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Le service militaire ou la production sociale d’une classe de sexe dominante

Au-delà des larmes des hommes

Pinar SELEK
Jules Falquet

Extraits de la présentation du livre de Pinar SELEK, Devenir homme en rampant, Paris, l’Harmattan, par Jules Falquet :
L’interrogation première de Pınar Selek [1] était simple : qu’est-ce qui transforme au fil des années un innocent enfant en un adulte assassin ? La construction sociale de la violence, son lien avec la “virilité” et le service militaire — mais aussi de manière plus générale la (re)production de sociétés autoritaires et hiérarchiques et l’organisation de l’oppression des femmes — se trouvent au cœur de Devenir un homme en rampant.
À l’heure où se développent des discours masculinistes sur les hommes comme “victimes de la domination masculine”, Pınar Selek nous permet de penser plus loin. Dans la ligne des travaux sur les hommes comme dominants, elle nous invite ici à une profonde analyse des liens entre la construction sociale des hommes et la production structurelle du pouvoir masculin et de la hiérarchie sociale.

Une violence considérable et ses effets

Même si elle ne semble pas spécifique au service militaire turc et qu’on la retrouve dans toutes les armées, la violence incessante, arbitraire et brutale qui est exercée contre les jeunes recrues, tout particulièrement pendant la première période — celle des classes — constitue l’un des thèmes les plus saillants des témoignages.

Dès l’entrée dans la caserne, commence la description parfois difficilement soutenable de la violence exercée par ce qui apparaît comme une institution totale — rappelant les prisons, les hôpitaux psychiatriques, voire même les camps de concentration. Tous les éléments de la déshumanisation se déploient l’un après l’autre :

Tonte systématique de jeunes recrues, mise à nu pour l’examen “médical”, traitement anonyme et pluie d’injures. Les uniformes grotesques, de taille inadaptée, l’entassement dans des lieux inconnus, l’obligation d’user d’un langage hiérarchique et dépersonnalisant, organisent l’humiliation et le dépouillement de l’individualité, provoquant un sentiment d’aliénation poignant chez la plupart des recrues. Ces premiers mois de classes sont faits d’appels interminables dans l’aube glacée, d’humiliations incessantes et de violence physique permanente. Beaucoup évoquent cette période avec horreur, soulignant que la principale tactique possible pour la supporter consistait, ils s’en sont vite rendu compte, à “devenir intelligent”, c’est-à-dire accepter de courber l’échine et de ramper.

Non seulement les récits rapportés sont choquants, mais Pınar Selek souligne les effets traumatiques à moyen terme de ces violences, qui induiraient un certain nombre de comportements durables. Pour qui s’intéresse aux effets psychodynamiques de la torture — comme j’ai eu l’occasion de le faire [2]— il est particulièrement significatif de retrouver chez les recrues le syndrome “d’impuissance apprise”, qui converge avec l’idée de “devenir intelligent” et consiste à ne pas réagir devant l’insupportable, à se laisser faire quand l’on n’a manifestement pas le rapport de force.

Cependant, les recherches en psychologie sociale montrent bien que la violence n’a rien d’une “pulsion” pré ou a-sociale : elle n’existe que grâce à un contexte matériel et idéel (des mécanismes de justification et de légitimation) qui lui donne sa forme et son sens [3]. En ce sens, il est intéressant d’analyser la rationalisation par les soldats des violences subies, sur laquelle Pınar Selek revient plusieurs fois. Comme on l’a vu, un des mécanismes de légitimation consiste pour les jeunes recrues à penser que la violence des gradés exprime un “amour” paternel, qu’elle est justifiée par un principe supérieur, “maintenir l’ordre” et défendre la Patrie. Le caractère “inévitable” de la relation où s’exercent les violences et la légitimité sociale des personnes maltraitantes joue également un grand rôle dans l’organisation de la violence du service militaire, dans son acceptation et dans ses effets.

Ne pas se laisser aveugler par les larmes des hommes

Le constat de l’importance considérable de la violence peut conduire à deux séries d’interprétations. La première consiste à compatir avec les malheureux Mehmetçik ainsi maltraités, violentés et meurtris. Cependant, ce regard empathique envers des jeunes hommes malmenés, voire brisés par une structure totalitaire, peut conduire à plaindre les soldats en mettant en avant leur humanité mais en oubliant tout contexte. Par exemple, on souligne que des hommes pleurent et on en déduit que ces larmes signifient qu’ils souffrent même si c’est parce qu’ils viennent de brutaliser une jeune recrue. De l’empathie choquée à l’idée que les hommes sont victimes, puis du victimisme à l’indulgence, le glissement est facile. En considérant les ex-soldats comme traumatisés, victimes d’un effet retard des sévices endurés qui les conduirait malgré eux à reproduire la violence, on peut en arriver à comprendre, voire à justifier, les violences que certains exercent ensuite envers leurs subordonnés dans l’armée, puis éventuellement comme époux, pères ou “hommes” dans la vie civile. L’idée de la violence traumatisante les dédouanerait au moins partiellement de leur responsabilité.

Or, cette lecture est précisément celle des groupes masculinistes [4], groupuscules ultra-conservateurs qui ont développé des lectures victimisantes d’abord des violences, puis plus généralement de l’ensemble des contraintes que la socialisation masculine impose aux hommes, sans les relier à l’acquisition d’un statut dominant. Dans leur interprétation, la violence, l’homosocialité et le déploiement de certaines pratiques homosexuelles occupent une place particulière. S’appuyant notamment sur le travail déjà mentionné de Maurice Godelier, La production des Grands hommes [5], certains insinuent que la socialisation masculine dans les sociétés occidentales ressemble à l’initiation des hommes Baruya — où les aînés imposent aux plus jeunes une brusque séparation du monde des femmes, une violence soudaine, brutale et terrifiante, l’apprentissage de la douleur et l’ingestion de sperme répétée, dans l’entre-soi de la Maison des hommes. Selon eux, la virilité serait produite par la violence exercée par les hommes plus âgés sur les plus jeunes et la manipulation homophobe de l’homosocialité. Ils placent l’accent sur la souffrance des jeunes hommes et évacuent entièrement la question des femmes elles-mêmes. Or Godelier, bien au contraire, souligne surtout la violence que les hommes Baruya exercent collectivement contre les femmes — l’objet de son livre étant justement d’analyser les ressorts de la domination collective des hommes sur les femmes, la “production sociale” de cette domination. En réalité, ce que Godelier met en lumière, c’est la double construction des hommes comme classe sociale, et comme classe dominante.

