Ces arrestations sont sans doute le résultat de plusieurs jours de mobilisations populaires et massives contre l’assassinat, par un militant de Chrysi Avghi, du chanteur de Hip-hop et activiste antifasciste Pavlos Fyssas, le 17 septembre au soir. Ce crime a choqué profondément au-delà même de la Grèce et a fait chuter la popularité du parti d’extrême-droite. C’est dans ce cadre de pression populaire que le gouvernement a lancé une enquête, très médiatisée, au sein de la police et des autres forces de répression, pour déterminer des complicités avec Aube Dorée et ses divers actes criminels.
Cette nouvelle a sans doute été accueillie avec sympathie par de larges secteurs des classes populaires fatigués de constater l’impunité dont jouissent les sbires d’Aube Dorée. Certains pourront parler même de « victoire ». Cependant, cette situation nous amène à nous poser un certain nombre de questions, d’une part, par rapport à la lutte du mouvement ouvrier et populaire contre les groupes et bandes fascistes ; et d’autre part, sur l’indépendance du mouvement ouvrier vis-à-vis du gouvernement et les institutions de l’État, telles que la Justice et la police.
La mobilisation et la pression populaire est fondamentale pour que les crimes contre les travailleurs immigrés et leurs familles, contre les LGBT et contre les militants politiques et syndicaux de la part des bandes de Chrysi Avghi et d’autres groupes d’extrême-droite ne restent pas impunis. Cependant, cela ne veut pas dire qu’on fait confiance au gouvernement, à l’État et sa « Justice ». Bien au contraire, il s’agit aussi de nos ennemis ! En s’appuyant sur le mécontentement populaire que le crime contre P. Fyssas a provoqué, il faut que les organisations du mouvement ouvrier profitent du moment pour dénoncer leur complicité avec Chrysi Avghi durant toutes ces années !
Nous ne pouvons pas en effet oublier que 50% des effectifs de la police grecque a voté pour Aube Dorée aux élections de 2012. On ne peut pas oublier non plus qu’en matière de répression et d’attaques contre les travailleurs immigrés, de violences et tortures contre les militants d’extrême-gauche, entre autres, elle n’a rien à envier aux bandes de Chrysi Avghi. Et que dire de cette justice bourgeoise qui donne suite aux accusations absurdes du parti néofasciste contre des militants anticapitalistes et antiracistes ? C’est la même justice qui a permis que jusqu’à présent la majorité des crimes d’Aube Dorée restent impunis.
Concernant le gouvernement d’alliance entre la Nouvelle Démocratie (ND) et le PASOK (Mouvement Socialiste Panhellénique –le PS grec), dirigé par Antonis Samaras, sa responsabilité dans le développement de ces groupes fascisants et d’un climat réactionnaire parmi certains secteurs de la société est évidente. Non seulement ils répandent le venin xénophobe et raciste, par exemple en ouvrant de vrais camps de concentration pour les immigrés « illégaux », mais ils sont les responsables directs de l’application des terribles attaques contre les conditions de vie et de travail des travailleurs et des couches populaires. La misère engendrée par les mesures d’austérité des gouvernements que se sont succédés depuis le début de la crise, est l’un des éléments explicatifs du renforcement de ces courants ultra-réactionnaires.
Le gouvernement ND-PASOK et Samaras, sont l’option la plus valable pour la bourgeoisie grecque et la Troïka, au moins aujourd’hui. L’existence d’un parti fascisant, dans le cas d’un approfondissement de la lutte de classes, peut devenir une option pour la bourgeoisie. Il est clair cependant qu’un certain nombre de voix qui traditionnellement allaient à ND et même au PASOK, notamment de secteurs de la petit-bourgeoisie mécontents de la dégradation de la situation économique et de leurs conditions de vie, maintenant aillent vers Aube Dorée. Depuis le gouvernement et Samaras ont adopté une rhétorique de plus en plus à droite pour essayer de « récupérer » ces secteurs. L’émotion provoquée par l’assassinat de P. Fyssas et la baisse de Chrysi Avghi dans les sondages pourrait constituer une occasion pour le gouvernement d’attirer une partie des électeurs du parti d’extrême-droite.
Mais il y a d’autres raisons plus profondes qui expliquent la réaction « énergique » de la part du gouvernement contre Aube Dorée : bloquer toute dynamique vers la constitution d’un front unique des organisations ouvrières, indépendant du gouvernement et de l’Etat, pour stopper les attaques des bandes fascistes. Cela pourrait ouvrir un scénario d’instabilité politique qui échappe du contrôle des classes dominantes locales. D’ailleurs, conscients de cette crainte du gouvernement face à une telle situation, notamment vis-à-vis de la Troïka, les élus parlementaires de Chrysi Avghi ont menacé de démissionner en bloc provoquant des élections partielles anticipées.
En constatant ces dangers, depuis quelques semaines Samaras et ses ministres parlent dans les médias du danger des « extrêmes ». Ainsi, il essaye de se présenter comme le meilleur défenseur de la « démocratie et la stabilité » bourgeoises et de légitimer son gouvernement. Un gouvernement qui est l’une des plus claires expressions, voire une caricature, de ce que l’intellectuel britannique Tariq Ali appelle « la dictature du centre »... mais dans une phase de décomposition de ce « centre ». Ce n’est pas par hasard non plus que cette opération très médiatique contre Chrysi Avghi se déroule au moment où, comme conséquence de l’application de certaines mesures du dernier accord avec la Troïka, des travailleurs commencent à se mettre en lutte, notamment dans le public. D’ailleurs, un des évènements les plus choquants ces derniers jours c’est sans doute la fermeture de plusieurs universités, notamment celle d’Athènes, à cause de la suppression d’un certain nombre de postes parmi le personnel administratif ; ou encore les grèves qui mènent les enseignants du secondaire, aussi contre la suppression de postes. Dans ce cadre, un certain regain, même partiel, de légitimité de ce gouvernement auprès de secteurs des masses pourrait constituer un appui pour que celui-ci s’attaque aux militants de gauche radicale et syndicaux, aux grévistes et à tous ceux qui luttent contre ses politiques. Il est donc plus urgent que jamais de développer le Front Unique des organisations du mouvement ouvrier pour lutter contre l’extrême-droite et la politique de la bourgeoisie !
C’est pour cela que ce n’est pas le moment de relâcher la pression sur le gouvernement et l’État de la part du mouvement ouvrier. Il faut continuer à mobiliser massivement pour que les crimes des sbires de Chrysi Avghi ne restent pas impunis et pour profiter du mécontentement actuel contre l’extrême-droite pour créer des comités d’auto-défense, l’enjeu étant de se tenir prêts pour le moment où cette racaille essaiera à nouveau de lever la tête. Une défaite « militaire » dans un de leurs bastions pourrait démoraliser et freiner ses membres. Mais cela exige une politique de la classe ouvrière diamétralement opposée à la politique de conciliation de classes des directions syndicales ou à celle des partis réformistes. Seul le mouvement ouvrier organisé, montrant une vraie détermination dans la lutte contre les conséquences de la crise du capitalisme en Grèce, peut convaincre des secteurs de la petite bourgeoisie et certains secteurs désespérés de la classe ouvrière à lutter avec lui pour une perspective complètement opposée à la politique raciste, xénophobe et d’attaques contre les acquis des travailleurs que mènent actuellement le gouvernement et les sbires de l’extrême droite. Le meurtre de Pavlos Fyssas est un avertissement pour l’extrême-gauche grecque. Il n’y a plus de temps à perdre pour construire l’alternative révolutionnaire dont ont besoin les travailleurs.
28/9/2013.