Bahar Kimyongür arrêté en Espagne à la demande de la Turquie : quel rôle joue la Belgique ?

Axel Bernard

Le Belge Bahar Kimyongür a été arrêté par des policiers en civil le 17 juin 2013 alors qu’il visitait la cathédrale de Cordoue en famille. L’arrestation serait fondée sur un nouveau mandat d’arrêt international délivré par la Turquie le 28 mai 2013. Militant politique, Bahar Kimyongür avait dénoncé récemment l’immixtion des forces étrangères, dont la Turquie, dans le conflit sanglant en Syrie. La menace d’une extradition dans le pays du régime Erdogan, fortement contesté par la population pour son autoritarisme, est très inquiétante. Que va faire le gouvernement belge car, étrangement, ce mandat d’arrêt international et cette arrestation ont suivi la rencontre du 22 mai 2013 entre la Ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet (cdH) et le directeur de l’Organisation du renseignement national turc, Hakan Fidan ?

Assiste-t-on à une répétition de ce qui s’est passé en 2006 ?

Ce n’est pas la première fois que le régime d’Ankara veut faire taire cet opposant à sa politique en tentant de l’extrader. Pour rappel, Bahar Kimyongür a déjà fait l’objet d’une arrestation par la police néerlandaise la nuit du 27 au 28 avril 2006, alors qu’il se rendait à un concert de musique turque. Il s’est avéré ensuite que son arrestation avait directement été orchestrée par les plus hautes instances policières et du renseignement belge lors d’une réunion qui s’est tenue dans le cabinet de la ministre de la Justice de l’époque, Laurette Onkelinx (PS). La Belgique désirait livrer Bahar Kimyongür à la Turquie mais était dans l’impossibilité juridique de l’extrader en raison de sa nationalité belge (il est interdit d’extrader ses nationaux). Pour contourner cette interdiction, la Belgique avait sciemment informé les autorités néerlandaises de l’existence d’un mandat d’arrêt international contre Bahar Kimyongür et du fait que ce citoyen belge se rendait aux Pays-Bas. Heureusement, après des mois d’emprisonnement, les autorités judiciaires hollandaises ont refusé de donner suite au mandat d’arrêt international turc. Par ailleurs, poursuivi en Belgique pour son implication dans les activités du DHKP-C, groupe de gauche turque, considéré comme terroriste par le régime turc, Bahar Kimyongür a été définitivement acquitté de toute charge par la Cour d’appel d’Anvers en 2009.

Depuis lors, il avait publié essais et articles. En 2011, Bahar Kimyongür, originaire de la communauté alaouite de Turquie, écrivait un livre intitulé « Syriana, la conquête continue » où il était parmi les premiers à s’interroger sur le rôle des grandes puissances dans le conflit syrien. Ces derniers mois, il n’avait cessé de dénoncer l’horreur de cette guerre qui déchire la Syrie. Dans Le Soir du 7 juin 2013, il lançait un vibrant appel à tous les jeunes qui voulaient soutenir la rébellion contre le régime syrien : « Ne vous laissez pas embrigader ! ». Il avait dénoncé le fait que, dans la région frontalière turque avec la Syrie, « on fait face à de véritables tour-opérateurs du terrorisme international ». Il avait mis en relief le soutien européen, des Etats-Unis et de la Turquie aux djihadistes qui s’engagent dans le conflit qui ensanglante la Syrie.

Un citoyen qui dérange ?

Aujourd’hui, la question d’une nouvelle implication de la Belgique dans son arrestation en Espagne se pose : la ministre Milquet était-elle au courant dès lors que l’échange du 22 mai 2013 entre elle et le directeur de l’Organisation du renseignement national turc, Hakan Fidan, est décrite comme « très constructif », et où « plusieurs modalités de collaboration et d’échanges d’informations dans les différents dossiers évoqués ont été précisées et renforcées » ? Sachant aussi qu’elle a décommandé sa participation à un débat avec Bahar Kimyongür début juin sur la question des jeunes Belges partis en Syrie suite à l’intervention directe des autorités turques.