En plein développement aujourd’hui, les travaux sur la masculinité sont sans cesse menacés de glisser —involontairement ou délibérément — vers des lectures masculinistes qui individualisent et déresponsabilisent les hommes, voire les posent en victimes, effectuant des symétrisations hâtives entre femmes, hommes, homosexuels et trans (en invisibilisant complètement les lesbiennes). Pourtant, ces groupes sont très clairement hiérarchisés dans la société réelle et définis les uns par rapport aux autres dans des rapports d’oppression. En misant le livre de Pınar Selek, il faut nous garder de cet écueil. Certes, les dominant-e-s souffrent aussi. On ne naît pas homme, et pour le devenir il faut payer son écot — mais c’est une souffrance qui “vaut la peine”. Comme nous allons le voir, la violence infligée aux (futurs) dominant-e-s par d’autres dominant-e-s n’a qu’une ressemblance superficielle avec celle infligée par les dominant-e-s aux dominé-e-s.

Une violence contrôlée et pédagogique

La lecture attentive des récits montre qu’en réalité, le déferlement apparemment arbitraire de brutalité est tout ce qu’il y a de plus organisé — des règlements précis lui imposent d’ailleurs certaines limites. Savamment contrôlé, il évoque un processus de conditionnement qu’on peut rapprocher, par exemple, de l’entraînement méthodique des Kaïbiles, les soldats contre-révolutionnaires “d’élite” des années 80 au Guatemala. Basée sur une première phase d’humiliation et de violence suivie d’une promesse d’impunité totale, cette formation synthétisant les connaissances de l’OAS, des dictatures du Cône Sud et de l’armée états-unienne [6] transformait des hommes “normaux”, souvent Indiens et paysans, en terrifiants assassins capables, à froid, d’arracher avec leurs dents la tête d’un coq vivant, pour traumatiser la population civile.

Le travail passionnant de l’activiste-artiste états-unienne Coco Fusco [7] converge avec cette perspective d’analyse. Profondément choquée par la “révélation” de la torture exercée par des femmes à Abu Graïb, Coco Fusco a voulu comprendre comment des personnes lambda devenaient des tortionnaires accompli-e-s. Pour approcher de vrai-e-s profesionnel-le-s, elle s’est intéressée au business en pleine expansion développé par d’anciens militaires et policiers revenus d’Afghanistan ou d’Irak, qui consiste à proposer des formations de résistance à la torture aux travailleur-e-s expatrié-e-s des ONGs et entreprises envoyé-e-s dans des pays “dangereux”. Or, tous les spécialistes le savent, pour comprendre pleinement les logiques de la torture, rien de tel que d’expérimenter les deux côtés de la violence.

Précisément, les récits rapportés par Pınar Selek montrent bien qu’après la cérémonie du serment, les soldats recyclent rapidement l’expérience de la violence qu’ils ont traversée pour l’exercer à leur tour, consciencieusement, sur les nouveaux “bleus”. Loin de l’image de victimes déboussolées d’une violence qu’ils reproduiraient de manière involontaire et erratique, ces hommes s’avèrent pour la plupart parfaitement capables de ne pas être violents tant qu’ils sont en position dominée, mais aussi d’exercer la violence à leur tour dès que leur position hiérarchique supérieure leur confère la légitimité nécessaire. Ainsi, la lecture psychologisante d’une violence incompréhensible qui s’entretiendrait toute seule en produisant des séquelles individuelles conduisant à d’autres comportements violents incontrôlables, échoue à expliquer les pratiques réelles d’exercice ou d’abstention de la violence. En restant au niveau purement individuel et comportementaliste, elle masque l’organisation d’un véritable entraînement à subir puis infliger la violence, à contrôler son administration. Surtout, elle nous détourne de l’acteur qui organise cet entraînement — l’institution militaire et in fine, l’État-nation.

L’acceptation de la hiérarchie comme clé de la production de la classe des hommes

Voyons maintenant ce qui apparaît lorsque l’on parvient à aller au-delà des larmes des hommes. Au bout de trois mois, on l’a dit, les Mehmetçik quittent le rang des “bleus” pour devenir des soldats à part entière. Une nouvelle vie commence pour eux, dans laquelle ils peuvent se décharger des pires corvées sur une nouvelle génération de recrues à qui ils font subir à leur tour vexations et brimades. Même si certains ont des états d’âme, il s’agit globalement d’un mécanisme bien huilé donc le fonctionnement repose sur un renouvellement permanent des soldats “à la base” et sur la progression prévisible de chacun dans la hiérarchie, par le simple effet du temps passé dans l’armée.

La violence pour rendre la hiérarchie désirable

Pınar Selek insiste sur l’importance de la hiérarchie, comme étant l’un des apprentissages essentiels du service militaire. Or, c’est grâce à un mécanisme en deux temps que le service militaire inculque aux jeunes hommes la désirabilité — et du coup, la légitimité — de la hiérarchie. D’abord, en leur faisant subir la violence brutale et massive déjà analysée, qui leur donne le désir de quitter cette position au plus vite, tout en leur fournissant une connaissance intime de la violence qui leur sera utile par la suite. Puis, immédiatement après, en leur donnant le droit d’exercer à leur tour, de manière parfaitement légitime, leur violence sur d’autres soldats plus jeunes, droit qui repose sur leur avancement automatique dans la hiérarchie. Autrement dit : sans hiérarchie, pas d’espoir de cesser de subir la violence ni de pouvoir l’exercer à son tour !

Au lieu d’une violence aveugle et incompréhensible, on voit alors apparaître différents rôles de la violence organisée du service militaire : enseigner à ceux qui la subissent comment l’exercer ; rendre désirable, pour l’éviter, l’ascension rapide dans la hiérarchie, en légitimant la hiérarchie elle-même ; et en prime, aveugler les recrues tout comme le regard extérieur sur ce qui se passe réellement dans l’institution militaire.

