Monthly Review, septembre 2005.
Depuis les années 1960, les Etats-Unis et l’oligarchie colombienne ont à plusieurs reprises lancé des campagnes militaires et élaboré des plans pour battre les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie - Armée du Peuple (FARC-EP). Cependant offensive actuelle, dont l’objectif est de maintenir l’accumulation et l’expansion capitaliste, à produit des résultats gênants pour l’impérialisme et pour la classe au pouvoir en Colombie. Dans une période de croissance et d’accentuation de l’impérialisme états-unien, il est important d’analyser cet échec. Ces quatre dernières décennies, malgré les efforts des Etats-Unis, la plus puissante organisation politique et militaire d’opposition à l’impérialisme reçoit de plus en plus de soutien. J’examine non seulement comment les FARC-EP ont maintenu une présence substantielle sur la plus grande partie de la Colombie, mais également comment elles ont répondu de façon offensive à la campagne anti-insurrectionnelle ininterrompue. Je montre aussi la fausseté de la campagne de propagande des Etats-Unis et du gouvernement colombien qui prétend que les FARC-EP sont défaites. La présente analyse décrit le cas d’un mouvement socio-politique d’aujourd’hui, organisé, de classe, qui fait face à l’impérialisme à l’ère de la contre-révolution globale.
Historique
Il y a longtemps le Che Guevara est passé par la Colombie ; il avait alors écrit dans son journal de voyage que la soi-disant plus ancienne démocratie de l’Amérique latine « réprime plus les libertés individuelles » que tous les autres pays qu’il avait alors visités. Depuis le voyage du Che les choses n’ont guère changé.
Au milieu du XXème siècle la Colombie est novatrice parmi les pays d’Amérique latine. La Colombie est le premier Etat à recevoir l’aide de la Banque mondiale (alors appelée la Banque Internationale pour la Reconstruction et le Développement). La Colombie est aussi le premier pays à recevoir l’aide officielle des Etats-Unis dans le secteur militaire et contre-insurrectionnel. Durant les années 1960, la portion du budget national alloué aux dépenses militaires, pour combattre les organisations paysannes et les guérillas, dépassait les 16%.
Actuellement la Colombie vit une guerre civile, et se trouve soumise à des politiques économiques néolibérales et dans une situation de subordination vis-à -vis des Etats-Unis. Un tout petit groupe de propriétaires terriens et de capitalistes dans le pays décident directement de la politique et des choix économiques gouvernementaux. La polarisation de la richesse est extrême. Les 3% les plus riches possèdent actuellement plus de 70% de la terre cultivable, tandis que 57% subsistent avec moins de 3% de la terre. 1% de la population contrôle 45% de la richesse du pays, tandis que 50% des terres agricoles sont détenus 37 grands propriétaires.
Le président Alvaro Uribe Vélez cherche à imposer un modèle néolibéral en Colombie par des privatisations massives, par l’abandon des tarifs douaniers, tout en réprimant le militantisme syndical. Uribe Vélez a adopté des mesures visant à diminuer les salaires pour les heures supplémentaires, a augmenté d’un tiers l’âge de la retraite et a diminué les salaires du secteur public de 33%. Après les restructurations néolibérales la disproportion dans la possession des richesses s’est encore accentuée. En 1990 le rapport entre les revenus des 10% plus pauvres et les revenus des 10% les plus riches était de 40/1. En 2000 ce rapport est passé à 80/1. Cette réalité économique est perceptible dans toute l’actualité juridique et politique colombienne. Malgré toutes les sornettes hypocrites à propos de la démocratie et de l’état de droit, l’Etat colombien est géré avec une grande brutalité par ce que Chávez a nommé l’oligarchie rance (« rancia oligarquàa »), évidemment soutenue par les Etats-Unis.
