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Message des Cinq Héros cubains

À la conscience du monde et au peuple étasunien

Logo : capture prise sur le site jocetpatcuba2013.uniterre.com

Voilà aujourd’hui quinze ans, le 12 septembre 1998, que cinq arrestations brutales opérées simultanément, ont brisé nos foyers et ouvert l’un des chapitres les plus honteux de l’histoire juridique des États-Unis : le procès engagé contre nous, qui sommes connus maintenant comme les Cinq.

L’arrestation et le procès des Cinq resteront gravés dans l’histoire comme l’un des épisodes les plus ignominieux et les plus sordides des relations entre les États-Unis et Cuba. Quelques mois plus tôt, les bons offices du prix Nobel de littérature, dont Gabriel García Márquez, avaient permis d’ouvrir les portes à une coopération marquante entre les deux pays dans la lutte contre le terrorisme. En juin de cette année-là, une délégation du FBI s’était rendue en visite à Cuba et, après avoir reçu une copieuse information sur les activités terroristes organisées impunément contre l’île depuis Miami, avait promis à sa contrepartie cubaine d’entreprendre des actions à ce sujet.

Portant un coup bas à l’administration William Clinton, le FBI, au lieu d’appréhender les terroristes, arrêta et conduisit devant les tribunaux ceux – nous – qui collectaient des informations pour éviter les dommages qu’ils causaient à la population cubaine. Le système judiciaire étasunien fut utilisé ouvertement comme un moyen pour protéger les terroristes, au point que nous comparûmes devant un jury apeuré, dans un climat de lynchage. On recourut à de cruelles conditions de mise au secret pour nous briser et pour nous empêcher de préparer dûment notre défense. Le mensonge s’empara de la salle d’audience.

On falsifia, on endommagea ou on supprima des preuves. On se moqua ouvertement des instructions de la juge. On menaça publiquement de prison les terroristes cités comme témoins par la défense s’ils ne recouraient pas aux bénéfices du Cinquième Amendement contre l’auto-incrimination. Tout ceci face à une presse qui avait choisi de maintenir le peuple étasunien dans l’ignorance la plus absolue, tandis que le siège du procès était impitoyablement soumis à un barrage de propagande contre les accusés.

Le 8 juin 2001, un jury qui en était arrivé à exprimer sa peur devant le harcèlement de la presse locale, - laquelle, on le sut plus tard, avait été grassement payée par l’administration étasunienne – nous déclara coupable de tous les chefs d’accusation, et même d’un au sujet duquel le parquet avait reconnu auparavant, dans une motion d’urgence adressée à la cour d’appel d’Atlanta, qu’il ne disposait pas d’assez de preuves pour emporter un verdict de culpabilité.

La conduite déplorable des procureurs, des juges et de l’administration étasunienne à ce procès ne sont pas un hasard. Il est impossible de se comporter d’une manière éthique quand, pour atteindre un but auquel la haine politique se mêle à l’arrogance personnelle et à la vengeance, on instruit des chefs d’accusation qu’on ne peut ensuite défendre qu’en se moquant des lois et en recourant à la prévarication et à l’abus de pouvoir. Le cercle vicieux ouvert par la décision politique de nous écraser sous plusieurs chefs d’accusation, dont les plus graves étaient fabriqués de toutes pièces pour nous contraindre à transiger, ne pouvait que se refermer sur la conduite toujours plus méprisable des procureurs.

Mais nous n’avons pas transigé, parce qu’un déploiement de force brutale ne signifie pas que celui qui l’exerce possède la morale requise. Nous n’avons pas transigé parce que le prix du mensonge pour combler les attentes des procureurs nous semblait trop dégradant. Nous n’avons pas transigé parce qu’impliquer Cuba – la nation que nous protégions – dans des accusations fallacieuses pour grossir le dossier de l’administration étasunienne contre l’île aurait été une trahison impardonnable contre le peuple que nous aimons. Nous n’avons pas transigé parce que les valeurs humaines restent encore pour nous un bien précieux sur lequel repose la transformation de l’homme en un être meilleur. Nous n’avons pas transigé parce que cela voulait dire renoncer à notre dignité, source d’estime de soi et d’amour propre pour n’importe quel humain.