Il faut remarquer que les traumatismes potentiellement engendrés par les violences sont minimisés dans le cas du service militaire par la certitude que la violence n’est que passagère. On l’a dit, la violence n’est pas une entité transcendante possédant un sens et des effets universels et atemporels : le sens que donnent les personnes à des gestes dépend éminemment du contexte dans lequel ces gestes sont effectués [8]. Chacun-e sait que dans un cadre S/M consensuel, le pincement appuyé d’une partie sensible du corps ou une humiliation sont vécus de manière très différente de ce qu’ils évoqueraient dans une cellule [9].

Des liens entre hiérarchie, exemption des corvées, vie civile et professionnelle

La survisibilisation de la violence à laquelle il faudrait à tout prix échapper peut également cacher un autre mécanisme clé du désir de progresser dans la hiérarchie : l’exemption des corvées que dans la vie civile, on nomme “travail domestique”. On retrouve ici à nouveau certains éléments analysés par Devreux [10]. Celle-ci n’avait pas manqué de s’étonner de l’apparent paradoxe qui veut que les hommes accomplissent dans l’armée des tâches qu’ils ne font “jamais” gratuitement dans la vie civile — cuisiner, laver leurs vêtements à la main, faire leur lit au carré ou balayer avec application. Or, Devreux utilise le même genre de grille d’analyse que celle de Godelier : non pas l’inculcation individuelle d’une “masculinité” somme toute difficile à cerner, mais la production sociale et collective des hommes comme dominants. Elle constate du coup que les soldats acceptent d’autant mieux d’effectuer ces tâches humiliantes car assimilées aux tâches domestiques réputées féminines, qu’ils savent qu’il s’agit d’une simple parenthèse dans leur vie.
En effet, quand ils se rendent en permission, ils trouvent tout naturel de confier à nouveau leur linge sale à leur mère/compagne/sœur. Surtout, Devreux a souligné qu’au sein de l’institution militaire elle-même, se décharger de ces tâches sur des soldats moins gradés constituait une puissante motivation pour tenter de monter dans la hiérarchie.
En d’autres termes, les hommes comprennent tout l’intérêt de la hiérarchie en découvrant qu’elle leur permet d’échapper aux corvées du travail domestique.

Enfin, l’apprentissage de la hiérarchie entre hommes — la connaissance précise et l’acceptation de la place que l’on y occupe — peut être aisément mobilisé et constitue pour les hommes un “plus” dans d’autres domaines de la vie sociale, en particulier dans la vie professionnelle. La féministe dominicaine Magaly Pineda [11] suggéra un jour que la pratique assidue du football, en équipe, ancrait chez les garçons des habitudes d’agir ensemble efficacement, chacun à sa place, habitudes qu’ils pouvaient ensuite facilement recycler dans d’autres espaces. Andrée Michel pour sa part a bien montré l’existence de liens profonds entre l’emploi civil et le complexe-militaro-industriel, notamment dans le domaine de la taylorisation du travail induite par les logiques de production de l’industrie militaire [12]. En tout état de cause, l’acquisition à travers le service militaire d’un ensemble de qualifications techniques mais aussi de savoir-être (en particulier la docilité et le conformisme tant que l’on ne peut progresser dans la hiérarchie), s’avère extrêmement importante pour l’insertion privilégiées des hommes sur le marché du travail.

Produire la classe des hommes

Comme on le sait depuis la critique fondatrice du naturalisme par Colette Guillaumin [13], femmes et hommes ne sont pas des catégories naturelles mais des construits sociaux, plus précisément des classes de sexe [14]. L’une des grandes difficultés des femmes, comme l’avait déjà souligné Flora Tristan en affirmant qu’elles devaient elles aussi “faire leur 89” et se structurer en classe [15], est d’acquérir une conscience commune. Généralement séparées les unes des autres dans leurs unités familiales, elles n’ont que peu d’occasions dans les sociétés dites complexes, d’accéder à des expériences collectives et exclusives qui les “souderaient”. Pour les hommes en revanche, le service militaire tel que Pınar Selek nous le donne à voir, se révèle une pièce clé du dispositif qui les transforme en membres d’une classe de sexe unifiée, consciente d’elle-même — et dominante.

Ainsi, le service militaire permet d’abord de réunir matériellement les hommes et de les unir symboliquement dans une idéologie patriotique commune hautement valorisée, sous l’œil ému des familles. Il permet de dépasser momentanément leurs profondes différences de classe et de “race”. L’important est de créer une unité apparente, organisée ici autour d’un critère somatique précis : sont potentiellement admis dans ce groupe, pour peu qu’ils fassent un effort d’adaptation-simulation-conformité durant quelques mois, tous les porteurs de pénis, et eux seuls. L’exclusion radicale et systématique des femmes définit en creux la classe des hommes et surtout lui donne sens. C’est en effet l’existence des femmes et simultanément leur exclusion qui rend acceptable, pour les hommes, leur nécessaire période en tant que “bleus”. En effet, les hommes peuvent accepter de passer un moment au plus bas de la classe des hommes, parce qu’ils savent pertinemment qu’il y a encore quelqu’un en dessous d’eux — l’ensemble des femmes. Cela rend beaucoup plus supportable leur position subordonnée de « bleus », de toute façon assez brève (90 jours dans une vie). Cette idée rejoint ce que Paola Tabet [16] appelle “la grande arnaque”, lorsqu’elle montre que l’homme le plus misérable et dominé trouve presque toujours la possibilité, au moins, de s’offrir une pute [17].

Jules Falquet, 2013. Préface au livre de Pinar SELEK, Devenir homme en rampant, Paris, l’Harmattan.

Le site de Jules Falquet : lire le document intégral

[1suite aux menaces proférées par l’instigateur présumé du meurtre de Hrant Dink (Important intellectuel, journaliste et écrivain arménien dont l’assassinat en janvier 2007 a indigné l’opinion), contre le romancier Orhan Pamuk et l’ensemble des écrivain-e-s et intellectuel-le-s du pays, au moment où il sortait du tribunal

[2Falquet, Jules, 1997. "La violence domestique comme torture, réflexions sur la violence comme système à partir du cas salvadorien". Nouvelles Questions Féministes, Vol. 18, 3-4, pp 129-160.

[3Bandura, Albert,1975, Análisis del aprendizaje social de la agresión. In Ribes Iñesta, Emilio ; Bandura, Albert (compilateurs) (1975). Modificación de la conducta : análisis de la agresión y de la delincuencia. México : Trillas.

