille jusqu’au point de devenir une minorité dirigeante. Des passages paraîtront étrangement familiers et feront probablement penser à des situations et/ou des personnages existants ou ayant existé. Tu me dis "psychopathe" et soudain je pense à pas mal d’hommes et de femmes politiques. (attention : ce texte comporte une traduction non professionnelle d’un jargon (...)
46 
Comment Cuba révèle toute la médiocrité de l’Occident
Il y a des sujets qui sont aux journalistes ce que les récifs sont aux marins : à éviter. Une fois repérés et cartographiés, les routes de l’information les contourneront systématiquement et sans se poser de questions. Et si d’aventure un voyageur imprudent se décidait à entrer dans une de ces zones en ignorant les panneaux avec des têtes de mort, et en revenait indemne, on dira qu’il a simplement eu de la chance ou qu’il est fou - ou les deux à la fois. Pour ce voyageur-là, il n’y aura pas de défilé (...)
43 
L’UNESCO et le «  symposium international sur la liberté d’expression » : entre instrumentalisation et nouvelle croisade (il fallait le voir pour le croire)
Le 26 janvier 2011, la presse Cubaine a annoncé l’homologation du premier vaccin thérapeutique au monde contre les stades avancés du cancer du poumon. Vous n’en avez pas entendu parler. Soit la presse cubaine ment, soit notre presse, jouissant de sa liberté d’expression légendaire, a décidé de ne pas vous en parler. (1) Le même jour, à l’initiative de la délégation suédoise à l’UNESCO, s’est tenu au siège de l’organisation à Paris un colloque international intitulé « Symposium international sur la liberté (...)
19 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.