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Au Venezuela, la guerre économique ne sera pas médiatisée

L’économie vénézuélienne va très mal : inflation record, pénuries de produits de première nécessité... Pourtant le pays regorge de pétrole (et possède même les plus grandes réserves de la planète : 300 milliards de barils soit près de 18% des réserves mondiales). Comment expliquer alors cette situation ?

Faire hurler l’économie vénézuélienne ?

La presse dominante a une réponse toute simple à ce phénomène : si l’économie va mal, c’est la faute au gouvernement et à son incapacité à gérer efficacement la manne pétrolière. Point.

Pourtant, à vouloir simplifier à outrance on court le risque de tomber dans la manipulation, car comme d’habitude la réalité est bien plus complexe que la façon dont les médias hégémoniques présentent la situation. En effet, à l’équation « crise économique = gouvernement incompétent » il faudrait rajouter un certain nombre de facteurs, que l’on pourrait englober sous le titre du « sabotage économique », dénoncé à tue-tête par le gouvernement du président Maduro. Ce « sabotage » de l’économie prend diverses formes :

1- contrebande de produits subventionnés au Venezuela qui sont revendus avec une marge de bénéfice très importante dans les pays voisins, principalement la Colombie (essence, produits de première nécessité, etc.) ;

2- accaparement, agiotage et spéculation, mis en place par ceux qui contrôlent les moyens de production et de distribution (rappelons que l’économie vénézuélienne est toujours en grande partie entre les mains du secteur privé) ;

3- développement du marché noir des marchandises et des devises étrangères, ce qui est à la fois le résultat mais aussi un facteur (car encouragé) de la situation économique.

A tout cela il faut rajouter toute une pléiade de « techniques » qui ont le double effet d’enrichir rapidement ses opérateurs tout en nuisant à l’économie du pays, puisque appliquées à grande échelle : du simple « rascacupos » [1] au chef d’entreprise qui préfère revendre ses dollars préférentiels [2] sur le marché noir au lieu d’importer les produits pour lesquels ces dollars lui ont été alloués, une multitude d’acteurs [3] contribuent au jour le jour à alimenter l’inflation.

Et les résultats sont au rendez-vous : la différence entre dollar officiel préférentiel et le dollar parallèle (marché noir) est de 1 à 72 (une différence de 7.200%) [4].

L’on voudrait « faire hurler » l’économie vénézuélienne que l’on ne s’y prendrait pas autrement [5] !

Paranoïa-complotiste, où connaissance de l’histoire latino-américaine ?

Sans tomber dans la paranoïa ou les théories du complot, l’on ne peut tout de même pas simplifier au point de réduire l’analyse de la situation que traverse le Venezuela à « c’est la faute du gouvernement ». Évidemment sa part de responsabilité est très importante et les erreurs commises sont surement multiples, mais refuser de reconnaître les rôles joués par d’autres facteurs tels que le patronat, le secteur privé ou des puissances étrangères comme les États-Unis dans la déstabilisation de l’économie c’est participer à un lynchage médiatique qui n’a rien à envier à la propagande. Une autre technique consiste à minimiser ces rôles ou encore pire les tourner en ridicule. Le journal Les Échos nous offre un parfait exemple dans le pamphlet « Voyage dans la pire économie du monde » (16/02/2015, Les Echos, ) dans lequel l’auteur tire à boulets rouges sur le gouvernement.

Pénuries, queues devant les magasins « comme à la grande époque soviétique », rationnements comme à « Cuba et la Corée du Nord », un véritable gâchis « mené au nom de la lutte contre la pauvreté » par un gouvernement qui se serait fourvoyé en tentant d’établir avec trop de romantisme un « socialisme du XXIe siècle ».

Et quand une autre explication pointe le bout de son nez...

Pour faire bonne mesure, le gouvernement a aussi incarcéré au début du mois deux dirigeants d’une chaîne de pharmacies pour « boycott et déstabilisation de l’économie ».

Car pour le président Nicolas Maduro, qui a succédé à Hugo Chavez il y a près de deux ans, ces pénuries dramatiques viennent de la volonté du grand capital de faire tomber le gouvernement. Chefs d’entreprises, spéculateurs et dirigeants de l’opposition organiseraient l’asphyxie du pays pour mieux le cueillir. Avec le soutien de Washington, qui renouvellerait ainsi la politique expérimentée sur Salvador Allende au Chili en 1973. Un projet de putsch militaire a d’ailleurs été déjoué la semaine dernière. Bien sûr, il ne saurait être exclu que des patrons indélicats cherchent à profiter de la situation pour gagner de l’argent. Mais il n’est pas besoin d’imaginer un complot pour comprendre comment le pays en est arrivé là.

Ah, cet emploi du conditionnel, si pratique pour exprimer une supposition, un doute. Pourtant ils sont nombreux les gouvernements latino-américains à ne pas douter et à dénoncer ouvertement la guerre économique que subit le Venezuela, comme l’équatorien Rafael Correa qui déclarait en janvier dernier à la tribune de la CELAC (Communauté des États Latino-Américains et de la Caraïbe), réunie au Costa-Rica :

C’en est assez de ces guerres économiques contre des pays comme le Venezuela, qui nous rappellent la guerre économique de la bourgeoisie chilienne contre [le gouvernement de] Salvador Allende, quand ils se sont rendu compte avec les élections législatives de mars 1973 qu’il ne pouvait pas être vaincu par les urnes. [6]

Il faudra certainement attendre 20 ou 30 ans – quand les documents secrets correspondants seront déclassifiés et le confirmeront – que les « journalistes » des médias hégémoniques accepteront (sans aucune remise en question par rapport à leur travail) qu’effectivement, au Venezuela les choses sont un peu plus compliquées qu’elles ne le paraissent aujourd’hui.

