Déstabilisation en cours en Amérique du Sud ? (La Jornada)

Manifestation contre le président Rafael Correa à Guayaquil, la semaine dernière.
La Jornada

Cela fait maintenant plus d’une semaine que des manifestations ont lieu en Equateur pour exiger la démission du président Rafael Correa. Elles ont débuté suite à l’annonce par le gouvernement d’un projet de loi dont l’objectif est d’imposer les grandes successions et les plus-values qu’obtiennent les spéculateurs immobiliers. Au cri de « Dehors Correa, dehors ! », les leaders de l’opposition de droite ont attisé les protestations, concentrées principalement dans la capitale du pays et dans le port de Guayaquil, bastion de la droite.

Hier soir, Correa a annoncé le retrait temporaire du projet de loi pour ouvrir un grand débat national, expliquant que cette mesure répond au souhait de maintenir un climat de tranquillité avant la visite du Pape François en Equateur, qui aura lieu en juillet. Quelques heures avant, le président a demandé aux opposants d’abandonner les manifestations et de recourir à la consultation révocatoire. Il est important de rappeler que la Constitution équatorienne –approuvée par référendum en 2008- établit la possibilité de révoquer les mandats de toute autorité élue au suffrage directe. Lors des élections présidentielles de 2013 Correa a triomphé avec 57% des voix, soit 35 points de plus que son plus proche adversaire. Il est aussi important de rappeler-pour placer tous les éléments du contexte équatorien- que Correa a subit une tentative de coup d’Etat deux ans et demie plus tôt.

Il faut aussi prendre en compte le contentieux qui oppose l’Equateur à la multinationale pétrolière Chevron, compagnie qui a laissé toute une zone de l’Amazonie dévastée derrière son passage, territoire où elle a opéré jusqu’en 1992. Ce désastre environnemental a causé plus de 1 400 victimes mortelles et est toujours visible à cause des résidus pétrolifères [qui continuent de polluer la région]. Comme l’a indiqué le ministre des affaires étrangères de l’Equateur, Ricardo Patiño, lors de l’interview qu’il a concédé à ce journal[1], la multinationale demande que ce soit le pays qui paie pour les dommages causés à l’environnement et aux populations, qui se battent devant les tribunaux depuis plus de 20 ans afin d’obtenir des indemnisations.

Pollution causée par Chevron-Texaco en Amazonie équatorienne.

Force est de constater que les opposants qui exigent la sortie du président s’abstiennent bien de recourir à la consultation révocatoire, qui leur est pourtant disponible, et qu’au lieu de ça ils persistent à poursuivre leurs mobilisations dont l’objectif n’est plus très clair.

Du point de vue régional, le conflit politique équatorien s’articule avec ceux ayant cours dans d’autres pays. Ainsi, un jour après le début des manifestations à Quito et à Guayaquil, l’Argentine à vécut mardi dernier une grève générale convoquée par le syndicalisme-gangster local et appuyée par les grands médias. Comme en Equateur, les opposants au gouvernement argentin ont provoqué une flambée de tension à cause d’une loi qui n’affecte pourtant que les secteurs les plus aisés. On remarque que des manifestations de grande ampleur ont ou ont eu lieu récemment en Bolivie, au Brésil, au Chili, au Honduras, au Paraguay et au Venezuela, en plus des deux pays déjà cités, et que curieusement il s’agit à chaque fois de gouvernements qui ont en commun la volonté de construire leur propre développement de façon souveraine et digne.

Manifestations en argentine la semaine dernière.

Sans omettre que la plupart des manifestations de mécontentement dans ces pays se basent sur des erreurs réelles commises par leurs gouvernements respectifs, cette simultanéité suggère qu’en plus d’exprimer un agacement réel, ces mouvements pourraient être le résultat d’une manœuvre de déstabilisation régionale. La tactique étatsunienne et européenne d’amplifier et d’exacerber les malaises à l’encontre de gouvernements souverains est bien connue dans notre continent et pourrait bien être utilisée aujourd’hui contre les gouvernements latino-américains qui ont rompu avec le FMI et avec l’habituelle subordination au capital financier international, qui suivent la voie des politiques de bienêtre social et qui ont impulsé des processus d’intégration régionaux.