[4Illustration de la facilité de « glisser » d’une position critique à une position complaisante : historiquement, un courant du masculinisme trouve sa source chez des hommes se considérant pro-féministes et progressistes, qui s’interrogeaient sur leur « être masculin » : Blais, Mélissa ; Dupuis-Déri, Francis, (eds.), 2008. Le mouvement masculiniste au Québec. L’antiféminisme démasqué, Montréal, Les Éditions du remue-ménage, p. 258.

[5Godelier, op. cit.

[6Robin, Marie-Monique. 2004. Escadrons de la mort, l’école française. Paris : La Découverte. 456 p

[7Fusco, Coco, 2008, Petit manuel de torture à l’usage des femmes-soldats, traduit de l’américain par François Cusset, Paris, Les Prairies ordinaires, 128 p.

[8Martín Baró, Ignacio (compilateur). 1990. Psicología social de la guerra : trauma y terapia. San Salvador : UCA.

[9Même si des liens complexes peuvent être culturellement établis entre les deux situations.

[10Devreux, Anne-Marie, 1997, « Des appelés, des armes et des femmes : l’apprentissage de la domination masculine à l’armée », Nouvelles Questions Féministes, Vol. 18, No. 3/4, pp. 49-78.

[11Commentaire lors d’un atelier de réflexion féministe, San Salvador, novembre 1993.

[12Michel, op. cit.

[13Guillaumin, Colette. Sexe, race et pratique du pouvoir. L’idée de Nature. Paris : Côté-femmes.

[14Ces deux classes sont dialectiquement liées par les rapports sociaux de sexe, organisés en l’occurrence par le sexage, ou appropriation physique directe, individuelle et collective.

[15On verra aussi à ce sujet le travail théorique d’Elsa Galerand sur la mobilisation d’un collectif de « femmes » dans le cadre de la fédération internationales de groupes de femmes la Marche mondiale des femmes : Galerand, Elsa. 2006. « Retour sur la genèse de la Marche mondiale des femmes (1995-2001). Rapports sociaux de sexe et contradictions entre femmes ». Travail et mondialisation. Confrontations Nord/Sud. Cahiers du Genre, n°40. Pp 163-202.

[16Tabet, Paola. 2004. La grande arnaque. Sexualité des femmes et échange économico-sexuel. Paris, l’Harmattan, 207 p.

[17En général, une membre de la classe des femmes, éventuellement, un homme socialement féminisé.


COMMENTAIRES  

02/01/2014 13:59 par Lionel

Jules Falquet nous parle de "Devreux" un peu comme s’il citait Marx et qu’il ne puisse pas s’agir de Groucho...
C’est après quelques recherches pas simples que j’ai fini par supposer qu’il parle de Anne-Marie Devreux, sociologue et chercheuse au CNRS, ayant travaillé sur les difficultés masculines et résistances au changement face à la question de l’égalité des sexes... ouf !
Un petit renvoi sur un ouvrage de cette auteure aurait été souhaitable.
Ce texte me donne une impression d’inachevé, une élaboration d’analyse qui ne dit pas son nom, qui évite les mots. Par exemple pourquoi ne pas tenter la vision clinique de "l’initiation" par certaines formes de violences pratiquées au cours du service militaire mais également au sein de certaines "grandes écoles" ou même entreprises ?
Mais dans ce cas, le travail aura été fait depuis fort longtemps par des psychiatres, psychologues, sociologues et anthropologues dans un cadre de recherches autour de l’ethnopsychiatrie et leurs conclusions ont des répercussions et références dans le domaine politique.
Là, rien qui nous guide, les hommes se transmettent un pouvoir d’exercer la violence comme moyen de domination sociale, le foot en est un des vecteurs et... ???
Il ressort comme une pudeur à ne pas employer les bons mots, en particulier savoir dire que la violence n’a d’autre objectif que la création de non-sens et la dépersonnalisation, appelant un besoin d’affiliation susceptible de redonner sens à travers une nouvelle grille d’analyse.
La torture n’a d’autre objectif que de fabriquer des tortionnaires.
Et si les conséquences sur la vie sociale et sur les femmes sont prégnantes, il faut aussi s’interroger sur l’absence d’initiation, la violence sociale en est-elle moindre ?
La passation des pouvoirs est une règle acceptée et service militaire ou pas, violence subie ou pas, l’ensemble de nos sociétés admettent implicitement les arcanes et mécanismes subtils de l’exercice de la domination masculine.
La transmission initiatique par le traumatisme est une des plus anciennes techniques pratiquées par les Humains mais elle n’est pas la condition sine qua non de la perpétuation d’une société machiste !

02/01/2014 14:34 par Le Grand Soir

Un petit renvoi sur un ouvrage de cette auteure aurait été souhaitable.

Merci pour votre remarque. Une note apparaissant dans ce passage du texte original... :

Il existe relativement peu de travaux féministes centrés sur l’armée et la police. Ils sont généralement produits dans des pays qui ont entamé une progressive incorporation des femmes dans ces institutions, pour analyser les effets de cette ouverture. En France, signalons surtout une récente recherche de Geneviève Pruvost sur les femmes policières[9], et l’enquête pionnière d’Anne-Marie Devreux[10] sur les appelé-e-s du contingent. Ces travaux posent deux questions centrales : l’instauration de la mixité dans la police ou dans l’armée change-t-elle en profondeur, d’une part ces institutions, d’autre part les femmes et les hommes qui les composent ?
[10] : Devreux, Anne-Marie, 1997, « Des appelés, des armes et des femmes : l’apprentissage de la domination masculine à l’armée », Nouvelles Questions Féministes, Vol. 18, No. 3/4, pp. 49-78.]

...sera rajoutée dans cet article qui, comme précisé dans le chapeau, présente des extraits de l’analyse de Jules Falquet, et par conséquent ne rend pas compte de l’intégralité des propos de l’auteure.