Cependant la Colombie a conservé une forte tradition d’opposition de gauche. Dans un essai de 1872, « Les Possibilités d’une Révolution non-violente », Marx suggérait que certains pays peuvent disposer de prolétariats qui « parviendront à leurs objectifs par des voies pacifiques » ; cependant, assurait-il, « nous devons aussi reconnaître le fait que dans la plupart des pays » ce n’est pas le cas et que le levier de notre révolution sera la violence ». Si cela est vrai dans un pays aujourd’hui, ce pays c’est la Colombie.
La conscience de classe en Colombie s’est reconstruite et réorganisée à plusieurs reprise pour faire face à la classe dominante. De la fin des années 1930 jusqu’aux années 1950, plusieurs centaines de Colombiens, communistes, dans les campagnes se sont réunis en coopératives et ont organisé leur sécurité pour s’opposer à la pénétration expansive des intérêts capitalistes vers les nouvelles terres. La répression de l’Etat et la violence exercée contre les petits propriétaires, les paysans, les travailleurs ruraux, et le semi-prolétariat, les a contraint à offrir une réponse pacifique, mais ferme et armée. Essayant d’exister en tant que communauté géographique autonome, ces « groupes d’autodéfense » étaient basés sur des rassemblements de paysans qui travaillaient la terre collectivement dans des régions relativement isolées. Ils cherchaient à organiser une société stable, non corrompue, basée sur le contrôle local, et en mesure de faire face à la répression du gouvernement central en promouvant des communautés dans d’autres régions. Soutenus par une partie significative de la population rurale, ces groupes d’autodéfense localisés ont peu à peu étendu leur sphère d’influence à la fin des années 1950 et au début des années 1960 pour incorporer de nombreuses zones du sud et du centre de la Colombie. En 1964 il existait 16 groupes relevant des ces communautés dans tout le pays. Les communautés, bien que pacifiques, étaient considérées comme une terrible menace, non seulement pour la classe des grands propriétaires et pour la bourgeoisie urbaine montante, mais également pour les intérêts géostratégiques des Etats-Unis. Ces régions sont donc devenues des objectifs militaires en Amérique latine durant la Guerre Froide, laquelle s’est emballée durant le gouvernement Kennedy.
En mai 1964, les Etats-Unis et le gouvernement colombien se mettent d’accord pour lancer une attaque contre les communautés rurales, le centre de l’objectif se trouvant dans la région de Marquetalia, dans le département de Tolima, dans le sud de la Colombie. L’offensive militaire, le 27 mai 1964, est possible grâce au soutien militaire et économique provenant des Etats-Unis avec le plan nommé Latin American Security Operation. C’est pour cela que les FARC-EP considèrent que le 27 mai est la date officielle de leur naissance. Contrairement aux rapports de plusieurs universitaires, disant que les FARC-EP ont été liquidées, l’organisation non seulement a continué d’exister mais elle a même essaimé en permanence dans tout le pays.
Les FARC-EP -conformément aux Protocoles I et II des Conventions de Genève, qui stipulent que les mouvements d’opposition armée luttant pour la conquête du pouvoir d’Etat doivent formellement se constituer dans une structure militaire visible- sont formellement organisées comme "Ejército del Pueblo’ ("Armée du Peuple’) avec une chaîne de commandement tout à fait claire. Le Secrétariat de l’Etat Major Central est composé de 7 membres - Manuel Marulanda Vélez, Raúl Reyes, Timoleón Jiménez, Iván Márquez, Jorge Briceño, Alfonso Cano et Iván Ràos- qui supervisent l’Etat Major Central composé de 25 membres spécifiquement localisés dans les 7 Blocs dans tout le pays -Bloc Oriental, Occidental, Sud, Central, Magdalena Moyen, Caraïbes et Cesar. Dans chacun de ces Blocs il y a plusieurs Fronts qui ont en moyenne entre 300 et 600 combattants. En 2002, il était généralement admis qu’il existait 105 Fronts dans le pays. Des chiffres obtenus par l’auteur grâce à l’observation de personnes impliquées et à des interviews offertes par les FARC-EP indiquent qu’il y a au moins 12 Fronts de plus aujourd’hui. Aujourd’hui une bonne partie des régions de Colombie connaissent une présence significative des FARC-EP ; cependant très peu d’analyses ont été recueillies, examinées ou présentées au grand public à ce sujet.