Et pourtant les indices ne manquent pas.

Les autorités annoncent toutes les semaines des saisies de contrebande record [7], les preuves qui confirment l’existence de réseaux organisés d’agiotage et de spéculation pullulent [8], les techniques d’enrichissement personnel aux dépends de l’économie national ne sont plus des secrets pour personne [9]... Mais ce n’est jamais assez pour les mass-médias qui se bornent à ne vouloir voir qu’un seul coupable : le gouvernement et sa révolution bolivarienne.

L’histoire du continent latino-américain nous a prouvé que, même s’il est vrai qu’il ne faut pas non plus simplifier à outrance de l’autre côté et rejeter entièrement la faute aux « Yankees », la main noire de Washington n’est pourtant jamais très loin [10], et cet élément n’est pas un des moindres et mérite au contraire qu’on s’y attarde un peu, au moins lorsqu’on est journalistes et que l’on voudrait comprendre le contexte vénézuélien.

C’est sûrement trop demander aux chiens de garde du système.

Comment oser songer à les voir se plonger dans la lecture desEnfants cachés du général Pinochet - Précis de coups d’Etat modernes et autres tentatives de déstabilisation, du journaliste Maurice Lemoine ?

Ce serait trop gros. Gros comme deux millions cinq cent mille bolivars qui traversent la frontière vénézuélienne vers la Colombie...
...

La Police confisque 2.500 millions de bolivars à la frontière colombienne (Globovision)

La Police colombienne a confisqué près de 2.500 millions de bolivars que transportaient un homme sur une moto sur la route qui relie la municipalité d’El Zulia à Cucuta, dans le département du Nord de Santander (nord-est), selon les informations proportionnées par cette institution.

La devise vénézuélienne, qui se trouvait en « transit irrégulier » dans le pays, a été confisquée lors d’une inspection réalisée par les autorités durant un contrôle sur cette route proche de la frontière (...).

Source : agence EFE

Luis Alberto Reygada pour Le Grand Soir (http://www.legrandsoir.info/)
la.reygada@gmail.com
facebook.com/la.reygada
@la_reygada

NOTES :
[1] Touriste vénézuélien qui feint des achats à l’étranger avec de fausses factures afin de revendre à son retour les dollars préférentiels non dépensés sur le marché noir local. La marge de bénéfice est de plus de 1400% ; les « rascacupos » voyagent très souvent avec les cartes de crédit de plusieurs « touristes fantômes » afin de multiplier les gains.

[2] Le dollar « préférentiel » correspond au dollar auquel le gouvernement donne accès au taux le plus bas du pays : 6.30 Bolivars pour un dollar. Il est réservé aux entités gouvernementales ainsi qu’aux entreprises du secteur privé qui opèrent dans les secteurs stratégiques de l’économie, afin qu’elles puissent effectuer les importations nécessaires à l’approvisionnement du pays.

[3] Et il faut reconnaître ici qu’ils agissent souvent avec la complicité d’acteurs gouvernementaux, comportement qui a été dénoncé et qualifié d’ « antirévolutionnaire » à de nombreuses reprises par les dirigeants du pays.

[4] Tout un chacun peut consulter sur internet les va-et-vient de l’inflation, notamment sur le site Dolar Today, bien connu des vénézuéliens qui ont à leur porté des devises étrangères (https://dolartoday.com/).

[5] Ne voyant pas d’un bon œil l’arrivée au pouvoir du socialiste Salvador Allende à la présidence du Chili en 1970, le président étatsunien Richard Nixon ordonne à la CIA : "make the [Chilean] economy scream". Source : The 7 Governments the U.S. Has Overthrown, Foreign Policy, Août 2013. http://foreignpolicy.com/2013/08/20/mapped-the-7-governments-the-u-s-has-overthrown/

[6] Correa pidió en la CELAC cese de la "guerra económica" contra Venezuela, Ultimas Noticias, 28/01/2015. Traduction : Le Grand Soir.

[7] Lire La guerre économique n’a pas lieu au Venezuela : plus de 400 tonnes d’aliments confisquées dans la région de Barinas, 11/02/2014, Le Grand Soir et Guerre économique au Venezuela : le gouvernement intensifie la lutte face à la contrebande (PHOTOS), 22/08/2014, Le Grand Soir. Pour avoir un exemple plus récent : Policía decomisa $1.100 millones en mercancía de contrabando en La Guajira, 10/06/2015, El Heraldo.

[8] Lire ¿Quiénes están detrás del acaparamiento en Venezuela ?, 13/01/2015, Telesur.

[9] Pour comprendre le modus operandi des « rascacupos », lire ¿Quiere conocer el último trapicheo en la Puerta del Sol ?, 01/03/2015, La Voz de Galicia.

[10] Lire l’excellent article de Franck Gaudichaud De Santiago à Caracas, la main noire de Washington paru dans la revue Le Monde Diplomatique de mois de juin 2015.

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