02/01/2014 19:09 par Lionel

Il fallait en effet se référer au texte intégral pour éclairer un peu notre lanterne pour ce qui concerne les intentions idéologiques de Jules Falquet ( dont le nom est trompeur, il s’agit d’une femme enseignante en supérieur et spécialiste des questions de genre -transsexualisme- ).
Sa vision est pour le moins étonnante de la part d’une sociologue qui nous assène des vérités sans argumenter et en rejetant sans autre forme les bases de travail scientifique de toutes les études cliniques autour de la violence et du traumatisme psychique !
Pour l’avoir étudiée, je n’ai pas eu connaissance que Françoise Sironi, psychologue clinicienne et chercheuse spécialiste du trauma chez les anciens combattants et des conséquences de la torture chez les victimes et les bourreaux, donne de quelconques excuses à ses patients.
En revanche elle trace des pistes qui conduisent à des questions de transmissions par le phénomène initiatique, d’un esprit de groupe et donc de volonté d’affiliation à ce groupe.
J’ignore où conduit ce nouvel obscurantisme mais il est certain qu’il nous sera difficile de rencontrer un clinicien utilisant le trauma de l’un de ses patients pour en alléger la responsabilité comme bourreau !
La ligne « masculiniste », rien que ça, qui se révélerait un mouvement entriste pour déstabiliser le féminisme ??? Le tout sous couvert de féminisme ???
C’est sacrément tordu comme méthode pour échapper au raisonnement scientifique !

02/01/2014 23:21 par Dominique

« Cette idée rejoint ce que Paola Tabet [16] appelle “la grande arnaque”, lorsqu’elle montre que l’homme le plus misérable et dominé trouve presque toujours la possibilité, au moins, de s’offrir une pute [17] ».

Tout ce texte pour en arriver là. Apparemment, l’auteur ne sait pas que dans tous les pays du monde, il y a des hommes qui ont compris le rôle de l’armée et qui refusent de la faire ou qui sont assez futés pour se faire virer en douceur. Ni qu’il y a encore plus d’hommes qui, suite à une scène de ménage disent qu’ils vont s’acheter des cigarettes, ne vont pas en plus s’offrir une prostituée.

Enfin, je trouve l’analyse de W. Prescott sur les causes de la violence non contrôlée chez l’adulte beaucoup plus intéressante, et elle date déjà des années 70. Pour Prescott, les causes de la violence sont au nombre de 3 :

* Privation sensorielle des nouveaux-nés - ceux-ci ont besoin de preuves physiques de l’amour que leur portent leurs parents, bisous, câlins, tendresse, massages, etc.

* Privation sensorielle des adolescents - leur sexualité est la leur et il leur appartient de la découvrir entre eux. Les parents n’ont pas à la brimer.

* Les religions organisées qui toutes véhiculent les tabous qui sont à l’origine directe des deux premières causes.

L’armée comme la religion sont deux instruments de la classe dominante pour exercer son pouvoir d’asservissement des peuples. Il n’est dés lors pas étonnant de constater que l’armée et ses brimades viennent à la fin de l’adolescence, la période la plus délicate du développement d’un humain, et que l’armée ne fait en fait que couronner l’oeuvre des religions qui consiste à transformer un être social et empathique en son contraire absolu, un frustré incapable de dominer l’usage qu’il fait de sa violence.

04/01/2014 12:25 par Sheynat

La préface de Jules Falquet sur le livre « Devenir un homme en rampant » récemment publié en français, donne un aperçu des analyses sociologiques de Pinar Selek (réalisées avec l’aide de collègues hommes) à travers 85 entretiens.

Il me semble utile de rappeler que c’est en tant que sociologue qu’elle ausculte les rapports de domination, ici dans le domaine précis de l’armée, et en établit le lien avec les rapports de domination dans un contexte plus large, du domaine des classes de sexe.

Donc, plutôt que d’opposer son magistral travail à celui des psychologues, ou encore de lui reprocher de n’avoir pas abordé les études cliniques qu’ils ont faites et de n’avoir pas interrogé le phénomène de l’initiation dans d’autres contextes de domination, on peut y voir un apport supplémentaire et complémentaire aux travaux déjà effectués sous une approche psychologique, et se passer modestement (d’autant plus quand on n’a pas lu l’ouvrage en question) d’asséner des médisances et autres allégations arbitraires, telles que « méthode pour échapper au raisonnement scientifique » : qu’est-ce qui en effet, permettrait de déterminer qu’une étude sociologique ne serait pas aussi scientifique qu’une étude psychologique ?

Par ailleurs, la victimisation complaisante des tortionnaires qui y est désapprouvée, est celle du discours d’un nouveau mouvement antiféministe (oui, rien que ça) dénommé « masculiniste ».
J’invite à se renseigner sur les visions « idéologiques » de ce courant, ici par exemple on y découvre le déni des violences majoritairement faites aux femmes.

Si cela peut aider à cerner « l’intention idéologique » de l’auteure du livre (Falquet n’a fait que la présenter, j’insiste), on peut apprendre que Pinar Selek est une résistante, féministe, militante pour la paix et activiste de gauche.
Elle a n’a pas fait qu’observer les minorités marginalisées (tziganes, SDF, prostituées, et, oui, travestis et trans-sexuels), elle a participé activement à partager leurs expériences et à mettre en place des actions d’aide et de solidarité.
Quand je vois tout ce qu’elle a déjà entrepris et ce, malgré qu’elle a passé aussi du temps en prison, qu’elle a été torturée (pour lui faire lâcher des noms qu’elle ne livrera pas), et ensuite traquée, victime depuis 15 ans d’une accusation mensongère de terroriste et d’un système judiciaire corrompu , et qu’elle a récemment fini par fuir son pays après que son ami soit assassiné, c’est le genre de personne que j’ai envie de saluer respectueusement.

En plus de par l’attrayante présentation qui en est faite, j’aurais plutôt tendance à porter crédit à ses travaux sur le terrain, du fait de son vécu, riche de ses expériences et de son savoir, au lieu de rouméguer et juger hâtivement d’obscurantisme.

J’ai trouvé, pour ma part, intéressant qu’il soit dégagé deux types de domination exercée majoritairement pour et par les groupes construits sur un schéma dit « virilisé » :
- l’une, volontairement brutale, organisée et contrôlée, expérimentée dans un espace précis, d’autant plus acceptée par ses victimes qu’on sait qu’elle est temporaire, et que les victimes joueront à leur tour leur rôle de tortionnaire.
- l’autre, souvent définie comme « naturelle » et « aller de soi » tant elle est imprégnée dans les codes sociaux, peut se décliner sous multiples formes de violences, ses effets d’asservissement sont constants, dans un espace infini, et si elles s’exercent principalement contre les groupes féminins, c’est dans l’assourdissant silence de la longue échéance de cette domination.