Tout de suite après sa fondation l’Insurrection était présente dans quatre municipalités et elle a accru sont influence durant les années 1970 et 1980. C’est durant les années 1990 -avec l’arrivée de la politique néolibérale accompagnée d’une augmentation de la répression de l’Etat, souvent conduite avec une effroyable brutalité avec les paramilitaires au service de l’Etat- que les FARC-EP ont augmenté sensiblement leur présence sociale dans tout le pays. Une étude détaillée de 1997 a révélé que l’Insurrection était présente dans 622 municipalités (sur un total de 1050). En 1999, les FARC-EP avaient gagné en puissance sur plus de 60% du pays, et en moins de trois ans il était considéré que plus de 93% de toute les « régions de peuplement récent » en Colombie connaissaient la présence de la guérilla. Cundinamarca, le département qui entoure la capitale Bogotá, est un exemple. Dans cette région les FARC-EP sont présentes sur 83% des 116 municipalités du département. Bien que leur puissance soit variable selon les endroits, il y a de bonnes raisons de croire que les FARC-EP sont présentes dans toutes les municipalités du pays. Certaines zones sont gérées par les FARC-EP, avec des écoles, des centres de santé, des structures judiciaires de base, etc. ; dans d’autres zones la présence de la guérilla est plus modeste. En plus de la croissance physique des FARC-EP il est indéniable que l’Insurrection dispose d’un fort soutien de la population civile. Ces dernières années, de plus en plus d’habitants des campagnes se sont déplacés vers des régions où se trouvent les FARC-EP, en recherche de protection ou de solidarité. Durant le Processus de Paix entre les Insurgés et le gouvernement colombien, de 1998 à 2002, en une seule année, plus de 20 000 personnes se sont rendues à Villa Nueva Colombia, agglomération organisée par les FARC-EP. Beaucoup préféraient résider dans la zone contrôlée par les rebelles qui leur offrait un sentiment de sécurité et la possibilité de créer des projets de développement alternatifs communautaires. Il n’y a rien de mieux pour illustrer le soutien croissant dont bénéficient les FARC-EP que le nombre de personnes qui ont visité la Zone de Distension qu’elles géraient durant le Processus de Paix. La Zone de Distension, avant la prise en charge (officielle) par les FARC-EP n’avait que 100 000 habitants. Lorsque la Zone a été envahie par les forces gouvernementales pour mettre un terme au Processus de Paix il y avait à peu près 740 000 Colombiens qui avaient rejoint le territoire contrôlé par la guérilla.
Pendant ces quatre décennies, les FARC-EP sont devenues un mouvement complexe et organisé.
Les FARC-EP, 40 ans de croissance de la présence dans les municipalités colombiennes.
Années-Municipalités-Pourcentage
1964 - 4 - 0,04
1970 - 54 - 0,50
1979 - 100 - 9,00
1985 - 173 - 15,00
1991 - 437 - 41,00
1995 - 622 - 59,00
1999 - 1000 - 95,00
2004 - 1050 - 100,00
Leur programme couvre une série de questions politiques, sociales et culturelles. Selon les recherches en cours menées par l’auteur, la composition actuelle de l’organisation a grandi à partir de ses bases paysannes, de survie, pour incorporer les populations indigènes, les Afro-Colombiens, les Déplacés, les travailleurs ruraux sans-terre, les intellectuels, les syndicalistes, les enseignants, et certains secteurs des travailleurs des villes. 45% de ses membres et de ses comandantes sont des femmes. Ce qui a commencé comme une lutte pour la terre menée par des paysans dans les années 1960 est maintenant devenu mouvement socio-politique national avec des objectifs de développement alternatif par la réalisation de la société socialiste. En construisant une base sociale de soutien, une large présence géographique et un modèle idéologique d’émancipation en extension, les FARC-EP sont devenues, avec l’exception cubaine, la plus grande et la plus puissante force révolutionnaire -politiquement et militairement- dans l’hémisphère occidental.
