Dimanche 15 février 2009, les rues de Caracas étaient désertes en pleine après-midi comme si le temps s’était arrêté. Dans la ville, habituellement trépidante et engorgée, régnait une atmosphère de suspense. Sous une chaleur écrasante, quelques Vénézuéliens isolés semblaient rappeler que les seules allées et venues de ce dimanche exceptionnel étaient faites pour aller jusqu’au bureau de vote. Le reste du temps paraissait uniquement consacré à écouter et regarder la télévision où une majorité de chaînes destinaient leur programme à l’événement électoral national.
Ce dimanche 15 février 2009, il s’agissait effectivement pour le peuple vénézuélien d’approuver ou non le projet d’amendement de la Constitution, permettant ou non de réélire sans limitation de mandat tout élu actuellement désigné. Les premiers sondages d’avant le début de scrutin annonçaient une victoire du SI à 51,5 %, mais ce jour-là , à 14 h, seulement 52 % de la population s’était déjà rendue aux urnes. Nombre d’électeurs pouvaient donc encore accomplir leur devoir de citoyens, laissant tout pronostic dans l’incertitude.
C’est ainsi que, le souffle coupé, Caracas, comme tout le reste du pays, s’est tenu suspendu à l’heure du verdict de cette consultation populaire.
Tendance
A presque 17 h, Ali Rodriguez, ministre des Finances et dirigeant du PSUV (parti socialiste vénézuélien), annonçait que « la tendance était irréversible ». Il sommait également l’opposition de ne pas tomber dans la provocation ni dans l’organisation de désordres, en faisant circuler sur Internet des bruits de fraude électorale infondés.
Ainsi, Sumate - mouvement associatif civil vénézuélien acquis à l’opposition, pour ne pas dire vendu aux Etas-Unis puisque financé par le National endowment for democracy - avait mis en place, pour cette occasion, un état-major de 70 personnes à Caracas, avec des antennes dans 14 Etats, afin de diriger l’opération « Impunité zéro » durant le vote. Dans ses locaux, les dénonciations de disfonctionnement étaient enregistrées, une compétition inégale et une propagande partisane en faveur du camp du SI dénoncées, le tout diffusé sur le Net dans le but d’échauffer les esprits.
Au gré de la journée, l’exaspération de l’opposition est ainsi montée crescendo du fait d’une très forte mobilisation populaire et militante observée et constatée. Il est vrai que, malgré la campagne électorale terminée, la machine chaviste a continué de fonctionner, emportée dans une logistique frénétique. Plus fort que tout, des motos chevauchées par des membres du Front motorisé de l’intégration socialiste ont sillonné dans les rues, depuis l’aube et tout au long de la journée, appelant à voter SI. Des camionnettes spécialement affrétées ont patrouillé les quartiers afin de proposer aux personnes en difficulté motrice, du fait de leur âge ou d’un handicap, de les accompagner jusqu’à leur bureau de vote. La fougue chaviste dépassa de la sorte très largement la capacité à vaincre des partisans du NO.
La votation fut cependant parfaitement organisée et maîtrisée. Au programme, « un électeur, un vote ». Ainsi, chaque citoyen, au moment du vote, a dû plonger son petit doigt dans une encre indélébile l’écartant de tout second passage.
Verdict
A 18 h, les bureaux de vote étaient fermés et quelques minutes plus tard, les premiers résultats promulgués par le Conseil national électoral (CNE). Avec plus de 54 %, le SI l’emportait. A cet instant précis, la tension, jusque-là retenue et silencieuse, laissa place à un réveil urbain comparable à une traînée de poudre qui vient de s’enflammer. Des groupes se formèrent sur les places, dans les rues, devant les bureaux de vote pour discuter, commenter, voire s’emporter ou s’interpeller. Certains opposants au SI se voulaient d’être présents à la fermeture des bureaux de vote afin de veiller aux bonnes procédures de fin de scrutin, soupçonneux de manipulation des urnes, bien entendu malintentionnée. Les « ouiouistes » furent également, dans ces derniers instants, accusés de laisser voter la population, passé 18 h, pour gonfler leur résultat.
Quoiqu’il en était, la foule prenait la rue. La première annonce de l’obtention du SI s’emparait des esprits chavistes, manifestant leur joie et leur excitation jusqu’à l’hystérie. Les banderoles pour le SI flottaient dans tout Caracas, les sifflets et les tambours retentissaient à tous les coins de rues, la salsa transperçait les haut-parleurs, des rassemblements sur les trottoirs interpellaient bruyamment les voitures qui passaient, avec pour cri de reconnaissance « SI va ». La victoire du SI totalement acquise et la fête en branle.
Progressivement, une marée d’hommes, de femmes et d’enfants, vêtus de chemise ou de tee-shirt rouge, est montée par l’avenue Urdaneta jusqu’au palais présidentiel Miraflores. Hugo Chavez allait apparaître au « balcon du peuple » pour y saluer la foule, tenir un discours et remercier le peuple pour son choix. Les Vénézuéliens seraient là pour le célébrer.