Ce qui est chronique finit par passer inaperçu et devenir, certes, « une règle acceptée », mais les pistes de causes dans l’institutionnalisation du premier type de domination permet de démentir l’origine « naturelle » qu’on lui prête, et de pointer le rôle essentiel de la construction sociale (à laquelle les femmes tortionnaires n’échappent pas non plus, comme cela est précisé en conclusion de la préface entière, si on se donne la peine de la lire -ça c’est pour Dominique) : ce qui, à mon avis, offre, de fait, les pistes pour s’en libérer, en construisant autrement.
Défaire ces paramétrages dans les institutions serait un premier pas. C’est pour cela que je considère, d’après la présentation qui en est faite, que l’analyse de Pinard Selek va bien plus loin que « La torture n’a d’autre objectif que de fabriquer des tortionnaires ».

04/01/2014 16:35 par Lionel

@Sheynat, tout d’abord merci, les points soulevés sont majeurs.
Les pratiques initiatiques n’ont pas pour fonction d’activer des liens de domination mais bien d’égalité, du moment de l’initiation naît un être semblable.
L’initiation des jeunes gens de sociétés traditionnelles n’a d’autre fonction que de permettre l’entrée dans le monde des adultes et de simplement s’y sentir un membre parmi les autres.
Il s’agit donc bien de fabriquer des groupes ( sociaux, culturels,...) grâce à un procédé de besoin d’affiliation permettant de donner sens aux épreuves subies.
Pour accepter ce nouveau sens, la "victime" ou le "sujet" devront traverser des situations de mise en danger ( réels ou fictifs ) physique et/ou psychique lui faisant perdre ses repères habituels face à des situations "normales", créant une absence de sens à donner au "pourquoi ?" et un besoin vital de ne pas se sentir exclu de la communauté humaine au prix de la folie.
Donc un besoin d’affiliation à ceux qui vont donner naissance au nouvel être et d’une rupture avec ce qui existait.
L’initiation ne consiste pas à passer devant un jury, elle est nécessairement brutale et violente, le psychisme n’étant pas de la pâte à modeler.
Les bourreaux ne recrutent pas des candidats-bourreaux, ils les fabriquent sans que ceux-ci en soient avertis, ils sont pris au hasard ( incompréhension, terreur, souffrances ) et lorsqu’ils auront rejoint le groupe des initiateurs ils pratiqueront (éventuellement ) la torture à leur tour sans lui donner plus de signification que celui de savoir que certains passent par là, c’est ainsi !
Une fois passés dans le monde des adultes, les (ex)enfants rient de bon cœur avec leur semblables de ce par quoi ils sont passés et sont implicitement liés au secret absolu pour que les enfants restent très impressionnés par l’idée de la future initiation.
La création de non-sens reste la clé et quand une personne est victime de brutalités morales et de harcèlement, le plus marquant est le "pourquoi ? " et le "pourquoi moi ?", c’est ce qui va précipiter la chute psychologique, incapable de partager ce sentiment d’accablement, d’autant que bien souvent le harceleur se montrera par ailleurs une personne charmante.
Je reste au masculin malgré la réalité des pratiques guerrières, peut-être est-ce un aspect résiduel de la société patriarcale, les femmes sont nettement moins nombreuses à pratiquer les violences morales et physiques et sans doute que cela fait partie des revendications des masculinistes que dénoncer les violences conjugales faites aux hommes (...).
La fabrication de tous ces êtres victimes n’a pas de dessein particulier autre que la transmission pour la perpétuation d’un système, permettre qu’ainsi une société donnée se survive à elle-même, que les membres de cette société soient semblables dans leur vécu et que cela soit suffisant pour rendre un groupe cohérent.
Et à aucun moment les victimes ne savent si c’est une épreuve temporaire, seuls les bourreaux le savent, la force réside dans la surprise, si une victime sait que "c’est son heure" elle pourra offrir des résistances et le résultat ne sera pas celui souhaité, les mondes des initiés et non-initiés ne se côtoient pas, ils sont étanches.
Pourquoi mettre en avant les travaux cliniques ?
Parce qu’ils sont seuls à mesurer l’impact des violences sur le psychisme et pouvoir décrire le processus qu’elles auront engendré, l’anéantissement d’une personnalité ou sa résurrection grâce au processus initiatique.
La psychologie ne donne pas d’échelle de responsabilité entre un bourreau et un autre, les bourreaux ne sont pas des fous et rien ne peut les émanciper de leurs responsabilités, pas même leur initiation.
Invoquer cet argument me semble pour le moins déraisonnable, je ne vois pas en quoi ce mouvement masculiniste aurait un impact et une existence suffisants pour dénier le phénomène de passation par l’initiation, l’un n’exclue pas l’autre et en dehors peut-être de journalistes, qui parle de victimisation complaisante ?
Les Tribunaux ?
Les juges ne sont pas des scientifiques et tous les témoignages ne peuvent être que sous l’emprise de la passion et des souffrances engendrées avec une lecture idéologisée.
Seule une lecture du "comment ?" et non plus du "pourquoi ?" permettra d’y voir clair et la psychologie clinique est là pour ça !
Pas question de dénigrer ou ne pas respecter le travail de cette femme, son vécu ne lui donne pas crédit en soi !
Je conteste le sens qui est donné à cette étude, je conteste l’intentionnalité, un conjoint violent ou manipulateur n’a pas d’intention, un parent battant n’en a pas, un cadre harceleur non plus, ils perpétuent ce à quoi il ont été initiés, ils n’ont pas conscience du système persécuteur ou ils sont des pervers et la question devient autre.
J’ai vu et vécu des situations semblables dans un cadre de service militaire en France, où les "fortes têtes" étaient confiées à des anciens d’Algérie et d’Indochine, les schémas sont les mêmes bien que les sévices ne soient pas comparables, les injures et humiliations, les souffrances physiques, l’isolement arbitraire, les réveils à coups de poings au milieu de la nuit et les armoires vidées par terre, les pompes sur le béton avec le fusil dans les mains fermées, de préférence vous seul face aux autres accentuant la souffrance et le non-sens.
Tout ça pour quoi ?...
Plus de guerre en Algérie, plus de populations à terroriser, alors qu’en attendaient-ils ?
Mais rien, absolument rien, ils ne faisaient que leur boulot, ce pour quoi on les avait fabriqués.
Et tirer des conclusions de ces expériences n’aurait aucun sens, il ne s’agit que d’un témoignage qui n’est pas forcément un outil, qu’il est indispensable de décortiquer pour en examiner le cœur, le remettre dans son contexte.
Je crois que le fond du débat est le sens à donner à la transmission ( parent-enfant ) et en fait ce que je redoute et que je sens sous-jacent est la négation du rôle fondateur de la transmission culturelle-familiale bien avant le grand bain social global...
Être militant humaniste et féministe de gauche n’est pas un garant de réflexion correcte et d’une absence de marquage idéologique.
Pardon d’avoir semblé manquer de modestie...

