Appel pour un Plan B écolo et social pour l’éducation

Paul ARIES, Christian LAVAL, Laurent PAILLARD, Samy JOHSUA

Enseignants, travailleurs et usagers du service public d’éducation, nous considérons qu’un grand débat public sur le devenir de l’école est indispensable au succès des mobilisations.

Tout projet éducatif résulte d’un projet de société. Dans la droite ligne des réformes Chatel et Belkacem, les réformes Blanquer continuent de soumettre l’école aux normes productivistes :
Marchandisation du savoir, privatisation croissante du système éducatif scolaire et extra-scolaire. Soumission des savoirs et des méthodes d’enseignement aux exigences du marché du travail. Augmentation de la compétition entre les élèves par la sélection et l’omniprésence de l’évaluation. Éviction des classes populaires de l’enseignement supérieur. Augmentation forcée de la productivité de chaque enseignant par la baisse des moyens. Mise en concurrence des établissements et mise en cause de la liberté pédagogique. Soumission des enseignants aux méthodes managériales les plus violentes, introduction des primes individualisées, mise en concurrence des disciplines et paupérisation des enseignants.

L’évolution du système éducatif Français va ainsi à rebours des idéaux émancipateurs : Égalité des citoyens devant les savoirs. liberté favorisée par le développement de l’esprit critique, fraternité renforcée par l’atténuation des rapports de classes grâce à une éducation de qualité pour tous. Elle va aussi à l’encontre des défis écologiques du XXIème siècle en formant des individus réduit au statut de producteurs. Elle ne permet pas de construire un monde respectant le bien commun, à commencer par l’écosystème humain, car elle transforme la culture en "avantage compétitif" pour l’individu en remplaçant les savoirs par les « compétences individuelles ».

Face à cela, il est urgent de construire une école réellement émancipatrice développant dès le plus jeune âge le souci de l’autre et de l’environnement. Cela commence par donner aux savoirs et aux savoir-faire un statut de bien commun.

Nous proposons d’ouvrir un grand débat national autour de treize questions :
• L’école est entrée dans l’ère de la marchandisation avec sa conquête par les marchés ; son utilisation aux fins de stimuler les marchés ; l’adaptation de ses structures, de ses contenus, de ses pratiques, aux fins de répondre aux attentes du marché du travail. Nous défendons le principe « école publique argent public, école privée, argent privé ». Nous refusons que l’extension de la scolarisation obligatoire dès l’âge de 3 ans soit une façon de légaliser les subventions aux écoles privées dès cet âge.
2) Le développement de la gratuité de l’école : la cantine, les transports, les manuels et fournitures scolaires, les voyages et activités culturelles, les activités périscolaires.

3) L’instauration d’un nombre maximum d’élèves par classe pour permettre un suivi réel des progrès de chacun : pas plus de 22 en primaire, 24 au collège, 26 au lycée.

4) L’introduction tardive et progressive de l’évaluation, pas avant le milieu du collège, afin d’apprendre aux élèves à être autonomes dans leurs apprentissages et leur permettre de s’exercer sans être soumis à une sanction systématique.

5) La politique éducative comme composante de l’aménagement du territoire, de l’école à l’université. Il faut améliorer le maillage du territoire en renforçant les établissements ruraux et péri-urbains. La carte scolaire doit permettre une réelle mixité sociale. Cela doit s’accompagner d’un plan de nationalisation des établissements privés afin de favoriser l’égalité devant l’éducation.

6) Le fin de la mise en concurrence des établissements qui les transforme insidieusement en entreprises marchandes mettant les disciplines en compétition au détriment d’une information transparente sur l’orientation. Chaque élève doit pouvoir être informé en fonction de ses intérêts propres et non de la nécessité de remplir les options et spécialités pour soutenir la concurrence entre établissements voisins.

7) La consolidation des disciplines par des horaires définis nationalement afin d’empêcher le management par leur mise en concurrence. Les savoirs ne peuvent pas être des variables d’ajustement comptables. Tout élève a le droit à une éducation de qualité quel que soit son établissement de rattachement.

8) L’autogestion des établissements scolaires par leurs personnels et usagers. Refusons la mise en compétition des systèmes éducatifs, des écoles, des enseignants et des élèves, par l’introduction de techniques managériales importées du secteur privé, etc. Donnons un pouvoir de décision à la communauté éducative : travailleurs et usagers de l’éducation doivent avoir un réel pouvoir de décision dans les conseils d’administration. Les personnels de directions doivent être des administrateurs et non des petits chefs aux ordres du Ministère.