Les FARC-EP, à la différence de tant de mouvements révolutionnaires en Amérique latine, sont une organisation révolutionnaire soutenue par des paysans, organisée par des paysans et basée sur des paysans. Ces révolutionnaires n’ont pas été formés dans des salles de classe ou dans des églises ; ils ne sont pas un mouvement conduit par des avocats, des étudiants, des docteurs ou des prêtres. Au contraire, les leaders des FARC-EP, leur base de soutien, et leurs membres proviennent de la terre même d’où elles retirent leur subsistance, ce pour quoi les Insurgés sont principalement issus des zones rurales de Colombie ; ils représentent environ 65% des membres de la guérilla. C’est très important de comprendre cela au pour discuter des forces aujourd’hui déployées contre la guérilla colombienne.
La nécessité impériale de la contre-insurrection
En raison de leurs successifs échecs dans leurs tentatives de vaincre les FARC-EP depuis 1964, les gouvernements états-unien et colombiens ont récemment conçu une nouvelle politique contre-insurrectionnelle, tout cela à la suite du Plan Colombie, lequel a également échoué. Le Plan Colombie avait renforcé la prééminence militaire sur la gestion du pays, avec une aide massive des Etats-Unis, en argent et en personnel militaire. En 1995 l’aide états-unienne à la Colombie était de 30 millions de dollars ; avec le Plan Colombie entre 1999 et 2002 les Etats-Unis ont apporté 2 040 millions de dollars, dont 81% en armement. Le Plan Colombie avait été présenté comme une stratégie de lutte contre le narcotrafic pour empêcher l’entrée de la cocaïne aux Etats-Unis. L’ennui c’est que ce Plan n’a jamais arrêté le flux de cocaïne vers les pays consommateurs, pas plus qu’il n’a offert aux paysans colombiens d’alternative pour remplacer les cultures illicites. Au printemps 2005, il est admis que la quantité de coca cultivée en Colombie a augmenté.
Durant les années 1986 à 1996, avant l’intervention directe des Etats-Unis en Colombie, avant le Plan Colombie, la surface de culture de coca s’élevait à 40 000 voire à 50 000 hectares. Avec le Plan Colombie les niveaux de culture de coca ont augmenté très sensiblement. En plein Plan Colombie, en 2001, la surface cultivée était de 169 000 hectares. Alors qu’une légère baisse a été observée en 2002 et 2003, on estime actuellement que la quantité de surface cultivée croît de nouveau. En fait, ce qui s’est produit dans la narco-industrie colombienne c’est une monopolisation partielle de la production, du processus d’élaboration et de la distribution intérieure et internationale, par les Autodéfenses Unies de Colombie (AUC), la principale organisation paramilitaire du pays. Les AUC ont ouvertement reconnu qu’elles financent leurs troupes contre-insurrectionnelles grâce au narcotrafic. Les paramilitaires sont financés par le narcotrafic à hauteur de 80% environ. Le véritable résultat du Plan Colombie de Clinton c’est en fait que maintenant les paramilitaires -indirectement organisés par les Etats-Unis et soutenus par l’armée colombienne- contrôlent la narco-industrie. Les FARC-EP, souvent accusées par la propagande des Etats-Unis de pratiquer le narcotrafic, se limitent à taxer les revendedoras, les personnes qui achètent les feuilles de coca aux paysans. Au maximum 2,5% de la culture de coca dans le pays est indirectement liée aux FARC-EP. Bien que le prétexte d’une guerre à la drogue ait servi pendant un certain temps, la politique contre-insurrectionnelle des Etats-Unis et du gouvernement colombien a été affaiblie lorsque le mensonge est devenu trop évident. A partir de là , les gouvernements de Bush et d’Uribe Vélez ont lancé une campagne de répression armée contre les bases de soutien de l’Insurrection, le tout sous le nouveau label de la « guerre contre le terrorisme ».