Traduction : Luis Alberto Reygada pour Le Grand Soir

la.reygada@gmail.com

@la_reygada

NOTES :

(1) Patiño : clara, la mano sucia de Chevron en Ecuador, La Jornada, 15/06/2015. http://www.jornada.unam.mx/ultimas/2015/06/15/patino-clara-la-mano-sucia-de-chevron-en-ecuador-4770.html

(2) Quelques lectures pour compléter cet article :

- Evo Morales accuse la CIA d’avoir infiltré son parti, le MAS (La Jornada) - 05/01/2015 Le Grand Soir

- Les dessous des protestations étudiantes au Venezuela (La Jornada) - 04/03/2014 Le Grand Soir

- Venezuela : incitation à la violence (La Jornada) - 08/04/2014 Le Grand Soir

- Ricardo Patiño : l’Amérique Latine marche aujourd’hui avec ses propres jambes grâce à la révolution cubaine et à Chavez (Telesur) - Le Grand Soir

 http://www.jornada.unam.mx/2015/06/16/opinion/002a1edi

COMMENTAIRES  

22/06/2015 02:26 par Amokrane

On le sait, les multinationales sont le fer de lance du capitalisme. Entre elles et les politiciens de la place -en métropole- c’est donnant-donnant. Dans les pays dits du tiers-monde, elles opèrent en connivence avec des alliés locaux afin de déstabiliser les régimes en place, mobilisant les institutions internationales, les médias, les groupes de pression ou autres organisations de masses. Peu importe le chaos qui en résulte tant économique qu’écologique ou sécuritaire, et ce ne sont pas les exemples qui manquent : à croire que c’est devenu la règle pour que règne la fatalité.
Le vaste monde est devenu une scène où se joue la même tragédie, où c’est à peine si on retouche le scénario.
En Amérique latine, c’est aussi la prise de conscience politique des peuples qui se trouve dans le collimateur des trusts Etats-Uniens.

22/06/2015 09:31 par diaz

Je considère incorrect de comparer les revendications menées au Honduras et en Equateur. Si bien qu’en Equateur, il s’agit d’une mobilisation de la droite équatorienne contre une mesure qui affecte les groupes plus aisés, au Honduras ce n’est pas pareil. Il ne s’agit pas d’un gouvernement qui a ’la volonté de construire son propre développement de façon souveraine et digne’... au contraire, l’indignité de la société hondurienne s’explique par des actes de corruption scandaleux dans l’Institut de sécurité sociale, par lesquels le parti en tête du gouvernement a financé sa campagne électorale à partir des cotisations des travailleurs honduriens, cela ayant comme conséquence la quasi faillite de l’Institut et la mort d’environ 3 000 personnes.

22/06/2015 12:16 par Emar

La droite et la bourgeoisie sont vraiment les rois de l’hypocrisie, en Amérique latine ils perdent les élections et font ensuite tout pour déstabiliser le gouvernement...

Ensuite les puissances étrangères les soutiennent en prônant... le respect de la liberté et de la démocratie !

Le monde à l’envers

22/06/2015 23:42 par Emor Laurent

Dans son dernier livre :

"Les enfants cachés du général Pinochet"

(éditions Don Quichotte, 2015)

Maurice Lemoine explique dans tous les détails ce qui se passe en Equateur et dans les autres pays d’Amérique Latine où des gouvernements veulent mettre en place des politiques au service de la société nationale plutôt qu’à celui des sociétés transnationales.

A lire donc

23/06/2015 09:15 par DC-able

@Diaz
Je suis tout à fait d’accord avec vous au sujet de ce qui se passe au Honduras.

23/06/2015 12:19 par Nicolas

Oui, Maurice Lemoine raconte dans son dernier ouvrage avec moult détails les tentatives de déstabilisation orchestrés par l’occident et les droites des pays latinos américains.
Cette histoire qu’on ne raconte pas dans bon nombre de médias inféodés.

24/06/2015 17:44 par Eric

bonjour

à un moment quand ils franchiront la ligne rouge j’espère que chaque gouvernement va frapper d’une main de fer. Ensuite les 90% détaleront comme des lapins.
Les autres direction la case prison
Ne pas prendre de gants et essuyer d’un revers de main les couinements de la communauté impérialiste euh sorry internationale (sic)

Eric

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