04/01/2014 17:43 par quimporte

Merci Sheynat pour les liens. Je n’ai pas pu lire l’article en entier, parce qu’il me rappelle un film que je n’ai pas pu voir : le Mur de Yılmaz Güney. J’ai dû quitter la salle quand j’ai pris conscience que j’étais sur le point de me mettre à hurler. Dans ce film, ce ne sont pas des militaires adultes qui sont victimes de sévices et de brimades innommables, mais des enfants, des enfants incarcérés dans une prison turque.

La vie de Pinar SELEK, rappelle aussi celle de Yılmaz Güney. J’espère cependant que la sienne sera plus longue.

Pour un bref aperçu de ce que furent la vie et l’oeuvre de Yılmaz Güney :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Y%C4%B1lmaz_G%C3%BCney

Et si vous avez l’occasion de voir l’un de ses films, n’hésitez pas.

05/01/2014 00:47 par Sheynat

Les pratiques initiatiques n’ont pas pour fonction d’activer des liens de domination mais bien d’égalité, du moment de l’initiation naît un être semblable.
L’initiation des jeunes gens de sociétés traditionnelles n’a d’autre fonction que de permettre l’entrée dans le monde des adultes et de simplement s’y sentir un membre parmi les autres.

Lionel, lorsque vous évoquez les initiations des sociétés traditionnelles, je suppose qu’aucun enfant (et je pense aux filles, voyez-vous) n’en est exclu, aucun n’est écarté de la possibilité de devenir un membre semblable au groupe, ou bien ce n’est pas le cas ? Parce que si ce n’est pas le cas, pour moi il y a un gros problème au niveau de l’égalité.
Et l’effet en sera d’autant plus inégalitaire, que ceux admis et puis incorporés par ces initiations pourront créer une cohésion de groupe consolidée par ces « habitudes d’agir ensemble efficacement » dont seront écartés et isolés les non-initiés.
« la question des femmes est « évacuée » », pour reprendre le terme utilisé dans l’article à propos de rites initiatiques de la tribu des Baruyas d’après les études de Maurice Godelier.

J’ai bien peur qu’avec de tels cas de figure, on retrouve les configurations d’un groupe au statut dominant, certes géré sous mode « intra-égalitaire », et d’un groupe qui est en marge du premier, avec toutes les conséquences de rapport de domination qui peuvent se manifester à partir du moment où ces groupes sont dissemblables et « inter-inégalitaires » (suis pas sûre d’utiliser les termes adéquats mais je crois que vous comprenez ce que je veux dire).

Toujours dans l’hypothèse de l’existence d’un groupe résidu, exclu du groupe des ritualisés, pour son identité sexuelle, on peut facilement imaginer le scénario qui suivra dans le processus de transmission parentale : un des membres du groupe des initiés s’unira avec un des membres du groupe des non-initiés et formera le couple transmettant, aux premiers instants de relation parent-enfant, les règles déterminant le rapport inégalitaire pré-existant entre le groupe du père et celui de la mère, préalablement justifié par le rite initiatique. Ce « rôle fondateur de la transmission culturelle-familiale bien avant le grand bain social global » dont vous craignez qu’il soit fait l’impasse, est présenté dans l’article en ces termes :

« on peut en arriver à comprendre, voire à justifier, les violences que certains exercent ensuite envers leurs subordonnés dans l’armée, puis éventuellement comme époux, pères ou “hommes” dans la vie civile. »

C’est pourquoi j’aimerais savoir de quelles sociétés traditionnelles vous parlez.
En tous les cas, vos apports m’intéressent, et j’ai un vague souvenir de documentaires sur les rites initiatiques par exemple en Amazonie, donc je vais creuser un peu plus...
Tiens, d’après un article de Bourdieu, ces « rites de passage » devraient plutôt être nommés « rites de consécration » ou « rites de légitimation », ou encore, « rites d’institution », dans le sens que leurs formes temporelles masqueraient « un des effets essentiel du rite, à savoir séparer, non pas ceux qui l’ont subi de ceux qui ne l’ont pas encore subi, mais de ceux qui ne le subiront en aucune façon et d’instituer ainsi une différence durable entre ceux que ce rite concerne et ceux qu’il ne concerne pas. »

Bourdieu l’explique mieux que moi : les rites comme actes d’institution
Mais je ne fais que commencer cette lecture.

Vous témoignez d’un « non sens » des barbaries instituées dans le cadre militaire, or, elles ont aussi leur « rites de légitimation » d’après la préface de Jules Falquet :

« Comme on l’a vu, un des mécanismes de légitimation consiste pour les jeunes recrues à penser que la violence des gradés exprime un “amour” paternel, qu’elle est justifiée par un principe supérieur, “maintenir l’ordre” et défendre la Patrie. Le caractère “inévitable” de la relation où s’exercent les violences et la légitimité sociale des personnes maltraitantes joue également un grand rôle dans l’organisation de la violence du service militaire, dans son acceptation et dans ses effets. »

La légitimation donne du sens, et « les pratiques réelles d’exercice ou d’abstention de la violence » en démontrent l’intention. Même si c’est en faisant son boulot comme un robot, c’est l’intention de ce « on » qui est transmise. Dans votre « ce pour quoi on les avait fabriqués. », ce « on » est identifié dans l’article comme acteur qui organise cet entraînement — l’institution militaire et in fine, l’État-nation.
Donc si j’ai bien compris, vous dénoncez l’anéantissement d’une volonté ou d’une intention propre, ou altérée au profit d’une intention de système, on est bien d’accord ?
Est-ce aussi éloigné d’une organisation de groupe cohérent, ou chaque membre est semblable, transmettant un rite initiatique sans s’arrêter un moment en se frappant la tête sur le front et se demandant « mais punaise, qu’est-ce que je suis en train de faire, là, vis à vis des filles qu’on exclut à chaque fois de nos héritages sociaux exclusivement égalitaires, parce que « on », c’est à dire, la tradition de notre société, l’a décidé ainsi ? »

Si ces sociétés que vous prenez pour exemple n’excluent aucun membre, faites comme si je n’avais rien dit.