Au début le Plan Colombie avait provoqué un mouvement de contestation étonnement élevé à l’encontre du gouvernement Clinton. Face à cette pression, le gouvernement colombien avait accepté de limiter à 800 le nombre de membres des forces de sécurité privée et de militaires états-uniens autorisés à entrer sur le territoire colombien, 400 militaires états-uniens et 400 personnels des forces de sécurité privée. Avec le président George W. Bush, président de guerre autoproclamé, le département de la défense a supprimé ces limites à la présence états-unienne et a lancé une campagne d’attaque frontale contre certaines régions bien précises du pays, c’est le Plan Patriota en cours actuellement.
Le Plan Patriota signifie une augmentation de l’implication des troupes états-uniennes et des forces de sécurité privées dans les combats en Colombie. Des attaques ont été menées de façon conjointe par des combattants des forces de sécurité privée et des militaires états-uniens, conduisant 20 000 militaires colombiens, dans une politique de dévastation des campagnes, visant principalement la population civile. Le plan est essentiellement orienté vers le sud de la Colombie, vers les départements de Putumayo, de Caquetá, de Nariño et du Meta.
Cette réorganisation, hypocritement conduite sous le prétexte de la guerre à la drogue, est le résultat de l’exploitation du 11 Septembre par le gouvernement Bush pour des objectifs ouvertement impérialistes. Qualifier les mouvements révolutionnaires marxistes de « terroristes » ôte toute signification au terme, mais cela permet de réprimer l’opposition interne à la politique globale d’interventions militaires. Dans le cadre de la nouvelle doctrine des Etats-Unis le label « terrorisme » permet théoriquement la mise en mouvement de la machine de guerre états-unienne, en totale violation des lois internationales ; ainsi la moitié ou plus de la Colombie est actuellement soumise à une guerre totale, avec première victime la population paysanne.
Le Plan Patriota avait été présenté par l’armée colombienne comme le préliminaire à une reprise des négociations avec les FARC-EP, lesquelles avaient été sabotées par les militaires eux-mêmes sous le gouvernement Pastrana. Le général Reinaldo Castellanos avait déclaré : « Les forces qui sont mises en oeuvre doivent contraindre [les rebelles] à s’asseoir pour négocier aux conditions posées par le gouvernement ; tel est notre plan. » Des habitants des zones rurales m’ont déclaré que le général à encouragé ses troupes à commettre des attaques meurtrières contre les civils désarmés, contre les paysans, et contre les soutiens supposés des Insurgés. Dans ces conditions, parler de négociation pour régler le conflit n’a aucun sens. Les militaires états-uniens n’ont pas cette prétention. En octobre 2002 des rapports indiquaient que les marines états-uniens avaient « ordre d’éliminer tout le haut commandement des FARC », et de « disperser les autres vers les derniers recoins de l’Amazonie ».
Les Etats-Unis et le gouvernement colombien ont essayé de faire croire que leur nouvelle méthode militaire donne des résultats. Ils ont affirmé à plusieurs reprises que l’armée colombienne est en train de « l’emporter » et de cantonner les FARC-EP dans ses derniers bastions. Dans un article reflétant ces prétentions, « des officiers états-uniens » non nommés sont cités disant que les FARC-EP « ont été significativement affaiblies » et maintenant « il n’y a pas un endroit dans le pays où les forces colombiennes ne peuvent pas aller ». Cet article prétend que dans le passé de larges espaces de territoire étaient dominés par les FARC ; le gouvernement ne pouvait pas exercer l’autorité en ces endroits, et les FARC avaient le loisir d’organiser des opérations à partir de ces zones et d’y entraîner des recrues », mais « maintenant le groupe marxiste ne peut plus utiliser ces zones comme des bastions, des centres de recrutement ou comme points de concentration pour les opérations militaires ». En avril 2005, le général Richard B. Myers, de l’aviation états-unienne a affirmé que « nous sommes en train de gagner » et que « la coopération entre les Etats-Unis et la Colombie doit être un modèle pour le reste du monde » parce que « le futur dépend de la capacité des nations à coopérer et à se concentrer contre les extrémistes ». Mais en fait, il est maintenant clair que le Plan Patriota a complètement échoué à vaincre les FARC-EP.