9) La fin de l’orientation couperet et la garantie d’un accès à l’enseignement supérieur à tous ceux qui le souhaitent. Les lycéens professionnels et techniques qui le souhaitent doivent pouvoir bénéficier d’une mise à niveau dans les matières générales afin de se réorienter vers l’université. Les élèves des lycées généraux qui le souhaitent doivent pouvoir bénéficier d’une remise à niveau afin de pouvoir suivre dans les formations techniques ou ne correspondant pas à leur spécialité.

10) L’université comme lieu de l’apprentissage de la rigueur académique pour tous au contact des enseignants chercheurs. Il faut utiliser les moyens des CPGE pour les remises à niveau. Nous devons renouer avec l’objectif de suppression des grandes écoles, écoles élitistes.

11) La revalorisation du métier d’enseignant et le renforcement de la liberté pédagogique. Tout enseignant doit pouvoir effectuer, dans son temps de service, deux heures d’atelier de son choix, sur le principe du volontariat.

12) La fin de « l’approche par compétences », des « évaluations par compétences », de la notion de « socle de compétences », etc. Cette obsession des compétences engendre une pensée pédagogique unique qui, sous le couvert d’un discours moderniste et faussement généreux, cache une opération de mise au pas de l’enseignement et sa soumission aux besoins d’une économie capitaliste en crise.

13) L’école doit éduquer à la vie. C’est pourquoi l’essentiel est d’offrir des modèles humains, de mettre l’humain au cœur des investissements. Nous préconisons, par exemple, de mettre fin à la fuite en avant vers les technologies numériques et la wifisation des établissements scolaires et de réfléchir, par exemple, à l’introduction d’un deuxième adulte dans les classes.

Collectif des salariés et usagers d’éducation pour une école gratuite, égalitaire et solidaire. Avec le soutien de l’Observatoire International de la Gratuité (OIG) et du mensuel les Zindigné.e.s

Paul Ariès (politologue), Christian Laval (professeur de sociologie), Laurent Paillard (philosophe), Samy Johsua ( Professeur émérite en sciences de l’éducation)

COMMENTAIRES  

25/04/2018 09:28 par Assimbonanga

France Inter : "Lucas Chancel, co-directeur du Laboratoire sur les inégalités mondiales de l’Ecole d’Economie de Paris et chercheur sénior à l’IDDRI-Sciences Po, est notre invité. L’économiste Lucas Chancel a coordonné le Rapport sur les inégalités mondiales, paru jeudi 12 avril dernier. Il explique : « En France, il y a une progression du revenu des plus aisés plus rapide que la moyenne […] cette tendance dure depuis les années 80 ». Le chercheur décrit un basculement depuis la fin des Trente glorieuses. « Pendant les Trente glorieuses, les revenus des 90 % des classes populaires, des classes moyennes augmentaient de 3 % par an et le revenu des 1 % les plus riches augmentait de 1 % par an. Désormais c’est l’inverse. » explique-t-il.
Je vous la fais courte : en gros, ce mec dit la même chose que nous autres et Mélenchon sauf que, sous couvert d’étude scientifique, c’est recevable par France Inter. Mais juste une fois. Plus entendu parler de cette étude depuis.
https://www.franceinter.fr/emissions/un-jour-dans-le-monde/un-jour-dans-le-monde-24-avril-2018

27/04/2018 17:59 par Roger

La "mercatisation" de la Formation Continue à partir de 1972 a été un "cheval de Troie" pour l’éducation Nationale qui s’est vu proposer dans la création des Services Universitaires de Formation continue et des GRETA d’investir le "marché" de la formation continue. La règle de l’autofinancement, de la concurrence entre tous les établissements, le marketing des catalogues d’offre, le démarchage direct auprès des entreprises, la "négociation" de conventions de formation (prix, contenus, modalités pédagogiques) ont familiarisé le monde de l’enseignement public avec le vocabulaire de la "marchandisation" de l’éducation. Avec Macron ce vieux et patient projet de la privatisation des services d’enseignement est en marche accélérée.
Mais dans cet appel, il y a 2 points aveugles qui pourtant sont fondamentaux :
- la formation professionnelle des enseignants ;
- le refus "idéologique" de l’approche par compétence, c’est à dire le rejet par principe de la démarche, au lieu d’en faire un examen scientifique (sortir de la notion valise, pour lui donner une forme conceptuelle opératoire)
C’est pourquoi, malgré beaucoup de points d’accord, je ne le signerai pas.

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