@ Quimporte : merci pour votre commentaire, je n’avais pas connaissance de Yılmaz Güney ni de ses œuvres : dès que je peux j’essaierai de voir un de ses films.

05/01/2014 17:46 par Lionel

@Sheynat, tout d’abord oui, je parle bien de rapports d’équivalence plutôt que d’égalité, les initiations des enfants ne sont pas réservées aux seuls garçons mais elles seront distinctes en reflet des ces sociétés traditionnelles qui marquent socialement les deux groupes hommes/femmes ayant chacun leurs prérogatives et leurs rôles définis.
Mais si par exemple dans des ethnies congolaises le mot "esclave" est employé à propos d’un membre de la famille, ça n’aura pas le moindre rapport avec ce que nous désignons comme esclavage, il s’agira d’une cousine ou une nièce ( la position est définie et je l’ignore ) qui aura une position privilégiée auprès d’un membre de la famille et qui sera souvent couverte de présents qu’elle s’empressera de redistribuer...
C’est (encore...) le monde "moderne" qui est venu pervertir une certaine relation homme/femme dans bien d’autres ethnies où il était inconcevable de maltraiter sa femme au risque d’une parfois sanglante répression de la famille. Ces mêmes femmes qui avaient ( ont ?) le droit de divorce, de remboursement de la dote et des indemnités.
Je tente de ne pas porter de jugement ou d’avoir une lecture idéologisée et je ne salis ni n’embellis la réalité et nos points de vues sur ce à quoi ces gens devraient aspirer est un débat qui les regarde.
Je pense que seules les femmes musulmanes sont habilitées à parler du port du foulard, du voile, intégral ou pas !
Mais les exemples dont vous parlez je ne les connais pas et il existe bien entendu des fractures dans les pratiques initiatiques, le rôle que l’on prédéfinit à tel ou tel membre d’une société dépend de sa structure, les sociétés secrètes n’existent que sous la forme de groupes de guérisseurs et tradipraticiens dans les sociétés traditionnelles dont je parle, les franc-maçonneries n’y ont pas cours.
Il y avait des rites d’initiation aux guerres rituelles réservés aux hommes mais en revanche seules les femmes étaient initiées aux secrets de l’architecture ( Afrique de l’Est ).
Alors peut-on dans ces contextes parler d’égalité ?
En tout état de cause ce qui nous apparaît n’est qu’un reflet d’autres réalités, dans nombre de ces sociétés les femmes ont un rôle fondateur et majeur, voire exclusif dans la transmission culturelle aux enfants, nous le voyons comme un abandon du domicile familial par le père et des femmes contraintes à ces situations de lourdes responsabilités...
Doit-on alors dire en énoncé que les initiations sont destinées à marquer des soumissions et des dominations ?
Je pense que l’unique contexte dans lequel ce serait incontestable, ce sont nos sociétés progressistes et uniformisantes où ces pratiques sont largement perverties et mises au services de pouvoirs, qu’il s’agisse de bizutages de "grandes-écoles", de clubs de sports, de l’armée...
Ce sont des objectifs issus de sociétés machistes et masculinistes qui ne peuvent que traduire les intentions de leurs initiateurs et créer ou accentuer la rupture homme/femme.
Mais je voulais surtout mettre l’accent sur le traumatisme engendré par le ou les rites qui découlent de la fabrication du non-sens qui crée un état de "fracture de l’enveloppe psychique" et une perméabilité aux injonctions consécutives.
Cet état est stable et seul un nouveau trauma plus fort que le précédent pourra répéter l’opération si l’initiation n’a pas été effective, efficiente par un apport de sens à donner au vécu.
C’est ici que se démarquent les destinations, d’un côté le bourreau et de l’autre une société d’humains qui accueille un nouveau membre.
Le différence sera donc dans les objectifs, ils seront culturels et cohérents ou sectaires et dominateurs.
Le principe initiatique ne peut donc être remis au rencart, son impact sur l’élaboration des sociétés de tous ordres est majeur, seule la destination nous donne la clé, magie noire ou magie blanche, sorcier ou guérisseur sont alternes et confondus, distinct et complémentaires, mais l’essentiel des initiations traditionnelles relie au groupe social alors que les pratiques occidentales séparent, isolent et font de la violence un principe, à l’encontre des femmes, oui !

06/01/2014 14:17 par Lionel

@Sheynat si vous repassez par ici...
Une autre façon de le dire : « p136 « Comprendre n’est ni justifier, ni disculper » [...] « pas de faux procès » [...] « des théoriciens de la psychologie sociale »[...] « leur intention est tout autre : nous amener à saisir que le jugement éthique est de peu d’utilité pour nous prévenir contre les effets potentiellement funestes de certaines formes d’obéissance. Autrement dit, il ne s’agit pas de mettre en cause le principe de la responsabilité sur lequel repose l’éthique, mais d’analyser le processus psychologique qui conduit les hommes , dans certaines circonstances, à neutraliser leur sens moral en faveur d’une autorité malveillante [Cf Cyrulnik, Laborit...] non pas pour justifier cette neutralisation, mais au contraire pour que nous soyons mieux préparés à y résister, à « défendre nos âmes » pour reprendre l’expression de Primo Levi. Il ne sert pas à grand chose de proclamer des grands principes éthiques si nous sommes inconscients de l’influence de causes puissantes qui, en pratique, conduit les hommes à les ignorer ou à agir à leur encontre.[...] « Les individus dociles et obéissants dont ils ont observé les comportements n’étaient ni des psychopathes, ni des pervers, ni des individus dénués de conscience morale mais des individus ordinaires. »[...] p137 « en sorte que leur conduite en dernier ressort nous renvoient à nous-mêmes »( Michel Terestchenko « Un si fragile vernis d’humanité »). »
http://www.legrandsoir.info/l-indien-dans-nos-tetes.html
Article de ce jour.

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