Malgré la propagande qui dit que le Plan Patriota avait pour objectif de lutter contre les FARC-EP, l’objectif était en fait de retirer l’eau au poisson. La cible était le paysannat non armé, parce que là reposent la capacité militaire, la puissance, des FARC-EP. Les offensives du Plan Patriota étaient dirigées contre « les régions suspectes de forte présence rebelle ». Au début du Plan Patriota, James Hill, ex-commandant du USSOUTHCOM, commandement sud de l’armée des Etats-Unis [qui supervise l’ensemble de l’Amérique du sud], avait reconnu que la nouvelle campagne commençait « avec une attaque sur les zones rurales où les paysans soutiennent les FARC », et non contre la guérilla elle-même. En réponse à cette brutale tactique, les FARC-EP ont délibérément fait le choix de s’évaporer dans la montagne pour retirer la pression de certaines régions précises où elles recevaient le soutien des Indigènes et des paysans. Les attaques des troupes des Etats-Unis et de l’armée colombienne les exposaient en fait aux embuscades et aux contre-offensives de la guérilla, laquelle a dans le même temps vu sa popularité se consolider.
La relation entre le paysannat les FARC-EP est restée solide tout au long de ce demi-siècle et elle reste perceptible presque partout dans la campagne colombienne. Lors du lancement du Plan Patriota, cependant, certaines caractéristiques de l’alliance entre les FARC-EP et les paysans ont été modifiées. Un exemple m’en a été donné lorsque je me trouvais dans le département du Huila. J’avais noté que la présence insurgée était minime dans des zones où la guérilla était fortement présente pendant plus de sept ans. Auparavant il était coutumier d’être arrêté à des chekpoints de la guérilla sur des voies principales ou secondaires ou bien de voir des guérilleros converser avec les gens dans les communautés. Sur la base des discussions avec les gens dans les communautés et à la suite d’une conversation avec Raúl Reyes, commandant de la Commission Internationale des FARC-EP, je retiens que les guérilleros qui sont restés dans ces zones ont réduit leur visibilité pour prévenir les attaques de l’Etat contre la population locale. Reyes expliquait que les FARC-EP essayaient de limiter les occasions pour les forces de l’Etat colombien et états-uniennes de pénétrer dans les zones rurales où se trouvent leurs soutiens. L’armée colombienne est connue pour toutes les terribles violations des droits humains à l’encontre des non-combattants ; et c’est pour cette raison que les FARC-EP pendant certaines périodes de 2003 et 2004 ont fait le choix de limiter leur visibilité immédiate dans l’espoir de diminuer les possibilités d’agression contre la population rurale dans les régions de présence guérillera. Mais ce retrait était purement tactique et dans la période suivante les Insurgés n’ont pas été marginalisés par le Plan Patriota mais au contraire ils ont été renforcés.