Au lieu de transiger, nous avons accepté le procès. Un procès qui, si on en avait parlé, aurait mis en doute non seulement notre cas particulier, mais l’ensemble du système de justice des États-Unis. Si ce qui se passait dans cette salle d’audience n’avait pas été escamoté au peuple étasunien, auquel nous n’avons jamais fait ni tenté de faire le moindre tort, il aurait été impossible de monter cette parodie de justice transformée en cirque romain.

Quinze années se sont écoulées durant lesquelles l’administration étasunienne et le système de justice de ce pays ont fait la sourde oreille aux réclamations d’organismes des Nations Unies, d’Amnesty International, de plusieurs Prix Nobel, de parlementaires ou de parlements au complet, de personnalités et d’institutions juridiques et religieuses. Seule la levée de cet autre blocus, celui qu’on a imposé au peuple étasunien pour qu’il ignore tout, permettrait de voir naître l’espoir que cesse cette injustice.

Aujourd’hui, l’île de Cuba apparaîtra couverte de rubans jaunes. Le peuple cubain sera le protagoniste de ce message qui recourt à un symbole devenu traditionnel pour le peuple étasunien. Pour ceux qui se sont acharnés avec tant de succès à dresser un mur de silence autour de ce cas, ce sera un énorme défi que d’empêcher le monde d’être informé de ce fait probablement inédit : un peuple tout entier décorant son pays pour demander à un autre d’exiger que son gouvernement libère ses enfants injustement incarcérés.

Entre temps, nous les Cinq, nous continuerons de mériter ce déploiement massif d’affection ; nous continuerons d’être de dignes fils du peuple solidaire et généreux qui en est le protagoniste, et d’être dignes de l’appui de ceux qui, tout autour du monde, se sont joints à notre cause ; nous continuerons de dénoncer cette injustice qui remonte déjà à quinze ans, et nous ne céderons jamais d’un iota l’avantage moral qui nous a permis de résister et de même de grandir, tout en supportant le poids de la haine vindicative de la part du gouvernement le plus puissant de la planète.

Gerardo, Ramón, Antonio, Fernando et René

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De Laura Labañino à Ramón Labañino… de Ramón à Laura…

Il est relativement facile de dire « quinze ans », de dire le mot « loin » ; ce qui n’est pas du tout facile, c’est de dire dans une même phrase : quinze ans, loin et papa.

La difficulté se présente quand vous recevez une lettre pleine d’amour, de tendresse et de « je t’aime », pleine de phrases que vous prononceriez normalement, mais que vous n’écririez pas par la poste, ou qui seraient accompagnées à l’occasion d’une forte étreinte et d’un baiser sur la joue, mais pas d’un bruit de grilles se refermant sur une voix qui vous arrive à travers le téléphone.

Le mot « difficile » ne sera jamais assez complet pour décrire ces quinze ans, mais c’est celui que j’utilise habituellement pour expliquer combien ces temps sont durs sans mon père. Les situations que nous avons vécues, ma maman, ma sœur et moi, ne sont pas suivies d’adjectifs capables de décrire les frustrations, les peurs et les difficultés que nous avons affrontées. Depuis cette image d’une fillette de six ans réprimandée par un gardien d’une prison de haute sécurité, avec des tas de chaînes et des clefs accrochées à son ceinturon, jusqu’au moment le plus allègre, celui d’une fête d’anniversaire en prison, voilà quels sont les souvenirs qui attristent ou réjouissent ma vie quand je les regarde en rétrospective.