A un peu plus de 21 h 30, Chavez s’est présenté triomphant et éclatant. Se proclamant dorénavant « au service du peuple durant toute sa vie », Chavez s’est déclaré conscient que son destin politique s’était joué ce dimanche dans les urnes vénézuéliennes. Il précisera que la page mémorable qui s’est inscrite aujourd’hui dans l’histoire du Venezuela ouvre le chapitre de la continuité de la transition, et efface les limitations à l’efficacité politique. Chavez affirmera que la rapidité de rotation des gouvernements dans l’ancien système rendait impossible la réalisation d’un projet national de grande ampleur. Dès à présent, ensemble, il proposera de tracer les lignes de la 3e période de la Révolution bolivarienne, celle de 2009 à 2019, se désignant précandidat pour 2012 avec la volonté de Dieu et celle du peuple. Pour ne pas faillir à son engagement vis-à -vis des Vénézuéliens, et en vue d’accomplir les virages promis, Chavez promettra d’appliquer au plus vite sa thèse des 3 R : Révision, Rectification, Réimpulsion, et mentionnera que « la nouvelle République nécessite de nouvelles institutions, avec des femmes et des hommes nouveaux, honnêtes et dévoués au service public ».
Vers 23 h, dans la consternation, les voix de l’alliance de l’opposition reconnaîtront la victoire du SI au référendum. En guise de dernier sursaut d’autodéfense, elle rappellera qu’aujourd’hui Chavez l’emporte avec 54 % alors qu’il a été élu en 2006 avec 64 %. Preuve que l’appui du peuple vénézuélien à son égard est en perte de vitesse, et une alternative pour elle de le battre en 2012. Avant cela, l’opposition affichera également son intention de réapparaître à l’Assemblée nationale lors des élections législatives de 2010, qu’elle avait boycottées en 2005. Tomas Guanipa, secrétaire général de Primero justicia (Justice d’abord), soulignera que « nous ne nous reposerons pas jusqu’à ce que le Venezuela prenne un chemin différent ».
En attendant, les feux d’artifice ont fusé une bonne partie de la nuit dans le ciel de tout le pays.
Succès
54,36 %, très précisément, des citoyens vénézuéliens ont dit SI à l’amendement de la Constitution, soit 6 millions de voix sur 11 millions de votes validés et 17 millions d’inscrits. Le taux de participation au scrutin, à hauteur de 67,05 %, confirme l’intérêt et la volonté populaires de s’impliquer dans les projets politiques à venir. A cette votation, 1,6 million de voix vénézuéliennes sont venues ainsi grossir le chiffre des votants par rapport au référendum de 2007. Le taux d’abstention de 32,95 %, le plus bas depuis 2006, conforte ce sentiment d’une vive préoccupation citoyenne vis-à -vis de la gouvernance vénézuélienne.
D’un point de vue géopolitique, il est important de remarquer le passage du SI à 52,06 % dans l’Etat de Carabobo, un des cinq Etats tenu par l’opposition et un des plus peuplé du pays avec quelque 2 millions d’habitants. L’Etat de Nueva Esparta (400 000 habitants), également dans l’opposition, a voté en faveur du NO à seulement 50,73 %.
Du côté des Etats chavistes, Mérida (350 000 habitants) est le seul à avoir fait défaut au SI, avec une courte majorité pour le NO à 50,89 %. Dans les 18 autres Etats acquis à Chavez, le SI est passé haut-la-main, avec pour plus de la moitié de ceux-là des scores oscillant entre 60 % et 71,5 %.
La campagne électorale chaviste s’avère payante et le bilan largement confortant et positif. Le PSUV a compris, lors de l’organisation de cette consultation, que le chavisme sans Chavez ne fonctionne pas, et que la prolongation du pouvoir passe par lui. Jesus Gonzales, chef du Commando stratégique opérationnel de la force armée nationale bolivarienne (Ceofanb), assure que le processus électoral s’est déroulé globalement avec succès dans tout le pays, et félicite le peuple vénézuélien pour sa maturité et son civisme démocratiques. Le ministère public donne pour autant l’information que 156 personnes ont été arrêtées durant cette journée pour destruction de matériel électoral, manipulation d’identité, résistance à l’autorité, prosélytisme politique et actes de violence armés dans certains centres de votation.
Parallèlement, l’opposition semble « rester sur le carreau », encore fatiguée de ses lourds efforts fournis en novembre 2008, dans la bataille des élections des gouverneurs. Son essoufflement à résister à la vague révolutionnaire bolivarienne démontre les limites du pouvoir exagéré, abusé et mensonger de l’oligarchie vénézuélienne. Convaincre et rassembler devient difficile dans ce camp.
Slogan mondial
Le récent « Yes, we can » yankee, qui résonne actuellement sur toute la planète, serait-il simplement l’écho d’une inspiration latino-américaine qui dure depuis maintenant 10 ans ?
Si cela est le cas, et en toute humilité, les Américains se devraient de rectifier leur rutilante expression et de dire plutôt « Yes, we can also » - « Si, podemos tambien », histoire de rester modestes !
Faire plutôt que de promettre, Chavez au Venezuela répond à cette résolution. Qui d’autre ? Les volontaires sont les bienvenus.
Muriel Knezek
Le Grand Soir