La réponse au Plan Patriota
Tandis que l’accès par les régions frontalières qui entourent les départements du sud de la Colombie est rendu impossible en raison d’une présence massive de l’armée et des paramilitaires, les zones se trouvant plus à l’intérieur sont tout autant qu’auparavant contrôlées par les FARC-EP, et en fait ces zones sont en train de s’étendre. Durant les deux derniers mois de l’année 2004, il était perceptible que les FARC-EP avaient en fait accru leurs effectifs dans plusieurs régions, contrairement aux prétentions du gouvernement et des médias dominants. Rien qu’en décembre 2004, les FARC-EP ont incorporé 100 nouvelles recrues dans une seule municipalité. Lors de mon entretien avec Raúl Reyes il m’a dit : « Regarde, nous sommes là . Vois-tu des troupes gouvernementales ? Le Plan Patriota n’a pas dispersé les FARC-EP. Nous nous déplaçons librement dans toute la région, comme nous l’avons toujours fait toutes ces années ». Cependant, le repli vers les montagnes durant des périodes précises de 2003 et 2004 est assez différent de ce qu’a fait la guérilla en 2005. Les FARC-EP s’étaient tactiquement retirées face à l’offensive des militaires colombiens et états-uniens mais tout en préparant la contre-offensive, et c’est tout dernièrement qu’est apparue une façon complètement nouvelle d’affronter le Plan Patriota.
Depuis février 2005, les FARC-EP ont prouvé qu’elles se trouvaient à la tête des mouvements socio-politiques armés qui affrontent l’impérialisme. Les premières offensives, initiées les deux premiers jours du mois, ont été considérées comme « les deux pires journées pour les forces armées depuis l’entrée en fonction du président à lvaro Uribe Vélez, en août 2002, qui avait alors promis de vaincre les rebelles sur le champ de bataille ». Les FARC-EP ont attaqué une installation militaire majeure équipée avec « des vedettes portant des mitrailleuses, des phantoms et des hélicoptères ». Quelques jours plus tard l’offensive était appelée « la plus sanglante attaque rebelle de ces deux dernières années ». Le Bloc Oriental des FARC-EP (l’un des sept Blocs) a réalisé en moyenne une attaque par jour rien que durant le mois de février.
A la différence des années précédentes, quand une attaque était suivie par plusieurs jours de pause, les FARC-EP sont restées dans une posture offensive. Dans les jours suivants les Insurgés ont mené des attaques tactiques de plus petite envergure jusqu’au 9 février, quand la guérilla a alors lancé une nouvelle attaque d’envergure, retenant « dans une embuscade 41 soldats dans la région d’Urabá » et « tuant au moins 20 militaires colombiens », en blessant plusieurs. De plus 8 membres de la 17ème Brigade ont alors disparu. L’attaque contre la 17ème Brigade avait alors été qualifiée comme « la plus mortelle attaque subie par les forces armées depuis des années ». A la fin de février 2005, le Bloc Oriental à lui tout seul avait éliminé environ 450 effectifs des forces contre-insurrectionnelles. La campagne commencée en février a été poursuivie par une série d’attaques réussies contre l’armée colombienne, ce qui a montré que les FARC-EP non seulement avaient maintenu leur existence et leur base de soutien, mais qu’elles avaient en fait gagné en puissance malgré une l’attaque organisée par les forces les plus puissantes du monde.
40 ans de croissance pour les forces combattantes des FARC-EP
Années Effectifs
1964- 48
1965- 750
1970- 1.000
1978- 2.000
1983- 3.000
1986- 4.000
1991- 7.600
1992- 18.000
1994- 32.000
2002- 40.000
2004- 50.000
Le futur proche en Colombie et le rôle des FARC-EP
Au printemps 2004 Raúl Reyes avait signalé que le soutien vis-à -vis des FARC-EP était en train de croître et que leur objectif de prise du pouvoir s’approchait de plus en plus. Depuis le printemps 2004 les Insurgés ont davantage orienté leur programme pour soutenir directement les exploités des régions rurales du pays. La contre-offensive des FARC-EP commencée en février 2005 montre l’augmentation de leur puissance. La dynamique de la stratégie révolutionnaire des FARC-EP s’est développée et s’est accentuée.