Que va faire le gouvernement belge alors qu’un citoyen belge risque d’être extradé dans les prisons turques précisément au moment où celle-ci est rentrée dans une phase de répression importante d’un mouvement populaire d’opposition démocratique et sociale ? Car Bahar Kimyongür court un grave danger s’il était remis aux autorités turques.

Bahar Kimyongür participait récemment à l’émission Face à l’Info sur la RTBF Radio, entre autre avec Joëlle Milquet. Il dénonçait l’attitude de la Ministre de l’Intérieur qui s’était engagée à aider les familles des jeunes belges embrigadés dans la rébellion syrienne Il avait alors déclaré à l’égard de Joëlle Milquet : « l’Etat belge a abandonné nos jeunes à leur sort. » Pour paraphraser ces paroles, nous demandons aujourd’hui : « Madame Milquet, est-ce que vous allez abandonner Bahar Kimyongür à son sort ? »

Axel Bernard

EN COMPLEMENT

Les articles de Bahar Kimyongür publiés sur le Grand Soir http://www.legrandsoir.info/_kimyongur-bahar_.html

 http://www.ptb.be/nieuws/artikel/bahar-kimyonguer-arrete-en-espagne-a-la-demande-de-la-turquie-quel-role-joue-la-belgiqu

COMMENTAIRES  

19/06/2013 14:02 par njama

Cet article de rtbf.be donne quelques précisions :
"Un mandat d’arrêt turc datant du 28 mai 2013 a mené à cette arrestation. Il mentionne des charges des faits de terrorisme sans préciser lesquelles.

Il "se fonde sur l’intervention de M. Kimyongur lors d’une comparution à Bruxelles de l’ex-ministre de la Justice turc qui avait été verbalement vilipendé par le ressortissant belge et ses sympathisants, sans qu’aucune violence n’ait été commise", indique le journal Le Soir.
Bahar Kimyongur doit être transféré dans les plus brefs délais à Madrid, où il sera présenté à un juge.

[Néanmoins (je croise les doigts) d’après son avocat, le ton est optimiste]
"Bahar Kimyongürr semble avoir peu de chances d’être extradé vers la Turquie : selon son avocat, la justice espagnole ne devrait donner son feu vert à une extradition que si elle établit des charges identiques en Espagne et si elle a la certitude que ce ressortissant européen ne risque pas un procès inéquitable ou d’être torturé en prison, ce qui est le cas de nombreux militants du DHKP-C en Turquie."


Quelques divergences avec lalibre.be qui écrit :
"L’État turc réclame son extradition pour des "faits de terrorisme". Le mandat d’arrêt international transmis par Interpol avait été suspendu avant d’être réactivé le 28 mai dernier."


La question que l’on peut se poser, pourquoi lalibre.be parle de mandat d’arrêt international "suspendu", puis "réactivé" puisque si Bahar Kimyongür a été définitivement acquitté de toute charge par la Cour d’appel d’Anvers en 2009, quelle est aujourd’hui la validité de ce mandat international qui avait conduit à son arrestation en 2006 ?
Et qu’elle peut donc être la crédibilité de celui délivré par la Turquie le 28 mai 2013 ?
L’ancienne décision de Justice de l’Etat belge devrait donc pouvoir peser dans la balance, tout comme le fait que Bahar Kimyongür n’a jamais rien commis de délictueux.

19/06/2013 17:31 par njama

Un gros point positif ... pour l’instant ... Bahar libéré sous caution
lesoir.be, mis en ligne il y a 2 heures :
Arrêté en Espagne ce mardi, le ressortissant belge a été libéré ce mercredi par un tribunal espagnol en échange d’une caution de 10.000 euros.

Le Tribunal de grand instance de Madrid était appelé à statuer sur l’extradition de Bahar Kimyongur, ce ressortissant belge réclamé par la Turquie. Il a décidé de le libérer sous caution. Le tribunal a donné 45 jours à la Turquie pour préciser les faits dont elle charge le Belge. Une manifestation de soutien est prévue ce mercredi à 16h30 devant le ministère des Affaires étrangères, à Bruxelles.

Je ne sais pas dans quelle mesure Internet et autres réseaux ont pu jouer dans cette "sage" décision (même si elle reste précaire) ...
Merci beaucoup toutefois à LGS d’avoir été aussi réactif.

affaire à suivre ...

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