Ces quinze dernières années ont été sans doute les plus dures, les plus tristes, celles de plus grande lutte, mais ce sont aussi pourtant ces quinze dernières années qui m’ont donné la confiance et l’espoir pour continuer de me battre pour son retour, de lutter pour ce baiser sur la joue et cette forte étreinte, loin des regards des gardiens et des objectifs de milliers de caméras de télésurveillance dans une prison.

Tous ceux qui connaissent mon papa disent que je lui ressemble beaucoup physiquement, dans les gestes, dans les goûts (surtout le chocolat et la viande de porc). En fait, il m’est difficile de croire que quelqu’un ressemble à mon papa, un homme grand, fort et imposant, mais plus doux qu’une mangue ; un père sévère, à cheval sur les principes et autoritaire, mais aussi tendre, familier et toujours prêt à écouter.

En tout cas, nous partageons de nombreux points de vue, mais pas en goûts musicaux, la même couleur de cheveux, une écriture assez difficile à déchiffrer et un besoin immense de transmettre tout notre amour à ceux qui nous entourent.

L’instant du retour a toujours provoqué des rêves durant tout ce temps. Quand j’étais petite, je l’imaginais en train d’atterrir à bord d’un petit avion minuscule dans la cuisine de la maison ; aujourd’hui, je préfère l’imaginer tout parfait, qu’il soit le même homme que j’ai vu quand j’avais neuf ans, à Beaumont (Texas), quand il m’était déjà devenu difficile de me souvenir d’un moment avec lui avant ces retrouvailles. Mais arrivent ici d’autres moments difficiles qui, durant ces quinze dernières années, ont apporté des éléments pour définir ce temps comme « douloureux ».

Maintenant que j’ai vingt et un ans, j’ai du mal à m’imaginer mon papa rentrant à Cuba sans une chaise roulante. Comme le dit ma maman, « les années sont implacables, elles laissent toujours des traces », et ça n’a pas été différent pour ma famille, pour mon papa. A chaque visite, il est plus difficile de lever le regard et de le regarder marcher, ou du moins de le regarder quand il fait semblant d’être en bonne santé, alors qu’il est tout à fait visible qu’il a perdu des centimètres à cause de la déformation de ses genoux. Les causes ? Quinze ans de prison. Les mesures pour arranger le problème de ses jambes ? Eh bien, pour le moment, aucune, nous attendons.

Ce moment-là, le moment du retour, sera le plus heureux de ma vie. Je sais que je ne me sentirai jamais mieux que ce jour-là, mais je ne supporterai pas, après tant de temps, de constater que le problème des jambes de mon papa est irréversible. C’est là le cauchemar qui gâche mon sommeil chaque fois que je pense au retour de mon père.

Un avion et une chaise roulante ne peuvent être la fin de cette bataille qui, durant quinze ans, a déchiré mon père, ses quatre frères, leurs familles, le peuple cubain. Ce peuple qui, quinze ans après, les attend avec des rubans jaunes.

Réponse de Ramon Labañino à sa fille Laura

Mon enfant bien-aimé,

C’est beau, très beau, mais que ça fait mal… ! Tes mots fins et sincères m’impressionnent. C’est bien toi, avec ta délicatesse et tes rêves, mais aussi avec tes soubresauts et tes cauchemars… Je regrette beaucoup ces derniers. Je ferai même l’impossible pour effacer tes souvenirs laids et tes tristes rêves futurs. Je ne savais pas à quel point cette histoire des genoux vous tourmentait, toi, et les autres. J’en ai mal que ça vous fasse mal…

Je resterai toujours cet homme dont tu rêves, pas un autre. Je resterai toujours solide et debout. Je vais bien, ce n’est juste que quelques positions incomplètes, rien de plus. Mais ton papa sera toujours ici, fidèle et amoureux, ton ami, le même et le seul de toujours.

Je te félicite des phrases qui te sont sorties du cœur. Très belles, et encore plus sincères…

Je t’aime beaucoup et éternellement !

Ton papa

Ramón

Traductions J-F Bonaldi à la Havane


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