En mai 1982 les FARC ont formellement ajouté "Ejército del Pueblo’, Armée du Peuple, à leur nom, d’où le nom de FARC-EP. Les raisons qui se trouvaient derrière ce choix étaient de deux ordres. Premièrement le Secrétariat, par une stratégie marxiste-léniniste, avait assumé que c’est avec le soutien populaire qu’une société socialiste peut être construite, et donc les FARC-EP devaient « jouer un rôle décisif dans la conquête du pouvoir pour le peuple ». Deuxièmement, il s’agissait de l’activité militaire de la guérilla. L’idéologie révolutionnaire des Insurgés était fortement portée au maintien des caractéristiques de la structure défensive et du mode opératoire de la guérilla. Cependant, les Insurgés ont réalisé le besoin d’initier l’étape historique vers la généralisation des opérations pour aller vers « un authentique mouvement de guérilla offensif ». Pendant des années les Insurgés menaient leurs habituelles attaques contre les forces paramilitaires et gouvernementales sans engager d’offensives à grande échelle contre l’ennemi. Ces actions, commencées dans les premières semaines de 2005, signalent un changement important. Tout en maintenant la structure d’une guérilla les FARC-EP sont passées des opérations à petite échelle pour favoriser les attaques à grande échelle, soutenues, avec des confrontations directes, avec des attaques simultanées, bien coordonnées, contre les forces de l’Etat en différents lieux du pays. Dans la dernière semaine de juin 2005, les FARC-EP ont monté une embuscade d’importance contre une unité militaire dans le département du Putumayo (« le plus grand nombre de morts en un seul jour depuis l’entrée en fonction d’Uribe Vélez en 2002 ») ; elles ont affronté avec succès les troupes officielles dans le département du Nord Santander près de la frontière vénézuélienne, à l’autre extrémité du pays. Depuis juillet et le début du mois d’août, les FARC-EP ont complètement récupéré le contrôl du département de Putumayo, y compris certaines zones du sud ouest.
Le régime d’Uribe Vélez, soutenu par les Etats-Unis, gouverne un pays où la torture et les assassinats commis par les militaires et les paramilitaires soutenus par l’Etat jouissent de la plus totale impunité. La Colombie a été reconnue à différentes reprises comme le pays le plus dangereux du monde pour les syndicalistes, avec des centaines d’assassinats ces dernières années, et pas une un seul coupable n’a été condamné. Empoisonnés par les opérations d’épandage « anti-drogue » des Etats-Unis et victimes d’assassinats commis par les militaires et les paramilitaires, les paysans colombiens ont énormément souffert durant les années du Plan Colombie de Clinton et durant le Plan Patriota de Bush et Uribe. Dans ces conditions la réponse héroïque des FARC-EP est un don offert à l’esprit humain. Ils ont démontré non seulement que la conscience de classe en soutien à la révolution peut être créée parmi la population soumise à la plus terrible violence des forces impérialistes et de la criminelle oligarchie colombienne, mais également qu’avec la solidarité et la puissance libératrice la guerre de guérilla reste une option viable dans la géopolitique contemporaine.
James J. Brittain
Source en anglais : www.monthlyreview.org
Version espagnole : www.rebelion.org
Traduction : Numancia M. Poggi
Le texte original comporte 21 notes et références qui peuvent être consultées à l’adresse suivante :
www.monthlyreview.org et www.rebelion.org
Libération des prisonniers en Colombie : lettre Ouverte au Président Sarkozy, par James Petras.
* * * Il n’est pas (encore) trop tard : Lisez la biographie d’à lvaro Uribe Vélez, Président de la Colombie, M Poggi Numancia.
La Colombie d’Ingrid Betancourt, par Maurice Lemoine.
Les véritables raisons de l’intervention nord-américaine en Colombie, par Doug Stokes.
La Colombie face à l’empire aujourd’hui, par Alberto Pinzón Sánchez.
Colombie : Les FARC-EP sont-elles coca-dépendantes ? par J.J. Brittain, R. J. Sacouman.
Colombie : le massacre de Betoyes, par Eric Fichtl
– Colombie sur RISAL :
http://risal.collectifs.net
– Le Monde Diplomatique : L’Amérique latine à l’ heure colombienne.
www.monde-diplomatique.fr